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Des principes de l’économie politique et de l’impôt/Chapitre 27

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Des principes de l’économie politique et de l’impôt

CHAPITRE XXVII.

DE LA MONNAIE ET DES BANQUES.


On a déjà tant écrit sur la monnaie, que, dans le nombre des personnes qui s’occupent de cette matière, il n’y a guère que les gens à préjugés qui puissent en méconnaître les vrais principes. Je me bornerai donc à un aperçu rapide de quelques unes des lois générales qui règlent la quantité et la valeur de la monnaie.

L’or et l’argent, ainsi que toutes les autres marchandises, n’ont de valeur qu’en proportion de la quantité de travail nécessaire pour les produire et les faire arriver au marché. L’or est quinze fois environ plus cher que l’argent, non pas que la demande en soit plus forte, ni que l’argent soit quinze fois plus abondant que l’or, mais uniquement en raison de ce qu’il faut quinze fois plus de travail pour obtenir une quantité déterminée d’or.

La quantité de monnaie qui peut être employée dans un pays dépend de sa valeur. Si l’or seul était employé pour la circulation des marchandises, il n’en faudrait qu’un quinzième de ce qui serait nécessaire si l’argent était consacré à cette fonction.

La monnaie en circulation ne saurait jamais être assez abondante pour regorger ; car si vous en faites baisser la valeur, vous en augmenterez dans la même proportion la quantité ; et en augmentant sa valeur vous en diminuerez la quantité[1].

Tant que le gouvernement fait frapper des monnaies sans retenir les frais de monnayage, les pièces de monnaies ont une valeur égale à celle de toute autre pièce de même métal, d’un poids et d’une finesse pareils. Mais si le gouvernement retient un droit de monnayage ou de seigneuriage, la pièce de métal frappée excédera en général la valeur de la pièce non frappée de tout le montant de ce droit, parce qu’elle aura exigé plus de travail, ou, ce qui revient au même, la valeur du produit d’une plus grande quantité de travail pour sa fabrication.

Quand l’État seul bat monnaie, il ne peut pas y avoir de limites à ce droit de monnayage ; car, en restreignant la quantité du numéraire, on peut en élever la valeur indéfiniment.

C’est en vertu de ce principe que circule le papier monnaie. Toute sa valeur peut être regardée comme représentant un seigneuriage. Quoique ce papier n’ait point de valeur intrinsèque, cependant, si l’on en borne la quantité, sa valeur échangeable peut égaler la valeur d’une monnaie métallique de la même dénomination, ou de lingots estimés en espèces[2]. C’est encore par le même principe, c’est-à-dire en bornant la quantité de la monnaie que des pièces d’un bas titre peuvent circuler pour la valeur qu’elles auraient eue si leur poids et leur titre étaient ceux fixés par la loi, et non pour la valeur intrinsèque du métal pur qu’elles contiennent. Voilà pourquoi, dans l’histoire des monnaies anglaises, nous trouvons que notre numéraire n’a jamais été déprécié aussi fortement qu’il a été altéré. La raison en est qu’il n’a jamais été multiplié en proportion de sa dépréciation[3]. Le point capital dans l’émission du papier-monnaie, c’est d’être parfaitement éclairé sur les effets qui résultent du principe de la restriction dans les quantités mises en circulation. On voudra à peine croire dans cinquante ans que les directeurs de la banque et les ministres ont soutenu à la fois devant le Parlement, et devant les Comités nommés par les Parlements, que des émissions de billets de la banque d’Angleterre, — en les supposant, mène, affranchies de la faculté qu’ont les porteurs de réclamer des espèces ou des lingots, — que ces émissions dis-je, n’avaient pas et ne pouvaient pas avoir d’action sur le prix des marchandises ou des lingots, ni sur l’état des changes.

Après l’établissement des banques, l’État n’a plus à lui seul le pouvoir de battre monnaie ou d’en faire l’émission. On peut tout aussi bien augmenter la monnaie en circulation, au moyen du papier de banque, que par des espèces ; en sorte que si un État altérait ses monnaies et en limitait la quantité, il ne pourrait en maintenir la valeur ; car les banques auraient la même faculté que le gouvernement d’augmenter la quantité de l’agent de la circulation.

