De la chaleur animale

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ÉCOLE IMPÉRIALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE


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DE


LA CHALEUR ANIMALE


Le froid est l’image de la mort.


PAR


F.-L. BARDEAU


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THÈSE POUR LE DIPLOME DE MÉDECIN VÉTÉRINAIRE


Présenté et soutenue le 10 juillet 1870


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TOULOUSE


IMPRIMERIE J. PRADEL ET BLANC


Rue des gestes, 6


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1870


ÉCOLES IMPÉRIALES VÉTÉRINAIRES


inspecteur général.

M. H. BOULEY, O. ❄, membre de l’Institut de France, de l’Académie de Médecine, etc.

ÉCOLE DE TOULOUSE


Directeur

M. LAVOCAT ❄, membre de l’Académie des sciences de Toulouse, etc.

Professeurs.

MM. LAVOCAT ❄, Physiologie et tératologie.
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄, Pathologie spéciale et Maladies parasitaires.
Police sanitaire.
Jurisprudence.
Clinique et consultations.
LARROQUE, Physique.
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
SERRES, Pathologie et Thérapeutique générales.
Pathologie chirurgicale.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des exercices pratiques.
ARLOING, Anatomie générale.
Anatomie descriptive.
Extérieur des animaux domestiques.
Zoologie.
Chefs de Service.

MM. MAURI Anatomie, Physiologie et Extérieur.
BIDAUD Physique, Chimie et Pharmacie.
N…… Clinique et chirurgie.
JURY D’EXAMEN
――
MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
MAURI, Chefs de Service.
BIDAUD,


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PROGRAMME D’EXAMEN
Instruction ministérielle du 12 octobre 1866.
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THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie médicale spéciale ;
2o Pathologie générale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire et Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.




A MON PÈRE & A MA MÈRE


Reconnaissance et tendresse filiale.


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A MES PROFESSEURS


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A tous ceux qu’il m’a été donné d’aimer


F. BARDEAU.
AVANT-PROPOS



La chaleur animale est un point physiologique qui, on peut le dire, a été abordé par tous les savants qui se sont successivement occupés de cette branche scientifique.

Hippocrate (300 ans avant J.-C.), qui est considéré comme le père de la médecine, fut le premier qui nous laissa quelques écrits sur la chaleur animale. Après lui, Galien, Van-Helmont, Sylvius, le grand Newton, etc., s’occupèrent de ce sujet ; mais tous se méprirent sur la véritable théorie de la calorification et professèrent, par conséquent, des principes erronés.

Plus près de nous, Haller se livra à de nombreuses expériences ; mais il fallait arriver au grand chimiste Lavoisier pour obtenir une explication rationnelle de ce curieux phénomène. Malheureusement, la science le perdit trop tôt, et ce savant périt, victime de ses remarquables travaux, sous les coups de la tourmente révolutionnaire. Néanmoins, la théorie de Lavoisier n’était pas complète. Aujourd’hui, on est un peu mieux fixé, car les recherches de Liebig et de Boussingault ont permis de saisir les nombreuses réactions chimiques qui s’opèrent à chaque instant dans l’organisme animal.

Si j’ai choisi pour matière de cette thèse un sujet de cette nature, ce n’est point pour rapporter des expériences qui me sont personnelles ; mais afin de grouper les observations qui ont été faites jusqu’à ce jour, et d’émettre quelques idées sur certaines questions encore controversées.

J’ai donc traité ce sujet presque entièrement au point de vue scientifique. Le lecteur verra cependant dans l’exposé des faits, que je me suis attaché autant que possible à la partie médicale, en faisant connaître les variations qu’éprouve la température animale dans certains cas morbides, et ressortir les avantages que le praticien peut en tirer pour établir un jugement sûr et précis.

Aidé par le désir de bien faire, j’ai consacré tous mes soins à cette tâche, afin d’y laisser le moins d’imperfections possible. Et comme c’est mon premier écrit, j’ose compter sur la bienveillance de mes professeurs, en même temps que sur l’indulgence de mes lecteurs.

F. BARDEAU.
DE LA CHALEUR ANIMALE


Le froid est l’image de la mort.


I


TEMPÉRATURE DES ANIMAUX.

Tous les corps inorganiques se caractérisent par la tendance qu’ils ont à se mettre en équilibre de température avec le milieu qui les entoure ; il n’en est pas ainsi des animaux, et la quantité de chaleur qu’ils produisent, est en général assez considérable pour que leur température soit sensiblement plus élevée que celle de l’atmosphère environnante.

Les plantes peuvent bien, dans quelques cas, et même lorsqu’elles sont sous l’influence de certains agents naturels, produire de la chaleur ; mais cette chaleur n’est que passagère, et, dans l’état le plus ordinaire, chaque partie végétale nous présente une température variant avec celle du milieu ambiant. Ce phénomène qu’offrent les plantes de dégager de la chaleur, se fait remarquer dans la germination et la floraison ; ainsi, M. Goeppert prétend que la substance qui germe peut acquérir une température supérieure de 25 degrés à celle de l’air qui lui sert de milieu. De même, la chaleur qui se dégage du spadice de l’arum maculatum, peut être appréciable à la main.

Mais ce n’est pas la température régulière et pour ainsi dire invariable qu’on observe chez les animaux. Chez ces derniers on pourrait lui donner l’épithète de naturelle, tandis que pour les plantes elle serait anormale. Ce dernier mot est impropre, il est vrai, car dans ce qu’a fait la nature il n’y a rien d’anormal ; mais il rend très bien la pensée, en s’abstenant toutefois de le prendre dans sa rigoureuse acception.

Ces quelques données établies, voyons comment on peut définir la chaleur animale.


§ I. Définition. ― Animaux à sang chaud et animaux à sang froid.



a. Définition. ― Par chaleur animale, on entend cette calorification que possèdent tous les êtres vivants de l’échelle zoologique, laquelle se traduit par une température propre, fixe, ou du moins variant très peu, malgré le rayonnement extérieur qui tend sans cesse à l’augmenter ou à la diminuer.

Il est inutile de développer ici cette définition, car elle trouve son explication dans une grande partie du sujet.

b. Animaux à sang chaud et animaux à sang froid. — D’après ce que nous avons dit précédemment, les animaux seuls ont la faculté de produire de la chaleur d’une manière constante. Mais tous sont loin d’avoir la même température, aussi a-t-on divisé les sujets du règne animal en deux groupes : les animaux à sang chaud, et les animaux à sang froid. Les premiers ont une température presque invariable, et supérieure en général à celle du milieu où ils vivent ; tandis que chez les seconds, elle est sujette à de nombreuses variations, dépendant uniquement de ces mêmes milieux. C’est ce qui a conduit M. J. Béclard à appeler encore les animaux à sang chaud, animaux à température constante, et les animaux à sang froid, animaux à température variable.

Dans le groupe des animaux à sang chaud, se trouvent les oiseaux et les mammifères. Tous les autres sont des animaux à sang froid.

Ces deux grandes divisions bien tranchées au premier abord, ne le sont cependant pas en réalité, car on pourrait en établir une troisième qui, pour ainsi dire, vient les unir et fait passer de l’une à l’autre d’une manière graduée : nous voulons parler des animaux hibernants, dont la température pendant l’hiver diminue considérablement. Sous l’influence du froid, on voit, en effet, chez ces animaux, le mouvement vital se ralentir ; ils tombent presque subitement dans une torpeur profonde pour n’en sortir qu’à l’approche des beaux jours ; de sorte qu’au printemps on dirait des morts qui ressuscitent.

Parmi les animaux de cette catégorie, nous trouvons la marmotte, le muscardin, le loir, le hérisson, le hamster, la chauve-souris, le blaireau et l’ours. Ce sont néanmoins des animaux à sang chaud.

Pour bien juger de la différence existant entre un animal à sang chaud et un animal à sang froid, il suffit, comme l’explique M. Milne Edwards, de placer, par exemple, un lapin et un poisson de même volume dans deux calorimètres ; puis on les entoure de glace à 0 degré. Si l’expérience se prolonge pendant trois heures, on voit que la quantité de glace fondue, du côté où se trouve le poisson, n’est pas appréciable ; tandis que dans l’appareil renfermant le lapin, il y a plus de 500 grammes d’eau liquide. Or, il a autant fallu de chaleur pour fondre cette glace, que pour échauffer depuis la température de la glace fondante jusqu’à celle de l’ébullition, les 3/4 de ce poids d’eau.


§ II. Température chez les divers animaux.



a. Température des animaux à sang chaud.Oiseaux. ― Parmi les animaux à sang chaud, ce sont les oiseaux qui possèdent la température la plus élevée ; elle varie entre 40 et 44 degrés centigrades. Martine s’est livré à de nombreuses expériences, et il a constaté que le thermomètre, appliqué contre la peau de ces volatiles, s’élevait de 103 à 108 degrés Farenheit[1]. Ses observations se sont surtout étendues sur la calorification des oiseaux de basse-cour, et plus tard Hunter en a confirmé les résultats. M. Despretz nous en a encore fourni des données très précises, et il affirme que la température moyenne des corbeaux est de 42°,91c, et celle des pigeons de 42°,98c. Mais c’est chez les animaux les moins volumineux de cette classe qu’elle se montre le plus élevée ; Pallas rapporte que chez l’oiseau-mouche, l’oiseau du paradis, etc., elle atteint 44°c.

