Correspondance 1812-1876, 5/1866/DCIII

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DCIII

À M. ANDRÉ BOUTET, À PALAISEAU


Nohant, 14 juin 1866.


Cher ami.

Nos lettres se sont croisées ce matin entre Nohant et la Châtre. Nous comptons bien sur vous au 15 juillet ou dans la huitaine. Je ne sais pas si vous connaissez Bourges. Outre la cathédrale et la maison de Jacques-Cœur (hôtel de ville actuel), il y a à voir la maison improprement nommée de Louis XI, actuellement couvent des Sœurs bleues ; c’est un bijou.

Je ne sais pas comment vous voyagez. Si vous allez en chemin de fer, du Puy à Clermont, vous ne verrez guère le Velay ni l’Auvergne. Il faudrait au moins rayonner du Puy aux dikes environnants, et de Clermont au mont Dore ; car, à Clermont, il n’y a rien à voir que Royat, qui n’existe presque plus, et le puy de Dôme, qui est tout nu et manque d’intérêt. Le mont Dore est une oasis. Je vous y recommande les gorges d’Enfer plus que le puy de Sancy ; c’est moins pénible et plus beau.

De Clermont à la Châtre, le voyage ne doit pas être aisé en patache. À quelques lieues de Clermont, sur cette route, Pontgibault avec ses laves est très curieux. Une pointe sur Volvic et Auval est très belle à faire. Cela se pourrait faire dans un seul jour, en partant de Clermont et en y revenant le soir ; car le reste de la route sur la Châtre ne vous offrira plus que les dernières assises du massif d’Auvergne, de moins en moins accidentées.

Je crois que vous auriez profit de temps et de fatigue à revenir prendre à Clermont le chemin de fer pour Châteauroux. À Chateauroux, deux heures et demie de patache pour venir à Nohant.

Ah ! pourtant, il faudrait voir, à Clermont, Grave-noire. C’est tout près, et sur la route du mont Dore. Ne vous faites pas enterrer dans la pouzzolane en allant trop près des coupures vives ; mais voyez ça, vous saurez parfaitement ce que c’est qu’un volcan moderne. La fontaine incrustante est dans Clermont ; on peut voir ça. Le puy de la Pège est assez loin et ne vaut pas la course.

Ne gravissez pas le puy de Dôme : vous le verrez de reste en passant au pied et en le contournant pour aller à Pontgibault ou à Volvic. Il n’a pas d’intérêt botanique, et, si vous montez au Sancy, la vue est plus belle. Voyez, au mont Dore, la cascade de l’Écureuil.

Surtout voyez le champ de laves de Pontgibault, vous aurez vu les grands brûlés de l’île Bourbon et les terrains probables de la lune. Ce champ de laves n’a pas de nom et les gens du pays ne vous y conduisent pas, ils n’en connaissent, pas l’intérêt, ils vous mènent à une source glacée qui n’en a pas tant. Ces brûlés sont sur la route, tout près de Pontgibault, à gauche en venant de Clermont ; ils sont ou ils étaient masqués par des arbres et on passait à côté sans les voir ; s’ils sont toujours masqués, ayez l’œil ouvert : vous les apercevrez en arrivant à Pontgibault. Vous pousserez une petite barrière et vous pénétrerez dans une mer de scories assez étendue et d’un aspect livide, si la végétation qui commençait à l’envahir, il y a quelques années, ne l’a pas recouverte à présent. Vous pourrez déjeuner à Pontgibault, changer de cheval et de carriole, et, revenant sur vos pas jusqu’au massif du puy de Dôme, aller à Volvic, à la source de Saint-Geneix et à Auval, dont je vous recommande les constructions rustiques ; c’est tout petit, mais bien joli.

Le facteur passe. Je ferme ma lettre au galop en vous embrassant tous.

G. SAND.