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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 090

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 197-199).

90.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 21 avril 1771.

Je suis charmé, mon cher ami, que vous ayez enfin reçu le Traité des fluides. Je réponds, par ce même courrier, à la Lettre de M. Lambert que vous m’avez envoyée. Ne me faites point de remerciements de la justice que je vous ai rendue ; mon tendre attachement et ma profonde estime pour vous m’en faisaient un devoir, si cependant on peut appeler devoir ce dont on s’acquitte avec tant de plaisir. Au reste, je suis occupé depuis quelque temps de nouvelles recherches sur le mouvement des fluides ; je crois qu’elles pourront être assez intéressantes, si ma santé me permet de les achever, car je suis toujours dans un état qui ne me permet de me livrer au travail que très-faiblement, et, pour peu que je commette sur cet article le plus léger excès, les maux de tête et l’insomnie en sont la triste récompense. J’attends avec grande impatience les Mémoires de 1768 et 1769 que vous m’annoncez, ainsi que l’Ouvrage de M. Lambert. Je recevrai aussi avec grand plaisir le troisième Volume du Calcul intégral d’Euler. M. de Lalande m’a dit qu’il m’envoyait sa Dioptrique ; ainsi ne m’envoyez pas ce dernier Ouvrage de votre côté ; je crois vous en avoir déjà prévenu. Je suis très-fâché que vous renonciez au parti que vous aviez pris de faire imprimer à part plusieurs de vos Mémoires ; quoi que votre modestie puisse en dire et en penser, les Mathématiques perdent beaucoup de ce que vous ne donnerez pas au public. Vous me faites grand plaisir en m’annonçant votre théorie des courbes élastiques[1], imprimée dans le Volume de 1769. Je n’ai jamais été content de ce qu’on a fait à ce sujet et je serai charmé de voir enfin une solution rigoureuse de ce problème et une théorie exacte et satisfaisante de l’action des ressorts pliés. Vous vous moquez de moi quand vous m’invitez à vous réfuler si vous vous êtes trompé ce mot n’est que pour M. Fontaine, qui s’en sert volontiers et qui promet à cet égard plus qu’il ne tient ; quant à moi, je vous proposerais tout au plus mes doutes, si j’en avais, comme je l’ai fait sur d’autres matières, à mes risques et périls, et avec toute la déférence que j’ai d’ailleurs pour vos talents et pour vos lumières. J’ai vu dans un journal que M. Beguelin a fait, dans le Volume de 1769, de nouvelles remarques sur les lunettes achromatiques[2], à l’occasion de l’écrit que je vous avais envoyé à ce sujet. Cet écrit est-il imprimé dans vos Mémoires ou le serat-il dans un autre Volume ? Je le désirerais par cette seule raison que je n’en ai point gardé-de copie et qu’à peine me souviens-je en gros de ce qu’il contient.

Je me doutais bien que vous penseriez comme moi sur la théorie de la Lune de Mayer, et je suis bien sûr que ces Tables n’auraient pas été aussi exactes qu’on le dit s’il ne les avait dressées que d’après ce secours ; mais il est évident qu’il les a faites en tâtonnant les observations et en se corrigeant d’après elles.

Vous ferez à merveille de nous envoyer une pièce pour le prix ; vous m’avez bien l’air d’avance de rafler le prix double que nous devons donner ou, au pis aller, si vous avez besoin de temps pour perfectionner votre travail, d’emporter le prix triple en 1774. Si M. Dutens est encore à Berlin, faites-lui, je vous prie, mille compliments de ma part. Je reverrai avec grand plaisir le marquis Caraccioli, et avec bien plus de plaisir encore s’il me procure bientôt celui de vous embrasser. Adieu, mon cher ami ; ayez bien soin de votre santé et conservez-vous pour la Géométrie et surtout pour moi, qui vous aime comme je vous estime c’est tout dire. J’attends les Volumes de l’Académie par la première occasion. Mes compliments à MM. Bitaubé, Thiébault, et mes respects à l’Académie.

À Monsieur de la Grange,
directeur de la Classe mathématique de l’Académie royale
des Sciences, à Berlin.

  1. Comme on l’a vu plus haut, p. 196, note 1, le titre du Mémoire de Lagrange est celui-ci : Sur la force des ressorts pliés.
  2. Le Mémoire de Beguelin est intitulé Remarques détachées sur la perfection réelle des lunettes dioptriques.