Mammifères. ― Examinons la température moyenne des mammifères, et, tout d’abord, parlons de l’homme comme étant l’être le plus perfectionné de cette classe.

Boerhaave s’en est occupé un des premiers ; mais il l’évaluait à un degré beaucoup trop bas, puisqu’il ne la supposait que de 92 à 94° F. Après lui est venu Martine qui l’a appréciée dans ses justes limites, en l’élevant jusqu’à 98°F. Aujourd’hui, on admet qu’elle varie entre 36°,50 et 37°C ; ce qui fait 29°,20 à 29°,6 R., et 97°,7 à 98°,6 F. Il est vrai qu’elle est sujette à de nombreuses variations ; mais dans le moment, nous ne considérons que la température normale de l’homme adulte.

Les autres mammifères n’ont pas tous une température identique à celle de l’homme. Chez quelques-uns, elle est supérieure, et chez d’autres, au contraire, elle est inférieure. Voici les chiffres que nous avons obtenus sur différents animaux, en introduisant le thermomètre, soit dans le rectum, soit dans la bouche. Chez le cheval, elle est de 37° 3/5 ; chez divers chiens, nous l’avons vue s’élever à 39°, 39° 2/10, 39° 3/5 et 39° 4/5.

Toutes les expériences ont été faites sur des sujets complètement formés ; c’est-à-dire âgés de 4 à 5 ans. Il est évident que si l’on plongeait le thermomètre dans le sang de ces animaux, la température serait supérieure. Quant à celle des lapins, elle varie entre 39 et 40°.

Il est important d’être bien fixé sur ces diverses températures, afin de mieux saisir les différences qui peuvent survenir dans les cas pathogéniques.

b. Température des animaux à sang froid. — Parmi les animaux à sang froid, nous trouvons de grandes différences. Nous n’avons plus ici une température invariable, et si elle est supérieure à celle du milieu ambiant, ce n’est que de quelques degrés.

Les insectes doivent être cités au premier rang. D’après Martine, un thermomètre, placé au milieu d’un essaim d’abeilles, s’élève jusqu’à 97° F. Hunter a expérimenté sur une vipère, et il a constaté que la température de l’estomac et du rectum était supérieure de 10° F à celle de l’air atmosphérique ; c’est-à-dire que la température de ces organes était de 68° F, tandis que celle de ce gaz ne s’élevait qu’à 58° F.

Les grenouilles, hors de l’eau, ne tardent pas à éprouver un abaissement marqué de température ; cela s’explique très bien, si on considère que ces animaux étant constamment humides, une prompte évaporation s’opère à la surface de leur corps. Or, on sait que le passage d’un liquide à l’état gazeux a pour effet de produire un froid considérable.

Enfin, Hunter est allé jusqu’à expérimenter sur des œufs en état d’incubation. Il a vu que ceux qui n’étaient pas fécondés marquaient 2° de moins que les autres.

Comme on le voit, tous les animaux produisent de la chaleur ; mais elle est loin d’être la même pour chaque espèce. Nous en trouverons la raison en nous occupant des sources d’où elle émane.


§ III. Température des diverses parties du corps.



Si on examine la température de chaque partie du corps en particulier, on remarque encore qu’elle varie dans les divers points de l’organisme, et on peut établir en thèse générale qu’elle va en décroissant à mesure qu’on s’éloigne du centre circulatoire. Ainsi, chez l’homme, elle ne s’élève guère au-dessus de 32°C à l’extrémité des membres, tandis qu’au tronc, elle est de 36°. Les cavités intérieures sont aussi plus chaudes que les extérieures, et le sang est le fluide de l’économie qui nous présente le degré le plus élevé de calorification.

Il faut encore aller plus loin ; la température du sang lui-même n’est pas uniforme ; la plupart des physiologistes ont considéré le sang artériel comme plus riche en chaleur que le sang veineux ; cela est vrai d’une manière générale, mais il y a des restrictions à faire. Si on compare le sang de l’artère carotide avec le sang de la veine jugulaire, on y trouve une différence de 2/3 de degré à peu près, à l’avantage du premier ; c’est du moins ce qui résulte des expériences de J. David et de MM. Becquerel et Breschet. De semblables observations ont été faites aux membres, et les résultats ont été les mêmes. Cependant, on ne doit pas conclure de là que partout le sang artériel est plus chaud que le sang veineux ; s’il en était ainsi, la théorie de la chaleur animale serait vivement ébranlée.

Grâce aux recherches de M. Bernard, il est parfaitement démontré que le sang qui circule dans les veines après sa sortie de certains organes, est plus chaud que le sang qui vient d’y entrer. Ainsi le sang qui sort du foie par les veines sus-hépatiques, possède une température supérieure à celle du sang de l’artère du même nom. Il en est de même pour le sang des veines rénales, et ceci est une conséquence du grand travail qui s’effectue dans ces différents organes.

Il n’y a pas très longtemps encore, que les physiologistes, se basant sur les modifications qu’éprouve le fluide réparateur de l’économie dans le poumon, soutenaient que la température du sang contenu dans le ventricule gauche était plus élevée que celle du sang renfermé dans le ventricule droit. Davy, lui-même, s’est laissé induire en erreur, et a partagé, à ce sujet, l’opinion des savants de son époque. Mais aujourd’hui, on sait qu’il n’en est pas ainsi, et le sang veineux contenu dans le ventricule droit, est plus chaud que le sang artériel du ventricule gauche.

Ainsi donc, non-seulement la chaleur animale varie chez les différents animaux, mais elle est encore inégalement distribuée entre tous les organes.


II.


SOURCES DE LA CHALEUR ANIMALE.



Dès les premiers pas de la médecine, c’est-à-dire environ 3 ou 400 ans avant J.-C., diverses hypothèses ont été émises sur les causes productrices de la chaleur animale ; mais aucune d’elles ne donnait une explication suffisante. Ce n’est que vers la fin du xviiie siècle, qu’on a commencé à se rendre un compte exact des diverses transformations chimiques qui s’opèrent dans l’organisme. Les vivisections ont aidé beaucoup ; mais c’est surtout la chimie qui nous a guidé dans ce genre d’étude, et qui nous a le plus éclairé.


§ I. Théorie d’hippocrate.


Hippocrate et ses nombreux prosélytes, Galien, Aretée, etc., furent les premiers à émettre une opinion ; ils admirent qu’il y avait une chaleur particulière à laquelle ils donnèrent le nom de chaleur innée, dont le siège se trouvait au cœur. Ils furent même jusqu’à avancer que cet organe avait une telle température, que la main pouvait à peine la supporter ; ce qui conduisit Aristote à imaginer un réfrigérant du cœur ; il choisit le cerveau. Ce sont là autant d’erreurs dans lesquelles tombèrent nos premiers pères de la science médicale.


§ II. Théorie de la fermentation.


Plus tard, on invoqua la fermentation, et on créa une nouvelle théorie qui fit écho pendant un certain temps ; comme la première, elle ne tarda pas à être abandonnée. Van-Helmont en était le fondateur.


§ III. Théorie mécanique.


Vinrent ensuite les iatro-mécaniciens, au nombre desquels on compte surtout Boerhaave et Haller. Leur théorie était uniquement basée sur le frottement ; voici comment ils l’expliquaient : Le sang, disaient-ils, étant constamment en circulation, éprouve un rapport immédiat et continu avec les parois des vaisseaux, d’où résulte un certain frottement, et par suite une production de chaleur. En outre, comme ce fluide présente dans sa composition un certain nombre de globules, ces derniers sont pressés les uns contre les autres, changent de position, et jouent entre eux le même rôle que les membranes internes artérielles et veineuses relativement au plasma.

C’est ainsi, que basés sur ces principes, ils se rendaient compte des phénomènes suivants : Si la température du corps n’augmentait pas en passant d’une atmosphère plus froide dans une atmosphère plus chaude, cela était dû, d’après eux, à ce que dans ce dernier cas les vaisseaux étant plus dilatés, le frottement était moins intense. La différence de température entre les divers animaux, tenait uniquement au nombre de globules sanguins. Exemple, les oiseaux.

C’étaient là autant d’explications fort ingénieuses données par les partisans de cette secte. Mais, le frottement ne devient cause productrice de chaleur que dans les solides. On a beau faire circuler de l’eau ou tout autre liquide dans des tubes résistants, et avec toute la vitesse possible, le liquide employé restera toujours à la même température. Il doit par conséquent en être ainsi pour le sang, et nous rejetons cette théorie comme invraisemblable.

Haller admettait encore le frottement des solides organiques, tels que le jeu des articulations, le glissement des tendons sur les poulies de renvoi, etc. ; mais il faut se rappeler qu’un liquide particulier favorise ces divers mouvements, et s’oppose à tout dégagement de chaleur.

