Correspondance 1812-1876, 5/1869/DCCVII

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DCCVII

À M. MÉDÉRIC CHAROT, À COULOMMIERS


Nohant, 28 novembre 1869.


Je vous remercie, monsieur, de votre dédicace et de votre envoi. J’ai lu la pièce, elle est très jolie et pleine de détails charmants. Il y a des longueurs au commencement, un peu trop de précipitation à la fin ; mais on ne juge bien ces défauts de proportion qu’en voyant répéter. Vous en jugerez vous-même. La difficulté pour vous faire recevoir dans un théâtre de Paris est immense. Vous ne vous en faites aucune idée, et vous êtes bien jeune pour vous tant presser. Si j’avais autorité maternelle sur vous, je vous dirais : « Pas encore. » Essayez encore un succès de province. Attirez l’attention sur vous par ce genre d’essai modeste, et apportez à Paris un nom dont on aura parlé davantage, avec une pièce encore plus réussie. Vous allez trouver tous les théâtres encombrés, comme toujours, et, si on vous reçoit, vous ne serez pas joué avant deux ou trois ans. Les vers sont un obstacle auprès du gros public. Je doute que le théâtre de Cluny en veuille. L’Odéon même, qui a pour mission de jouer des pièces en vers, en a une très grande peur et ses cartons en regorgent, etc., etc…

Mais je n’ose pas insister. Il faut d’abord vous renseigner sur le théâtre de Cluny. Je ne connais pas le directeur. Sachez s’il reculerait devant la pièce en vers, avant de tenter une démarche inutile, et, si cet obstacle n’existe pas, réfléchissez. — Si vous devez envoyer votre manuscrit, sachez aussi d’avance l’opinion de la direction. Il y a quelques mots sur les Césars qui effaroucheraient peut-être et empêcheraient de lire plus loin. Vous serez à même de les rétablir quand vous saurez sur quel terrain vous marchez.

Voilà mon avis. Quand vous aurez décidé ce que vous voulez faire, je me chargerai bien volontiers d’envoyer votre manuscrit à M. Larochelle, avec une lettre de recommandation, pour qu’il le lise ; mais mon influence n’ira pas au delà.

Bon courage quand même. Il y a progrès. Faites-en encore et toujours.