Des Procédés de Mensuration de l’intelligence musicale

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Des Procédés de Mensuration de l’intelligence musicale
Revue Musicale de Lyon (p. 1-3).

REVUE MUSICALE DE LYON

Paraissant le Dimanche du 20 Octobre au 1er Mai
Léon VALLAS
Directeur — Rédacteur en Chef
Principaux Collaborateurs
Louis AGUETTANT ; Fernand BALDENSPERGER ; Gabriel BERNARD ; M.-D. CALVOCORESSI ; M. DEGAUD ; Henry FELLOT ; Daniel FLEURET ; Paul FRANCHET ; Vincent d’INDY ; André LAMBINET ; Paul LERICHE ; Edmond LOCARD ; A. MARIOTTE ; Marc MATHIEU ; Edouard MILLIOZ ; Antoine SALLÈS ; Jules SAUERWEIN ; Joseph TARDY ; Georges TRICOU ; Jean Vallas ; Léon VALLAS ; G. M. WITKOWSKI.

Des Procédés de Mensuration

de l’intelligence musicale


C’est un axiome courant, dans le monde des psychologues, et surtout des psychologues de salon, qu’il ne saurait y avoir de procédé permettant d’apprécier d’une façon mathématique les limites d’une intelligence, ou, pour parler plus exactement, de transcrire en une formule chiffrée la portée ou l’étendue des processus psychiques chez un individu donné. Ceci se résume d’un mot : il n’y a pas, il ne peut y avoir de psychomètre.

En un sens, nier cet aphorisme serait émettre un paradoxe plaisant. Car enfin, l’intelligence n’étant point chose matérielle, ne comporte pas d’unité de mesure et, d’autre part, le psychisme total d’un sujet, même médiocre, est formé de constituantes tellement complexes, et résulte de la combinaison de tant de facteurs qu’on ne pourra jamais bâtir une équation où toutes ces variables se puissent plier à un calcul.

Et cependant, une école nouvelle est apparue, où l’on prétend soumettre à des mensurations précises l’intimité de nos états de conscience, et graduer nos réactions mentales tout aussi simplement que nos phénomènes physiologiques : et cela s’appelle la psychologie expérimentale ; non pas fallacieusement expérimentale à la façon des romans de Zola, mais savamment, scientifiquement expérimentale, avec un attirail d’appareils mensurateurs, et tout un matériel de laboratoire.

Cette école, qui s’inspire d’illustres devanciers, et profite de lois antérieurement établies, comme celle de Weber Fechner, est chose toute récente cependant, mais les progrès qu’elle vient d’accomplir, avec des maîtres comme Toulouse[1], des adeptes comme Vaschide, Vurpas, Piéron, et tant d’autres, permettent de saisir et d’apprécier, dès maintenant, l’ensemble de sa méthode, et l’espérance de ses résultats. Et je voudrais en mettre au point, aujourd’hui, avec quelques modifications, et quelques idées nouvelles, un côté très spécial et nettement délimité, celui qui a trait à l’intelligence musicale.

J’entends par là, cette facette de l’âme qui regarde l’ensemble des sensations musicales, et qui se compose par conséquent, de toute la hiérarchie des phénomènes psychologiques, depuis la sensation et la perception, jusqu’à la mémoire, l’affectuosité et le jugement ; c’est-à-dire le total des états de conscience, élémentaires ou complexes, appliqués à un seul et même objet : la musique.

Nous verrons qu’en passant des phénomènes simples aux processus élevés, les systèmes psychométriques perdent progressivement de leur exactitude et de leur valeur ; nous chercherons alors, par manière de conclusion et de résumé, si des méthodes nouvelles on peut induire quelque approximation touchant l’estimation d’ensemble de l’intelligence musicale chez un sujet donné, si de telles recherches sont autre chose qu’un vain passe-temps, et s’il est possible d’en recueillir quelque fruit, et d’en tirer quelque vue générale.

Le plus simple des états de conscience, le plus voisin de la physiologie pure, le moins psychique, s’il est permis de s’exprimer ainsi, est évidemment la sensation. Elle peut, cela va sans dire, n’être que subconsciente. Lorsqu’elle est constatée et enregistrée par le moi conscient, elle devient la perception.

Or la limite de perception auditive varie suivant les individus. Il y aura donc une première sériation à pratiquer parmi les sujets en expérience, suivant qu’ils seront plus ou moins aptes à percevoir des sons, et que leur finesse auditive atteindra une plus faible sonorité.