Ces diverses opinions sur les causes de la chaleur animale furent admises jusques vers la fin du xviiie siècle. La vérité resta donc voilée pendant bien longtemps d’un nuage épais que vinrent dissiper les nombreuses recherches de Lavoisier et de Laplace.


§ IV. Théorie de Lavoisier et de Laplace.


Ces deux grands chimistes, en faisant l’analyse de l’air inspiré et de l’air expiré, reconnurent que ce dernier avait perdu une grande quantité de son oxygène et que ce gaz était remplacé par une quantité à peu près égale d’acide carbonique. Ils admirent alors qu’une combustion devait s’opérer dans l’organisme, et que de cette combustion résultait une production constante de chaleur, proportionnelle à son intensité. Voici ce que dit Lavoisier à ce sujet[2] : « La respiration n’est qu’une combustion lente de carbone et d’hydrogène, en tout semblable à celle qui s’opère dans une lampe ou dans une bougie qui brûle, et, sous ce point de vue, les animaux qui respirent sont de véritables combustibles qui brûlent et se consument. »

La comparaison est très heureuse, et les progrès de la science l’ont entièrement confirmée. Seulement, Lavoisier est trop restreint dans son hypothèse. Pour lui, cette combustion avait son siège exclusif dans le poumon ; pour lui, c’était l’oxygène de l’air qui, en arrivant dans les nombreuses aréoles de cet organe lors de l’inspiration, brûlait le carbone et l’hydrogène contenus dans le sang veineux, d’où résultait un dégagement d’acide carbonique et de vapeur d’eau ; pour lui, enfin, la quantité d’oxygène absorbé était égale à celle qui se trouve dans les produits expirés que nous venons de mentionner.

Aujourd’hui les lumières de la science ont démontré qu’il n’en était pas ainsi. Il est resté parfaitement acquis qu’une combustion s’opère dans l’organisme, mais son siège n’est pas localisé dans le poumon ; il est dans toutes les parties vivantes de l’animal, partout où la circulation s’effectue.

Cette combustion est très intense, comme nous le verrons plus tard, et, si elle s’opérait uniquement dans le poumon, cet organe important ne tarderait pas à être brûlé. En outre, elle devrait s’accompagner d’un dégagement de lumière, ce qui est chose impossible.

On constate encore qu’il n’y a pas un rapport direct entre l’oxygène absorbé et celui qui se trouve combiné à l’acide carbonique et à la vapeur d’eau dans l’air expiré.

On peut, à ce sujet, objecter à Lavoisier les belles expériences qu’on a faites sur la respiration, en plaçant un animal sous une cloche renfermant un mélange respirable composé d’azote et d’hydrogène. En analysant ensuite, au bout d’un certain temps, les gaz renfermés sous la cloche, on constate qu’aux premiers il s’y en est ajouté un nouveau, appelé acide carbonique ; il y a aussi une petite quantité de vapeur d’eau. L’animal n’a donc pas eu besoin qu’on lui fournisse de l’oxygène pour produire de l’acide carbonique, et c’est uniquement dans son économie qu’il l’a puisé.

Une combustion s’est donc encore produite ; mais ce n’est ni au poumon, ni aux dépens de l’air atmosphérique, gaz respirable par excellence.

La théorie de Lavoisier est par conséquent renversée en ce sens qu’elle est incomplète ; seulement, elle a un grand avantage sur les précédentes : c’est d’avoir une base scientifique à laquelle il ne manque que le développement.

Quelles sont donc les véritables sources de la chaleur animale ?


§ V. Théorie rationnelle.


Comme on le sait, il y a incessamment de l’oxygène introduit dans l’organisme par l’intermédiaire de la respiration, et par suite, production constante d’acide carbonique et de vapeur d’eau. Il s’opère donc une véritable combustion, ou bien, si on le préfère, une oxydation lente dans toutes les parties de l’organisme.

Tous les tissus se composent de carbone, d’hydrogène et d’azote ; les deux premiers font partie constituante des graisses, du sucre, etc. ; tandis que l’azote se trouve sous divers états : ici c’est de la fibrine, plus loin de l’albumine, etc.

L’oxygène, apporté au poumon lors de l’inspiration, se trouve en contact avec le sang veineux, s’y mélange et fournit un sang rutilant, dit artériel ou vivifiant, qui est charrié dans toutes les parties de l’organisme. Arrivé dans les capillaires, l’oxygène se trouve en rapport avec les principes constituants des tissus et leur fait subir diverses modifications, qui ne sont autre chose que des oxydations. Ce sont surtout les matières hydro-carbonées, nouvellement introduites par la digestion, qui éprouvent le plus de modifications. Elles constituent ce qu’on appelle les combustions complètes, dont les produits s’échappent par la peau et par les voies respiratoires.

Le diabète sucré nous fournit un exemple sur la manière dont s’effectuent ces oxydations, et du rôle qu’elles jouent dans la production de la chaleur animale. À l’état normal, le sucre introduit dans le sang par la digestion des matières féculentes, se transforme en acide carbonique et en eau. Chez les diabétiques, il n’en est plus ainsi, et on constate que leur température a sensiblement diminué. D’après les observations de MM. Bouchardat, Lomnitz et Rosenstein, cet abaissement peut même aller jusqu’à 1°50. Donc, quand la combustion diminue, la chaleur animale subit des modifications en rapport avec cette diminution. Le contraire aurait lieu si la combustion était activée.

Comme le sang charrie la matière oxydante, et que sa composition varie à chaque instant par suite des combinaisons chimiques qui s’opèrent dans son intérieur, on pourrait appeler ce fluide, foyer de chaleur.

Mais ce n’est pas là la seule cause de la chaleur animale. Il y en a d’autres, qui, avec moins d’intensité, concourent encore à sa production. Parmi ces causes, nous citerons, en premier lieu, la nutrition proprement dite ou les changements intimes dont chaque élément anatomique est le siège à chaque instant.

Prenons d’abord le nouvel être à son point de départ. Qu’est-il à cette époque ? Une simple cellule qui va se multiplier, persister à cet état, ou se transformer, ici en fibre musculaire, plus loin en fibre nerveuse, etc. Tout tissu, dit Virchow, possède des cellules ou tout au moins procède de cellules. Cela est vrai, car l’œuf à son origine n’est autre chose qu’une cellule simple. Plus tard, c’est-à-dire après la naissance, le nouvel être introduit dans son intérieur des matières nutritives, matières qui, après la digestion, se déposent dans le sein des tissus pour se transformer en éléments organisés analogues à ceux de ces mêmes tissus. À cette époque de la vie, la force d’assimilation l’emporte sur celle de décomposition, et, non-seulement le jeune sujet s’entretient, mais encore il grandit et prospère. Enfin, vient l’âge adulte. Que se passe-t-il alors dans l’organisme animal ? un double mouvement de composition et de décomposition, qui a pour but unique la vie du sujet.

Une transformation continuelle s’opère donc dans chaque tissu, et il y a incessamment des pertes et des acquisitions. Perdre et acquérir, tels sont les deux grands mots qui résument la série des modifications qui s’effectuent au sein de l’économie animale.

En vertu de quelles lois, la cellule primitive se transforme-t-elle, tantôt en fibre nerveuse, tantôt en fibre musculaire, ou bien, pourquoi dans tel organe reste-t-elle à l’état de simple cellule ? C’est ce que nous ignorons. La nature à ses secrets, et jusqu’ici la science a été impuissante pour nous les dévoiler. Certains physiologistes invoquent une force particulière, dite force vitale, analogue à certains points de vue à la force catalytique des chimistes. Mais quelle est la nature de cette force et où est son siège ? Réside-t-elle dans le système nerveux ? Évidemment non, car les cartilages articulaires sont dépourvus de nerfs, et cependant ils ont la propriété de se développer et de s’enflammer. La placerons-nous dans le système circulatoire ? mais alors comment se fait-il que la cornée lucide, qui ne reçoit plus de vaisseaux chez l’adulte, puisse se régénérer, après avoir été détruite dans une partie de son étendue ?

En un mot, il nous est impossible d’expliquer les phénomènes intimes de la nutrition ; contentons-nous seulement de les constater.

La cellule primitive, en se transformant ainsi, doit dégager une certaine quantité de chaleur, car elle subit des changements dans sa composition. La fibre musculaire n’a pas la même composition que la fibre nerveuse ; quelquefois c’est de l’albumine qui devient fibrine et vice-versa. Tout cela s’opère d’une manière très lente, pour ainsi dire insensible ; mais il n’en est pas moins vrai que dans tous ces changements chimiques, il se dégage une certaine dose de calorique.

On pourrait même invoquer le déplacement moléculaire effectué dans la cellule primitive ; mais la quantité de chaleur qui en résulte est trop minime pour qu’on s’y arrête.

Enfin, il y a encore les combustions particulières qui s’opèrent dans l’organisme, c’est-à-dire les modifications que le sang éprouve, soit dans l’intérieur du foie, soit dans les reins, et dans tous les organes qui sont l’objet d’une sécrétion particulière. Ces combustions sont dites incomplètes, et les produits sont rejetés sous forme d’urée, d’acide urique, d’acide choléïque, etc.

