Aller au contenu

De la démocratie en Amérique/Édition 1848/Tome 1/Première partie/Notes

La bibliothèque libre.
NOTES.




(A) PAGE 31.

Voyez, sur tous les pays de l’ouest où les Européens n’ont pas encore pénétré, les deux voyages entrepris par le major Long, aux frais du congrès.

M. Long dit notamment, à propos du grand désert américain, qu’il faut tirer une ligne à peu près parallèle au 20e degré de longitude (méridien de Washington[1]), partant de la rivière Rouge et aboutissant à la rivière Plate. De cette ligne imaginaire jusqu’aux montagnes Rocheuses, qui bornent la vallée du Mississipi à l’ouest, s’étendent d’immenses plaines, couvertes en général de sable qui se refuse à la culture, ou parsemées de pierres granitiques. Elles sont privées d’eau en été. On n’y rencontre que de grands troupeaux de buffles et de chevaux sauvages. On y voit aussi quelques hordes d’Indiens, mais en petit nombre.

Le major Long a entendu dire qu’en s’élevant au-dessus de la rivière Plate dans la même direction, on rencontrait toujours à sa gauche le même désert ; mais il n’a pas pu vérifier par lui-même l’exactitude de ce rapport. Long’s expedition, vol. 2, p. 361.

Quelque confiance que mérite la relation du major Long, il ne faut pas cependant oublier qu’il n’a fait que traverser le pays dont il parle, sans tracer de grands zigzags au-dehors de la ligne qu’il suivait.

(B) PAGE 33.

L’Amérique du Sud, dans ses régions intertropicales, produit avec une incroyable profusion ces plantes grimpantes connues sous le nom générique de lianes. La flore des Antilles en présente à elle seule plus de quarante espèces différentes.

Parmi les plus gracieux d’entre ces arbustes se trouve la grenadille. Cette jolie plante, dit Descourtiz dans sa description du règne végétal aux Antilles, au moyen des vrilles dont elle est munie, s’attache aux arbres et y forme des arcades mobiles, des colonnades riches et élégantes par la beauté des fleurs pourpres variées de bleu qui les décorent, et qui flattent l’odorat par le parfum qu’elles exhalent ; vol. 1, p. 265.

L’acacia à grandes gousses est une liane très grosse qui se développe rapidement, et, courant d’arbres en arbres, couvre quelquefois plus d’une demi-lieue ; vol. 3, p. 227.

(C) PAGE 56.
Sur les langues américaines.

Les langues que parlent les Indiens de l’Amérique, depuis le pôle arctique jusqu’au cap Horn, sont toutes formées, dit-on, sur le même modèle, et soumises aux mêmes règles grammaticales ; d’où on peut conclure avec une grande vraisemblance que toutes les nations indiennes sont sorties de la même souche.

Chaque peuplade du continent américain parle un dialecte différent ; mais les langues proprement dites sont en très petit nombre, ce qui tendrait encore à prouver que les nations du Nouveau-Monde n’ont pas une origine fort ancienne.

Enfin les langues de l’Amérique sont d’une extrême régularité ; il est donc probable que les peuples qui s’en servent n’ont pas encore été soumis à de grandes révolutions, et ne se sont pas mêlés forcément ou volontairement à des nations étrangères ; car c’est en général l’union de plusieurs langues dans une seule qui produit les irrégularités de la grammaire.

Il n’y a pas long-temps que les langues américaines, et en particulier les langues de l’Amérique du Nord, ont attiré l’attention sérieuse des philologues. On a découvert alors, pour la première fois, que cet idiome d’un peuple barbare était le produit d’un système d’idées très compliquées et de combinaisons fort savantes. On s’est aperçu que ces langues étaient fort riches, et qu’en les formant on avait pris grand soin de ménager la délicatesse de l’oreille.

Le système grammatical des Américains diffère de tous les autres en plusieurs points, mais principalement en celui-ci.

Quelques peuples de l’Europe, entre autres les Allemands, ont la faculté de combiner au besoin différentes expressions, et de donner ainsi un sens complexe à certains mots. Les Indiens ont étendu de la manière la plus surprenante cette même faculté, et sont parvenus à fixer pour ainsi dire sur un seul point un très grand nombre d’idées. Ceci se comprendra sans peine à l’aide d’un exemple cité par M. Duponceau, dans les Mémoires de la Société philosophique d’Amérique.

Lorsqu’une femme delaware joue avec un chat ou avec un jeune chien, dit-il, on l’entend quelquefois prononcer le mot kuligatschi. Ce mot est ainsi composé : K est le signe de la seconde personne, et signifie tu ou ton ; uli, qu’on prononce ouli, est un fragment du mot wulit, qui signifie beau, joli ; gat est un autre fragment du mot wichtgat, qui signifie patte ; enfin schis, qu’on prononce chise, est une terminaison diminutive qui apporte avec elle l’idée de la petitesse. Ainsi, dans un seul mot, la femme indienne a dit : Ta jolie petite patte.

Voici un autre exemple qui montre avec quel bonheur les sauvages de l’Amérique savaient composer leurs mots.

Un jeune homme en delaware se dit pilapé. Ce mot est formé de pilsit, chaste, innocent ; et de lénapé, homme : c’est-à-dire l’homme dans sa pureté et son innocence.

Cette faculté de combiner entre eux les mots se fait surtout remarquer d’une manière fort étrange dans la formation des verbes. L’action la plus compliquée se rend souvent par un seul verbe ; presque toutes les nuances de l’idée agissent sur le verbe et le modifient.

Ceux qui voudraient examiner plus en détail ce sujet, que je n’ai fait moi-même qu’effleurer très superficiellement, devront lire :

1o La Correspondance de M. Duponceau avec le révérend Hecwelder, relativement aux langues indiennes. Cette correspondance se trouve dans le 1er volume des Mémoires de la Société philosophique d’Amérique, publiés à Philadelphie, en 1819, chez Abraham Small, p. 356-464.

2o La grammaire de la langue delaware ou lenape, par Geiberger, et la préface de M. Duponceau, qui y est jointe. Le tout se trouve dans les mêmes collections, vol. 3.

3o Un résumé fort bien fait de ces travaux, contenu à la fin du volume 6 de l’Encyclopédie américaine.

(D) PAGE 58.

On trouve dans Charlevoix, tome I, p. 235, l’histoire de la première guerre que les Français du Canada eurent à soutenir, en 1610, contre les Iroquois. Ces derniers, quoique armés de flèches et d’arcs, opposèrent une résistance désespérée aux Français et à leurs alliés. Charlevoix, qui n’est cependant pas un grand peintre, fait très bien voir dans ce morceau le contraste qu’offraient les mœurs des Européens et celles des sauvages, ainsi que les différentes manières dont ces deux races entendaient l’honneur.

