Chansons Aigres-Douces

La bibliothèque libre.
Nouvelle Édition nouvelle, JA Coulange et cie (p. 79-87).

L’Illusion

I

Si le ramier gonfle une aile
Chatoyante au matin clair,
Le martinet, l’hirondelle —
Flèches folles — fendent l’air.

Il s’ébroue à la lumière
Qui le moire de reflets,
Et sa chanson coutumière
A l’accent que tu voulais.

II

Mais comment t’appellerai-je,
Toi qui, dans mes bras, souris :
Duvet plus frais que la neige,
Ramier tendre ou colibri ?

Tu n’avais pour me séduire,
Que ton beau regard distrait
Et que la fleur du sourire
Qui se dérobe et… s’offrait.

III

Un ciel affaibli d’automne
Se lève, dans tes yeux gris,
Comme un désert monotone
Dont tu ne sais pas le prix.

Le jour luit dans la fenêtre,
Haute et vide, désormais…
Ah ! sauras-tu reconnaître
De quel amour je t’aimais ?

IV

Pars !… Tu n’es jamais venue :
J’entends, contre le volet,
Frémir une aile inconnue.
Il faut déjà t’envoler…

Mais fais que ta plainte — dure
Fausse et rauque — en me quittant,
Au ciel retentisse et dure,
Tout l’hiver, jusqu’au printemps !

C’est ton amoureux

C’est ton amoureux qui passe sous ta fenêtre,
C’est ton amoureux qui cherche à te voir,
C’est ton amoureux qui bat le trottoir
De son talon,
Et qui lorgne si ta fenêtre
Va s’ouvrir ou non.

Il passe, il repasse, il siffle, il s’arrête…
Tu voudrais sourire ;
Mais son pas s’en va, revient et s’arrête,
C’est un jeu cruel où chacun s’entête ;
C’est un jeu cruel qui nous fait souffrir…

Et jusqu’au matin trempé de rosée,
Jusqu’au matin morne et brillant,
Tu n’as pas osé
Pleurer contre moi qui t’eusse apaisée,
Moitié dépité, moitié souriant.

Personnages

Quel butor salue le matin
D’un hoquet dérisoire ;
Quelle insupportable catin
Raconte son histoire ?

La catin se grise d’éther
Pour oublier son âge ;
Le butor récite des vers
Et fait son personnage.

Or, je les écarte et m’en vais,
Admirant la lumière
Jaune, brumeuse et familière
Du ciel sur les pavés.

Complainte exotique

Sur les palmes calmes des bananiers,
L’averse chaude et le vent mou s’abattent…
Est-il, dans un coin trop gai de Montmartre,
Un nègre qui ne soit pas maquillé ?

Nous n’avons ici que de pauvres hères,
Un très vieil amour qui flâne, parmi
Les manguiers fleuris, les hautes fougères,
Et ce bleu décor après l’accalmie,
Loin du ciel neigeux et noir de Paris.

L’alcool nous désabuse…
La négresse
Danse et nous offre ses deux seins flétris,
Son ventre tendu, qui s’enfle et s’abaisse,
Et le mouvement houleux de ses fesses
Que nous avons si volontiers chéries…

Figaro

Figaro joue de la guitare.
Ma bien-aimée, comme il joue faux…
La pluie d’été mouille les coteaux
Gris, verts et bleuissants du soir…
Oh ! la guitare et ce bruit d’eau !

Entends-tu ?… Maintenant qu’il chante,
Comme tu es troublée, tout à coup !
Or, ce Figaro — coiffeur dans un trou
De province déjà pourrissante —
N’est qu’un vieillard à moitié fou…

Mais tu trembles sous ma caresse…
Tu te serres, nue, contre moi,
Nue et frissonnante tandis que ta voix,
Rauque un peu, répond à l’amoureuse averse
Qui s’abat et gémit sur le toit…

Stances


Un grand acacia fleuri, sur la terrasse
Vert et blanc, accueille le soir.
Mais je n’ai pour t’aimer qu’une âme ardente et lasse
Et l’excès de mon désespoir.

L’entendras-tu jamais, ô toi que j’ai perdue,
Reviendras-tu jamais ici
T’asseoir mélancolique, amoureuse et rendue,
Sous le faix du même souci ?

Et, devant cette mer, ce golfe, ce rivage,
Ces palmes que berce le vent,
Sentiras-tu ton cœur plein d’un affreux courage
Se déchirer à tout moment ?

Ou bien — déjà le ciel blanchit, déjà la lune
Se lève et brille sur la mer —
Ne garderas-tu pas devant tant d’infortune
Ton sourire le plus amer ?

… Je ne sais, mais tu resteras inassouvie,
Et je pleurerai, nuit et jour,
Le vide épouvantable et cruel de ma vie,
Et la tristesse de l’amour.