Nous avons vu en examinant la température du sang artériel et du sang veineux, que celui qui sort des reins par les veines rénales est plus chaud que celui qui y est apporté par les artères de même nom. C’est une conséquence du travail qui s’accomplit dans cet organe, travail qui résulte du renouvellement des tissus. On pourrait en dire autant du foie ; ceci nous explique pourquoi le sang veineux du ventricule droit a une température plus élevée que le sang artériel du ventricule gauche. Ainsi, on sait que le sang qui vient des veines rénales et des veines sus-hépatiques, est versé directement dans la veine cave postérieure ; celle-ci, après un court trajet, vient s’ouvrir dans le cœur droit et y verser le fluide qu’elle charrie, fluide qui, comme nous l’avons déjà dit, a subi récemment des modifications chimiques et par conséquent s’est échauffé. En outre, le sang qui revient du poumon a changé de couleur, mais il n’a pas eu encore le temps de se modifier profondément dans sa composition, et, au contact de l’air, il s’est refroidi.

Comme on le voit, plusieurs phénomènes concourent à la production de la chaleur animale, et pour nous, les véritables sources résident non-seulement dans ces combustions lentes, conséquences de la respiration et de la digestion, mais encore dans les phénomènes les plus intimes de la nutrition et dans toutes les sécrétions qui ont pour effet la dépuration du sang. En un mot, c’est la nutrition elle-même, but de toutes les fonctions physiologiques.

La chaleur des plantes coïncide avec celle des animaux ; c’est-à-dire qu’elle ne se produit que par la formation d’une certaine quantité d’acide carbonique ; c’est précisément ce qui se passe à l’époque de la germination et de la floraison. M. Boussingault a démontré que le végétal embryonnaire respire uniquement comme les animaux.

Bichat invoquait encore comme une des sources de la calorification, le passage de l’état liquide à l’état solide des éléments du sang ; exemple, la formation des globules. Nicholson a soutenu cette opinion ; mais le fait a été contesté par des savants non moins remarquables, et, si d’ailleurs, il y a production d’une certaine quantité de chaleur, ce n’est qu’à un faible degré ; encore c’est-il une chaleur latente, par conséquent inappréciable.

Certains physiologistes ont voulu faire jouer au foie un rôle tout particulier, en prétendant que cet organe servait à la formation des globules sanguins. M. Moleschott a fait, à ce sujet, des expériences très curieuses. Après avoir enlevé le foie à des grenouilles, il a constaté que la proportion des globules blancs aux globules rouges était : :1:2 au lieu de : :1:8 à l’état normal. Or, si ce sont ces mêmes globules blancs qui plus tard doivent devenir globules rouges, il est évident qu’il s’en est formé une certaine quantité ; mais ces recherches ont besoin d’être contrôlées ; et, quand il en serait ainsi, ce n’est pas à la formation seule des globules qu’il faut attribuer l’élévation de température du sang des veines sus-hépatiques, mais plutôt au travail important que nécessite la production de la bile.

Enfin, dans ces derniers temps, M. Brodie a invoqué l’influence du système nerveux comme cause productrice de la chaleur animale ; les expériences sur lesquelles il s’appuie sont peu fondées. Après la section d’un nerf quelconque, il y a abaissement de température dans toute la partie qui était animée par ce nerf ; mais cette diminution n’est que la conséquence de la nutrition qui est moins active dans les tissus lésés. Qu’on coupe, par exemple, les nerfs pneumo-gastriques, il y aura non-seulement abaissement marqué de la température du corps, mais l’animal ne tardera pas à périr ; cela tient uniquement à la respiration qui ne se fait plus avec son rhythme normal, et par suite à la moins grande quantité d’acide carbonique exhalée.

Si, dans ses expériences, M. Brodie avait tenu compte de l’oxygène absorbé et de l’acide carbonique exhalé, il n’aurait pas attribué à l’encéphale la faculté de produire de la chaleur. M. Claude Bernard[3] a expérimenté sur les nerfs du système sympathique, et a vu qu’après leur section, il y avait augmentation de la chaleur animale, contrairement à ce qui se passe quand on coupe les nerfs cérébro-spinaux. Mais qu’arrive-t-il alors ? après avoir coupé le petit sympathique, la tunique musculaire des vaisseaux se relâche et l’abord du sang est plus considérable, ce qui explique cette augmentation de chaleur.

§ VI. Rapports qui existent entre la contraction musculaire et la chaleur animale.



La contraction musculaire devient une source de chaleur et augmente la température du corps toutes les fois qu’elle se produit. Cette chaleur musculaire n’est que le complément du travail mécanique utile produit par la contraction ; car, il est reconnu, qu’il n’y a que la partie de l’action musculaire excédante et par conséquent non-utilisée dans le travail mécanique, qui développe de la chaleur.

M. Lassaigne a expérimenté sur des chevaux ; il a ensuite établi qu’à cette élévation de température, conséquence de l’exercice, correspond une élévation dans la quantité d’acide carbonique exhalée.

Mais les plus belles recherches ont été faites par MM. Becquerel et Breschet, et, dans ces derniers temps, par M. Helmholtz, à l’aide de l’appareil thermo-électrique. Nous ne décrirons pas la manière d’expérimenter ; nous mentionnerons seulement les résultats obtenus.

Il y a sans cesse, avons-nous dit, de l’oxygène introduit dans l’organisme, et d’après la quantité consommée, on peut évaluer la quantité de chaleur produite. Mais, s’il y a complication d’un travail mécanique, une partie de la chaleur est dépensée à cet effet ; c’est ce qui a fait considérer l’homme et les animaux comme des moteurs qui produisent le travail à l’aide de leurs muscles, en dépensant de la chaleur exactement comme des machines à feu. Sous ce rapport, les êtres vivants sont bien supérieurs aux machines, car, pour effectuer le même travail, ils brûlent beaucoup moins de charbon.

On remarque encore que dans une contraction musculaire ayant pour but un travail mécanique, il y a moins de chaleur produite dans le muscle, que si une contraction de même intensité n’est pas suivie d’effets mécaniques extérieurs.

Les êtres vivants dégagent donc moins de chaleur quand ils travaillent que lorsqu’ils sont en repos, tout en consommant la même quantité d’oxygène. M. Hirn a fait des observations sur lui-même.

Cependant il ne faudrait pas croire que parce que le corps effectue un travail mécanique il doit se refroidir. Le travail échauffe même assez rapidement, et s’il est actif, il y a beaucoup de chaleur dégagée ; c’est une conséquence de la plus grande quantité d’oxygène consommée. Aussi l’individu qui travaille doit-il respirer un air pur et abondant. Il doit également rechercher une nourriture saine et en augmenter la quantité ; sans ces conditions réunies, il périrait asphyxié, ou bien, le combustible manquant, il ne tarderait pas à tomber dans un état de maigreur absolu.

M. Lecocq s’est encore livré à l’étude de la contraction musculaire dans ses rapports avec la chaleur animale. D’après ses expériences, les sphinx, que nous voyons très souvent à la belle saison se maintenir le soir au-dessus des fleurs, pendant des heures entières, pour pomper leur suc, acquièrent une élévation remarquable de température. Le thermomètre, appliqué contre le tégument de ces insectes nocturnes, est allé jusqu’à marquer quelquefois plus de 40°. Or, ce n’est que par une contraction musculaire continue, qu’on pourrait encore appeler contraction musculaire statique, que les sphinx se maintiennent ainsi à la même place, jusqu’à ce qu’ils aient épuisé le suc de la fleur qu’ils ont choisie.

Le travail musculaire est donc accompagné d’un dégagement de chaleur, dégagement d’autant plus considérable, que la contraction des muscles n’a pas pour effet un travail mécanique extérieur.


§ VII. Quantité de chaleur produite par les animaux.



Si nous considérons la quantité d’acide carbonique rendue lors de l’expiration, nous voyons, d’après les analyses de MM. Brunner, Gavarret, Dumas, etc., qu’elle s’élève en moyenne, par heure, chez un homme adulte, à 38 grammes. Ces 38 gr. correspondent à peu près à 10 gr. de carbone brûlé. Pour produire cette quantité, 33 gr. d’oxygène sont introduits dans le poumon, et, sur ces 33 gr. 28 sont utilisés à la combustion des 10 gr. de carbone ; le reste se combine avec l’hydrogène pour former de l’eau ; ce qui fait qu’il y a par heure 0 gr. 6 d’hydrogène brûlé. Si maintenant nous multiplions par 24, nous voyons que dans un jour l’homme brûle 240 gr. de carbone et 15 gr. d’hydrogène.

On sait encore que 1 gr. de carbone produit en brûlant une quantité de chaleur capable d’élever 8 kil. 08 d’eau à 1° de température, et 1 gr. d’hydrogène, 34 kil. 5 d’eau à 1° également. En multipliant ces quantités par 240 et par 15, poids du charbon et de l’hydrogène brûlés en 24 heures, on arrive à calculer que la quantité de chaleur produite par l’homme, dans un jour, serait capable d’élever à 1° de température 2458 kilogr. d’eau, ou bien 24 kil. 58 de 0° à la température de l’eau bouillante.

