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Arrêt du Conseil d’état du Roi du 10 septembre 1786

La bibliothèque libre.
France. Conseil d'Etat (13..-1791)
Chez N. H. Nyon, Imprimeur du Parlement (p. 1-10).
ARRÊT
DU CONSEIL D’ÉTAT
DU ROI,


Qui proroge juſqu’au premier Août 1789, la permiſſion accordée par l’Arrêt du 28 Juin 1783, d’introduire aux Iſles du Vent, dans les Ports d’entrepôt, les Noirs de Traite étrangere, avec une diminution de droits à l’entrée : qui permet pendant le même temps, l’exportation du Sucre brut de l’Iſle Sainte-Lucie à l’Etranger, en acquittant les droits du Domaine d’Occident ; & qui porte à Deux cens livres par tête la prime accordée par l’Arrêt du Conſeil du 26 Octobre 1784, aux Négocians François ſur les Noirs de Traite Françoiſe, qui ſeront introduits dans les ports des Cayes-Saint-Louis à Saint-Domingue, pour l’approviſionnement de la partie du Sud de ladite Iſle, en obſervant les formalités preſcrites.


Du 10 Septembre 1786.
Extrait des Regiſtres du Conſeil d’État.


LE ROI s’étant fait repréſenter l’Arrêt rendu en ſon Conſeil le 28 Juin 1783, par lequel Sa Majeſté a permis aux Bâtimens étrangers, du port de cent vingt tonneaux & au-deſſus, arrivant directement des côtes d’Afrique, chacun avec une cargaiſon de cent quatre-vingts Noirs au moins, d’aborder dans le port principal des Iſles de la Martinique, de la Guadeloupe, de Sainte-Lucie & de Tabago, juſqu’au premier Août 1786, & d’y vendre leſdits Noirs, en payant par chaque tête de Negres, Négreſſes, Négrillons & Négrittes, un droit de Cent livres, argent de France, dont le produit ſeroit employé en Primes, au profit des Armateurs François, qui importeroient, pendant le même temps, dans leſdites Iſles du Vent, des Negres provenans de leur commerce en Afrique. Vu pareillement, par Sa Majeſté, l’Arrêt rendu en ſon Conſeil, le 26 Octobre 1784, par lequel, indépendamment d’une gratification de Quarante livres par tonneau, de continence des Navires François employés à la Traite des Noirs, & payable au départ, Elle avoit accordé une Prime additionnelle de Soixante livres, argent de France, pour chaque tête de Noirs provenans de ladite Traite, qui ſeroient introduits dans les Iſles de la Martinique & de la Guadeloupe, & de Cent livres pour ceux qui ſeroient tranſportés par leſdits Navires François, tant à Cayenne & aux Iſles de Sainte-Lucie & de Tabago, que dans la partie du ſud de Saint-Domingue, depuis le Cap Tiburon juſqu’à la pointe de la Béate : Sa Majeſté s’étant fait rendre compte de l’effet qu’ont produit ces deux Arrêts pour l’approviſionnement de ſes Colonies, Elle a reconnu que les vides occaſionnés par la guerre dans les atteliers deſtinés à la culture, étoient encore loin d’être réparés ; que d’un côté les Etrangers paroiſſoient avoir été éloignés des Ports qui leur étoient ouverts, par la difficulté de remplir les conditions preſcrites pour l’introduction de leurs Noirs, & par l’excès du droit impoſé à leur entrée ; enſorte qu’ils n’en ont importé qu’un très-petit nombre à la Martinique & à la Guadeloupe, & qu’ils n’en ont amené aucun à Sainte-Lucie & à Tabago ; que d’un autre côté les expéditions Françoiſes pour la Traite des Noirs, ſuffiſant à peine à l’approviſionnement des parties du nord & de l’oueſt de Saint-Domingue, les Négocians, malgré l’appât d’une double Prime, ont négligé les Iſles du Vent, où ils ont introduit encore moins de Noirs que les Etrangers eux-mêmes ; que la partie du ſud de Saint-Domingue a été, par les mêmes motifs, preſque abandonnée, & que les Noirs qu’on y a tranſportés, loin de fournir de nouvelles reſſources pour l’immenſe augmentation de culture dont cette partie eſt ſuſceptible, ont à peine ſuffi au remplacement de ceux que les maladies ou la déſertion enlevent annuellement aux habitations. Dans ces circonſtances, Sa Majeſté a jugé que l’intérêt général de ſes États, tant en Europe qu’en Amérique, ayant exigé qu’Elle dérogeât, pour quelque temps & dans certains lieux, aux loix prohibitives qui interdiſent aux Etrangers le commerce des Noirs dans ſes Colonies, il falloit, pour rendre cette dérogation utile, prendre des meſures convenables pour que les Etrangers admis à contribuer à l’approviſionnement des Iſles du Vent, n’en ſoient pas détournés par des conditions trop ſéveres, & pour que les Armateurs François, à la faveur des nouveaux encouragemens, puiſſent ſoutenir cette concurrence & multiplier leurs ſpéculations, en preſcrivant néanmoins les précautions néceſſaires pour qu’il ne ſoit pas abuſé de ces faveurs. À quoi voulant pourvoir : Ouï le rapport ; LE ROI ÉTANT EN SON CONSEIL, Sa Majeſté a ordonné & ordonne ce qui ſuit :