D’après ces principes, il est aisé de voir que pour donner une valeur au papier-monnaie, il n’y a pas besoin qu’il soit payable à vue en espèces monnayées ; il suffit pour cela que la quantité de ce papier soit réglée d’après la valeur du métal qui est reconnu comme mesure commune[4]. Si l’or, d’un poids et d’un titre déterminé, était cette mesure, on pourrait augmenter la quantité du papier à chaque baisse dans la valeur de l’or, ou, ce qui revient au même quant à l’effet ; à chaque hausse dans le prix des marchandises.

« La banque d’Angleterre, dit le docteur Smith, pour avoir émis une trop grande quantité de papier, dont l’excédant lui revenait continuellement à l’échange, a été obligée, pendant plusieurs années de suite, de faire battre de la monnaie d’or jusqu’à concurrence de 500,000 livres st. et de 1,000,000 dans une seule année, ou, par évaluation moyenne, jusqu’à environ 850,000 liv. st. Pour fournir cette immense fabrication, la banque, à cause de l’état usé et dégradé où la monnaie d’or était depuis quelques années, se vit souvent obligée d’acheter jusqu’au prix de 4 liv. st. l’once l’or en lingots, qu’elle émettait bientôt après sur le prix de 3 liv. st. 17 sh. 10 ½ deniers l’once, ce qui lui faisait une perte de 2 ½ à 3 pour cent sur la fabrication d’une somme aussi énorme. Ainsi, quoique la banque n’eût point de droit de seigneuriage à payer, et quoique, à proprement parler, la dépense de fabrication fût aux frais du gouvernement, cette libéralité du gouvernement ne couvrit pas toute la dépense supportée par la banque. »

D’après le principe énoncé plus haut, il me semble très-évident qu’en retirant de la circulation le papier qui rentrait ainsi à la banque, la valeur de toute la monnaie, y compris celle des anciennes espèces monnayées et usées et celle des nouvelles, aurait monté, et, dans ce cas, toutes les demandes sur la banque auraient cessé d’être.

M. Buchanan n’est pourtant pas de cette opinion ; car il dit que la grande dépense que la banque a eu à supporter à cette époque fut occasionnée, non comme le docteur Smith paraît le supposer, par une émission excessive de papier, mais par l’état dégradé de la monnaie métallique, et par le haut prix du lingot qui en était la conséquence. On doit faire attention que la banque, n’ayant d’autre moyen de se procurer des guinées[5] que d’envoyer des lingots à la monnaie pour être frappés, était toujours dans la nécessité d’émettre des guinées neuves en paiement des billets qui lui revenaient, et quand les espèces manquaient en général de poids, et que le prix des lingots était haut à proportion, on trouvait un intérêt à tirer les guinées de poids de la banque en lui donnant son papier en échange, et ensuite à fondre ces guinées, et à en vendre l’or en lingots, avec profits, pour du papier de la banque, avec lequel on se procurait de nouvelles guinées, qu’on fondait et qu’on vendait de même. La banque doit toujours être exposée à se voir ainsi épuisée de son or toutes les fois que les espèces monnayées manqueront de poids, puisque, dans ce cas, il y a toujours un profit aisé et certain à changer constamment le papier de banque contre de l’or. Il est cependant bon d’observer que, quelle qu’ait été, à cette époque, la gêne et la dépense supportées par la banque par suite de l’écoulement de ses espèces, on ne crut pas nécessaire de la dispenser de l’obligation de donner des espèces en paiement de ses billets. »

Il est clair que M. Buchanan pense que toute la monnaie en circulation doit descendre au niveau de la valeur des pièces dégradées ; mais certes, en diminuant la quantité de la monnaie en circulation, tout le surplus peut être élevé à la valeur des meilleures pièces.

Le docteur Smith paraît avoir oublié le principe qu’il a posé lui-même, dans le raisonnement qu’il fait au sujet de la monnaie des colonies. Au lieu d’attribuer sa dépréciation à sa trop grande abondance, il demande si, en admettant que les valeurs coloniales soient parfaitement solides, 100 1. st., payables dans quinze ans, pourraient valoir autant que 100 1. st. payables à vue. Je réponds que oui, si le papier n’est pas trop abondant.