« Les Français, dit-il, se saisirent des peaux de castor dont les Iroquois, qu’ils voyaient étendus sur la place, étaient couverts. Les Hurons, leurs alliés, furent scandalisés à ce spectacle. Ceux-ci, de leur côté, commencèrent à exercer leurs cruautés ordinaires sur les prisonniers, et dévorèrent un de ceux qui avaient été tués, ce qui fit horreur aux Français. Ainsi, ajoute Charlevoix, ces barbares faisaient gloire d’un désintéressement qu’ils étaient surpris de ne pas trouver dans notre nation, et ne comprenaient pas qu’il y eût bien moins de mal à dépouiller les morts qu’à se repaître de leurs chairs comme des bêtes féroces. »

Le même Charlevoix, dans un autre endroit, vol. 1, p. 230, peint de cette manière le premier supplice dont Champlain fut le témoin, et le retour des Hurons dans leur village.

« Après avoir fait huit lieues, dit-il, nos alliés s’arrêtèrent, et, prenant un de leurs captifs, ils lui reprochèrent toutes les cruautés qu’il avait exercées sur des guerriers de leur nation qui étaient tombés dans ses mains, et lui déclarèrent qu’il devait s’attendre à être traité de la même manière, ajoutant que, s’il avait du cœur, il le témoignerait en chantant : il entonna aussitôt sa chanson de guerre, et toutes celles qu’il savait, mais sur un ton fort triste, dit Champlain, qui n’avait pas encore eu le temps de connaître que toute la musique des sauvages a quelque chose de lugubre. Son supplice, accompagné de toutes les horreurs dont nous parlerons dans la suite, effraya les Français, qui firent en vain tous leurs efforts pour y mettre fin. La nuit suivante, un Huron ayant rêvé qu’on était poursuivi, la retraite se changea en une véritable fuite, et les sauvages ne s’arrêtèrent plus dans aucun endroit qu’ils ne fussent hors de tout danger.

« Du moment qu’ils eurent aperçu les cabanes de leur village, ils coupèrent de longs bâtons auxquels ils attachèrent les chevelures qu’ils avaient eues en partage, et les portèrent comme en triomphe. À cette vue les femmes accoururent, se jetèrent à la nage, et, ayant joint les canots, elles prirent ces chevelures toutes sanglantes des mains de leurs maris, et se les attachèrent au cou.

« Les guerriers offrirent un de ces horribles trophées à Champlain, et lui firent en outre présent de quelques arcs et de quelques flèches, seules dépouilles des Iroquois dont ils eussent voulu s’emparer, le priant de les montrer au roi de France. »

Champlain vécut seul tout un hiver au milieu de ces barbares, sans que sa personne ou ses propriétés fussent un instant compromises.

(E) PAGE 61.

Quoique le rigorisme puritain qui a présidé à la naissance des colonies anglaises d’Amérique se soit déjà fort affaibli, on en trouve encore dans les habitudes et dans les lois des traces extraordinaires.

En 1792, à l’époque même ou la république antichrétienne de France commençait son existence éphémère, le corps législatif du Massachusetts promulguait la loi qu’on va lire, pour forcer les citoyens à l’observation du dimanche. Voici le préambule et les principales dispositions de cette loi, qui mérite d’attirer toute l’attention du lecteur :

« Attendu, dit le législateur, que l’observation du dimanche est d’un intérêt public, qu’elle produit une suspension utile dans les travaux ; qu’elle porte les hommes à réfléchir sur les devoirs de la vie et sur les erreurs auxquelles l’humanité est si sujette ; qu’elle permet d’honorer en particulier et en public le Dieu créateur et gouverneur de l’univers, et de se livrer à ces actes de charité qui font l’ornement et le soulagement des sociétés chrétiennes ;

« Attendu que les personnes irréligieuses ou légères, oubliant les devoirs que le dimanche impose et l’avantage que la société en retire, en profanent la sainteté en se livrant à leurs plaisirs ou à leurs travaux ; que cette manière d’agir est contraire à leurs propres intérêts comme chrétiens ; que, de plus, elle est de nature à troubler ceux qui ne suivent pas leur exemple, et porte un préjudice réel à la société tout entière en introduisant dans son sein le goût de la dissipation et les habitudes dissolues ;

« Le sénat et la chambre des représentants ordonnent ce qui suit :

« 1o Nul ne pourra, le jour du dimanche, tenir ouvert sa boutique ou son atelier. Nul ne pourra, le même jour, s’occuper d’aucun travail ou affaires quelconques, assister à aucun concert, bal ou spectacle d’aucun genre, ni se livrer à aucune espèce de chasse, jeu, récréation, sous peine d’amende. L’amende ne sera pas moindre de 10 shellings, et n’excédera pas 20 shellings pour chaque contravention.

« 2o Aucun voyageur, conducteur, charretier, excepté en cas de nécessité, ne pourra voyager le dimanche, sous peine de la même amende.

« 3o Les cabaretiers, détaillants, aubergistes, empêcheront qu’aucun habitant domicilié dans leur commune ne vienne chez eux le dimanche, pour y passer le temps en plaisirs ou en affaires. En cas de contravention, l’aubergiste et son hôte paieront l’amende. De plus, l’aubergiste pourra perdre sa licence.

« 4o Celui qui, étant en bonne santé et sans raison suffisante, omettra pendant trois mois de rendre à Dieu un culte public, sera condamné à 10 shellings d’amende.

« 5o Celui qui, dans l’enceinte d’un temple, tiendra une conduite inconvenante, paiera une amende de 5 shellings à 40.

« 6o Sont chargés de tenir la main à l’exécution de la présente loi, les tythingmen des communes[2]. Ils ont le droit de visiter le dimanche tous les appartements des hôtelleries ou lieux publics. L’aubergiste qui leur refuserait l’entrée de sa maison sera condamné pour ce seul fait à 40 shellings d’amende.

« Les tythingmen devront arrêter les voyageurs, et s’enquérir de la raison qui les a obligés de se mettre en route le dimanche. Celui qui refusera de répondre sera condamné à une amende qui pourra être de 5 livres sterling.

« Si la raison donnée par le voyageur ne parait pas suffisante au tythingman, il poursuivra ledit voyageur devant le juge de paix du canton. » Loi du 8 mars 1792. General Laws of Massachusetts, vol. 1, p. 410.

Le 11 mars 1797, une nouvelle loi vint augmenter le taux des amendes, dont moitié dut appartenir à celui qui poursuivait le délinquant. Même collection, vol. 1, p. 525.

Le 16 février 1816, une nouvelle loi confirme ces mêmes mesures. Même collection, vol. 2, p. 405.

Des dispositions analogues existent dans les lois de l’État de New-York, révisées en 1827 et 1828. (Voyez Revised statutes, partie 1, chapitre 20, p. 675.) Il y est dit que le dimanche nul ne pourra chasser, pêcher, jouer, ni fréquenter les maisons où l’on donne à boire. Nul ne pourra voyager, si ce n’est en cas de nécessité.