ARTICLE PREMIER.

À compter du jour de la publication du préſent Arrêt, & juſqu’au premier Août 1789, les Bâtimens étrangers du port de ſoixante tonneaux & au-deſſus, ſeront admis dans les Ports d’entrepôt ſeulement, des Iſles de la Martinique, de la Guadeloupe, de Sainte-Lucie & de Tabago, avec les Noirs dont ils ſeront chargés en quelque nombre que ce ſoit, & en quelque lieu que les chargemens aient été faits, pour être leſdits Noirs vendus dans leſdits Ports d’entrepôt, de la même maniere que les autres objets d’approviſionnement dont l’introduction eſt permiſe par l’Arrêt du 30 Août 1784.


II.

IL ne ſera perçu pour tous droits quelconques à l’entrée, dans leſdits Ports d’entrepôt, que Trente livres, argent de France, par chaque tête de Noirs, apportés par leſdits Bâtimens étrangers aux Iſles de la Martinique & de la Guadeloupe, & Six livres ſeulement ſur ceux qui ſeront apportés à Sainte-Lucie & à Tabago.


III.

LES Armateurs François, ſoit du Royaume, ſoit des Iſles & Colonies Françoiſes, qui voudront concourir à l’importation des Noirs étrangers dans leſdits Ports d’entrepôt des quatre Iſles du Vent, ſeront ſoumis aux mêmes précautions, formalités & viſites que les Armateurs étrangers ; & en cas de contravention, ils ſubiront, comme eux, les peines portées par l’article X de l’Arrêt du 30 Août 1784 ; mais ils ne ſeront tenus d’acquitter que Trois livres pour tous droits par tête de Noirs, dans les quatre Iſles ſuſnommées.


IV.

LE produit des droits établis par les deux articles précédens, ſur les Noirs étrangers, ſera verſé dans la caiſſe de la Martinique, pour être appliqué au paiement d’une Prime de Cent ſoixante livres, que Sa Majeſté accorde aux Armateurs des Bâtimens Négriers du commerce de France, pour chaque tête de Negres, Négreſſes, Négrillons & Négrittes, provenant de la Traite Françoiſe, qu’ils introduiront dans leſdites Iſles du Vent ; laquelle Prime ſera payée à la Martinique, ſur les certificats, tant des Officiers de l’Amirauté & du Receveur du domaine d’Occident, du Port où le débarquement aura eu lieu, que des Commiſſaires du Commerce, viſés par l’Intendant ou l’Ordonnateur. Dans le cas où, d’après l’arrêté qui ſera fait chaque année, au 31 Juillet, par l’Intendant de la Martinique, du produit des droits perçus dans leſdites Iſles, ſur les Noirs de Traite étrangere, ce produit ne pourroit pas ſuffire au paiement des différentes Primes acquiſes aux Armateurs François, il en ſera fait une répartition proportionnelle entre les divers Bâtimens qui auront acquis la Prime ; & le déficit pour chacun d’eux ſera acquitté, à leur retour dans les Ports de France, par les Receveurs des Fermes dans leſdits Ports, ſur la repréſentation des certificats pareils à ceux ci-deſſus preſcrits, & viſés par l’Intendant de la Martinique, qui énonceront la quotité du déficit.


