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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 024

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 55-56).

24.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

Mars 1766.

Mon cher et illustre ami, je suis infiniment sensible à l’inquiétude que vous avez eue sur mon sujet ; je me porte très-bien, Dieu merci, et ma santé est aussi bonne que je puis le souhaiter. Il est vrai que nous avons perdu M. Bertrandi[1], homme de beaucoup de mérite et mon ami depuis longtemps ; une hydropisie causée par une inflammation de poitrine qu’il avait eue un an auparavant est ce qui l’a mis au tombeau ; je l’ai plaint d’autant plus qu’il n’était rien moins que philosophe.

Je vous remercie de l’intérêt que vous voulez bien prendre à tout ce qui me regarde, et j’accepte avec la plus vive reconnaissance l’offre que vous me faites de me procurer la place de M. Euler, en cas qu’il persiste dans sa résolution. Rien ne serait plus propre à me tirer de l’oubli où l’on me laisse ici qu’une pareille invitation, et, pourvu que je ne paraisse point l’avoir briguée, je ne doute pas qu’elle ne produise un très-bon effet, soit qu’on me permette de m’y rendre ou qu’on juge à propos de m’en empêcher.

Votre Mémoire n’est pas encore imprimé ; ainsi j’y puis faire les corrections que vous m’avez envoyées. Je crois que le troisième Volume paraîtra vers la fin du mois prochain.

J’ai lu à Paris le Mémoire de M. le chevalier d’Arcy ; sa méprise consiste, si je ne me trompe, en ce qu’il compare deux forces accélératrices calculées l’une dans l’hypothèse de la courbe polygone et l’autre dans celle de la courbe rigoureuse, ce qui lui donne précisément un résultat double de celui qu’il devrait trouver ; c’est au moins en quoi pèche sa prétendue réfutation de Simpson[2]. Lorsque les Mémoires de 1759 me tomberont entre les mains, je ne manquerai pas de l’examiner de nouveau et de vous en dire mon avis.

Je vous serai très-obligé de me donner part le plus tôt que vous pourrez du jugement des commissaires. Si quelque chose peut me faire espérer un heureux succès, c’est l’indulgence que vous voulez bien avoir pour mon Ouvrage ; mais je voudrais avoir mérité encore plus cette indulgence par un plus grand travail. Adieu, mon très-cher et illustre ami. Conservez-vous pour votre patrie, pour l’Europe et pour les sciences, mais surtout pour vous-même et pour vos amis. Je vous embrasse de tout mon cœur en vous demandant la continuation de votre précieuse amitié.

À Monsieur d’Alembert, de l’Académie française,
      de l’Académie royale des Sciences de Paris, etc.,
                faubourg Saint-Germain, rue Saint-Dominique,
                          vis-à-vis Belle-Chasse, à Paris
.

  1. Jean-Antoine-Marie Bertrandi, chirurgien, membre de la Société de Turin, né à Turin le 18 octobre 1723, mort le 6 décembre 1765. (Voir p. 52.)
  2. Voir l’Examen de la méthode de M. Sympson pour trouver la précession des équinoxes, dans le Mémoire cité plus haut de d’Arcy, p. 426 et suivantes. — Thomas Simpson, géomètre, né à Bosworth (comté de Leicester) en 1710, mort le 14 mai 1761.