Ce n’est pas la seule trace que l’esprit religieux et les mœurs austères des premiers émigrants aient laissée dans les lois.

On lit dans les statuts révisés de l’État de New-York, vol. 1, p. 662, l’article suivant :

« Quiconque gagnera ou perdra dans l’espace de vingt-quatre heures, en jouant ou en pariant, la somme de 25 dollars (environ 132 francs), sera réputé coupable d’un délit (misdemeanor), et sur la preuve du fait, sera condamné à une amende égale au moins à cinq fois la valeur de la somme perdue ou gagnée ; laquelle amende sera versée dans les mains de l’inspecteur des pauvres de la commune.

« Celui qui perd 25 dollars ou plus peut les réclamer en justice. S’il omet de le faire, l’inspecteur des pauvres peut actionner le gagnant, et lui faire donner, au profit des pauvres, la somme gagnée et une somme triple de celle-là. »

Les lois que nous venons de citer sont très récentes ; mais qui pourrait les comprendre sans remonter jusqu’à l’origine même des colonies ? Je ne doute point que de nos jours la partie pénale de cette législation ne soit que fort rarement appliquée ; les lois conservent leur inflexibilité quand déjà les mœurs se sont pliées au mouvement du temps. Cependant l’observation du dimanche en Amérique est encore ce qui frappe le plus vivement l’étranger.

Il y a notamment une grande ville américaine dans laquelle, à partir du samedi soir, le mouvement social est comme suspendu. Vous parcourez ses murs à l’heure qui semble convier l’âge mûr aux affaires et la jeunesse aux plaisirs, et vous vous trouvez dans une profonde solitude. Non seulement personne ne travaille, mais personne ne paraît vivre. On n’entend ni le mouvement de l’industrie, ni les accents de la joie, ni même le murmure confus qui s’élève sans cesse du sein d’une grande cité. Des chaînes sont tendues aux environs des églises ; les volets des maisons à demi fermés ne laissent qu’à regret pénétrer un rayon du soleil dans la demeure des citoyens. À peine de loin en loin apercevez-vous un homme isolé qui se coule sans bruit à travers les carrefours déserts et le long des rues abandonnées.

Le lendemain à la pointe du jour, le roulement des voitures, le bruit des marteaux, les cris de la population recommencent à se faire entendre ; la cité se réveille ; une foule inquiète se précipite vers les foyers du commerce et de l’industrie ; tout se remue, tout s’agite, tout se presse autour de vous. À une sorte d’engourdissement léthargique succède une activité fébrile ; on dirait que chacun n’a qu’un seul jour à sa disposition pour acquérir la richesse et pour en jouir.

(F) PAGE 69.

Il est inutile de dire que, dans le chapitre qu’on vient de lire, je n’ai point prétendu faire une histoire de l’Amérique. Mon seul but a été de mettre le lecteur à même d’apprécier l’influence qu’avaient exercée les opinions et les mœurs des premiers émigrants sur le sort des différentes colonies et de l’Union en général. J’ai donc dû me borner à citer quelques fragments détachés.

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu’en marchant dans la route que je ne fais ici qu’indiquer, on pourrait présenter sur le premier âge des républiques américaines des tableaux qui ne seraient pas indignes d’attirer les regards du public, et qui donneraient sans doute matière à réfléchir aux hommes d’État. Ne pouvant me livrer moi-même à ce travail, j’ai voulu du moins le faciliter à d’autres. J’ai donc cru devoir présenter ici une courte nomenclature et une analyse abrégée des ouvrages dans lesquels il me paraîtrait le plus utile de puiser.

Au nombre des documents généraux qu’on pourrait consulter avec fruit, je placerai d’abord l’ouvrage intitulé Historical collection of state-papers and other authentic documents, intended as materials for an history of the United States of America ; by Ebenezer Hazard.

Le premier volume de cette compilation, qui fut imprimé à Philadelphie en 1792, contient la copie textuelle de toutes les chartes accordées par la couronne d’Angleterre aux émigrants, ainsi que les principaux actes des gouvernements coloniaux durant les premiers temps de leur existence. On y trouve entre autres un grand nombre de documents authentiques sur les affaires de la Nouvelle-Angleterre et de la Virginie pendant cette période.

Le second volume est consacré presque tout entier aux actes de la confédération de 1643. Ce pacte fédéral, qui eut lieu entre les colonies de la Nouvelle-Angleterre, dans le but de résister aux indiens, fut le premier exemple d’union que donnèrent les Anglo-Américains. Il y eut encore plusieurs autres confédérations de la même nature, jusqu’à celle de 1776, qui amena l’indépendance des colonies.

La collection historique de Philadelphie se trouve à la Bibliothèque Royale.

Chaque colonie a de plus ses monuments historiques, dont plusieurs sont très précieux. Je commence mon examen par la Virginie, qui est l’État le plus anciennement peuplé.

Le premier de tous les historiens de la Virginie est son fondateur, le capitaine Jean Smith. Le capitaine Smith nous a laissé un volume in-4o intitulé : The general history of Virginia and New-England, by Captain John Smith, some time governor in those countryes and admiral of New-England, imprimé à Londres en 1627. (Ce volume se trouve à la Bibliothèque Royale.) L’ouvrage de Smith est orné de cartes et de gravures très curieuses, qui datent du temps où il a été imprimé. Le récit de l’historien s’étend depuis l’année 1584 jusqu’en 1626. Le livre de Smith est estimé et mérite de l’être. L’auteur est un des plus célèbres aventuriers qui aient paru dans le siècle plein d’aventures à la fin duquel il a vécu : le livre lui-même respire cette ardeur de découvertes, cet esprit d’entreprise, qui caractérisait les hommes d’alors ; on y retrouve ces mœurs chevaleresques qu’on mêlait au négoce, et qu’on faisait servir à l’acquisition des richesses.

Mais ce qui est surtout remarquable dans le capitaine Smith, c’est qu’il mêle aux vertus de ses contemporains des qualités qui sont restées étrangères à la plupart d’entre eux ; son style est simple et net, ses récits ont tous le cachet de la vérité, ses descriptions ne sont point ornées.

Cet auteur jette sur l’état des Indiens à l’époque de la découverte de l’Amérique du Nord des lumières précieuses.

Le second historien à consulter est Beverley. L’ouvrage de Beverley, qui forme un volume in-12, a été traduit en français, et imprimé à Amsterdam en 1707. L’auteur commence ses récits à l’année 1585, et les termine à l’année 1700. La première partie de son livre contient des documents historiques proprement dits, relatifs à l’enfance de la colonie. La seconde renferme une peinture curieuse de l’état des Indiens à cette époque reculée. La troisième donne des idées très claires sur les mœurs, l’état social, les lois et les habitudes politiques des Virginiens du temps de l’auteur.

