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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 052

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 104-106).

52.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 18 janvier 1768.

Puisque votre mariage, mon cher et illustre ami, est une affaire d’arrangement et de convenance, je vous en fais mon compliment, comme les prêtres donnent l’absolution quantum possum et quantum tu indiges ; et je trouve que, tout calculé et pour dernier résultat, vous avez très-bien fait.

Vous pouvez être sûr que le prix sur la Lune sera remis ainsi je vous exhorte à y penser. J’ai grande envie de lire dans le nouveau Volume de l’Académie vos recherches sur les tautochrones et tout ce qui sera de vous. Pour moi, ne pouvant plus m’occuper d’un long travail, je m’amuse à faire imprimer deux Volumes d’Opuscules, dont le premier est presque fini, et qui contiendront, avec quelques nouveaux Mémoires, tous les rogatons géométriques dont je vous ai fait part et que j’imprime pour m’en débarrasser, comme ces femmes qui épousent leurs amants pour s’en défaire.

Je suis charmé de ce que vous me marquez qu’Euler n’a pas perdu la vue comme on me l’avait dit. Nous avons eu ici un froid horrible, le plus fort du siècle depuis 1709, et ce qui vous étonnera, c’est que pendant ce grand froid je me suis porté à merveille. Depuis le dégel cela ne va pas aussi bien ; le sommeil est moins bon et la tête plus faible. Il faut se soumettre à sa destinée.

Il est, entre nous, assez ridicule que, sur la simple recommandation de M. Daniel Bernoulli, on ait mis de l’Académie ce M. d’Avila, que personne ne connaît que parce qu’il a un beau cabinet. C’est comme si l’on mettait quelqu’un de nos fermiers généraux dans la classe de Chimie parce qu’il a un bon cuisinier. J’ai écrit au roi sur l’abbé Bossut, qui du moins vaut mieux que ce d’Avila, et, d’après sa réponse, j’irai en avant ou me tiendrai tranquille.

J’ignore absolument pourquoi M. Pernetti n’est point de l’Académie ; je le connais très-peu, et ce n’est pas moi qui l’ai indiqué au roi pour être son bibliothécaire. Adieu, mon cher et illustre ami ; donnez-moi des nouvelles de votre santé et de vos travaux. Voilà un programme qui n’est guère de votre gibier, mais qui pourrait être de celui de M. de Castillon ou de quelque autre.

Vous devez avoir reçu un Mémoire de moi sur les verres optiques, qui vient de paraître dans les Mémoires de l’Académie de Paris[1]. Je souhaite que vous en soyez content. Cet Ouvrage a plus le mérite de l’utilité que celui de la difficulté vaincue.

L’auteur de la Lettre sur les Jésuites que vous avez lue me charge de vous dire qu’il est très-flatté de votre suffrage ; il vient de faire faire une nouvelle édition de la première et de la seconde Partie, avec un Appendice sur l’expulsion des Jésuites de Naples et d’Espagne, et il vous enverra ce Volume le plus tôt qu’il pourra.

Adieu encore une fois, mon cher et illustre ami portez-vous bien et aimez-moi toujours, et parlez-moi un peu de ce qui vous occupe. C’est presque la seule consolation qui me reste d’entendre parler de Géométrie, comme aux gourmands qui ont un mauvais estomac de voir manger aux autres ce qu’ils craignent de ne pas digérer. Vale, vale. J’attends avec impatience le Volume de l’Académie que M. Bitaubé doit m’envoyer. Je vous écrirai plus au long quand je ne serai plus obligé d’écrire aux lumières, qui fatiguent beaucoup ma vue.


  1. Nouvelles recherclaes sur les verres optiques, pour servir de suite à la théorie qui en a été donnée dans le Volume III des Opuscules mathématiques. Ce Mémoire est inséré (p. 75-145) dans le Volume de l’année 1764 de l’Académie des Sciences, Volume qui ne parut qu’en 1767.