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Ariane ou Le chemin de la paix éternelle

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Ariane

ou

Le chemin de la paix éternelle
1894


A Henri de Régnier




Or, les Corinthiennes étant venues jusqu’à l’antre le plus profond, le plus sombre de toute la forêt, si déserté des bêtes et des hommes que le silence semblait lui-même s’y éteindre et laisser place à quelque chose de plus indicible encore, elles reculèrent d’un pas, levèrent leurs mains le long des tempes, et, sans voir, ouvrirent les paupières, et ouvrirent les lèvres, sans parler.

Tremblantes, car elles se sentaient attirées par la nuit, elles se serrèrent l’une à l’autre, comme les pauvres petites âmes des morts se pressent devant la porte de l’Hadès, et font effort pour n’entrer pas.

La voix de Thrasès les tira de leur terreur engourdie :

« Assurément, disait-il, ceci est une des entrées du Tartare ; mais il n’y a pas lieu d’être effrayées ; nulle de vous ne regardera les torches noires de Perséphone avant le jour fixé par les Kérès. D’ailleurs, c’est un jour bienheureux qu’il faut accueillir dans la joie…

— Je ne veux pas mourir, dit Rhéa.

— O Thrasès, que veux-tu dire, demanda la sage Amaryllis. Car la mort me trouble moi aussi, et je ne songe pas au tombeau avec une âme indifférente ».

Mais Thrasès ne discuta pas, afin de s’éviter l’ennui des réflexions trop prévues, et, pour son propre plaisir, il enveloppa sa pensée dans un conte obscur et subtil.

Les Corinthiennes s’étaient assises sur un long bloc de roche polie. Lui, cependant, restait debout près de Clinias et de Mélandryon, le premier trop distrait pour entendre, le second trop sage pour écouter.

Il commença lentement, comme s’il n’osait pas parler, et ses phrases étaient courtes, sa voix hésitante et faible.