V.

AU moyen de la Prime ci-deſſus, Sa Majeſté ſupprime celle de Cent livres & de Soixante livres, qu’Elle avoit accordée par l’article III de l’Arrêt du 26 Octobre 1784, aux Négocians François, pour chaque tête de Negres qu’ils introduiroient dans les Iſles du Vent & à Cayenne ; & Sa Majeſté rend communes à cette derniere Iſle, les diſpoſitions des articles précédens, qui ſont relatives à Sainte-Lucie & à Tabago, pour l’importation des Noirs, provenant tant de la Traite Françoiſe que de la Traite étrangere.


VI.

VEUT Sa Majeſté qu’il ſoit payé aux Bâtimens François, qui apporteront & vendront au port des Cayes ſeulement, pour l’approviſionnement de la partie du ſud de Saint-Domingue, des Noirs provenans de leur commerce direct ſur les côtes d’Afrique, une Prime de deux cens livres par tête de Noirs, au lieu de celle de Cent livres, fixée par l’article III de l’Arrêt du 26 Octobre 1784.


VII.

POUR pouvoir jouir du bénéfice de cette Prime, les Capitaines deſdits Bâtimens, à meſure qu’ils procéderont à la vente deſdits Noirs, les feront étamper liſiblement, dans la partie ſupérieure du bras gauche, de la lettre S, ſurmontée de deux points ; ſera ladite etampe reconnue ſur chaque Noir, par le Directeur du Bureau de l’Entrepôt, à qui leſdits Noirs ſeront repréſentés, lors de la livraiſon, ainſi que l’état nominatif d’iceux, ſigné, tant du Capitaine que de l’acheteur, avec déclaration du nom & domicile de l’habitant, & de la ſituation de l’habitation, dans la partie du ſud, pour le ſervice deſquels ils auront été vendus. Le Directeur de l’Entrepôt tranſcrira leſdites déclarations ſur un regiſtre particulier à ce deſtiné, & le remettra enſuite au Capitaine, revêtues de ſon certificat de vérification d’étampe & d’enregiſtrément ; tous les trois mois, il en dreſſera un relevé ſommaire, pour être adreſſé par les Gouverneur-Lieutenant-Général & Intendant, au Secretaire d’État ayant le département de la Marine & des Colonies. Indépendamment des formalités preſcrites par l’Arrêt du 26 Octobre 1784, leſdits Capitaines ſeront tenus de faire viſer par les repréſentans aux Cayes deſdits Gouverneur-Général & Intendant, & de rapporter, 1.o les ſuſdits certificats du Directeur de l’entrepôt ; 2.o l’expédition primitive qu’ils auront priſe en France, énonciatif du port & jauge de leurs Navires, & de l’époque de leur départ ; 3.o l’état de leur cargaiſon à l’arrivée aux Cayes, & le procès-verbal de la viſite qui en aura été faite, conformément aux Ordonnances.


VIII.

DÉFENDRE Sa Majeſté à tout habitant des parties de l’oueſt & du nord à Saint-Domingue, d’acheter ou faire acheter par perſonnes interpoſées, même d’échanger & faire tranſporter, ſous quelque prétexte que ce puiſſe être, tant que la Prime accordée par l’article VI aura lieu, aucuns Noirs marqués de l’étampe, & provenans des importations qui ſe feront dans ledit port des Cayes, à peine de confiſcation & de trois mille livres tournois d’amende contre chaque contrevenant, dont moitié applicable au profit du dénonciateur ; enjoint aux Officiers des États-Majors & des Milices, Officiers d’adminiſtration & de juſtice, d’y veiller ſoigneuſement, & aux Gouverneur-Lieutenant-Général & Intendant d’y tenir ſévérement la main.