L’expérience prouve cependant que toutes les fois qu’un gouvernement ou une banque a eu la faculté illimitée d’émettre du papier-monnaie, ils en ont toujours abusé. Il s’ensuit que, dans tous les pays, il est nécessaire de restreindre l’émission du papier-monnaie, et de l’assujettir à une surveillance ; et aucun moyen ne paraît mieux calculé pour prévenir l’abus de cette émission, qu’une disposition qui impose à toutes les banques qui émettent du papier, de payer leurs billets, soit en monnaie d’or, soit en lingots.

« Garantir le public[6] contre toutes les variations qui ne seraient pas déterminées par celles de l’étalon lui-même, effectuer les mouvements monétaires au moyen de l’agent le moins coûteux, serait atteindre le degré de perfection le plus élevé auquel on puisse amener la circulation d’un pays. Or, on obtiendrait tous ces avantages si l’on obligeait la banque à délivrer, au lieu de guinées, et en échange de ses billets, des lingots d’or et d’argent, évalués au titre, et au prix de la monnaie : de cette manière, toutes les fois que le papier descendrait au-dessous de la valeur des lingots, on en réduirait immédiatement la quantité. Pour empêcher que le papier ne s’élevât au-dessus des lingots la banque serait en même temps astreinte à échanger son papier contre l’or, au titre et au prix de 3 l. 17 s. l’once. Afin de ne pas surcharger les opérations de la banque, les quantités d’or demandées en échange de papier, au taux de 3 liv. 17 s. 10 ½ et celles offertes à raison de 3 l. 17 s. devraient être de vingt onces au moins. En d’autres termes, la banque serait obligée, à partir de vingt livres, d’acheter toutes les quantités d’or qui lui seraient offertes au prix de 3 1. 17 s.[7] l’once et de vendre celles qui lui seraient demandées au prix de 3 liv. 17 s. 10 ½ ; et le soin qu’auraient les administrateurs, de régler la masse de leur papier la garantirait contre tous les inconvénients qui pourraient résulter de ces dispositions.

La loi devrait laisser en même temps importer et exporter sans entraves tous les lingots. Ces opérations sur les lingots seraient d’ailleurs très-rares si la banque s’attachait à rapporter ses avances et ses émissions au criterium que j’ai déjà si souvent indiqué ; criterium qui consiste dans le prix des lingots au litre, indépendamment de la quantité générale de papier en circulation.

On aurait déjà réalisé une grande partie de mon projet, si l’on obligeait la banque à changer contre ses propres billets des lingots évalués au titre et au prix de la monnaie. On pourrait même, sans dangers pour la sûreté de ses résultats, l’affranchir de la nécessité d’acheter toutes les quantités de lingots qui lui seraient offertes aux prix déterminés, surtout si les ateliers de la monnaie restaient ouverts au public.

En effet, cette disposition tend seulement à empêcher que la monnaie ne s’écarte de la valeur des lingots d’une différence plus grande que celle qui sépare si légèrement à la banque les prix d’achat de ceux de vente ; différence qui serait un degré approximatif vers cette uniformité tant désirée.

Si la banque bornait capricieusement le montant de ses billets ; ils hausseraient de valeur, et l’or semblerait descendre au-dessous des limites auxquelles j’ai propose de fixer les achats de la banque. — Dans ce cas on le porterait à la monnaie, et les coins qu’il aurait servi à frapper, s’ajoutant à la circulation, auraient pour effet d’en abaisser immédiatement la valeur et de la ranimer au taux de l’étalon. — Mais ces moyens n’offrent ni la sécurité, ni l’économie, ni la promptitude de ceux que j’ai proposés, et auxquels la banque ne saurait opposer d’objection sérieuse ; car il est évidemment dans son intérêt d’alimenter la circulation avec son papier plutôt que d’obliger les autres à l’alimenter avec du numéraire.

