Éryxias (trad. Souilhé)/Notice

La bibliothèque libre.
Notice à l’Éryxias de Platon
Traduction par Joseph Souilhé.
Texte établi par Joseph SouilhéLes Belles Lettres (Œuvres complètes, tome XIII, 3e partiep. 112-122).
◄  Sisyphe
Éryxias  ►
Notice de l’Éryxias

NOTICE


I

LA COMPOSITION

Le dialogue qui a pour titre Éryxias contraste avec les précédentes dissertations. L’intention littéraire est plus manifeste et certains traits, certaines remarques assez naturelles et assez fines rappellent un peu la manière de Platon.


L’Introduction.

Le début, comme l’a déjà observé Bruns[1], fait songer à l’exorde du Charmide. Socrate raconte à la cantonade la conversation qu’il vient d’avoir avec plusieurs de ses amis ou disciples, et, suivant le procédé platonicien, présente tout d’abord les personnages mis en scène[2]. C’est en premier lieu Éryxias de Styria, le principal acteur après Socrate, dans cette discussion ; puis Critias, bien connu du monde politique d’Athènes par le rôle qu’il joua à l’époque des Trente, bien connu aussi des lecteurs de Platon ; enfin, Érasistratos, le neveu du démagogue Phéax, qui peut-être fit partie lui aussi du gouvernement des Trente[3].

Érasistratos rentre à l’instant de Sicile. L’époque supposée du dialogue est probablement celle qui précéda la grande expédition contre les Siciliens, alors qu’Athènes, entre 421 et 415, pensait établir sa domination sur les villes soulevées, grâce à une série de démonstrations militaires. On demande au nouvel arrivant ses impressions sur les gens de là-bas, sur leur attitude d’hostilité à l’égard de la ville. Érasistratos est d’avis qu’il faudrait employer la manière forte pour soumettre définitivement les cités récalcitrantes. Tandis que l’on cause, passent précisément des ambassadeurs syracusains. Cette circonstance fera naître le thème du dialogue. Un de ces envoyés est, en effet, fort riche et passe en même temps pour un homme peu estimable. Voilà de quoi fournir un aliment à une discussion philosophique sur la richesse.

Trois thèses seront tour à tour examinées : 1o Le sage est seul vraiment riche ; 2o la richesse proprement dite n’est ni un bien, ni un mal, mais peut être l’un et l’autre ; 3o il n’y a de vraie richesse que là où il y a utilité.

Ces trois parties peuvent être considérées comme les trois actes du drame où, en dehors de Socrate qui tient partout le premier rôle, Éryxias prédomine dans le premier acte ; Critias, dans le second ; enfin tous les acteurs interviennent dans le troisième, de façon à mettre en valeur le personnage principal. Érasistratos reste dans toute la discussion assez effacé ; il intervient de loin en loin pour faire rebondir la conversation.


Première thèse
(393 a-395 e).

Qui sont les riches ? Ceux qui possèdent des objets de valeur. Mais lequel a le plus de valeur et sera par conséquent de la plus grande importance pour constituer la richesse ? C’est le bonheur. Or, les hommes les plus heureux sont ceux qui réussissent le mieux dans leurs affaires. Ceux qui réussissent le mieux sont aussi ceux qui se trompent le moins souvent en ce qui les concerne et en ce qui concerne les autres. Mais ces derniers à leur tour sont ceux qui savent ce qui est bien ou mal, ce qu’il faut faire ou éviter. Le bonheur, en un mot, est identifié à la sagesse. La conclusion est donc que la sagesse est le plus précieux des biens, la véritable richesse.

Mais de quoi servirait la sagesse, objecte Éryxias, si l’on manque du nécessaire pour vivre ? (394 b).

Avec la sagesse, répond Socrate, est-il possible d’en arriver à une pareille extrémité ? N’est-elle pas un bien dont les hommes doivent ressentir un plus pressant besoin que de toute autre chose, et qui la possède ne pourra-t-il, le cas échéant, en faire trafic ? (394 c-d-e).