IX.

ORDONNE Sa Majeſté, que la Déclaration du 12 Octobre 1739, qui prohibe le tranſport des Noirs des Iſles du Vent à Saint-Domingue, & réciproquement, continuera d’être exécutée ſelon ſa forme & teneur, ſauf néanmoins les permiſſions particulieres que Sa Majeſté pourra accorder aux Propriétaires d’habitations ſituées aux Iſles du Vent & ſous le Vent, pour le tranſport des Noirs qu’ils auront intérêt de faire paſſer de l’une ſur l’autre ; leſquelles permiſſions ne ſeront accordées que ſur l’avis des Adminiſtrateurs de la Colonie d’où les Noirs ſeront tirés, & moyennant les formalités & précautions néceſſaires.


X.

SA MAJESTÉ ayant égard à la poſition particuliere où ſe trouve l’iſle de Sainte-Lucie, & voulant encourager le rétabliſſement des Sucreries que le malheur des temps a fait abandonner, permet aux habitans de ladite Iſle d’exporter à l’Etranger, juſqu’au terme fixé par l’article premier par des Bâtimens François ou étrangers qui ſeront expédiés du Port d’entrepôt ſeulement, les Sucres bruts du crû de ladite Iſle, à l’excluſion de tous autres, en acquittant, avant le départ, la totalité du droit du domaine d’Occident, & acceſſoires, en faiſant leur déclaration du Port à la deſtination duquel leſdits Sucres bruts ſeront expédiés, & en rempliſſant les formalités preſcrites par l’Arrêt du 30 Août 1784, pour les exportations à l’Etranger, des autres articles permis par ledit Arrêt.


XI.

SERONT au ſurplus les Arrêts du Conſeil des 28 Juin 1783, 30 Août & 26 Octobre 1784, ainſi que tous les Réglemens concernant les prohibitions, exécutés ſelon leur forme & teneur, en tout ce qui ne ſera pas contraire aux diſpoſitions du préſent Arrêt, ſur lequel toutes Lettres néceſſaires ſeront expédiées.

MANDE Sa Majeſté à Monſ. le Duc de Penthièvre, Amiral de France, de tenir la main à l’exécution du préſent Arrêt, en ce qui concerne les droits de ſa charge.

MANDE & enjoint aux Gouverneurs, Commandans, Intendans & Ordonnateurs des Iſles du Vent & ſous le Vent de l’Amérique, & tous autres Officiers qu’il appartiendra, de tenir, chacun en ce qui les concerne, la main à l’exécution dudit Arrêt, lequel ſera enregiſtré aux Greffes des Conſeils Supérieurs, lu, publié & affiché par-tout où beſoin ſera.

FAIT au Conſeil d’Etat du Roi, Sa Majeſté y étant, tenu à Verſailles le dixieme jour de Septembre mil ſept cent quatre-vingt-ſix. Signé LE M.AL DE CASTRIES.


LE DUC DE PENTHIEVRE, Amiral de France, Gouverneur & Lieutenant Général pour le Roi en ſa Province de Bretagne.



VU par l’Arrêt du Conſeil d’Etat du Roi, ci-deſſus & des autres parts, à nous adreſſé : MANDONS à tous ceux ſur qui notre pouvoir s’étend, de l’exécuter & faire exécuter, chacun en droit ſoi, ſuivant ſa forme & teneur ; & ordonnons aux Officiers des Amirautés de le faire enregiſtrer aux Greffes de leurs Sieges, lire, publier & afficher par-tout où beſoin ſera.

FAIT à Paris le vingt-cinq Septembre mil ſept cent quatre-vingt-ſix. Signé L. J. M. DE BOURBON. Et plus bas, Par Son Alteſſe Séréniſſime. Signé PERIER.