Sous l’empire d’un tel système, avec une circulation ainsi dirigée, la banque serait affranchie de tous les embarras, de toutes les crises. Les seules éventualités qui pourraient l’atteindre, sont ces événements extraordinaires, qui jettent la panique sur tout un pays, et font que chacun recherche les métaux précieux, comme le moyen le plus commode pour réaliser ou cacher sa propriété. — Il n’est pas de système qui puisse garantir les banques contre de telles éventualités. Leur nature même les y condamne, car, à aucune époque, il ne peut y avoir dans une banque ou dans un pays assez d’espèces ou de lingots pour satisfaire aux justes réclamations des capitalistes qui s’y pressent. — Si chacun voulait réaliser le même jour la balance de son compte chez son banquier, il arriverait souvent que la masse de billets de banque actuellement en circulation ne suffirait pas pour répondre à toutes les demandes. C’est une panique de ce genre qui a déterminé la crise de 1797, et non, comme on l’a supposé, les fortes avances que la banque avait faites au gouvernement. Ni la banque, ni le gouvernement n’étaient alors coupables. — L’invasion soudaine des bureaux de la banque, prit naissance dans les craintes chimériques qui émurent les esprits timides : elle eût aussi bien éclaté dans le cas où la banque n’eût fait aucune avance au gouvernement et où sa réserve eût été double du montant actuel. — Il est même probable que, si elle avait continué à payer à bureaux ouverts et en espèces, elle aurait tué la panique avant d’arriver à l’épuisement de sa réserve[8].

Si l’on réfléchit à l’opinion des directeurs de la banque sur les règles qui gouvernent les émissions de papier, on verra qu’ils n’ont usé de leur privilège qu’avec discrétion.

Il est même évident, qu’animés par des principes arbitraires, ils n’y ont obéi qu’avec une extrême prudence. — Les termes actuels de notre législation leur conservent le pouvoir d’accroître ou de réduire, sans contrôle et dans les proportions qu’ils jugeront convenables, l’ensemble de la circulation. Un tel pouvoir ne devrait appartenir à aucune association, pas même à l’État ; car il ne peut y avoir aucune garantie d’uniformité dans un système où la volonté seule des créateurs de la monnaie peut en décréter l’augmentation ou la diminution. La banque peut réduire aujourd’hui la circulation aux limites les plus extrêmes ; c’est un fait que ne nieront même pas ceux qui pensent avec les directeurs, qu’ils n’ont pas le pouvoir de multiplier l’infini les signes monétaires. Je suis pleinement convaincu qu’il répugne aux intérêts et à la volonté de la banque, d’exercer ce privilège au détriment du public, mais à l’aspect des maux qui peuvent résulter d’une réduction ou d’une augmentation soudaine des agents monétaires, je ne puis que déplorer la facilité avec laquelle l’État a armé la banque d’une prérogative aussi formidable.

Les difficultés auxquelles étaient restées soumises les banques provinciales avant la suspension des paiements en numéraire ont dû prendre, à certaines époques, un caractère sérieux. — Aux moindres symptômes d’une crise réelle ou imaginaire, elles étaient astreintes à se pourvoir de guinées et à s’armer contre les exigences des porteurs. — Elles faisaient alors un appel à la banque. Elles y échangeaient leurs propres billets contre des guinées, qu’un agent de confiance transportait ensuite à leurs frais et risques. Après avoir accompli les fonctions auxquelles elles étaient destinées, les guinées revenaient à Londres, et il est fort probable qu’elles retournaient dans les caisses de la banque toutes les fois que ces déplacements successifs n’avaient pas eu assez d’action pour en diminuer le poids et les réduire au-dessous du type légal.

Si l’on adoptait le plan que j’ai proposé de payer les billets de banque en lingots, il faudrait étendre ce privilège aux banques provinciales ou donner aux bank-notes le caractère de monnaie légale. — Dans ce dernier cas, on se trouverait n’avoir introduit aucun changement dans la législation qui régit ces établissements ; car ils seraient alors sollicités, comme aujourd’hui, à rembourser leur papier en billets de la banque d’Angleterre.