Éryxias, peu convaincu, voit dans cette discussion de l’éristique pure, un de ces jeux chers aux sophistes, où la règle unique est de dominer l’adversaire, de mettre en valeur le raisonnement le plus fort, fût-il le plus faible du point de vue de la vérité. Il pense donc que le thème : « les plus sages sont aussi les plus riches » est un thème de ce genre (395). Aussi propose-t-il de porter la dispute sur un autre terrain. On mettra à l’étude un problème qui aurait dû préalablement être tiré au clair. Ce sera l’objet de la deuxième thèse.


Deuxième thèse
(395 e-397 c).

La richesse est-elle un bien ou un mal ? Éryxias la regarde comme un bien. Ici intervient Critias et l’on assiste au duel Éryxias-Critias, duel qui se termine à l’avantage de ce dernier. Celui-ci démontre aisément qu’être riche est un mal pour certains. Or, si la richesse était un bien, paraîtrait-elle un mal dans certains cas ? Socrate préside la passe d’armes et arbitrera le débat. Sans grande peine, Critias contraint son adversaire à reconnaître que la richesse, par l’aliment qu’elle fournit aux passions, est une source de maux.


Intermède
(397 c-399 e).

L’arbitre Socrate, pour ménager l’’amour-propre blessé d’Éryxias, va ramener l’attention sur lui-même. Il conte la jolie scène à laquelle il assista jadis. Prodicos soutenait un jour les propositions que Crilias développait à l’instant. Mais il fut entièrement confondu par un tout petit jeune homme, si bien que raillé, bafoué, il dut quitter honteux le gymnase où il discourait. Critias, au contraire, vient de réduire au silence son contradicteur. À quoi tient cette différence ? À la vérité de la thèse ou à la valeur de celui qui la défend ? Que Critias ne regarde pas cependant sa victoire comme définitive. La discussion doit être poursuivie. Après être tombés d’accord sur ce point que la richesse est un bien pour les uns, un mal pour les autres, il reste à déterminer en quoi consiste précisément la richesse.


Troisième thèse.

Être riche, c’est posséder beaucoup de biens. Sans doute, mais que faut-il entendre par biens ? Cette notion très relative varie de peuple à peuple. Ce qui pourtant caractérise partout le bien, c’est l’idée d’utilité. Est bien, ce qui sert, ce qui est utile (399 e-400 e).

Mais, objecte Critias, certaines choses utiles ne sont pas regardées comme des richesses. Il est donc nécessaire de préciser : parmi les choses utiles, lesquelles sont des richesses (401 a) ?

L’objection disparaîtra si nous considérons le problème par un autre biais : a) Dans quel but usons-nous des richesses ? Pour satisfaire aux exigences de la vie. Supprimez ces exigences, vous supprimez l’utilité des richesses et, par le fait, leur être même (401 b-402 a) ; b) tout ce qui n’intervient pas dans l’obtention d’un résultat est inutile à ce résultat. Si donc, sans posséder ce qui passe pour richesse, on peut subvenir à l’entretien de la vie, toutes ces prétendues richesses sont, en réalité, inutiles (402 a-d).

Éryxias ne parvient pas néanmoins à se persuader que l’or, l’argent et autres objets du même genre, ne soient pas souverainement désirables.

Socrate insiste : a) il faut bien reconnaître que l’on peut se procurer le nécessaire pour la vie autrement qu’au moyen de l’or et de l’argent. On échangera, par exemple, une science, en l’enseignant, contre des objets de première nécessité. Donc les sciences sont des richesses au même titre que l’or et l’argent. Nous revenons ainsi à la proposition décriée naguère par Éryxias : les plus riches sont parfois les plus savants (402 d-403 a) ; b) de plus, les richesses sont utiles à ceux-là seuls qui savent s’en servir. Or seuls, les gens honnêtes savent quel usage il faut faire de ces biens. Donc seuls, ils sont vraiment riches (403 a-b-c).

Intervention de Critias : Non sans ironie, Critias réclame la suite du beau raisonnement, ou plus exactement la contre-épreuve. Il s’agirait de prouver que tout ce qui a quelque apparence de richesse, or, argent, ne compte pas.

