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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 062

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 127-129).

62.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 28 février 1769.

J’ai reçu, mon cher et illustre ami, il y a près d’un mois, les paquets que vous avez remis au comte de Redern ; j’ai envoyé d’abord à M. de Castillon un exemplaire de votre Mémoire sur les verres optiques, et j’ai ensuite présenté à l’Académie votre cinquième Volume, ainsi que le nouvel Ouvrage de M. de Condorcet. Elle m’a chargé de vous en témoigner sa reconnaissance, et je vous prie en même temps de recevoir aussi mes très-humbles et très-sincères remercîments des présents dont vous m’avez honoré, et dont je suis d’autant plus flatté que je les regarde comme une marque de la continuation de votre estime et de votre précieuse amitié. Je vous demande pardon d’avoir tardé à m’acquitter de ce devoir ; une indisposition, qui m’a duré quelques jours, m’en a empêché ; d’ailleurs, je voulais me mettre auparavant un peu au fait des matières que vous venez de traiter, pour être en état d’en causer un peu avec vous ; mais, ayant dû achever quelques Mémoires pour notre Académie, où mon tour à lire revient au moins une fois par mois, je n’ai encore eu le temps que de parcourir vos nouveaux Mémoires, dont quelques-uns, surtout ceux qui roulent sur les fluides et sur la précession des équinoxes, exigent de moi une lecture bien attentive et suivie, parce que ce sont des matières que j’ai entièrement perdues de vue depuis que je suis ici. Vos remarques sur le problème des trois corps m’ont paru aussi ingénieuses que justes, et la méprise que vous relevez dans la théorie de Clairaut me semble très-réelle. Je me souviens même d’y avoir fait attention il y a longtemps, à l’occasion de votre contestation avec lui ; mais je ne poussai pas alors plus loin cette remarque, et je trouve que vous avez très-bien fait d’entrer dans quelque détail sur ce sujet pour l’instruction de ceux qui pourraient, dans la suite, se servir encore de cette même théorie.

Le problème dont je vous ai parlé m’a occupé beaucoup plus que je ne le pensais d’abord ; enfin, j’en suis venu heureusement à bout, et je crois n’avoir presque rien laissé à désirer sur le sujet des équations du second degré à deux inconnues. Je connais le Mémoire de M. Euler qui se trouve dans le sixième Volume des anciens Mémoires de Pétersbourg, ainsi qu’un autre plus récent, imprimé dans le neuvième Volume des Nouveaux Commentaires ; mais dans l’un et dans l’autre de ces Mémoires on suppose toujours que l’on connaisse déjà une solution, et la difficulté est de trouver cette première solution. D’ailleurs, M. Euler n’y considère que le cas où les inconnues doivent être des nombres entiers ; or, si l’on ne démande que des nombres rationnels, il peut arriver très-souvent que le problème soit soluble, quoiqu’il ne le soit pas en nombres entiers ; enfin je puis dire que ce que l’on avait sur cette matière, par les recherches de Diophante, de Fermat, de Wallis, d’Euler et d’autres, était encore très-peude chose. Mon Mémoire sur ce sujet est très-long, parce que j’y ai traité aussi d’autres sujets analogues ; cependant je tâcherai de le faire imprimer tout entier dans le Volume de l’année 1763, que l’on va mettre sous presse à Pâques. Celui qu’on imprime actuellement regarde l’année 1762 et ne contient que de vieux Mémoires d’Euler, avec le Mémoire de M. Beguelin dont je vous ai parlé. Je ne manquerai pas de vous le faire parvenir dès qu’il paraîtra. Je vous serai toujours fort obligé de m’envoyer les Mémoires que vous donnerez à votre Académie, parce que, outre que j’aime à avoir tous vos Ouvrages ensemble, je suis bien aise de pouvoir me dispenser d’acheter les Volumes de l’Académie, dont les neuf dixièmes roulent sur des matières qui me sont ou étrangères ou indifférentes. Il paraît actuellement le Calcul intégral d’Euler ; l’avez-vous déjà ? Sinon, je pourrai vous l’envoyer. En général, comme je suis plus à portée que vous de recevoir ce qui vient de Pétersbourg, je me chargerai volontiers de vous envoyer les Volumes de l’Académie à mesure qu’ils paraîtront, ainsi que tout ce qu’Euler publiera, n’ayant rien tant à cœur que de pouvoir vous donner au moins quelques faibles marques des sentiments que je vous dois et avec lesquels je serai toute ma vie.