Par des calculs comparatifs, il est facile de savoir quelle est l’énorme quantité de chaleur dégagée par nos grands animaux.


III


DES MODIFICATIONS DE LA CHALEUR ANIMALE



Tous les agents qui font varier la quantité d’acide carboque exhalée dans un temps donné, et par conséquent les proportions d’oxygène introduites dans l’organisme, influent sur la chaleur produite.

§ I. Influence de l’alimentation.



L’alimentation a une influence des plus marquées sur la chaleur animale. Cela se conçoit aisément si l’on réfléchit que les aliments introduits dans l’organisme sont destinés, les uns à être brûlés, les autres, au contraire, à être assimilés pour faire partie intégrante des tissus vivants.

On a cherché à se rendre compte des principes exhalés par les divers animaux dans un certain laps de temps, afin de savoir quelle était la quantité de carbone brûlée. Voici les résultats qui ont été obtenus pour le cheval, les expériences ayant eu lieu sur un animal du poids de 480 kilog. : cette quantité a été évaluée à 100 grammes par heure ; ce qui fait 2400 grammes en vingt-quatre heures. Divisant ensuite par 480, on voit qu’un cheval de taille moyenne brûle par jour 5 gr. de carbone pour 1 kilog. de poids vivant. Il faut donc donner une ration qui contienne la quantité de carbone nécessaire à cette combustion. Sans cela, l’animal est obligé de fournir ses propres tissus comme éléments combustibles, et il ne tarde pas à mourir.

Qu’arrive-t-il, en effet, pendant l’abstinence ? Le poids du corps diminue considérablement ; la graisse, principalement celle qui est sous-jacente à la peau, se résorbe avec rapidité ; le système musculaire s’atrophie, et les fluides organiques se réduisent à de moindres proportions. En même temps, le pouls s’affaiblit et devient rare ; la respiration se ralentit et la chaleur animale baisse sensiblement ; elle ne diminue que par suite de la moindre activité des phénomènes de combustion. D’après M. Chossat, la température du corps diminue chaque jour de 0°,5, et, aux derniers moments de la vie, elle est descendue à 14 ou 15 degrés au-dessous du chiffre normal.

La chaleur animale joue donc un grand rôle dans la vie des êtres vivants. Comme conséquence de ce que nous avons dit précédemment, on voit que les animaux qui respirent lentement et qui ont une nutrition peu active, supportent mieux la faim que les autres. Ainsi, d’après Dugès, les oiseaux meurent au bout de deux jours si on les prive de nourriture. Les reptiles, au contraire, restent une grande partie de l’hiver sans ingérer aucune substance nutritive, et Hérodote prétend que le crocodile vit quatre mois sans manger.

Cependant, d’après certaines expériences que vient de faire M. Bert, il résulterait que les oiseaux respirent, en général, moins vite que les mammifères. Le fait peut être vrai, et ce qui se passe pendant l’abstinence de ces êtres aériens, paraît contradictoire ; mais il n’en reste pas moins acquis que plus la nutrition est active, moins les animaux supportent la privation de nourriture ; et si les oiseaux, quoique respirant plus lentement que les mammifères, meurent si rapidement, cela peut dépendre de ce que, proportionnellement au volume du corps, ils introduisent plus d’oxygène dans leurs poumons à chaque inspiration.

Jusqu’ici nous n’avons considéré que le manque d’alimentation. Voyons quand elle est donnée avec abondance. (Nous parlons toujours, bien entendu, d’une alimentation type, c’est-à-dire dans laquelle les éléments hydro-carbonés et les éléments azotés sont combinés dans les proportions ordinaires :: 4 : 1). L’oxygène introduit dans l’organisme brûle tout ce qu’il peut de matières hydro-carbonées, et la chaleur animale est portée à son plus haut degré. Le reste est déposé dans les tissus sous forme de graisse.

On a cependant remarqué que chez un animal gras, très pléthorique, la température extérieure est plutôt diminuée qu’augmentée. Cela peut s’expliquer par la mauvaise conductibilité de la graisse comprise entre la peau et les tissus sous-jacents. Il ne doit pas en être ainsi pour la température des organes intérieurs.

Après chaque repas, M. Gierse a constaté que la température du corps variait de quelques fractions de degré. Ainsi, chez l’homme, il l’a vue s’élever rapidement de 36°8 à 37°4 aussitôt après le déjeuner.

Tel est le rôle que joue l’alimentation dans l’économie animale. Il est très complexe ; c’est ce qui a fait dire à M. Chossat que l’animal mal nourri meurt non-seulement de faim, mais encore de froid.

Puisque nous sommes sur l’alimentation, nous ne pouvons passer sous silence les différends qui se sont élevés dans ces derniers temps entre les divers auteurs, sur la nature de l’alimentation, dans ses rapports avec le sujet que nous traitons.

Les aliments ont deux buts principaux, et c’est ce qui les a fait diviser en respiratoires ou hydro-carbonés, et en plastiques ou azotés. Les premiers concourent uniquement à la production de la chaleur animale, tandis que les seconds sont plus particulièrement assimilés aux tissus. Aujourd’hui, on tend à admettre que la nutrition (et sous ce mot nutrition on comprend la respiration et la digestion) n’a pour but que la calorification. Alors on s’est dit, l’aliment le plus hydro-carboné sera donc le plus nutritif. M. Magne a soutenu cette théorie, partant de ce point, qu’il y a toujours de l’acide carbonique produit dans la nutrition. Il est vrai, qu’il y a beaucoup d’acide carbonique produit ; mais il ne s’en suit pas de là que les aliments hydro-carbonés sont les plus nutritifs. Il résulte des analyses de M. Berthelot, que l’élément azoté peut se transformer en acide carbonique ; seulement, pour passer à cet état, il est obligé de subir de nombreuses transformations, et ce sont précisément ces divers changements qui produisent le plus de chaleur. Donc, l’aliment azoté est plus nutritif que l’aliment hydro-carboné, et l’animal nourri exclusivement avec le premier, vivra plus longtemps que s’il ne reçoit que des matières féculentes, amylacées ou sucrées.

Mais néanmoins il faut que pour être complète, l’alimentation renferme et des matières azotées, et des matières hydro-carbonées.

L’usage des alcooliques influe encore sur la quantité d’acide carbonique exhalée ; on constate une légère diminution. Voici l’explication qu’en donne M. Duchek : L’alcool, dit-il, ayant une grande tendance à s’oxyder, s’empare rapidement de l’oxygène du sang. Pendant ce temps, les matières hydro-carbonées ne subissent aucune modification, ce qui fait qu’il y a moins de chaleur dégagée. C’est donc par la non oxydation des matières grasses que M. Duchek explique l’embonpoint ordinaire des buveurs.

Cette théorie n’est pas admissible, car si l’alcool se transforme en acide carbonique et en eau, la quantité de gaz exhalée ne doit pas varier, les proportions d’oxygène restant les mêmes.

Aujourd’hui, il est à peu près démontré que l’alcool n’est pas très combustible dans le sang, et qu’il a au contraire une grande tendance à être éliminé en nature, soit par la sécrétion urinaire, soit par les voies respiratoires.

Si, sous l’influence des alcooliques, il y a moins d’acide carbonique exhalé, et par conséquent moins de chaleur produite, cela tient à ce que l’alcool, circulant dans le sang, modifie les oxydations qui s’opèrent au sein de ce liquide.


§ II. Sommeil et veille.



Pendant le sommeil, les animaux sont très sensibles au froid et leur température baisse de quelques fractions de degré ; ainsi chez l’homme, cette diminution s’élève quelquefois jusqu’à 1° ; mais en moyenne elle varie de 0°,5 à 0°,7.

À cet abaissement de température correspond une diminution de l’acide carbonique exhalé. D’après M. Scharling, la quantité de carbone brûlée par un homme endormi est à la quantité brûlée par ce même homme éveillé :: 1 : 1,2. Ce ne serait donc pas sans un certain danger que l’homme qui dort s’exposerait à une basse température, sans influence sur lui lorsqu’il est à l’état de veille.

Mais il est une autre variété de sommeil qui, plus que le précédent encore, influe sur la température animale ; c’est le sommeil hibernal, qui souvent dure des mois entiers. C’est pour cela que la nature a donné aux hibernants un instinct tout particulier. Quelques jours avant leur mort apparente, ils paraissent avoir conscience de ce qui va s’opérer en eux, et s’y préparent en prenant une nourriture abondante ; ils ne se privent d’aliments que quelques heures seulement avant de s’endormir ; aussi sont-ils très gras au moment où ils rentrent dans leur retraite, pour commencer ce sommeil léthargique.

Cette quantité de graisse qu’ils ont accumulée dans leurs tissus était indispensable ; car, ne recevant plus aucune nourriture, et continuant néanmoins à respirer, il fallait à l’oxygène de l’air inspiré un élément combustible ; cet élément combustible se trouve précisément dans les matières hydro-carbonées répandues en grande quantité dans toutes les parties du corps. Mais quand la belle saison vient mettre un terme à cette léthargie, on trouve ces animaux dans un état de maigreur voisin du marasme.

