Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 034

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 72-73).

34.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Turin, ce 4 juin 1766.

Mon cher et illustre ami, j’ai reçu vos deux Lettres à la fois, et j’ai été enchanté d’apprendre les bonnes dispositions que le roi de Prusse veut bien avoir pour moi. Je lui écris par ce même ordinaire une Lettre de remercîment accompagnée d’une autre Lettre pour M. de Catt, dans laquelle je le prie de me procurer la permission de passer par Paris et de me donner les instructions nécessaires pour mon voyage. Il est vrai que je n’ai pas encore obtenu mon congé, mais j’ai tout lieu de croire qu’on ne tardera pas beaucoup à me le donner ; et c’est ce que j’ai eu soin de marquer à M. de Catt, afin que je ne sois pas obligé d’attendre encore une autre réponse de lui, ce qui retarderait trop mon départ et me mettrait peut-être dans l’impuissance de passer par Paris. Je soupçonne, non sans raison, que le roi a fait écrire à Berlin et qu’il attend la réponse ; si cela était, il n’en serait que mieux pour moi. Quoi qu’il en soit, il m’est revenu de différents endroits que le roi est disposé à me laisser aller et qu’il veut que je parte d’ici très-content de lui. Videbimus. À l’égard de ce que vous me proposez de me procurer la place de président, c’est une nouvelle marque de votre amitié à laquelle je suis très-sensible, mais à laquelle je me connais trop pour pouvoir répondre. Mon amour-propre peut me faire croire que je ne suis pas tout à fait indigne de succéder à M. Euler, mais il ne me séduit point jusqu’à me persuader que je suis en état d’occuper une place qui vous était destinée. D’ailleurs je veux pouvoir vivre en philosophe et faire de la Géométrie à mon aise. Quant à la personne que vous savez[1], vous pouvez, sans crainte de vous compromettre, rendre à qui que ce soit les plus grands témoignages de sa capacité, surtout dans les sciences dont vous me parlez, puisqu’il y a été élevé pendant dix ans et qu’il ne s’y est pas moins distingué que dans tout le reste. Je vous embrasse de tout mon cœur.

P.-S. Ce que vous avez demandé pour mon voyage me paraît très-convenable ; je vous avoue que j’ai une espèce de répugnance à demander pour moi, et je vous serai très-obligé de me permettre de remettre toute cette affaire entre vos mains. Dès que j’aurai obtenu mon congé, je vous l’écrirai sur-le-champ et à M. de Catt aussi. J’oublie de vous dire que M. Euler m’a proposé d’aller avec lui à Pétersbourg ; vous jugez bien que je l’en ai remercié.

Adressez toujours vos réponses à M. Bouvier, agent du roi de Sardaigne à Lyon, pour M. Martin, banquier à Turin.


  1. M. de Foncenex.