Beverley était originaire de la Virginie, ce qui lui fait dire en commençant, « qu’il supplie les lecteurs de ne point examiner son ouvrage en critiques trop rigides, attendu qu’étant né aux Indes il n’aspire point à la pureté du langage. » Malgré cette modestie de colon, l’auteur témoigne, dans tout le cours de son livre, qu’il supporte impatiemment la suprématie de la mère-patrie. On trouve également dans l’ouvrage de Beverley des traces nombreuses de cet esprit de liberté civile qui animait dès lors les colonies anglaises d’Amérique. On y rencontre aussi la trace des divisions qui ont si long-temps existé au milieu d’elles, et qui ont retardé leur indépendance. Beverley déteste ses voisins catholiques du Maryland plus encore que le gouvernement anglais. Le style de cet auteur est simple ; ses récits sont souvent pleins d’intérêt et inspirent la confiance. La traduction française de l’histoire de Beverley se trouve dans la Bibliothèque Royale.

J’ai vu en Amérique, mais je n’ai pu retrouver en France, un ouvrage qui mériterait aussi d’être consulté ; il est intitulé : History of Virginia, by William Stith. Ce livre offre des détails curieux ; mais il m’a paru long et diffus.

Le plus ancien et le meilleur document qu’on puisse consulter sur l’histoire des Carolines est un livre petit in-4o intitulé : The History of Carolina by John Lawson, imprimé à Londres en 1718.

L’ouvrage de Lawson contient d’abord un voyage de découvertes, dans l’ouest de la Caroline. Ce voyage est écrit en forme de journal ; les récits de l’auteur sont confus ; ses observations sont très superficielles ; on y trouve seulement une peinture assez frappante des ravages que causaient la petite-vérole et l’eau-de-vie parmi les sauvages de cette époque, et un tableau curieux de la corruption des mœurs qui régnait parmi eux, et que la présence des Européens favorisait.

La deuxième partie de l’ouvrage de Lawson est consacrée à retracer l’état physique de la Caroline, et à faire connaitre ses productions.

Dans la troisième partie, l’auteur fait une description intéressante des mœurs, des usages et du gouvernement des Indiens de cette époque. Il y a souvent de l’esprit et de l’originalité dans cette portion du livre.

L’histoire de Lawson est terminée par la charte accordée à la Caroline du temps de Charles II.

Le ton général de cet ouvrage est léger, souvent licencieux, et forme un parfait contraste avec le style profondément grave des ouvrages publiés à cette même époque dans la Nouvelle-Angleterre.

L’histoire de Lawson est un document extrêmement rare en Amérique, et qu’on ne peut se procurer en Europe. Il y en a cependant un exemplaire à la Bibliothèque Royale.

De l’extrémité sud des États-Unis, je passe immédiatement à l’extrémité nord. L’espace intermédiaire n’a été peuplé que plus tard.

Je dois indiquer d’abord une compilation fort curieuse intitulée Collection of the Massachusetts historical society, imprimée pour la première fois à Boston en 1792, réimprimée en 1806. Cet ouvrage n’existe pas à la Bibliothèque Royale, ni, je crois, dans aucune autre.

Cette collection (qui se continue) renferme une foule de documents très précieux relativement à l’histoire des différents États de la Nouvelle-Angleterre. On y trouve des correspondances inédites et des pièces authentiques qui étaient enfouies dans les archives provinciales. L’ouvrage tout entier de Gookin relatif aux Indiens y a été inséré.

J’ai indiqué plusieurs fois dans le cours du chapitre auquel se rapporte cette note, l’ouvrage de Nathaniel Morton intitulé New England’s Memorial. Ce que j’en ai dit suffit pour prouver qu’il mérite d’attirer l’attention de ceux qui voudraient connaître l’histoire de la Nouvelle-Angleterre. Le livre de Nathaniel Morton forme un vol. in-8o, réimprimé à Boston en 1826. Il n’existe pas à la Bibliothèque Royale.

Le document le plus estimé et le plus important que l’on possède sur l’histoire de la Nouvelle-Angleterre est l’ouvrage de R. Cotton Mather intitulé Magnalia Christi Americana, or the ecclesiastical history of New-England, 1620-1698, 2 vol. in-8o, réimprimés à Hartford en 1820. Je ne crois pas qu’on le trouve à la Bibliothèque Royale.

L’auteur a divisé son ouvrage en sept livres.

Le premier présente l’histoire de ce qui a préparé et amené la fondation de la Nouvelle-Angleterre.

Le second contient la vie des premiers gouverneurs et des principaux magistrats qui ont administré ce pays.

Le troisième est consacré à la vie et aux travaux des ministres évangéliques qui, pendant la même période, y ont dirigé les âmes.

Dans le quatrième, l’auteur fait connaitre la fondation et le développement de l’Université de Cambridge (Massachusetts).

Au cinquième, il expose les principes et la discipline de l’Église de la Nouvelle-Angleterre.

Le sixième est consacré à retracer certains faits qui dénotent, suivant Mather, l’action bienfaisante de la Providence sur les habitants de la Nouvelle-Angleterre.

Dans le septième, enfin, l’auteur nous apprend les hérésies et les troubles auxquels a été exposée l’Église de la Nouvelle-Angleterre.

Cotton Mather était un ministre évangélique qui, après être né à Boston, y a passé sa vie.

Toute l’ardeur et toutes les passions religieuses qui ont amené la fondation de la Nouvelle-Angleterre animent et vivifient ses récits. On découvre fréquemment des traces de mauvais goût dans sa manière d’écrire : mais il attache, parce qu’il est plein d’un enthousiasme qui finit par se communiquer au lecteur. Il est souvent intolérant, plus souvent crédule ; mais on n’aperçoit jamais en lui envie de tromper ; quelquefois même son ouvrage présente de beaux passages et des pensées vraies et profondes, telles que celles-ci :

« Avant l’arrivée des puritains, dit-il, vol. 1, chap. IV, p. 61, les Anglais avaient plusieurs fois essayé de peupler le pays que nous habitons ; mais comme ils ne visaient pas plus haut qu’au succès de leurs intérêts matériels, ils furent bientôt abattus par les obstacles ; il n’en a pas été ainsi des hommes qui arrivèrent en Amérique, poussés et soutenus par une haute pensée religieuse. Quoique ceux-ci aient trouvé plus d’ennemis que n’en rencontrèrent peut-être jamais les fondateurs d’aucune colonie, ils persistèrent dans leur dessein, et l’établissement qu’ils ont formé subsiste encore de nos jours. »

Mather mêle parfois à l’austérité de ses tableaux des images pleines de douceur et de tendresse : après avoir parlé d’une dame anglaise que l’ardeur religieuse avait entraînée avec son mari en Amérique, et qui bientôt après succomba aux fatigues et aux misères de l’exil, il ajoute : « Quant à son vertueux époux, Isaac Johnson, il essaya de vivre sans elle, et ne l’ayant pas pu, il mourut. » (V. 1, p. 71.)