Socrate relève le défi : a) Ces prétendues richesses sont, dans certains cas, inutiles à l’entretien de la vie. Donc, elles ne possèdent pas ce caractère d’utilité reconnu nécessaire à la notion de richesse (403 d-405 b) ; b) Critias ne doit pas confondre ce qui, de près ou de loin, peut servir à un but, et le moyen réellement efficace. Sans quoi, il faudrait dire que la fortune mal acquise, qui permet de se procurer la science, est un moyen utile à la vertu, puisque la science est la voie de la vertu. On voit que la conséquence absurde et contradictoire serait : le vice est utile à la vertu ; c) enfin, l’état le meilleur n’est-il pas celui où l’on éprouve le moins de besoins ? Or, les passions constituent les besoins les plus tyranniques. Dès lors, vouloir posséder et posséder en fait une abondance de richesses, n’est-ce pas avouer qu’on a des besoins considérables à satisfaire, des passions nombreuses à assouvir ? Donc, la conclusion s’impose : les plus riches de telles richesses sont aussi les plus misérables [retour à la deuxième thèse] (405 c-fin).


Si par quelques détails extérieurs, par une certaine grâce dans la mise en scène, par l’aisance et le naturel de la conversation, le dialogue fait longer un peu à la manière platonicienne, il faut reconnaître cependant que la dialectique de l’Éryxias est bien inférieure à celle du philosophe athénien. L’analyse où nous avons essayé de mettre en relief les principales articulations de la pensée, aura fait ressortir les fastidieuses redites qui veulent prendre couleur d’arguments nouveaux, l’inconsistance, le manque de fermeté des raisonnements. La façon dont l’auteur exploite les trois ou quatre thèmes empruntés à des sources différentes, rappelle de fort loin la méthode du maître qui domine son sujet et marque de son empreinte personnelle des idées fortement décolorées par l’usage. Cet auteur est un éclectique incapable de ramener l’unité de la synthèse des éléments disparates. L’affabulation elle-même ne révèle pas la vigueur et la puissance d’un habile metteur en scène. Les caractères des personnages sont assez ternes et parfois incohérents. A-t-on remarqué, par exemple, comment Critias ne sait plus reconnaître, quand elle est soutenue par Socrate, la thèse qu’il a impétueusement défendue lui-même (396 d-e, 397 a), et comment il semble prêt à faire sienne une doctrine qu’il combattait (403 c-d) ?

II

LES SOURCES D’ÉRYXIAS

Les thèmes du dialogue ont été empruntés à plusieurs sources, mais une des principales est la source platonicienne. Omettons certaines ressemblances de détail plus ou moins évidentes, quelques images qui ont peut-être leur origine dans tel ou tel écrit de Platon, celle, par exemple, du jeu de trictrac (Éryxias, 395 b), que l’on retrouve également au VIe livre de la République (487 c). Les similitudes d’idées sont beaucoup plus frappantes.

La thèse centrale du dialogue, ainsi que plusieurs développements, nous paraissent avoir été fournis par l’Euthydème. Nous faisons surtout allusion au passage où Socrate, s’interposant entre les deux sophistes et leurs naïves victimes, oppose la discussion type aux misérables arguties de l’éristique (279 d-282 e). La forme de l’argumentation, les formules, la progression même de la pensée, apparentent les deux écrits, mais la logique est plus ferme, le raisonnement plus nerveux dans l’œuvre platonicienne. Ici comme là, on définit la σοφία la science du bonheur, celle qui fait réussir et empêche de se tromper (Euthydème, 280 a et Éryxias, 393 e, 394 a). L’εὐδαιμονεῖν équivaut de part et d’autre à εὖ πράττειν (Euthyd., 280 b, Éryxias, 393 e).

