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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 132

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 297-298).

132.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 14 avril 1775.

Il y a un siècle, mon cher et illustre ami, que je n’ai reçu de vos nouvelles. Je m’en console parce que-j’en sais d’ailleurs, que je vous crois en bonne santé et que la Géométrie profite sans doute de votre silence à mon égard. Je voudrais pourtant bien savoir des nouvelles de vos travaux, et surtout si vous songez à nos comètes pour le prix de cette année. Nous venons de remettre le prix sur les aiguilles[1] ; il n’en sera pas de même si vous travaillez aux comètes[2], ce que je désire beaucoup, car il reste encore plus d’une difficulté dans cette matière.

On vous aura peut-être dit que je suis directeur des canaux de navigation, avec 6000 livres d’appointements : fausseté. Je me suis seulement chargé, par amitié pour M. Turgot, actuellement contrôleur général et mon ami depuis quinze ans, de lui donner mon avis sur ces canaux, conjointement avec l’abbé Bossut et M. de Condorcet ; mais nous avons refusé les appointements qu’il nous offrait pour cela. Cet engagement m’obligera à revenir un peu à la Géométrie, et surtout aux fluides, sur lesquels j’ai depuis longtemps bien des matériaux qui dorment. Vous ne m’avez jamais dit ce que vous pensiez de la petite méthode que j’ai donnée dans mon sixième Volume d’Opuscules pour déterminer le mouvement des fluides dans des vases ; je crois qu’on en peut tirer parti pour perfectionner cette théorie. Ma tête est toujours bien peu capable de s’occuper d’études sérieuses, sans compter que nous essuyons à l’Académie des Sciences, M. de Condorcet et moi, des tracasseries qui nous en dégoûtent et dont le détail ne vous intéresserait guère.

Je m’occupe toujours de mes Éloges de l’Académie française, qui formeront un Ouvrage assez considérable pour être ennuyeux. J’en ai déjà lu quelques-uns aux assemblées publiques ; ils ont été bien reçus, mais gare l’impression ! Aussi ne m’y exposerai-je pas, au moins sitôt. Adieu, mon cher et illustre ami, je vous embrasse de tout mon cœur. Donnez-moi des nouvelles de votre santé et de vos travaux. Il me semble qu’on ne songe guère, à Turin, à vous rappeler. Comme je vous crois heureux où vous êtes, je vous conseille de n’en partir qu’à bonnes enseignes. Je n’ai point de nouvelles du marquis Caraccioli. On dit qu’il est parti de Naples pour aller à Rome recommander la canaille jésuitique au nouveau pape[3]. On ajoute qu’il reviendra en France par Vienne et par Berlin. Je me consolerai de ce long détour, s’il le fait, parce qu’il m’apportera de vos nouvelles. Adieu, adieu.

À Monsieur de la Grange, des Académies royales des Sciences
de France et de Prusse, à Berlin
.
(En note : Répondu le 30 mai 1775.)

  1. Voici l’énoncé du sujet de ce prix, qui avait été proposé pour l’année 1775 : Quelle est la meilleure manière de fabriquer les aiguilles aimantées, de les suspendre, de s’assurer qu’elles sont dans le vrai méridien magnétique, enfin de rendre raison de leurs variations diurnes régulières ?
  2. C’est-à-dire au sujet du prix proposé pour 1776 : La théorie des perturbations que les comètes peuvent éprouver par l’action des planètes.
  3. Pie VI, élu le 15 février 1775, en remplacement de Clément XIV.