Le livre de Mather fait admirablement connaître le temps et le pays qu’il cherche à décrire.

Veut-il nous apprendre quels motifs portèrent les puritains à chercher un asile au-delà des mers, il dit :

« Le Dieu du ciel fit un appel à ceux d’entre son peuple qui habitaient l’Angleterre. Parlant en même temps à des milliers d’hommes qui ne s’étaient jamais vus les uns les autres, il les remplit du désir de quitter les commodités de la vie qu’ils trouvaient dans leur patrie, de traverser un terrible océan pour aller s’établir au milieu de déserts plus formidables encore, dans l’unique but de s’y soumettre sans obstacle à ses lois. »

« Avant d’aller plus loin, ajoute-t-il, il est bon de faire connaître quels ont été les motifs de cette entreprise, afin qu’ils soient bien compris de la postérité ; il est surtout important d’en rappeler le souvenir aux hommes de nos jours, de peur que, perdant de vue l’objet que poursuivaient leurs pères, ils ne négligent les vrais intérêts de la Nouvelle-Angleterre. Je placerai donc ici ce qui se trouve dans un manuscrit où quelques uns de ces motifs furent alors exposés.

« Premier motif : Ce serait rendre un très grand service à l’Église que de porter l’Évangile dans cette partie du monde (l’Amérique du Nord), et d’élever un rempart qui puisse défendre les fidèles contre l’Antechrist, dont on travaille à fonder l’empire dans le reste de l’univers.

« Second motif : Toutes les autres Églises d’Europe ont été frappées de désolation, et il est à craindre que Dieu n’ait porté le même arrêt contre la nôtre. Qui sait s’il n’a pas eu soin de préparer cette place (la Nouvelle-Angleterre) pour servir de refuge à ceux qu’il veut sauver de la destruction générale ?

« Troisième motif : Le pays où nous vivons semble fatigué d’habitants ; l’homme, qui est la plus précieuse des créatures, a ici moins de valeur que le sol qu’il foule sous ses pas. On regarde comme un pesant fardeau d’avoir des enfants, des voisins, des amis ; on fuit le pauvre ; les hommes repoussent ce qui devrait causer les plus grandes jouissances de ce monde, si les choses étaient suivant l’ordre naturel.

« Quatrième motif : Nos passions sont arrivées à ce point qu’il n’y a pas de fortune qui puisse mettre un homme en état de maintenir son rang parmi ses égaux. Et cependant celui qui ne peut y réussir est en butte au mépris : d’où il résulte que dans toutes les professions on cherche à s’enrichir par des moyens illicites, et il devient difficile aux gens de bien d’y vivre à leur aise et sans déshonneur.

« Cinquième motif : Les écoles où l’on enseigne les sciences et la religion sont si corrompues, que la plupart des enfants, et souvent les meilleurs, les plus distingués d’entre eux, et ceux qui faisaient naître les plus légitimes espérances, se trouvent entièrement pervertis par la multitude des mauvais exemples dont ils sont témoins, et par la licence qui les environne.

« Sixième motif : La terre entière n’est-elle pas le jardin du Seigneur ? Dieu ne l’a-t-il pas livrée aux fils d’Adam pour qu’ils la cultivent et l’embellissent ? Pourquoi nous laissons nous mourir de faim faute de place, tandis que de vastes contrées également propres à l’usage de l’homme restent inhabitées et sans culture ?

« Septième motif : Élever une Église réformée et la soutenir dans son enfance ; unir nos forces avec celles d’un peuple fidèle pour la fortifier, la faire prospérer, et la sauver des hasards, et peut être de la misère complète à laquelle elle serait exposée sans cet appui, quelle œuvre plus noble et plus belle, quelle entreprise plus digne d’un chrétien ?

« Huitième motif : Si les hommes dont la piété est connue, et qui vivent ici (en Angleterre) au milieu de la richesse et du bonheur abandonnaient ces avantages pour travailler à l’établissement de cette Église réformée, et consentaiement à partager avec elle un sort obscur et pénible, ce serait un grand et utile exemple qui ranimerait la foi des fidèles dans les prières qu’ils adressent à Dieu en faveur de la colonie, et qui porterait beaucoup d’autres hommes à se joindre à eux. »

Plus loin, exposant les principes de l’Église de la Nouvelle-Angleterre en matière de morale, Mather s’élève avec violence contre l’usage de porter des santés à table, ce qu’il nomme une habitude païenne et abominable.

Il proscrit avec la même rigueur tous les ornements que les femmes peuvent mêler à leurs cheveux, et condamne sans pitié la mode qui s’établit, dit-il, parmi elles, de se découvrir le cou et les bras.

Dans une autre partie de son ouvrage, il nous raconte fort au long plusieurs faits de sorcellerie qui ont effrayé la Nouvelle-Angleterre. On semble une vérité incontestable et démontrée.

Dans un grand nombre d’endroits de ce même livre se révèle l’esprit de liberté civile et d’indépendance politique qui caractérisait les contemporains de l’auteur. Leurs principes en matière de gouvernement se montrent à chaque pas. C’est ainsi, par exemple, qu’on voit les habitants du Massachusetts, dès l’année 1630, dix ans après la fondation de Plymouth, consacrer 400 livres sterling à l’établissement de l’Université de Cambridge.

Si je passe des documents généraux relatifs à l’histoire de la Nouvelle-Angleterre à ceux qui se rapportent aux divers États compris dans ses limites, j’aurai d’abord à indiquer l’ouvrage intitulé : The History of the colony of Massachusetts, by Huchinson, lieutenant-governor of the Massachusetts province, 2 vol. in-8o. Il se trouve à la Bibliothèque Royale un exemplaire de ce livre : c’est une seconde édition imprimée à Londres en 1765.

L’histoire de Hutchinson, que j’ai plusieurs fois citée dans le chapitre auquel cette note se rapporte, commence à l’année 1628 et finit en 1750. Il règne dans tout l’ouvrage un grand air de véracité ; le style en est simple et sans apprêt. Cette histoire est très détaillée.

Le meilleur document à consulter, quant au Connecticut, est l’histoire de Benjamin Trumbull, intitulée : A complete History of Connecticut, civil and ecclesiastical, 1630-1764, 2 vol. in-8o, imprimés en 1818 à New-Haven. Je ne crois pas que l’ouvrage de Trumbull se trouve à la Bibliothèque Royale.

Cette histoire contient un exposé clair et froid de tous les événements survenus dans le Connecticut durant la période indiquée au titre. L’auteur a puisé aux meilleures sources, et ses récits conservent le cachet de la vérité. Tout ce qu’il dit des premiers temps du Connecticut est extrêmement curieux. Voyez notamment dans son ouvrage la Constitution de 1639, vol. 1, chap. VI, p. 100 ; et aussi les Lois pénales du Connecticut, vol. I, chap. VII, p. 123.

