Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 001

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 3-4).

1.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, le 27 septembre 1759.
Monsieur,

J’ai reçu avec beaucoup de reconnaissance et j’ai lu avec la plus grande satisfaction le premier Volume de vos Mémoires[1] que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer. Votre dissertation sur le son[2] est pleine des recherches les plus savantes et les plus ingénieuses. J’ai surtout été enchanté de la manière dont vous parvenez à une formule générale pour trouver le mouvement d’une corde chargée d’un nombre indéfini de poids. Cependant, je ne sais si vous n’auriez pas pu trouver une méthode plus simple. J’ai peine à croire que cette solution exige nécessairement un si grand appareil de calcul. J’y penserai au premier moment de loisir que j’aurai, et, s’il me vient quelques idées sur ce sujet, j’aurai l’honneur de vous en faire part. À l’égard de la méthode par laquelle vous passez du nombre indéfini des corps vibrants au nombre infini, elle ne me paraît pas aussi démonstrative qu’à vous, mais il serait trop long de vous dire mes difficultés sur ce sujet, aussi bien que sur les logarithmes imaginaires des quantités négatives ; car j’ai eu aussi, il y a dix ans, une dispute par lettres avec M. Euler sur ce sujet.

Adieu, Monsieur, vous êtes destiné, si je ne me trompe, à jouer un grand rôle dans les Sciences, et j’applaudis d’avance à vos succès, étant avec la plus parfaite considération,

Monsieur,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
D’Alembert.

P.-S. Me permettez-vous de faire mes très-humbles compliments à tous vos Messieurs[3], et surtout à M. de Foncenex[4], qui me paraît habile mathématicien ? J’irai en Italie dès que les affaires présentes de l’Europe me le permettront, et vous croyez bien que je passerai par Turin, ne fût-ce que pour avoir l’honneur de vous y voir.

À Monsieur Louis de la Grange,
de l’Académie de Berlin et de la Société des Sciences de Turin, à Turin.

  1. Le premier volume des Mémoires de la Société des Sciences de Turin porte le titre de Miscellanea philosophico-mathematica Societatis privatæ Taurinensis, tomus primus, 1759 ; in-4o. Le second est intitulé : Mélanges de Philosophie et de Mathématique de la Société royale de Turin pour les années 1760-1761.
  2. Ces Nouvelles Recherches sur la nature et la propagation du son occupent les pages 1 à 112 de la seconde Partie du tome I des Miscellanea et se trouvent au tome I, p. 39 et suiv., des Œuvres de Lagrange.
  3. Aux membres de la Société des Sciences de Turin.
  4. Le chevalier Daviet de Foncenex, géomètre, membre de l’Académie des Sciences de Turin, né à Thonon en 1734, mort à Casal en août 1799. Il était élève de Lagrange, à qui on a voulu attribuer plusieurs de ses Ouvrages.