Un des motifs principaux de ce passage d’Euthydème est que pour être heureux, il faut non seulement posséder des biens, mais s’en servir, sans quoi la possession ne serait d’aucune utilité, qu’il faut, de plus, s’en servir correctement (280 c d-e). Or, c’est la science qui nous apprend à nous servir correctement des choses. Il n’y a donc pas de véritable utilité là où ne se trouve ni φρόνησις ni σοφία (281 a-b). Ce sont là thèmes courants sur lesquels l’auteur d’Éryxias revient à diverses reprises (397 e, 403 a-b-c). Sans la σοφία, continue l’Euthydème, il est préférable d’user parcimonieusement des biens extérieurs (richesses, honneurs…), car de tels objets deviendraient alors des maux. Ils n’ont le caractère de biens que si la science dirige l’emploi qu’on en fait. Par eux-mêmes, ils sont neutres, ils n’ont pas de valeur. Seule la σοφία est un bien ; l’ἀμαθία, un mal (281 d-e). Le Socrate d’Éryxias résout dans le même sens la question de la valeur des richesses, mais plus que celui de l’Euthydème, il insiste sur leur trop fréquente nocivité et conclut par une déclamation pessimiste concernant la misère des riches.

L’auteur du dialogue avait aussi peut-être sous les yeux les développements analogues du Ménon (87 e-88 b). Ici également, Platon juge de la valeur des biens extérieurs ou intérieurs par leur usage (ὀρθὴ χρῆσις) : il y a un usage nuisible et un usage avantageux. Toute la différence provient de l’absence ou de la présence de la science. Ces idées, que l’on retrouve encore chez d’autres socratiques, devaient être lieux-communs utilisés par les différentes écoles. L’Économique de Xénophon nous en fournit un témoignage et il suffira de lire les textes du 1er chapitre qui jouent sur les termes χρήματα, χρήσθαι, χρήσιμοι, un peu à la manière de l’Éryxias. Ici, également, on définit la richesse : tout ce dont on sait se servir, tout ce qui, par conséquent, procure une utilité et jamais un dommage[4] !

De telles doctrines contiennent déjà en germe la thèse stoïcienne des indifférents. L’Euthydème, en proclamant l’insignifiance des biens extérieurs considérés en eux-mêmes, laisse pressentir la grande maxime vulgarisée par le Portique. Les écoles dérivées de Socrate, à leur tour, particulièrement les Cyniques, affichaient leur mépris pour ce que les hommes appellent des biens, et répétaient que nul objet n’est, de par sa nature, bon ou mauvais : les circonstances seules le font tel[5]. Ainsi point n’est besoin de recourir aux sources stoïciennes pour expliquer les thèmes analogues de l’Éryxias.

Cependant, certaines tendances du dialogue semblent s’accorder davantage avec celles d’une époque postérieure à l’époque socratique ; certaines propositions, certaines phrases résonnent comme un écho des discussions en cours chez les disciples de Zénon. Alexandre d’Aphrodise, par exemple, attribue explicitement aux philosophes du Portique ce principe général que du bien ne peut sortir le mal, ainsi que l’application précise qu’ils en font à la richesse[6]. Or, ce même principe et cette même application sont développés par le Socrate d’Éryxias (404 b-405 b).

Le fameux aphorisme μόνος ὁ σοφός ἐστι πλούσιος est strictement stoïcien et Cicéron rapporte que, si d’autres paradoxes furent empruntés aux socratiques, celui-ci porte la marque très authentique de Zénon et de son école[7]. Seul, affirmaient ces philosophes, le sage est riche, parce que seul il possède la science des biens et des maux, ou la vertu, c’est-à-dire ce qui a le plus de valeur[8]. Mais toute la première partie d’Éryxias tend à prouver que les plus heureux sont aussi les plus sages, car avec la σοφία, ils possèdent le bien le plus digne d’estime.

L’auteur du dialogue apocryphe, comme le remarque justement Schrohl[9], professe un mépris des richesses que Platon n’a jamais affiché avec une pareille exagération, car Platon ne les tenait pas pour absolument indésirables et ne jugeait pas qu’une honnête aisance fut incompatible avec la béatitude[10]. Les Stoïciens eux-mêmes se montraient peut-être moins sévères et rangeaient du moins les biens extérieurs parmi les objets indifférents. Sur ce point, c’est sans doute l’influence cynique qui prédomine. Les diatribes de ces derniers contre la fortune sont bien connues. La conclusion du Socrate pseudo-platonicien qui condamne finalement la richesse comme un mal, parce qu’elle crée en nous de si nombreux et si pressants besoins, rappelle le mot de Diogène : « C’est le propre des dieux de n’avoir aucune indigence ; c’est le propre de ceux qui leur ressemblent d’en avoir le moins possible »[11].