« Ce système, en nous permettant de ne pas exposer les guinées au frottement et à la diminution de poids qui résultent de déplacements multipliés, en nous affranchissant aussi de tous les frais de transports, nous procurerait déjà une économie considérable ; mais l’avantage qui résulterait, pour la marche des petits paiements, serait bien plus sensible encore. En effet la circulation de Londres et des provinces s’effectuerait alors au moyen d’un agent à bon marché, le papier, et délaisserait un agent onéreux, l’or ; — ce qui enrichirait le pays de tous les bénéfices que peut produire l’or abandonné. Il serait donc insensé de renoncer à de tels avantages, à moins que l’on ne découvrît dans l’emploi d’un agent à bas prix des inconvénients manifestes.

« La monnaie est dans l’état le plus parfait quand elle se compose uniquement de papier, mais d’un papier dont la valeur est égale à la la somme d’or qu’il représente. L’usage du papier en place de l’or remplace un agent très-dispendieux au moyen d’un autre qui l’est fort peu, ce qui met le pays, sans qu’il en résulte aucune perte pour les particuliers, en état d’échanger tout l’or qu’il employait auparavant pour la circulation, contre des matières premières, des ustensiles et des subsistances, dont l’usage augmente à la fois la richesse et les jouissances de la nation.

« Sous le point de vue de l’intérêt national, il est tout à fait indifférent que ce soit le gouvernement ou une banque qui fasse l’émission d’un papier-monnaie, si cette émission est dirigée d’après les sages principes que nous venons d’exposer. Que ce soit l’un ou l’autre qui l’émette, il en résultera à peu prés le même accroissement de richesse nationale ; mais l’effet ne sera pas le même quant à l’intérêt des particuliers. Dans un pays où le taux courant de l’intérêt est de 7 pour cent, et où le gouvernement a besoin, pour des dépenses particulières, de 70,000 liv. st. par an, il importe beaucoup aux individus de ce pays, de savoir s’ils paieront ces 70,000 liv. par an impôt annuel, ou s’ils pourront les obtenir sans payer pour cela d’impôt. Supposons qu’il faille un million en argent pour préparer une expédition. Si le gouvernement émettait un million de papier-monnaie l’expédition se ferait sans qu’il en coûtât rien à la nation ; mais si en déplaçant ainsi un million d’argent monnayé, une banque faisait l’émission d’un million de papier, et qu’elle le prêtât au gouvernement a 7 pour cent, en déplaçant de même un million de numéraire, le pays se trouverait grevé d’un impôt perpétuel de 70,000 liv. par an. La nation paierait l’impôt, la banque le recevrait, et la nation resterait, dans les deux cas, aussi riche qu’auparavant. L’expédition aura été réellement faite au moyen du système, par lequel on rend productif un capital de la valeur d’un million, en le convertissant en denrées, au lieu de le laisser improductif sous la forme de numéraire ; mais l’avantage serait, toujours pour ceux qui émettraient le papier ; et comme le gouvernement représente la nation, la nation aurait épargné l’impôt, si elle, et non la banque, avait fait l’émission de ce million de papier-monnaie.

« J’ai déjà observé que, s’il pouvait y avoir une entière garantie qu’on n’abuserait point de la faculté d’émettre du papier-monnaie, il serait tout à fait indifférent pour la richesse nationale, prise collectivement, par qui ce papier fût émis ; et je viens de faire voir que le public aurait un intérêt direct à ce que ce fût l’État, et non une compagnie de marchands ou de banquiers, qui fit cette émission. Il serait cependant plus à craindre que le gouvernement n’abusât de cette faculté qu’une compagnie de banquiers. Une compagnie est, dit-on, plus dépendante des lois ; et quoiqu’il pût être de son intérêt de multiplier ses billets au-delà des bornes prescrites par la prudence, elle serait forcée de s’y renfermer, et de restreindre l’émission de son papier, par la faculté qu’auraient les particuliers d’exiger des lingots ou des espèces en échange des billets de banque. On prétend que, si le gouvernement avait le privilège démettre du papier, il ne respecterait pas longtemps cette disposition qui le gênerait ; on croit qu’il serait trop porté à sacrifier la tranquillité de l’avenir à l’intérêt du moment, et qu’il pourrait par conséquent, en alléguant des motifs d’urgence, se débarrasser de toute entrave qui bornerait le montant de ses émissions de papier.

