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Étienne/19

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Megard et Cie, Libraires-éditeurs (p. 223-224).

XIX.

On a célébré dernièrement sous les vieilles voûtes de Notre-Dame de Paris le mariage de Robin et d’Annette.

Comme c’était mon rôle, c’est moi qui, remplaçant son père, ai conduit la fiancée à l’autel… Mais j’avais réclamé un autre honneur, celui de tenir l’orgue.

Personne ne me l’a refusé.

Ce n’était pas une joyeuse fête pour moi, bien que j’eusse pris une grande part au bonheur des jeunes époux, à celui de Robin, qui, ne se doutant de rien, me plaisantait et m’appelait son beau-père.

Quand je me suis senti à l’orgue, quand j’ai entendu cette harmonie puissante frémir en quelque sorte sous mes doigts, j’avoue que je me suis laissé emporter par un rêve… Comment exprimerai-je bien cela ?… C’était comme le rêve de ma vie ; tout ce que j’ai écrit dans ces souvenirs, je l’ai mis en musique à ce moment : La vie d’Aunis, « le malheur, » la mort de Chasseroye, notre départ pour la Rochelle ; ma vie remplie d’épreuves, quand j’étais chez les Laquardière ; puis le voyage, la cécité de mon père ; ma solitude ; Me Marguerite ; la rencontre d’Annette ; l’arrivée lugubre à Paris ; Robin et l’hôpital ; puis ma célébrité naissante, mes premières gloires ; le retour de mon père, et enfin celui d’Annette. Et inconsciemment, dans cette improvisation un peu orageuse, où revivaient tant de souvenirs, un air revenait, l’air de mon enfance, de ma jeunesse, l’air dans lequel mon âge mûr trouvera encore un charme ineffaçable :

    Un ogre avait trois châteaux,
      Tire lire, lire, lire,
    Un ogre avait trois châteaux
    Des plus grands et des plus beaux.

FIN.

Rouen. — Imp. MEGARD et Cie, rue Saint-Hilaire, 136.