Enfin, on croit entendre, dans un passage du dialogue, un écho des réflexions sceptiques mises en honneur par Pyrrhon. Socrate reproche à Éryxias de se défier de la discussion en cours comme d’un pur jeu éristique. « Tu supposes, sans doute, dit-il à son interlocuteur, que dans cette question des richesses, une thèse n’est pas plus vraie que l’autre (οὐδέν τι μᾶλλον οὕτωσς ἔχειν) et qu’il y a certains raisonnements qui ne sont pas plus vrais que faux (οὐδέν τι μᾶλλον ἀληθεῖς ἢ ψευδεῖς…) » (395 b). Or, c’est la formule même que Timon attribuait à son maître Pyrrhon, comme nous le rapporte Aristoclès (οὐ μᾶλλον ἔστιν ἢ οὐκ ἔστιν). Aulu-Gelle est encore plus précis : « Les termes que la tradition rapporte comme étant de Pyrrhon, nous dit-il, étaient les suivants : οὐ μᾶλλον οὕτως ἔχει τόδε ἢ ἐκείνως ἢ οὐδετέρως. » Sextus Empiricus affirme que les sceptiques emploient indifféremment les expressions οὐ μᾶλλον et οὐδὲν μᾶλλον[12]. L’auteur d’Éryxias connaissait donc certainement les formules pyrrhoniennes.

En somme, dans cet écrit éclectique, fusionnent, et parfois de façon assez peu cohérente, des éléments provenant de sources diverses : platonicienne, sophistique, stoïcienne, sceptique, mais la tendance générale est plutôt cynico-stoïcienne.

III

DATE DU DIALOGUE

Personne n’a jamais songé à restituer à Platon l’Éryxias. Le fait que l’antiquité plaçait déjà cette œuvre parmi les apocryphes est, à lui seul, décisif. L’attribution que Suidas en fait à Eschine ne repose pas non plus sur des fondements sérieux. Suidas sépare, du reste, dans sa nomenclature les deux noms Éryxias et Érasistrate, comme s’il s’agissait d’écrits distincts. Deux dialogues d’Eschine, Telauges et Callias contiennent des dissertations sur les richesses et certains passages d’Éryxias présentent quelque analogie avec le second[13]. Telle fut peut-être l’origine de la confusion.

Les critiques modernes ont bien vu que l’œuvre, malgré des traces d’influence socratique, ne peut avoir été composée par un académicien du temps de Platon, mais que des idées mises en circulation à une époque plus tardive se combinent à celles d’un âge plus ancien, ainsi que nous l’avons montré[14].

Ce que révèle le développement des doctrines, nous est encore confirmé par un détail du dialogue. Le gymnasiarque qui, au dire de Socrate, chassa Prodicos, paraît être une sorte de fonctionnaire chargé de maintenir l’ordre et la discipline parmi les jeunes gens (399 a). Or, cette manière d’agir suppose un rôle de la gymnasiarchie qui date seulement du iiie siècle. À la grande époque d’Athènes, la fonction consistait dans une liturgie annuelle. Le gymnasiarque était essentiellement le chef des lampadophores. Il devait s’occuper des courses de flambeaux, recruter les champions, leur trouver des instructeurs, les nourrir durant la période des exercices, les pourvoir des accessoires nécessaires… Sous l’hégémonie macédonienne, cette charge se modifia et ce fut aux premiers citoyens de la ville, aux plus illustres qu’on la confia. La première tâche des magistrats choisis était de veiller sur la jeunesse des gymnases[15]. Or tel est bien le fonctionnaire qui intervient dans Éryxias. Ce fait nous montre que le dialogue dut être composé en un temps où de l’ancienne institution on ne conservait guère le souvenir, c’est-à-dire au plus tôt dans le courant du iiie siècle.