« Cette objection est d’un grand poids quant à un gouvernement absolu ; mais dans un pays libre, avec une législature éclairée, la faculté d’émettre du papier avec la clause indispensable qu’il soit échangeable au gré du porteur, pourrait être en toute sûreté confiée à des commissaires nommés spécialement pour cet objet, et on pourrait les rendre entièrement indépendants de l’influence des ministres.

« Le fonds d’amortissement est administré par des commissaires qui ne sont responsables de leur gestion qu’au parlement, et le placement des sommes qui leur sont confiées se fait avec la plus grande régularité ; quelle raison peut-il donc y avoir de douter que l’émission du papier ne pût être réglée avec la même exactitude, si on la confiait à une administration du même genre[9] ? »

On pourrait objecter que, quoique l’avantage que tirerait l’État, et par conséquent le public, de ce mode démission de papier-monnaie, soit assez évident, puisqu’on convertirait par là une partie de la dette nationale portant un intérêt payé par le public, en dette sans intérêt ; on pourrait objecter, dis-je, que cependant cela serait nuisible au commerce ; en empêchant les négociants d’emprunter de l’argent, et d’escompter leurs lettres de change ce qui forme, en partie, la manière dont se fait l’émission des billets de banque.

Cela suppose qu’il serait impossible de trouver de l’argent à emprunter si la banque n’en prêtait pas, et que le taux courant de l’intérêt et des profits tient au montant de l’émission de la monnaie et à la voie par laquelle se fait cette émission ; mais comme le pays ne manquerait ni de drap, ni de vin, ni d’aucune autre marchandise, s’il avait les moyens de l’acheter, de même on ne manquerait pas d’y trouver de capitaux à prêter, pourvu que les emprunteurs eussent de bonnes garanties, et fussent disposés à payer le taux courant de l’intérêt pour l’argent prêté.

Dans une autre partie de cet ouvrage, j’ai tâché de faire voir que la valeur réelle d’une chose se règle, non d’après les avantages accidentels dont peuvent jouir quelques-uns de ses producteurs, mais bien d’après la difficulté réelle qu’éprouve le producteur le moins favorisé. Il en est de même par rapport à l’intérêt de l’argent ; il ne se règle pas d’après le taux auquel la banque veut prêter, que ce soit à 5, 4 ou 3 pour cent, mais bien d’après le taux des profits qu’on peut retirer de l’emploi des capitaux, et qui est tout à fait indépendant de la quantité ou de la valeur de l’argent. Qu’une banque prête un, dix ou cent millions, cela n’apportera aucun changement au taux courant de l’intérêt ; la banque ne fera que changer la valeur de la monnaie qu’elle mettra ainsi en circulation. Dans l’un de ces cas, il faudra dix ou vingt fois plus de monnaie pour faire un certain commerce, qu’il n’en faudrait dans l’autre. La demande d’argent à la banque dépend donc du taux des profits qu’on peut retirer de son emploi, comparé avec le taux d’intérêt auquel la banque le prête. Si elle prend moins que le taux courant de l’intérêt, elle peut prêter indéfiniment ; si elle prend plus que ce taux, il n’y aura que des dissipateurs et des prodigues qui consentent à lui emprunter. C’est pourquoi nous voyons que toutes les fois que le taux courant de l’intérêt excède 5 pour cent, qui est le taux auquel la Banque prête toujours, son bureau d’escompte est encombré de gens qui demandent de l’argent, et au contraire, quand le taux courant est, même pour peu de temps, au-dessous de 5 pour cent les commis de ce bureau n’ont rien à faire.

Ce qui a donc fait dire que la banque d’Angleterre avait, pendant les derniers vingt ans, donné de grands secours au commerce, en prêtant de l’argent aux commerçants, c’est que pendant toute cette époque, elle a prêté de l’argent au-dessous du taux courant de l’intérêt sur la place, c’est-à-dire au-dessous du taux auquel les commerçants pouvaient emprunter ailleurs ; mais, quant à moi, j’avoue que cela me semble plutôt une objection contre cet établissement, qu’un argument en sa faveur.