Le dispositif adopté pour cette recherche, par Toulouse et ses collaborateurs est des plus ingénieux. Un flacon rempli d’eau distillée à une pression qui est maintenue constante, est muni d’un robinet laissant passer des gouttes d’eau du poids uniforme de 10 centigrammes. Ce flacon se déplace verticalement le long d’une crémaillère graduée, de telle sorte que la hauteur de chute d’une goutte d’eau soit aussitôt connue. La goutte tombe sur une petite plaque métallique inclinée, disposée au bas de la crémaillère. Le sujet étant assis à la distance acoustique optimum, c’est-à-dire l’oreille à 20 centimètres environ de la plaque sonore, on commence à faire tomber des gouttes d’eau d’une hauteur de 1 centimètre. Aucun bruit n’est perçu. On augmente l’élévation du flacon jusqu’à ce que le sujet accuse nettement une sensation auditive. L’acuité sensorielle sera donc immédiatement chiffrée en centimètres, et les résultats des expériences pratiquées sur divers sujets seront très simplement comparables ; ils disent la limite inférieure d’intensité à laquelle la vibration des arcs de Corti se transforme en états de conscience ; ils font connaître le minimum acousiesthésique pour l’intensité du son.

Restent à déterminer le minimum et le maximum perceptibles dans l’ordre de hauteur du son, c’est-à-dire les nombres maximum et minimum de vibrations audibles pour un sujet donné. Il semble à première vue que l’appareil le plus simple pour une recherche de cet ordre, consisterait en une corde unique fixée par un bout, et munie à son extrémité libre d’un poids tenseur graduellement accru. Un archet mû avec une force toujours égale (de façon à ne pas faire intervenir le facteur intensité), produirait d’abord une série de vibrations non audibles, puis le nombre-limite qui caractériserait le seuil de la perception. Ce premier chiffre obtenu, on augmenterait le poids tenseur de façon à produire des sons extrêmement aigus, et l’on poursuivrait la recherche jusqu’à ce qu’on ait atteint la limite supérieure des perceptions. On chiffrerait alors la capacité auditive du sujet soit simplement par les poids tenseurs maximum et minimum exprimés en grammes (cela à condition que l’on opérât avec une corde étalon, c’est-à-dire toutes conditions, diamètre, densité et longueur de corde, égales d’ailleurs), soit en appliquant la formule :

qui permettrait d’obtenir des résultats comparables, nombrés en vibrations, avec des cordes quelconques, pourvu qu’elles fussent définies.

Mais il ne faut pas perdre de vue qu’une telle expérience renferme un grave élément d’erreur : l’approximation dans l’uniformité d’impulsion donnée à l’archet au au plectre ; ou, en d’autres termes, l’inexactitude du facteur intensité du son. Je propose donc d’user du manuel opératoire suivant :

Soit un récipient, gradué, partiellement rempli de liquide, et dans le goulot duquel pénètre le robinet de l’acoumètre décrit plus haut pour l’étude de la limite d’intensité. On maintiendra constante la distance de la surface liquide à l’extrémité du robinet, c’est-à-dire la hauteur de chute, mais on fera varier la hauteur du liquide, de façon à modifier d’une quantité mensurable la dimension du flacon, et l’on recherchera à partir de quelle limite, pour un sujet donné, une note est perceptible au grave ; un autre récipient analogue, mais naturellement plus petit permettra la détermination de la note aiguë maximum perceptible.

Quant à l’étude de l’acuité auditive en fonction des variations de timbre, elle se heurte à de presque insurmontables difficultés. Nous y reviendrons plus loin.

(À suivre)
Edmond Locard.

L’ÉTRANGER

de VINCENT D’INDY

L’Étranger, la dernière œuvre dramatique de M. d’Indy, a subi la loi commune, et c’est après avoir fait halte à la Monnaie de Bruxelles que la partition nous revient ayant acquis en France le droit de cité. Aujourd’hui la scène lyonnaise accueille cet Étranger… : ne pourrions-nous pas le dire en songeant à l’auteur tout aussi bien qu’à l’œuvre ? M. Vincent d’Indy est presque un inconnu pour le public lyonnais[2], et la séduction rare émanant de sa musique comme de sa personne combien ont eu la joie autour de nous de la goûter ? Les préjugés et les légendes se sont accumulés autour de son nom : cette très simple étude voudrait avoir le mérite de les dissiper en facilitant la compréhension d’une œuvre dont la complexité n’est qu’apparente et qui doit s’imposer à tous par sa grandeur et sa sereine beauté.

Acte Premier

Les violons et les altos dessinent rapidement une souple figure en triolets qui décrit la mer et ses aspects changeants.

i

[partition à transcrire]

Nous sommes en effet au bord de l’Océan et la grande voix des flots parlera tout le long du drame, caressante ou furieuse. Sous les ondulations de ce thème persistant apparaît une mélodie sereine au caractère nettement religieux (ii).

Ce thème capital est extrait d’une antienne de l’Office du Jeudi-Saint.

Ubi Caritas et Amor, ibi Deus est.

  1. Toulouse. — Technique de Psychologie expérimentale (en collaboration avec Vaschide et Piéron). V. aussi l’examen psychophysiologique de Zola, du même auteur.
  2. Cette étude a été écrite l’année dernière (N.D.L.R.)