On estime avec raison l’ouvrage de Jérémie Belknap intitulé : History of New-Hampshire, 2 vol. in-8o, imprimés à Boston en 1792. Voyez particulièrement, dans l’ouvrage de Belknap, le chap. III du premier volume. Dans ce chapitre, l’auteur donne sur les principes politiques et religieux des puritains, sur les causes de leur émigration, et sur leurs lois, des détails extrêmement précieux. On y trouve cette citation curieuse d’un sermon prononcé en 1663 : « Il faut que la Nouvelle-Angleterre se rappelle sans cesse qu’elle a été fondée dans un but de religion et non dans un but de commerce. On lit sur son front qu’elle a fait profession de pureté en matière de doctrine et de discipline. Que les commerçants et tous ceux qui sont occupés à placer denier sur denier se souviennent donc que c’est la religion et non le gain qui a été l’objet de la fondation de ces colonies. S’il est quelqu’un parmi nous qui, dans l’estimation qu’il fait du monde et de la religion, regarde le premier comme 13 et prend la seconde seulement pour 12, celui-là n’est pas animé des sentiments d’un véritable fils de la Nouvelle-Angleterre. » Les lecteurs rencontreront dans Belknap plus d’idées générales et plus de force de pensée que n’en présentent jusqu’à présent les autres historiens américains.

J’ignore si ce livre se trouve à la Bibliothèque Royale.

Parmi les États du centre dont l’existence est déjà ancienne, et qui méritent de nous occuper, se distinguent surtout l’État de New-York et la Pensylvanie. La meilleure histoire que nous ayons de l’État de New-York est intitulée : History of New-York, par William Smith, imprimée à Londres en 1757. Il en existe une traduction française, également imprimée à Londres en 1767, 1 vol. in-12. Smith nous fournit d’utiles détails sur les guerres des Français et des Anglais en Amérique. C’est de tous les historiens américains celui qui fait le mieux connaître la fameuse confédération des Iroquois.

Quant à la Pensylvanie, je ne saurais mieux faire qu’indiquer l’ouvrage de Proud intitulé : The history of Pensylvania, from the original institution and settlement of that province, under the first proprietor and governor William Penn, in 1681 till after the year 1742, par Robert Proud, 2 vol. in-8o, imprimés à Philadelphie en 1797.

Ce livre mérite particulièrement d’attirer l’attention du lecteur ; il contient une foule de documents très curieux sur Penn, la doctrine des quakers, le caractère, les mœurs, les usages des premiers habitants de la Pensylvanie, Il n’existe pas, à ce que je crois, à la Bibliothèque.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que parmi les documents les plus importants relatifs à la Pensylvanie se placent les œuvres de Penn lui-même et celles de Franklin. Ces ouvrages sont connus d’un grand nombre de lecteurs.

La plupart des livres que je viens de citer avaient déjà été consultés par moi durant mon séjour en Amérique. La Bibliothèque Royale a bien voulu m’en confier quelques uns ; les autres m’ont été prêtés par M. Varden, ancien consul-général des États-Unis à Paris, auteur d’un excellent ouvrage sur l’Amérique. Je ne veux point terminer cette note sans prier M. Varden d’agréer ici l’expression de ma reconnaissance.

(G) PAGE 79.

On trouve ce qui suit dans les Mémoires de Jefferson : « Dans les premiers temps de l’établissement des Anglais en Virginie, quand on obtenait des terres pour peu de chose, ou même pour rien, quelques individus prévoyants avaient acquis de grandes concessions, et désirant maintenir la splendeur de leur famille, ils avaient substitué leurs biens à leurs descendants. La transmission de ces propriétés de génération en génération, à des hommes qui portaient le même nom, avait fini par élever une classe distincte de familles qui, tenant de la loi le privilége de perpétuer leurs richesses, formaient de cette manière une espèce d’ordre de patriciens distingués par la grandeur et le luxe de leurs établissements. C’est parmi cet ordre que le roi choisissait d’ordinaire ses conseillers d’État. » (Jefferson’s Memoirs.)

Aux États-Unis, les principales dispositions de la loi anglaise relative aux successions ont été universellement rejetées.

« La première règle que nous suivons en matière de succession, dit M. Kent, est celle-ci : Lorsqu’un homme meurt intestat, son bien passe à ses héritiers en ligne directe ; s’il n’y a qu’un héritier ou une héritière, il ou elle recueille seul toute la succession. S’il existe plusieurs héritiers du même degré, ils partagent également entre eux la succession, sans distinction de sexe. »

Cette règle fut prescrite pour la première fois dans l’État de New-York par un statut du 23 février 1786 (voyez Revised Statutes, vol. 3 ; Appendice, p. 48) ; elle a été adoptée depuis dans les statuts révisés du même État. Elle prévaut maintenant dans toute l’étendue des États-Unis, avec cette seule exception que dans l’État de Vermont l’héritier mâle prend double portion.

Kent’s commentaries, vol. 4, p. 370.

M. Kent, dans le même ouvrage, vol. 4, p. 1-22, fait l’historique de la législation américaine relative aux substitutions. Il en résulte qu’avant la révolution d’Amérique les lois anglaises sur les substitutions formaient le droit commun dans les colonies. Les substitutions proprement dites (Estates’ tail) furent abolies en Virginie dès 1776 (cette abolition eut lieu sur la motion de Jefferson ; voyez Jefferson’s Memoirs), dans l’État de New-York en 1786. La même abolition a eu lieu depuis dans la Caroline du Nord, le Kentucky, le Tennessee, la Géorgie, le Missouri. Dans le Vermont, l’État d’Indiana, d’Illinois, de la Caroline du Sud et de la Louisiane, les substitutions ont toujours été inusitées. Les États qui ont cru devoir conserver la législation anglaise relative aux substitutions, l’ont modifiée de manière à lui ôter ses principaux caractères aristocratiques. « Nos principes généraux en matière de gouvernement, dit M. Kent, tendent à favoriser la libre circulation de la propriété. »

Ce qui frappe singulièrement le lecteur français qui étudie la législation américaine relative aux successions, c’est que nos lois sur la même matière sont infiniment plus démocratiques encore que les leurs.

Les lois américaines partagent également les biens du père, mais dans le cas seulement où sa volonté n’est pas connue : « car chaque homme, dit la loi, dans l’État de New-York (Revised Statutes, vol. 3 ; Appendix, p. 51), a pleine liberté, pouvoir et autorité, de disposer de ses biens par testament, de léguer, diviser, en faveur de quelque personne que ce puisse être, pourvu qu’il ne teste pas en faveur d’un corps politique ou d’une société organisée. »

La loi française fait du partage égal ou presque égal la règle du testateur.

La plupart des républiques américaines admettent encore les substitutions, et se bornent à en restreindre les effets.

La loi française ne permet les substitutions dans aucun cas.