On est étonné au premier abord que cette quantité de graisse puisse suffire à l’entretien de l’animal pendant plusieurs mois ; qu’on considère les différentes fonctions de ces animaux, et on en trouvera l’explication. Dans le plus profond sommeil, la sensibilité des léthargiques est presque éteinte ; la respiration se fait avec une extrême lenteur, et la circulation a si peu de vitesse, qu’on serait presque tenté de croire qu’elle ne se fait plus ; en examinant cependant de très près, on voit qu’elle n’est pas interrompue un seul instant.

La respiration étant peu étendue, il y a peu de produits brûlés, et par suite, la chaleur animale est considérablement modifiée. Ainsi, la marmotte ne fait que 4 à 6 respirations par minute et le hérisson 4 à 5. Dugès est même allé jusqu’à dire qu’elle pouvait se suspendre tout-à-fait. Cela est peu probable, du moins chez les mammifères. M. Colin, d’Alfort, a vu une chauve-souris exposée à un froid glacial, respirer 5 à 6 fois par minute ; puis 50 à 60 fois lorsque la nature renaissante venait la sortir de son engourdissement. Qu’on juge par là jusqu’à quel degré était descendue la température de cet animal.

L’hibernage n’a pas encore reçu d’explications suffisantes. M. le docteur Blandet pense qu’il n’a pas sa raison d’être, et que c’est tout simplement la suite d’un phénomène général et ancien qui se serait produit après un hiver rigoureux. Du reste, dit-il, il s’est limité aujourd’hui à quelques espèces septentrionales, et probablement qu’il finira par s’éteindre.

L’hibernage a toujours existé. Il se fera remarquer longtemps encore tant que les animaux sur lesquels il se produit ne subiront aucune modification, soit dans leur texture anatomique, soit dans leurs mœurs.

En résumé, le sommeil des animaux, qu’il soit hibernal ou non, s’accompagne d’un abaissement de température. Cela tient non-seulement au peu d’activité de la nutrition, mais encore à la contraction musculaire qui est dans un état de repos absolu, et, comme nous l’avons vu, c’est une source de chaleur.

§ III. Influence de l’âge et du sexe.



L’âge et le sexe sont également des causes modificatrices de la température animale.

D’après MM. Andral et Gavarret, l’homme exhale en un temps donné plus d’acide carbonique que la femme ; aussi nous présente-t-il toujours une température un peu plus élevée.

Relativement à l’âge, la quantité d’acide carbonique exhalée va croissant chez l’homme jusqu’à l’âge de 30 ans pour diminuer ensuite.

Les mêmes phénomènes s’observent chez la femme, seulement chez elle, il y a des variations à l’époque de la menstruation. La quantité d’acide carbonique rejetée reste alors stationnaire pour augmenter quelques jours après. C’est une conséquence du travail important qui s’effectue pendant cet acte physiologique. Il y a perte de sang, et les éléments combustibles qui s’échappent par cette voie, ne peuvent être brûlés. Pendant la grossesse, au contraire, la quantité d’acide carbonique produite augmente, et la température animale s’élève de quelques fractions de degré.

Chez les animaux, il n’est pas possible d’établir une différence entre la température du mâle et celle de la femelle.

Dans le jeune âge, la chaleur du corps est un peu inférieure à ce qu’elle doit être dans l’âge adulte. Cependant, il ne faut pas conclure de là que les combustions intérieures sont moins actives ; la nutrition est même plus complète chez l’enfant ; il y a également plus d’acide carbonique exhalé relativement au poids du corps. Seulement, les pertes de chaleur s’effectuent d’autant plus vite que la masse calorifère est plus petite ; aussi tous les jeunes animaux nous présentent-ils toujours une température un peu plus basse que celle de leurs semblables qui ont acquis un certain âge. Elle est encore sujette à de plus grandes oscillations, et, d’après M. James Finlyason, il n’y a pas chez les enfants de rapport remarquable entre la fréquence du pouls et de la respiration et l’élévation normale de la température.

Dans la vieillesse, la nutrition est ralentie, et la force de décomposition semble l’emporter sur celle d’assimilation. Aussi voit-on la température des êtres vivants baisser sensiblement après l’âge adulte. M. Despretz prétend que les enfants n’ont à la naissance qu’une température de 35°6 à 35°7 ; mais MM. Chisholm et Rayer la portent jusqu’à 37°. Chez les octogénaires elle serait descendue jusqu’à 34° (Edwards) ; tandis que les recherches de J. David démontrent que la différence en moins n’est que de quelques dixièmes de degré.


§ IV. Influence des saisons



La température animale varie très peu avec les saisons ; elle se maintient toujours à peu près au même degré. Nous en trouverons l’explication dans le chapitre suivant.

Cependant, s’il survient des excès de température, soit en froid, soit en chaud, il peut ne pas en être toujours ainsi, et s’ils se prolongent pendant quelques instants, le sujet qui y est exposé, ne tarde pas à mourir. On admet que la mort arrive par suite de la perturbation apportée dans les centres nerveux. Pendant les grandes chaleurs, la circulation est plus active, le pouls bat avec plus de force, et il n’est pas rare de voir survenir une congestion de l’encéphale. Si l’animal résiste à ces élévations considérables de température, d’importantes modifications s’opèrent dans ses fonctions ; il y a accélération des mouvements respiratoires et en même temps de la circulation. Chez l’homme, on a vu le pouls battre jusqu’à 160 fois à la minute, tandis que l’état normal est de 60 à 70.

Quant à l’abaissement de la température animale il peut être tel, que quelquefois les parties qui se trouvent en contact direct avec l’air extérieur, se congèlent. Cela s’observe surtout aux extrémités, car ces parties étant en général peu volumineuses, elles ne tardent pas à éprouver de très grandes pertes. C’est principalement pour cette raison que la température du tronc est toujours un peu plus élevée que celle des membres.

Les parties ainsi congelées deviennent insensibles ; la circulation ne s’y fait plus, et si un réchauffement progressif ne vient pas la rétablir, il y a bientôt élimination par gangrène sèche.

§ V. Influence de la latitude.



La latitude exerce encore une action remarquable sur l’économie animale. Ainsi, l’homme ne peut pas supporter, sans être incommodé, une température supérieure à la sienne. Dans les pays chauds, où on a vu quelquefois le thermomètre monter jusqu’à 47° centigrades, il ne peut rester à l’air libre, et il est obligé d’entretenir un froid artificiel dans des habitations particulières. C’est pour cette raison que chaque région du globe a ses animaux particuliers ; il en est de certains d’entre eux comme de certaines plantes qui ne peuvent vivre que dans une zone déterminée. Ainsi l’ours blanc arraché à ses mers polaires, ne tarde pas à mourir dans nos climats. Les singes importés en France contractent presque tous la phthisie. Le trigonocéphale et la plupart des reptiles des pays chauds ne peuvent vivre en Europe. Leur terrible venin perd même de ses propriétés par suite du manque de chaleur. Il n’en est pas de même de l’homme et du chien qui sont cosmopolites, et peuvent supporter, plus ou moins bien, les températures variées des divers climats. Le cheval et le bœuf perdent de leur taille à mesure qu’ils se rapprochent des pôles, et chez les lapons le premier est remplacé par le renne.

IV.


DE LA RÉSISTANCE AU FROID ET À LA CHALEUR



L’atmosphère est sans cesse le théâtre de nombreuses variations de température. Il est vrai que la plupart du temps, ces changements ne sont que passagers et pour ainsi dire sans influence sur l’économie animale ; mais il peut arriver qu’ils soient persistants et qu’ils dépassent les limites ordinaires. C’est alors qu’ils sont à redouter, car ils modifient le jeu de toutes les fonctions et en annulent même quelques-unes. Nous en avons eu de fatals exemples au commencement de ce siècle, et l’histoire n’a pas encore oublié les tristes effets du froid sur notre malheureuse armée de 1812 dans sa retraite de Moscou ; le thermomètre marquait alors 35° au-dessous de O.

Les températures extrêmes ont donc une influence redoutable, désastreuse même, sur les sujets qui y sont exposés. Voyons quels sont les moyens qu’emploie l’organisme pour résister à cette cause perturbatrice et la combattre.


§ I. De la résistance au froid.



On peut dire d’une manière générale, que presque tous les animaux à sang chaud vivent dans des milieux dont la température est inférieure à celle de leur corps. Ils perdent par conséquent, par le rayonnement, une partie de la chaleur qu’ils dégagent, de manière à présenter à peu près toujours une température uniforme et constante. C’est ce qui se passe à l’état ordinaire. Mais, lorsque cette température extérieure baisse de plusieurs degrés, le rayonnement devient nécessairement plus considérable, et l’animal est exposé à de grandes pertes de calorique. On voit alors la quantité d’acide carbonique exhalée augmenter proportionnellement à l’abaissement de la température extérieure. C’est ce qui résulte d’expériences faites sur l’homme par MM. Valentin et Vierordt. M. Letellier a analysé l’air expiré de la souris, et il a constaté que chez ce petit animal, il y avait deux fois plus d’acide carbonique produit, dans un certain laps de temps, à la température de 0 qu’à 30 ou 35°.

