Correspondance 1812-1876, 1/1832/XCIII

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XCIII

À MAURICE DUDEVANT, À NOHANT


Paris, 6 décembre 1832.


Mon cher ange,

Nous sommes arrivées hier sans accident et me voilà aujourd’hui presque sans fatigue. Nous sommes toutes reposées. Ta sœur est gaie, fraîche et gentille. Tout le monde la trouve embellie et mignonne à croquer. La petite femme[1] a très bien supporté le voyage et n’a pas seulement levé le nez en traversant Paris. Elle a l’air de ne se guère soucier des choses nouvelles. Si elle continue à être ce qu’elle est aujourd’hui, je serai contente d’elle ; car elle fait bien tout ce qu’elle peut pour m’être utile.

Je ne te dirai rien de neuf ; je n’ai encore songé qu’à dormir et à ranger ma chambre. Ta petite sœur t’embrasse. Elle a pensé à toi à Châteauroux et s’est mise à pleurer. Je lui ai demandé ce qu’elle avait : elle m’a répondu qu’elle voulait aller chercher son frère mignon. Je l’ai menée chez Rollinat, où nous avons dîné ; les petites sœurs de Rollinat l’ont consolée, elle s’est mise à faire le diable.

Adieu, mon petit mignon ; embrasse ton père pour moi ; dis à ton oncle de ménager un peu sa cervelle. Dis-lui aussi que j’ai voyagé avec le fameux père Bouffard, un des principaux chefs saint-simoniens. Le père Bouffard est gros comme toi, ne mange que des œufs froids et ne boit que de l’eau. Du reste, il est très aimable et paraît très bon. Il ressemble à Jocko à s’y tromper ; te souviens-tu de Jocko ?

Adieu ; écris-moi, travaille, porte-toi bien et pense à moi. Je t’embrasse mille fois, mon pauvre ange ; tu sais si je t’aime !

Ta mère.
  1. Sobriquet de la jeune villageoise amenée à Paris par George Sand.