Si l’état social des Américains est encore plus démocratique que le nôtre, nos lois sont donc plus démocratiques que les leurs. Ceci s’explique mieux qu’on ne le pense : en France, la démocratie est encore occupée à démolir ; en Amérique, elle règne tranquillement sur des ruines.

(H) PAGE 90.
Résumé des conditions électorales aux États-Unis.

Tous les États accordent la jouissance des droits électoraux à vingt-un ans. Dans tous les États, il faut avoir résidé un certain temps dans le district où l’on vote. Ce temps varie depuis trois mois jusqu’à deux ans.

Quant au cens : dans l’État de Massachusetts, il faut, pour être électeur, avoir 3 livres sterling de revenu, ou 60 de capital.

Dans le Rhode-Island, il faut posséder une propriété foncière valant 133 dollars (704 francs).

Dans le Connecticut, il faut avoir une propriété dont le revenu soit de 17 dollars (90 francs environ). Un an de service dans la milice donne également le droit électoral.

Dans le New-Jersey, l’électeur doit avoir 50 livres sterling de fortune.

Dans la Caroline du Sud et le Maryland, l’électeur doit posséder 50 acres de terre.

Dans le Tennessee, il doit posséder une propriété quelconque.

Dans les États du Mississipi, Ohio, Géorgie, Virginie, Pensylvanie, Delaware, New-York, il suffit, pour être électeur, de payer des taxes : dans la plupart de ces États, le service de la milice équivaut au paiement de la taxe.

Dans le Maine et dans le New-Hampshire, il suffit de n’être pas porté sur la liste des indigents.

Enfin, dans les États de Missouri, Alabama, Illinois, Louisiana, Indiana, Kentucky, Vermont, on n’exige aucune condition qui ait rapport à la fortune de l’électeur.

Il n’y a, je pense, que la Caroline du Nord qui impose aux électeurs du sénat d’autres conditions qu’aux électeurs de la chambre des représentants. Les premiers doivent posséder en propriété 50 acres de terre. Il suffit, pour pouvoir élire les représentants, de payer une taxe.

(I) PAGE 152.

Il existe aux États-Unis un système prohibitif. Le petit nombre des douaniers et la grande étendue des côtes rendent la contrebande très facile ; cependant on l’y fait infiniment moins qu’ailleurs, parce que chacun travaille à la réprimer.

Comme il n’y a pas de police préventive aux États-Unis, on y voit plus d’incendies qu’en Europe ; mais en général ils y sont éteints plus tôt, parce que la population environnante ne manque pas de se porter avec rapidité sur le lieu du danger.

(K) PAGE 155.

Il n’est pas juste de dire que la centralisation soit née de la révolution française ; la révolution française l’a perfectionnée, mais ne l’a point créée. Le goût de la centralisation et la manie réglementaire remontent, en France, à l’époque où les légistes sont entrés dans le gouvernement ; ce qui nous reporte au temps de Philippe-le-Bel. Depuis lors, ces deux choses n’ont jamais cessé de croître. Voici ce que M. de Malhesherbes, parlant au nom de la cour des Aides, disait au roi Louis XVI, en 1775[3] :

«……… Il restait à chaque corps, à chaque communauté de citoyens le droit d’administrer ses propres affaires ; droit que nous ne disons pas qui fasse partie de la constitution primitive du royaume, car il remonte bien plus haut : c’est le droit naturel, c’est le droit de la raison. Cependant il a été enlevé à vos sujets, sire, et nous ne craindrons pas de dire que l’administration est tombée à cet égard dans des excès qu’on peut nommer puérils.

Depuis que des ministres puissants se sont fait un principe politique de ne point laisser convoquer d’assemblée nationale, on en est venu de conséquences en conséquences jusqu’à déclarer nulles les délibérations des habitants d’un village quand elles ne sont pas autorisées par un intendant ; en sorte que, si cette communauté a une dépense à faire, il faut prendre l’attache du subdélégué de l’intendant, par conséquent suivre le plan qu’il a adopté, employer les ouvriers qu’il favorise, les payer suivant son arbitraire ; et si la communauté a un procès à soutenir, il faut aussi qu’elle se fasse autoriser par l’intendant. Il faut que la cause soit plaidée à ce premier tribunal avant d’être portée devant la justice. Et si l’avis de l’intendant est contraire aux habitants, ou si leur adversaire a du crédit à l’intendance, la communauté est déchue de la faculté de défendre ses droits. Voilà, sire, par quels moyens on a travaillé à étouffer en France tout esprit municipal, à éteindre, si on le pouvait, jusqu’aux sentiments de citoyens ; on a pour ainsi dire interdit la nation entière, et on lui a donné des tuteurs. »

Que pourrait-on dire de mieux aujourd’hui, que la révolution française a fait ce qu’on appelle ses conquêtes en matière de centralisation ?

En 1789, Jefferson écrivait de Paris à un de ses amis : « Il n’est pas de pays où la manie de trop gouverner ait pris de plus profondes racines qu’en France, et où elle cause plus de mal. » Lettres à Madisson, 28 août 1789.

La vérité est qu’en France, depuis plusieurs siècles, le pouvoir central a toujours fait tout ce qu’il a pu pour étendre la centralisation administrative ; il n’a jamais eu dans cette carrière d’autres limites que ses forces.

Le pouvoir central né de la révolution française a marché plus avant en ceci qu’aucun de ses prédécesseurs, parce qu’il a été plus fort et plus savant qu’aucun d’eux. Louis XIV soumettait les détails de l’existence communale aux bons plaisirs d’un intendant ; Napoléon les a soumis à ceux du ministre. C’est toujours le même principe, étendu à des conséquences plus ou moins reculées.

(L) PAGE 160.

Cette immutabilité de la constitution en France est une conséquence forcée de nos lois.

Et pour parler d’abord de la plus importante de toutes les lois, celle qui règle l’ordre de succession au trône, qu’y a-t-il de plus immuable dans son principe qu’un ordre politique fondé sur l’ordre naturel de succession de père en fils ? En 1814, Louis XVIII avait fait reconnaître cette perpétuité de la loi de succession politique en faveur de sa famille ; ceux qui ont réglé les conséquences de la révolution de 1830 ont suivi son exemple : seulement ils ont établi la perpétuité de la loi au profit d’une autre famille ; ils ont imité en ceci le chancelier Meaupou, qui, en instituant le nouveau parlement sur les ruines de l’ancien, eut soin de déclarer dans la même ordonnance que les nouveaux magistrats seraient inamovibles, ainsi que l’étaient leurs prédécesseurs.

Les lois de 1830, non plus que celles de 1814, n’indiquent aucun moyen de changer la constitution. Or, il est évident que les moyens ordinaires de la législation ne sauraient suffire à cela.