La combustion est donc plus active par un temps froid que par un temps chaud et s’oppose au refroidissement du corps.

Mais, s’il y a plus d’acide carbonique exhalé, il doit y avoir plus d’oxygène absorbé, et c’est ce qui a lieu. L’air étant plus condensé à une basse température, il s’ensuit que sous un même volume, les gaz qui entrent dans sa composition, sont en plus grande quantité ; ce qui fait qu’à chaque respiration il y a plus d’oxygène absorbé.

À cette proportion plus grande d’oxygène absorbé, correspond une alimentation plus abondante, et l’élément combustible se met en rapport avec le corps comburant. C’est une condition indispensable ; car si l’aliment faisait défaut, les tissus hydro-carbonés seraient vivement altérés et ne tarderaient pas à disparaître.

L’homme en effet, mange davantage en hiver qu’en été ; par ce moyen, il parvient à conserver à peu près la même température. Le travail musculaire lui vient encore en aide s’il est exposé aux intempéries extérieures.

La nature a en outre été très prévoyante dans ses œuvres ; on voit les animaux des régions polaires munis d’une fourrure très abondante et souvent mauvaise conductrice de la chaleur ; exemple : le pelage blanc de l’ours des mers glaciales ; tandis que dans les régions tropicales, les poils sont rares et courts. Dans nos pays même, les animaux qui vivent à l’état domestique, ont en général un poil plus long et plus abondant en hiver qu’en été.

Jusqu’ici, nous n’avons considéré que l’influence du froid d’une manière générale. Examinons ce qui se passe lorsque, par un agent quelconque, on expose l’animal à un refroidissement instantané, par exemple, dans l’hydrothérapie.

Aussitôt qu’on enlève au corps une partie de sa chaleur, il y a un sentiment de froid, mais en même temps la combustion intérieure devient plus active, et, si la cause agissante est suspendue, il y a un prompt rétablissement de la température normale.

Ces remarques ont été faites sur des baigneurs. Il y a abaissement de la température extérieure du corps et augmentation de la chaleur intérieure. Pour le prouver, M. Hoppe plongeait des chiens dans un bain d’eau froide à la température de 18 à 20 degrés à peu près ; puis, après les avoir retirés, il les exposait à l’air et introduisait un thermomètre dans le rectum. Pendant tout le temps que mettait l’évaporation à s’effectuer, le thermomètre montait pour reprendre ensuite sa hauteur normale aussitôt qu’elle était terminée. Il y a donc rapport direct entre l’abaissement de la température extérieure du corps et l’augmentation de la chaleur produite.

Les matières introduites dans l’organisme acquièrent très rapidement la température du corps. Voici ce que dit M. Colin à ce sujet[4] : « J’ai vu, en engageant un thermomètre dans le réseau, par une grande fistule au flanc gauche, que la température du contenu du réservoir était de 18 degrés, deux minutes après l’ingestion de 10 litres d’eau à 11 degrés ; au bout de cinq minutes, elle était de 25 degrés ; puis à 30 au bout de dix minutes ; à 32 après un quart d’heure ; à 35 après vingt minutes. Elle ne vint à 38 qu’au bout d’une demi-heure. Une autre fois, l’équilibre fut rétabli au bout de vingt-cinq minutes après l’ingestion de 13 litres d’eau à la température précédemment indiquée. »

Mais si la cause qui vient modifier la calorification persiste, il arrive un moment où l’animal ne peut plus dégager assez de chaleur. Il perd de celle qui lui est propre pour se mettre en équilibre de température avec le milieu ambiant, et, si la perte dépasse 12 à 14 degrés, il périt très rapidement.

Parmi les animaux à sang chaud qui offrent le plus de résistance au froid, nous pouvons citer en première ligne les hibernants ; leur température baisse sensiblement, mais il est assez rare qu’ils perdent la vie pendant leur sommeil léthargique.

Les nouveau-nés sont très accessibles au froid ; il y a cependant entre eux une distinction à faire.

Ceux qui, comme les chiens, par exemple, naissent avec l’ouverture pupillaire fermée, c’est-à-dire avec les paupières réunies, se comportent comme les animaux à sang froid, en ce sens qu’ils tendent à se mettre en équilibre de température avec le milieu environnant. Ce n’est pas, bien entendu, l’occlusion de l’ouverture pupillaire qui est cause de ce phénomène, mais bien le développement imparfait de ces êtres récemment procréés.

Le fœtus humain, au contraire, a une température propre, et quoiqu’elle soit moins stable que celle de l’adulte, il la conserve néanmoins lorsqu’il n’est pas exposé à un froid trop intense. Il en est de même des oiseaux qui suivent leur mère de suite après la naissance, tandis que ceux qui vivent au nid pendant quelques jours, se rapprochent beaucoup des animaux à sang froid.

Les reptiles, les poissons perdent également de la chaleur ; cependant ils périssent rarement à cause de la basse température à laquelle ils peuvent vivre. On a même vu les premiers devenir rigides sans que la vie se soit éteinte en eux.

§ II. De la résistance à la chaleur.



Lorsque l’homme et les animaux se trouvent dans un milieu dont la température est plus élevée que celle qui leur est propre, il semble, au premier abord, qu’ils doivent acquérir de la chaleur. Il n’y a plus ici, en effet, de rayonnement, et s’il y en a, ce n’est plus pour soutirer du calorique au corps, mais pour lui en fournir. C’est ce qui avait fait penser autrefois à la plupart des physiologistes, que les animaux ne pouvaient vivre dans une atmosphère dont la température dépassait 37 à 38 degrés centigrades.

Les expériences et les observations qu’on a faites dans les divers climats, viennent prouver le contraire. Il se passe dans l’organisme un travail tout particulier, afin de suppléer au rayonnement.

Les glandes sudoripares entrent en jeu, et bientôt le corps est couvert d’une sueur abondante, destinée à produire, par son évaporation, un abaissement considérable de température. Ainsi, tandis que l’homme qui ne sue pas, perd, en moyenne, par la peau, 40 grammes de vapeur d’eau dans une heure, cette quantité peut s’élever, dans le même espace de temps, à 300, à 400, à 500 et même à 1000 grammes, lorsqu’on le place dans des étuves sèches, à une haute température.

Or, l’eau absorbe, pour passer de l’état liquide à l’état gazeux, une grande quantité de chaleur. On a calculé qu’à 100 degrés, 1 gramme d’eau emploie, pour se vaporiser, une quantité de chaleur égale à celle qu’il faudrait pour élever à 1 degré 540 gr. d’eau.

Quel est celui qui n’a pas éprouvé un froid très intense en sortant d’un bain ? C’est encore une conséquence de la prompte évaporation qui s’opère à la surface de notre corps. Ce qui se passe pour l’eau s’applique aussi à la sueur.

Les alcarazas, si employés dans nos pays, ne nous donnent-ils pas encore un exemple du froid produit par l’évaporation ?

Qu’on retire une grenouille hors de l’eau, et qu’au bout de quelques minutes, on mesure sa température, on la trouvera, comme nous l’avons dit plus haut, inférieure à celle du milieu où elle vit habituellement, ce qui évidemment n’existe pas lorsque ce batracien est encore dans ce même milieu.

Les animaux doivent donc combattre l’excès de chaleur par la sudation, et c’est en grande partie par elle qu’ils se maintiennent toujours à la même température dans les temps chauds.

La quantité de sueur produite ne dépend pas seulement de la température extérieure, mais encore de l’état hygrométrique de l’air, selon qu’il est plus ou moins près de son point de saturation.

C’est par l’évaporation cutanée que l’homme peut rester impunément quelques instants dans une étuve dont la température s’élève quelquefois jusqu’à 100 degrés. On se sert même de ce procédé comme moyen de médication ; on obtient ainsi une grande quantité de sueur qui purifie le sang, en éliminant les principes inutiles ou toxiques qu’il peut contenir.

Mais il ne faut pas que le séjour dans l’étuve soit trop prolongé, car il pourrait survenir de graves accidents. Il arrive un moment où l’évaporation ne peut plus suffire, et la température animale augmente sensiblement. M. Magendie a fait des expériences sur des chiens, et voici, d’après M. Béclard, les résultats qu’il a obtenus : Ces animaux succombent au bout de 18 minutes dans une étuve à + 120° ; au bout de 24 minutes dans une étuve à + 90° ; au bout de 30 minutes dans une étuve à + 80°.

Comme on le voit, il faut être très prudent dans l’emploi de ces méthodes sudorifiques.

Si le milieu dans lequel vit l’animal est très chaud et saturé de vapeur d’eau, la sueur ne peut plus s’évaporer, et la température du corps monte rapidement de 6 à 7 degrés, limite extrême pour la vie du sujet. Cette élévation de température se conçoit très bien quand on pense que l’animal continue sans cesse à produire de la chaleur, tandis qu’une des fonctions opérant le refroidissement, vient d’être supprimée.