Le style, dans son ensemble, rappelle assez celui de la bonne époque. Plusieurs indices cependant témoignent que la langue attique n’est plus écrite dans toute sa pureté et corroborent notre opinion sur la date relativement tardive du dialogue. Les mots composés sont assez nombreux (v. g. προσκαθίζεσθαι 397 d ; προσεύχεσθαι, 398 e ; κατασφραγίζεσθαι, 400 a, etc.) ; les allitérations lourdes et un peu pédantes (χρεία, χρήσιμα, χρήματα), n’ont plus la grâce des jeux de mots platoniciens ; des expressions généralement employées par les seuls poètes interviennent dans le récit, sans être encadrées ou amenées (ainsi, σείω, 397 d, au sens de piquer, harceler ; ἀλέα, 401 e) ; enfin certains termes ne se retrouvent que chez des prosateurs récents (πανοικί, 392 c ; στωμύλος, 397 d est employé par les poètes ou dans la prose tardive ; au sens d’utiliser comme monnaie légale, 400 a ; ἀντανάγομαι, 398 e au sens figuré de faire une charge contre quelqu’un…).

IV

LE TEXTE

Les manuscrits suivants ont été collationnés :

Parisinus graecus 1807 = A.
Vaticanus graecus 1 = O.
Laurentianus 80, 17 = L (xve siècle).
Parisinus 3009 = Z.

Les larges extraits donnés par Stobée ont pu servir à corroborer les leçons de tel ou tel manuscrit ou même à retrouver par endroits la bonne leçon.
  1. Bruns, Das litterar. Portr. d. Griechen, p. 342-343.
  2. Schrohl (De Eryxia qui fertur Platonis, Dissert. Göttingen, 1901) prétend à tort que ce n’est pas dans la manière de Platon de rapporter une conversation sans dire à qui il la raconte. Tel est pourtant bien le cas de Charmide et de Lysis.
  3. Sur Phéax, cf. Thucydide, V, 4 ; sur Érasistratos, Xénophon, Hellén., II, 3, 2.
  4. Économique I, 10, 11 : Ταὐτὰ ἄρα ὄντα τῷ μὲν ἐπισταμένῳ χρῆσθαι αὐτῶν ἑκάστοις χρήματα ἐστι, τῷ δὲ μὴ ἐπισταμένῳ οὐ χρήματα… Καὶ ὁμολογουμένως γε, ὡ Σώκρατες, ὁ λόγος ἡμῖν χωρεῖ, ἐπείπερ εἴρεται τὰ ὠφελοῦντα χρήματα εἶναι…
  5. Cf. Mémor. III. 8, 4-7 ; IV. 2, 32. On peut comparer ces textes à certains textes stoïciens, v. g. Von Arnim, Stoicorum fragmenta, III, 117 ; Tableau de Cébès, XL, XLI.
  6. V. A. III, 152 : εἰ γὰρ τοῦτο, δόξει καλῶς ὑπὸ τῶν ἀπὸ τῆς Στοᾶς λέγεσθαι· « τὸ διὰ κακοῦ γινόμενον οὐκ ἔστιν ἀγαθόν· πλοῦτος δὲ καὶ διὰ πορνοβοσκίας κακοῦ ὄντος γίνεται· οὐκ ἄρα ὁ πλοῦτος ἀγαθόν ». ». Voir Sénèque, ep. 87, 22 (V. A. III, 151) ; Tableau de Cébès, XL, XLI.
  7. Cicéron, Acad. Pr. II, 136 (V. A. III, 599).
  8. Sextus, adv. Math. , XI, 170 (V. A. III, 598).
  9. Op. cit. cap. III.
  10. Phèdre, 279 c ; Lois, I, 631 c.
  11. Diog. Laërce, VI, 105.
  12. Aristocles ap. Euseb. Pr. Eu. XIV, 18, 2. — Aulu-Gelle, N. A. XI, 5, 4. — Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 188, 180.
  13. Krauss, Aeschinis socratici reliquiae, p. 30 : Schrohl, op. cit., p. 29. Cf. également H. Dittmar, Aischines von Sphettos, p. 186 et suiv., p. 284.
  14. Cf. Hagenius, Observationum oeconomico-politicarum in Aeschinis dialogum qui Eryxias inscribitur partes II. Diss. Regiomont., 1822 ; Schrohl, op. cit. Prooemium.
  15. Cf. Glotz dans Dictionnaire des Antiquités de Daremberg et Saglio, au mot Gymnasiarchie.