De qui le roi tient-il ses pouvoirs ? de la constitution. De qui les pairs ? de la constitution. De qui les députés ? de la constitution. Comment donc le roi, les pairs et les députés, en se réunissant, pourraient-ils changer quelque chose à une loi en vertu de laquelle seule ils gouvernent ? Hors de la constitution ils ne sont rien : sur quel terrain se placeraient-ils donc pour changer la constitution ? De deux choses l’une : ou leurs efforts sont impuissants contre la Charte, qui continue à exister en dépit d’eux, et alors ils continuent à régner en son nom ; ou ils parviennent à changer la Charte, et alors la loi par laquelle ils existaient n’existant plus, ils ne sont plus rien eux-mêmes. En détruisant la Charte, ils se sont détruits.

Cela est bien plus visible encore dans les lois de 1830 que dans celles de 1814. En 1814, le pouvoir royal se plaçait en quelque sorte en dehors et au-dessus de la constitution ; mais en 1830, il est, de son aveu, créé par elle, et n’est absolument rien sans elle.

Ainsi donc une partie de notre constitution est immuable, parce qu’on l’a jointe à la destinée d’une famille ; et l’ensemble de la constitution est également immuable, parce qu’on n’aperçoit point de moyens légaux de la changer.

Tout ceci n’est point applicable à l’Angleterre. L’Angleterre n’ayant point de constitution écrite, qui peut dire qu’on change sa constitution ?

(M) PAGE 160.

Les auteurs les plus estimés qui ont écrit sur la constitution anglaise établissent comme à l’envi cette omnipotence du parlement.

Delolme dit, chap. x, p. 77 : It is a fundamental principle with the English lawyers, that parliament can do every thing ; except making a woman a man or a man a woman.

Blackstone s’explique plus catégoriquement encore, sinon plus énergiquement, que Delolme ; voici en quels termes :

« La puissance et la juridiction du parlement sont si étendues et si absolues, suivant sir Edouard Coke (4 Hist. 36), soit sur les personnes, soit sur les affaires, qu’aucunes limites ne peuvent lui être assignées… On peut, ajoute-il, dire avec vérité de cette cour : Si antiquitatem spectes, est vetustissima ; si dignitatem, est honoratissima ; si jurisdictionem, est capacissima. Son autorité, souveraine et sans contrôle, peut faire confirmer, étendre, restreindre, abroger, révoquer, renouveler et interpréter les lois sur les matières de toutes dénominations ecclésiastiques, temporelles, civiles, militaires, maritimes, criminelles. C’est au parlement que la constitution de ce royaume a confié ce pouvoir despotique et absolu qui, dans tout gouvernement, doit résider quelque part. Les griefs, les remèdes à apporter, les déterminations hors du cours ordinaire des lois, tout est atteint par ce tribunal extraordinaire. Il peut régler ou changer la succession au trône, comme il l’a fait sous les règnes de Henri VIII et de Guillaume III ; il peut altérer la religion nationale établie, comme il l’a fait en diverses circonstances sous les règnes de Henri VIII et de ses enfants ; il peut changer et créer de nouveau la constitution du royaume et des parlements eux-mêmes, comme il l’a fait par l’acte d’union de l’Angleterre et de l’Écosse, et par divers statuts pour les élections triennales et septennales. En un mot, il peut faire tout ce qui n’est pas naturellement impossible : aussi n’a-t-on pas fait scrupule d’appeler son pouvoir, par une figure peut-être trop hardie, la toute-puissance du parlement. »

(N) PAGE 178.

Il n’y a pas de matière sur laquelle les constitutions américaines s’accordent mieux que sur le jugement politique.

Toutes les constitutions qui s’occupent de cet objet donnent à la chambre des représentants le droit exclusif d’accuser ; excepté la seule constitution de la Caroline du Nord, qui accorde ce même droit aux grands jurys (article 23).

Presque toutes les constitutions donnent au sénat, ou à l’assemblée qui en tient la place, le droit exclusif de juger.

Les seules peines que puissent prononcer les tribunaux politiques sont : la destitution ou l’interdiction des fonctions publiques à l’avenir. Il n’y a que la constitution de Virginie qui permette de prononcer toute espèce de peines.

Les crimes qui peuvent donner lieu au jugement politique sont : dans la constitution fédérale (sect. IV, art. I), dans celle d’Indiana (art. 3, p. 23 et 24), de New-York (art. 5), de Delaware (art. 5), la haute trahison, la corruption, et autres grands crimes ou délits ;

Dans la constitution de Massachusetts (chap. 1, sect. 2), de la Caroline du Nord (art. 23) et de Virginie (p. 252), la mauvaise conduite et la mauvaise administration ;

Dans la constitution de New-Hampshire (p. 105), la corruption, les manœuvres coupables et la mauvaise administration ;

Dans le Vermont (chap. II, art. 24), la mauvaise administration ;

Dans la Caroline du Sud (art. 5), le Kentucky (art. 5), le Tennessee (art. 4), l’Ohio (art. I, § 23, 24), la Louisiane (art. 5), le Mississipi (art. 5), l’Alabama (art. 6), la Pensylvanie (art. 4), les délits commis dans les fonctions.

Dans les États d’Illinois, de Géorgie, du Maine et du Connecticut, on ne spécifie aucun crime.

(O) PAGE 277.

Il est vrai que les puissances de l’Europe peuvent faire à l’Union de grandes guerres maritimes ; mais il y a toujours plus de facilité et moins de danger à soutenir une guerre maritime qu’une guerre continentale. La guerre maritime n’exige qu’une seule espèce d’efforts. Un peuple commerçant qui consentira à donner à son gouvernement l’argent nécessaire, est toujours sûr d’avoir des flottes. Or, on peut beaucoup plus aisément déguiser aux nations les sacrifices d’argent que les sacrifices d’hommes et les efforts personnels. D’ailleurs des défaites sur mer compromettent rarement l’existence ou l’indépendance du peuple qui les éprouve.

Quant aux guerres continentales, il est évident que les peuples de l’Europe ne peuvent en faire de dangereuses à l’Union américaine.

Il est bien difficile de transporter ou d’entretenir en Amérique plus de 25,000 soldats ; ce qui représente une nation de 2,000,000 d’hommes à peu près. La plus grande nation européenne luttant de cette manière contre l’Union est dans la même position où serait une nation de 2,000,000 d’habitants en guerre contre une de 12,000,000. Ajoutez à cela que l’Américain est à portée de toutes ses ressources et l’Européen à 1,500 lieues des siennes, et que l’immensité du territoire des États-Unis présenterait seule un obstacle insurmontable à la conquête.

  1. Le 20e degré de longitude, suivant le méridien de Washington, se rapporte à peu près au 99e degré suivant le méridien de Paris.
  2. Ce sont des officiers élus chaque année, et qui, par leurs fonctions, se rapprochent tout à la fois du garde champêtre et de l’officier de police judiciaire en France.
  3. Voyez Mémoires pour servir à l’histoire du droit public de la France en matière d’impôts, p. 654, imprimés à Bruxelles, en 1779.