Indépendamment de l’évaporation qui s’effectue, il y a encore dans les temps chauds moins d’oxygène absorbé pour une même quantité d’air inspiré, et par suite moins de chaleur produite. La proportion d’acide carbonique exhalée pendant l’été, dans un temps donné, est de 20 pour 100 inférieure à ce qu’elle est pendant l’hiver, d’après M. Smith. C’est là encore un autre fait qui vient combattre l’excès de chaleur.

Quant aux animaux qui résistent le mieux aux fortes élévations de température, ce sont les reptiles : Ainsi, celle d’une vipère peut s’élever jusqu’à 92° F.

Les poissons acquièrent la température de l’eau dans laquelle ils vivent, mais ils ne tardent pas à mourir, d’après Broussonnet, si elle s’élève de quelques degrés. Certains auteurs affirment cependant qu’ils en ont trouvé dans des eaux thermales de 30 à 37° C.

Tous les animaux tendent donc à maintenir leur température dans des limites à peu près invariables, et, pour cet effet, nous voyons deux actions opposées se développer dans l’organisme : l’une tend à échauffer, l’autre à refroidir le corps ; et c’est seulement lorsqu’elles ne peuvent plus se contrebalancer, qu’il y a élévation ou abaissement de la température animale.

L’hiver, il y a absorption d’une plus grande quantité d’oxygène ; par conséquent, il y a aussi un dégagement plus considérable d’acide carbonique, et la calorification est augmentée. L’été, l’évaporation cutanée combat l’excès de température que le corps tend à acquérir, et, en même temps, il y a moins d’oxygène absorbé.

Dans la saison tempérée, c’est le rayonnement et la transpiration pulmonaire qui maintiennent le corps à sa température normale. Enfin, pendant le travail, ce sont les deux transpirations réunies qui viennent détruire l’excès de température produit par la contraction musculaire.

V


IMPORTANCE DE LA CHALEUR ANIMALE DANS LE DIAGNOSTIC ET LE PRONOSTIC DES MALADIES.



La chaleur animale est sujette à de nombreuses variations dans les différents cas morbides, et la température des parties affectées n’est jamais la même qu’à l’état normal.

Ces changements de température ont été l’objet d’une étude très curieuse, mais qui n’a pas encore été assez approfondie. Tandis que sous l’équateur une température de plus de 40 degrés centigrades fait à peine varier la température de l’homme, voilà qu’un léger trouble dans la santé, une simple inflammation, vont faire plus que la chaleur brûlante des tropiques ou le froid intense des régions polaires. Il y a là une force mystérieuse créée par la maladie, force que nous ne pouvons nous expliquer que par des hypothèses et non par des données positives.

C’est dans ces derniers temps que des chiffres précis ont été recueillis sur les oscillations de la température animale dans certaines affections, et c’est à M. Bouillaud, professeur à la Faculté de Médecine de Paris, qu’en reviennent l’honneur et le mérite. C’est lui qui a introduit l’usage du thermomètre dans la Clinique, et voici comment il s’exprime au sujet de la fièvre typhoïde : « La chaleur a varié de 33°-34° à 40°-41° ; ce résultat suffit pour démontrer que les divers degrés de la température morbide peuvent être exactement donnés par le thermomètre ».

Toutes les recherches ont été faites sur l’homme ; mais les rapports communs que nous offrent les deux médecines, démontrent que sur les animaux on obtiendrait des résultats analogues.

Dans l’inflammation, la chaleur des parties affectées est un des symptômes de l’affection. Cependant, quel que soit le degré de température des parties enflammées, jamais il ne surpasse celui du sang qui circule dans le cercle inflammatoire.

D’après Hunter, les parties enflammées ont une force de résistance au froid beaucoup plus considérable qu’à l’état normal. Voici comment il opérait pour le prouver : il congelait l’oreille d’un lapin qui naturellement ne tardait pas à s’enflammer ; après la production de cette inflammation, il lui devenait presque impossible de la congeler une deuxième fois.

Dans la péritonite, il y a également élévation de température pour les viscères en rapport avec la séreuse péritonéale.

Les fièvres se traduisent encore par une élévation générale de la température du corps. Cette élévation ne dépasse jamais 4 ou 5 degrés, et commence peu après le frisson. Parfois cependant, c’est au moment de l’apparition de ce symptôme qu’elle a acquis sa plus haute intensité.

Dans les divers états pathogéniques que nous venons d’examiner, l’élévation de température du corps correspond toujours à l’accélération du pouls. On comprend qu’alors la combustion soit activée ; car, en même temps que le pouls est plus accéléré, la respiration est influencée, et il y a plus d’oxygène introduit dans l’organisme. Ainsi, dans la fièvre, le pouls est plein et fréquent. Il en est de même dans les parties enflammées, où l’on perçoit d’une manière manifeste les pulsations.

Enfin, dans le tétanos, il y a encore élévation marquée de la température du corps ; mais ici ce n’est plus la même cause qui agit. Il faut la chercher dans la contraction musculaire statique dont les muscles sont l’objet pendant tout le temps que dure cet état maladif. M. Wunderlich rapporte que chez un malade tétanique, il a vu le thermomètre monter jusqu’à 45°,3. M. Léon Tripier[5] a constaté aussi cette élévation de température sur des hommes atteints de tétanos ; elle va en augmentant jusqu’au moment de la mort, et elle peut encore se mesurer 24 heures après. Il conclut de ce fait que le pronostic du tétanos est d’autant plus grave que la température est plus élevée.

Nous pouvons encore citer un cas de tétanos essentiel observé à l’École de Lyon sur un cheval ; M. Arloing a bien voulu nous transmettre les variations que subit la température de cet animal durant le cours de sa maladie.

Le sujet en question rentra dans les infirmeries de l’École le 19 février 1869, avec une température de 38° 3/10 ; le 21 elle s’élevait à 39° 1/10; le 22 à 40° ; le 23 à 40° 2/5 ; ce même jour on constata une amélioration. Aussi, dès le lendemain, vit-on la température baisser sensiblement ; le 25, elle n’était plus qu’à 38° 1/5, et le 27, jour de complète guérison, à 37° 4/5, c’est-à-dire son état normal.

Dans la production artificielle du tétanos par l’irritation du nerf tibial postérieur, on remarque encore qu’à chaque pincement, correspond une élévation de quelques fractions de degré dans la température du corps.

Il y a donc chez les tétaniques une source de chaleur très abondante. Elle réside certainement dans la contraction musculaire.

Mais, quelle que soit l’intensité de la chaleur produite, il ne faut pas croire, comme certains l’ont avancé, que l’élévation de température puisse acquérir un degré tel, qu’il s’effectue spontanément dans les tissus une combustion analogue à celle d’un foyer.

Les paralysies s’accompagnent, au contraire, d’un abaissement de température dans la région malade ; cela est dû aux troubles apportés dans la circulation et à l’impuissance dans laquelle se trouvent les muscles de fonctionner.

Le même phénomène, mais plus accentué encore, s’observe dans les parties gangrénées, et Dupuytren, en parlant de leur température, s’exprime ainsi : « Ce n’est pas, comme on pourrait le penser, un froid semblable à celui du cadavre, et qui n’a lieu que parce que la partie mortifiée s’est mise en équilibre de calorique avec l’air ambiant ; c’est un froid glacial supérieur au froid cadavérique, au froid que marque le thermomètre exposé à l’air, ou même plongé dans l’eau courante. J’ai fait, il y a longtemps, à ce sujet, des expériences nombreuses ; le thermomètre, approché de la partie près de tomber en gangrène, descend plus bas que dans tous les milieux indiqués. »

La température des parties gangrénées diminue considérablement, puisque cet abaissement est très appréciable à la main ; mais ce n’est pas un froid glacial, comme le dit Dupuytren.

Dans la peste bovine, il y a encore abaissement de température.

Ce sont ces modifications de la chaleur animale dans l’état pathogénique, qui avaient conduit à diviser les maladies en pyrétiques et en apyrétiques. Dans les premières, il y a augmentation notable de la température, et dans les secondes, il y a diminution. Tantôt les modifications sont partielles, comme dans une inflammation locale ; tantôt elles sont générales, comme dans toutes les variétés de fièvre.

La chaleur animale n’est donc pas seulement l’indice de la vie ; ses variations sont encore un symptôme de plusieurs maladies, et par conséquent d’un grand secours dans le diagnostic et le pronostic des maladies. Jusqu’ici, la médecine vétérinaire n’en a pas assez tenu compte ; espérons qu’il n’en sera plus ainsi, et peut-être que plus tard, de faits simples et particuliers, on pourra tirer des conclusions générales. Ce sera alors un pas de plus qu’aura fait la science vétérinaire, si utile pour l’agriculture et l’humanité en même temps.

F. Bardeau.

  1. Il est à regretter que toutes les expériences n’aient pas été faites avec le thermomètre centigrade pour plus d’uniformité ; mais il suffit de se rappeler que :
    1o Réaumur = 5/4 de 1° c,
    1o Farenheit = 5/9 de 1° C.
  2. Lavoisier, Mémoire de chimie.
  3. Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, 1852.
  4. Physiologie comparée, t. I, p. 602.
  5. Comptes-rendus de la Société des sciences médicales de Lyon.