Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 043

La bibliothèque libre.
Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 85-87).

43.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 7 février 1767.

Il y a un siècle, mon cher ami, que je n’ai entendu parler de vous ; je crois pourtant que vous vous portez bien. On est très-inquiet de vous à Turin. J’ai reçu une longue Lettre de M. votre père, à qui j’ai répondu tout ce que j’ai cru capable de le calmer, et qui craint que vous ne soyez malade ou que vos Lettres réciproques ne soient interceptées. Il me mande que, depuis que vous êtes à Berlin, il n’a reçu aucune Lettre de vous ; M. de Saluces[1] m’écrit la même chose. Voyez donc à prendre des mesures pour les tirer d’inquiétude. J’écris au roi pour le prier de prendre des mesures afin que vos Lettres parviennent à leur destination, si par hasard elles étaient interceptées en allant par une voie directe.

Vous devez avoir reçu le cinquième Volume de mes Mélanges, au moins si j’en juge par une Lettre que m’écrit le prince de Prusse ; ditesinnoi si vous les avez lus et ce que vous en pensez.

Quoique ma santé continue à n’être pas trop bonne, je n’ai pas laissé de travailler à bien des petites choses, entre autres sur le problème des trois corps, dont j’avoue que toutes les solutions que je connais me paraissent laisser beaucoup à désirer. J’espère vous envoyer dans le courant de cette année ce que je vous ai promis pour vos Mémoires ; il me paraît par les journaux que le Volume de 1759 paraît, et peut-être celui de 1760 ; je désirerais beaucoup de les voir, surtout s’il y avait quelque chose de vous.

M. de Catt vous remettra un petit Mémoire que j’ai lu à l’Académie le jour où le prince de Brunswick y vint ; ce n’est que l’extrait d’un plus long Mémoire qui sera imprimé dans nos Volumes de Paris[2].

Adieu, mon cher ami, donnez-moi de vos nouvelles et n’oubliez pas d’écrire à Turin, où votre famille et vos amis sont fort en peine de vous. M. Dutens me marque aussi qu’il n’a point entendu parler de vous et qu’il en est en peine. Je lui donnerai de vos nouvelles au premier jour, mais écrivez-lui de votre côté. Iterum vale et me ama.

À Monsieur de la Grange, directeur de la Classe mathématique
de l’Académie royale des Sciences, à Berlin
.

N.-B. — Au dos de cette Lettre se trouve la note suivante, qui est probablement de la main de M. de Catt, à qui d’Alembert adressait souvent les Lettres qu’il écrivait à Berlin :

Voilà, mon bon ami, une Lettre que je viens de recevoir avec cette pièce. On est fort inquiet, me dit M. d’Alembert, chez vous, de ce qu’on n’a point de vos nouvelles. Je crois bien que ce sot de domestique gardait les Lettres. Vous avez bien fait de le chasser. Adieu, monsieur ; mille compliments à M. Bitaubé. Portez-vous bien, pensez à moi, aimez-moi, et donnez quelquefois de vos nouvelles. Je vous embrasse.


44.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 23 février 1767.

Mon cher et illustre ami, je suis bien touché de la marque d’amitié que vous me donnez en vous plaignant de mon silence ; je vous promets que vous n’aurez plus de pareils reproches à me faire à l’avenir. Cependant vous me feriez tort de m’accuser de négligence à votre égard. Votre temps vous est si précieux, que je crains toujours de vous importuner, surtout quand je n’ai rien d’important à vous mander. Mais enfin je suis bien aise que vous m’enhardissiez à cultiver davantage votre commerce, qui ne peut que m’être avantageux à tous égards.

J’ai reçu de la part de votre imprimeur les exemplaires du cinquième Volume des Mélanges que vous m’aviez annoncés. J’en ai gardé un pour moi, dont je vous remercie de tout mon cœur, et j’ai distribué les autres suivant ce que vous m’avez dit. Il est inutile de vous dire combien je suis content de cet Ouvrage. Vous savez assez à quel point tout ce qui vient de vous m’est précieux ; tant pis pour moi si je pensais autrement. Une des choses qui m’ont le plus enchanté, c’est votre Mémoire sur l’inoculation[3]. Il est plein de vues et de réflexions

  1. J.-Ange, comte de Saluces de Menusiglio, général d’artillerie, physicien, chimiste, l’un des fondateurs de l’Académie de Turin, né à Saluces en 1746, mort en 1810.
  2. Ce Mémoire, intitulé Nouvelles recherches sur les verres optiques, est inséré dans le Volume des Mémoires de l’Académie de l’année 1765 (p. 53 et suiv.), Volume qui ne parut qu’en 1768. Un extrait en avait été lu à l’Académie le 14 mai 1766 et fut imprimé dans le Journal de Trévoux de janvier 1767. C’est cet extrait que d’Alembert envoie à Lagrange.
  3. Il est divisé en trois Parties et intitulé : Réflexions philosophiques et mathématiques sur l’application du Calcul des probabilités à l’inoculation de la petite vérole (p. 305-430).