Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 087

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 192-193).

87.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 1er février 1771.

Mon cher et illustre ami, je n’ai point été en Italie parce que j’ai vu par expérience, après avoir fait quelque chemin, que j’étais l’animal du monde le moins propre aux voyages et le plus fait par la nature pour ne pas changer de place. J’ignore si cette disposition changera, mais il faudra qu’elle change beaucoup pour me déterminer au voyage d’Italie. J’aimerais encore mieux faire celui de Berlin, ne fût-ce que pour avoir le plaisir de vous embrasser et de causer avec vous. Ma santé est meilleure cependant je ne puis encore me livrer au travail comme je le voudrais, et je ne ferai pas grand’chose au moins d’ici à longtemps.

Je suis charmé que vous n’ayez pas été mécontent de mes recherches sur la libration de la Lune. Vous trouverez dans le Volume de 1769, qui s’imprime, des recherches sur le Calcul intégral dont le texte est déjà dans les Mémoires de 1767. Je vous les enverrai dès qu’elles seront prêtes. Nos Mémoires de 1768 paraissent depuis un mois ; ainsi vous pouvez tout à votre aise faire à M. Fontaine la réponse qu’il mérite. Je vous recommande, outre ce qui vous intéresse personnellement sur les tautochrones et les questions de maximis et minimis, de le relever sur les équations, ne fût-ce que pour confirmer mes objections, dont il paraît avoir fait peu de cas, quelque Justes qu’elles vous aient paru.

Je serai charmé de recevoir les Volumes de 1768 et 1769 dès que vous pourrez me les envoyer. Le marquis de Condorcet, qui a voyagé avec moi, est à Paris jusqu’au mois de mai et me charge de vous faire mille compliments et remercîments de sa part. Ne m’envoyez pas l’Optique d’Euler, parce qu’il a mandé à Lalande qu’il lui en adresserait un exemplaire pour moi. À propos de Lalande, il est vrai que nous sommes raccommodés, parce qu’il en a témoigné un grand désir et qu’au fond je suis bon diable ; mais ma prétendue brouillerie avec Voltaire est une fable ; nous sommes au contraire mieux ensemble que jamais, et j’ai passé chez lui, à Ferney, quinze jours fort agréables au mois d’octobre dernier[1].

Je suis étonné que vous n’ayez point reçu mon Traité des fluides. Le paquet doit avoir été adressé ou à M. Formey ou à M. de Bordeaux, libraire à Berlin. Faites quelque perquisition à ce sujet, et, si ce paquet ne se retrouve pas, je vous en enverrai un autre. Je compte aussi vous envoyer incessamment une Hydrodynamique de l’abbé Bossut[2], qui vient de paraître, et où il y a des expériences bien faites et quelques recherches utiles. Le marquis Caraccioli n’est point encore à Paris et je ne sais quand il y viendra.

Avez-vous enfin lu la théorie de la Lune de Mayer[3] ? Il me semble que comme théorie c’est assez peu de chose. Ne nous enverrez-vous pas une pièce sur ce sujet pour le prochain concours ? Faites-vous imprimer, comme vous me l’avez fait espérer, le recueil de vos Mémoires qui n’ont pu entrer dans les Volumes de l’Académie ? Adieu, mon cher et illustre ami je vous embrasse de tout mon cœur. Je vous enverrais peut-être quelques pages pour vos Mémoires, si je ne faisais scrupule de vous ôter de la place.

À Monsieur de la Grange,
directeur de la Classe mathématique de l’Académie royale
des Sciences et Belles-Lettres, à Berlin.

  1. Il était arrivé à Ferney avant le 26 septembre avec Condorcet, et tous deux en étaient repartis avant le 10 octobre sur ce séjour, différentes Lettres de Voltaire, du 26 septembre au 12 octobre 1770, dans sa Correspondance générale, édition Beuchot, t. LXVI.
  2. Traité théorique et expérimental d’Hydrodynamique 1771.
  3. Voir plus haut, p. 185, note 1.