Augustin Bernard. De Adamo Bremensi geographo (Malavialle)

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Augustin Bernard. De Adamo Bremensi Geographo. Thesim Facultati Litterarum Parisiensi proponebat. Paris, Hachette, 1895. In-8o, 104 pages.


Adam de Brème était un Saxon d’origine, amené à Brème par l’archevêque Adalbert en 1069, devenu chanoine et maître d’école dans cette ville, où il composa, vers 1075, un ouvrage intitulé : Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum. C’est surtout un livre d’histoire. Mais, Brème étant à la fois un centre ecclésiastique et commercial pour les pays du Nord, et son archevêché ayant dans son ressort tous les états Scandinaves, Adam se trouve amené, à propos des événements historiques, à décrire les contrées qui en sont le théâtre, c’est-à-dire la Saxe, la Slavonie, le Danemark, la Suède, la Norvège, l’Angleterre. Son quatrième et dernier livre est même une sorte de traité géographique intitulé, selon les manuscrits : De Situ Daniæ, De Insulis Aquilonis, Descriptio Aquilonis ou Descriptio Insularum Aquilonis.

Adam avait peu voyagé : en dehors de l’Allemagne, il semble n’avoir visité que l’île de Seeland. Mais à Brème il avait pu recueillir de nombreux renseignements, soit des marchands normands qui visitaient ce port, soit de l’archevêque Adalbert, soit du roi Suein (Svend). Il s’est servi aussi de sources écrites, qu’il mentionne : la vie de saint Willibrod, Eginhard, parmi les chroniqueurs du moyen âge ; parmi les auteurs classiques, Virgile, Flaccus, Lucain, Salluste, Orose, Paul Diacre, Grégoire de Tours, Macrobe, surtout Bède, Martianus Capella et Solin. Son ouvrage est en grande partie une compilation, surtout en ce qui concerne les théories générales de cosmographie, la rotondité de la terre, la continuité de l’océan, les marées, les glaces et ténèbres éternelles de la mer septentrionale. On y trouve beaucoup de détails fabuleux et légendaires. Mais il y en a d’originaux et d’intéressants. Ainsi la mention du feu grégeois, qu’il désigne sous le nom de Olla Vulcani (on avait vu jusqu’ici dans cette expression une allusion aux volcans de l’Islande). Adam connaît et décrit assez bien les pays du Nord, ou plutôt il mêle aux descriptions vagues et inexactes des auteurs anciens des détails vrais, empruntés aux portulans des navigateurs normands. Sa description demeure indécise ; il serait difficile de la fixer sur une carte, mais elle est pourtant plus précise que celle de Ptolémée. Il se fait de la Baltique une idée curieuse. Il se la représente comme étendue de l’ouest à l’est entre la Scandinavie et la Slavonie et communiquant avec le Palus-Méotide par un détroit, qui suivait les dépressions marécageuses du Niémen et du Dniéper (allusion évidente aux relations qui ont dû toujours exister par navigation fluviale entre ces deux mers) ; dans cette région qui lui est inconnue il place les montagnes fantastiques et les peuples fabuleux des anciens, les monts Riphées, les Hyperboréens, les Scythes, les Anthropophages, les Cyclopes, etc. La Courlande et l’Esthonie (Churland, Aestland) sont pour lui des îles ; la Livonie n’est pas mentionnée. Il ignore encore le golfe de Bothnie et la Finlande. Il ne dit pas expressément si la Scandinavie est une presqu’île ou une île. Par contre il donne sur la Suède, sur la Norvège, sur le Danemark des détails nouveaux et exacts. Du côté de l’ouest, la Baltique communique avec l’océan Britannique qui est borné à l’est par le Danemark, au sud par la Saxe et la Frise, à l’ouest par la Bretagne, au nord par les Orcades. Ensuite, au delà des Orcades, l’océan septentrional s’étend dans des espaces infinis ayant à gauche l’Hibernia (qu’il confond évidemment avec l’Écosse), à droite la Normania, et contenant les îles Island, Thule, Gronland, Halagland et Vinland, allusion intéressante aux navigations des Normands sur les côtes de l’Amérique septentrionale. Seulement, Adam range ces îles du sud au nord, au lieu de les placer de l’est à l’ouest. Par delà le Vinland s’étendent les glaces et les ténèbres éternelles.

En somme, quoiqu’il y ait peut-être quelque exagération à nommer Adam de Brème l’Hérodote de son temps, son ouvrage est intéressant pour l’histoire des connaissances géographiques, à cause du mélange curieux qu’il offre de vieux et de neuf. M. Bernard l’a analysé avec sa précision et sa méthode habituelles, et sa dissertation constitue une utile contribution à l’histoire de la géographie au moyen âge.


L. Malavialle.