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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 073

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 157-159).

73.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 18 décembre 1769.

Mon cher et illustre ami, je commence par vous envoyer quelques remarques que m’a fait naître la lecture du Mémoire de M. Beguelin[1] ; vous pouvez, je crois, y trouver quelque chose d’utile, et vous verrez que d’ailleurs je rends justice au Mémoire qui les a occasionnées. Vous pourrez imprimer ces remarques dans tel Volume de vos Mémoires que vous jugerez à propos. Elles sont datées du temps où elles ont été écrites. Je vous les adresse par M. de Catt.

De tous les Ouvrages que vous m’annoncez, je n’ai encore reçu que les deux Ouvrages de M. Lambert sur la mesure de la lumière et sur les comètes ; je lui en avais déjà fait d’avance mes remercîments. Ils me paraissent dignes d’être lus et étudiés. Quant au paquet de vos Mémoires que Briasson me devait remettre il y a quatre mois, je ne l’ai point encore, grâce à ses soins, et quoique je lui en parle tous les huit jours. Je ne sais quand je l’aurai ; il me répond toujours qu’il est en route ou qu’il va partir incessamment. J’en suis d’autant plus fâché, que vous connaissez mon juste empressement pour lire tout ce qui vient de vous. Je comptais au moins me dédommager par le Volume de 1767, que vous me dites avoir remis à M. le duc de la Rochefoucauld ; admirez mon malheur au lieu du Volume de 1767, il m’a remis un gros paquet avec une adresse écrite de la main de M. Formey, et ce paquet contenait le Volume de 1766, que j’ai déjà depuis plus d’un an, et point de 1767. Voyez, mon cher ami, ce que je dois faire de ce double Volume, dont je n’ai pas besoin, et s’il est possible de me faire parvenir 1767 par quelque autre occasion. Enfin, je n’ai point reçu non plus le deuxième Volume du Calcul intégral d’Euler ; mais, comme de raison, je mande, en attendant, à M. Bitaubé, de vous en faire rembourser le prix par M. Michelet. Je n’accepte qu’à cette condition les offres que vous me faites, et vous sentez bien qu’il serait déraisonnable d’insister pour que cela fût autrement. À cette condition donc, je vous serai obligé de m’envoyer ce qui paraîtra d’Euler et, en général, d’intéressant en Géométrie.

J’attends que M. de Borda m’ait remis un exemplaire de son Mémoire[2], qu’il m’a promis de me donner incessamment, pour vous le faire parvenir avec celui de M. Fontaine. Je compte aussi vous envoyer bientôt une seconde édition de mon Traite des fluides ; il n’y a que très-peu d’augmentations, mais je vous prie de la recevoir comme un gage de mon amitié. J’y joindrai un exemplaire du même Ouvrage pour M. Lambert et un pour l’Académie ; mais, comme le paquet sera un peu gros, je tâcherai de trouver quelque occasion pour vous l’envoyer sans frais.

Vous êtes très-sûr que je vous dis la vérité au sujet de la pièce d’Euler. Je suis bien fâché que vous ne soyez pas à portée d’en juger, et je gage bien que vous seriez de mon avis. J’en suis aussi surpris que vous, mais la chose n’en est pas moins vraie. Vous pouvez travailler en toute sûreté ; car, quand même on donnerait le prix (ce que je ne crois pas), je suis comme assuré qu’on proposera encore le même sujet.

Voici ce que le Roi m’écrit du 25 novembre : « L’approbationque vous donnez à quelques-uns des membres de notre Académie me les rend encore plus précieux[3]. » Vous pouvez assurer MM. Lambert et Beguelin que je ne négligerai aucune occasion de les faire valoir auprès du Roi cette manière de les servir vaut mieux, je crois, que si je demandais directement quelque chose pour eux ; cependant je suis bien loin de le leur refuser ; mais je crois que, quand ils désireront quelque chose, ils feront mieux d’écrire directement au Roi, et ils trouveront les choses aussi bien disposées de ma part qu’il sera possible. En général, il me semble que le Roi n’aime pas beaucoup à être sollicité ; mais, quand il est averti du mérité d’un sujet qu’il n’est pas à portée de connaître par lui-même, je crois qu’il se porte volontiers à lui donner des marques de satisfaction.

Le calcul que vous m’envoyez sur la page 283 de mon cinquième Volume me paraît juste ; mais la démonstration de Simpson que j’attaque en cet endroit n’en vaut pas mieux ; elle en devient même bien plus mauvaise, parce que, outre le paralogisme que j’ai relevé, il en a fait encore un autre auquel je n’avais pas pris garde (m’étant contenté d’en trouver un qui suffisait pour prouver le vice de sa théorie). Ce second paralogisme redresse la faute du premier, mais la théorie de Simpson n’en doit pas moins être rejetée, quoique le résultat de 22 secondes qu’il trouve pour la précession des équinoxes s’accorde avec le nôtre. Je vous parlerai de cela plus au long une autre fois. Adieu, mon cher et illustre ami.


  1. Ces remarques furent insérées dans le Volume de 1769 (paru en 1771) des Mémoires de l’Académie de Berlin (p. 254 et suiv.), sous le titre de Extrait d’une Lettre de M. d’Alembert à M. de la Grange. Elles commencent ainsi : « J’ai lu avec beaucoup de satisfaction les excellentes recherches de M. Beguelin sur les lunettes achromatiques, dans le Tome XVIII de vos Mémoires. »
  2. Ce travail, inséré (p. 559) dans les Mémoires de l’Académie de l’année 1767 (publié en 1769), est intitulé Éclaircissement sur les méthodes de trouver les courbes qui jouissent de quelque propriété du maximum ou du minimum.
  3. Œuvres de Frédéric II, t. XXIV, p. 404.