Que dirait-on d’un établissement qui approvisionnerait régulièrement la moitié des fabricants de drap, de laine, au-dessous du prix courant du marché ? Quel bien cela ferait-il à la communauté ? Cela ne donnerait pas plus d’étendue à notre commerce ; car la laine aurait été achetée également si on l’avait vendue au prix courant du marché. Cela ne ferait pas baisser le prix du drap pour le consommateur, parce que le prix, comme je l’ai déjà dit, se règle d’après ce que la production du drap coûte aux fabricants les moins favorisés. L’unique effet que cela produirait serait donc de grossir les profits d’une partie des fabricants de drap au delà du taux général et ordinaire des profits des autres. L’établissement supposé se priverait d’une partie de ses justes profits pour en faire jouir une autre partie de la communauté. Tel est précisément l’effet de nos établissements de banque. La loi fixe un taux d’intérêt au-dessous de celui auquel on le trouve à emprunter sur la place, et c’est au taux légal qu’on exige que la banque prête, en lui interdisant de prêter à un autre. Par la nature de son établissement, la banque possède des fonds considérables qu’elle ne peut placer que de cette manière ; et il en résulte qu’une partie des commerçants du royaume en tire un avantage indu, et qui est tout à fait perdu pour la nation, en obtenant ainsi un instrument du commerce à un taux plus bas que les personnes qui sont forcées d’être sous l’influence du prix courant de la place.

La somme totale des affaires de commerce que la communauté peut faire, dépend de la quantité de son capital, c’est-à-dire des matières premières, des machines, des subsistances, des navires, etc., employés à la production. Après l’établissement d’un papier-monnaie sagement réglé, les opérations des banques ne sauraient augmenter ni diminuer la somme de ce capital. Si le gouvernement faisait donc l’émission d’un papier-monnaie national, quoiqu’il n’escomptât pas un seul effet, et ne prêtât pas un seul schilling au public, il n’y aurait pais la moindre altération dans le mouvement du commerce ; car il y aurait la même quantité de matières premières, de machines, de subsistances, de navires, etc., et vraisemblablement il y aurait autant d’argent à prêter, non pas, à la vérité, à 5 pour cent, taux fixé par la loi, mais à 6, à 7 ou à 8 pour cent, — ce qui serait le résultat de la concurrence franche, sur le marché, entre les préteurs et les emprunteurs.

Adam Smith parle des avantages que les marchands retirent en Écosse, par la manière dont les banques de ce pays traitent les commerçants, en ouvrant des comptes courants, système qui lui parait très-supérieur à celui adopté en Angleterre. Ces comptes courants, ou de caisse, sont des crédits que le banquier écossais donne aux négociants, en sus des lettres de change qu’il leur escompte ; mais comme le banquier, à mesure qu’il avance de l’argent et qu’il le met en circulation par une voie, se trouve dans l’impossibilité dans émettre par une autre, il n’est pas aisé de concevoir en quoi cet avantage consiste. Si toute la circulation n’a besoin que d’un million de papier, il n’en circulera qu’un million ; il ne peut pas être d’une importance réelle pour le banquier ou pour le commerçant, que cette somme soit émise en escompte de lettres de change, ou qu’une partie seulement soit employée à cet usage, le reste étant émis sous la forme de ces comptes de caisse.

Il me semble nécessaire de dire quelques mots au sujet des deux métaux, l’or et l’argent, qui sont employés comme monnaie, surtout parce que cette question parait avoir, dans l’esprit de beaucoup de personnes, jeté de l’obscurité sur les principes évidents et simples de la théorie des monnaies. « En Angleterre, dit le docteur Smith, on ne fut pas légalement admis à s’acquitter en or, même longtemps après qu’on y eût frappé des monnaies d’or. Aucune loi ou proclamation publique n’y fixait la proportion entre l’or et l’argent ; on laissait au marché à la déterminer. Si un débiteur offrait de payer en or, le créancier avait le droit de refuser tout-à-fait, ou bien d’accepter cette offre d’après une évaluation de l’or faite à l’amiable entre lui et son débiteur. »

Dans un tel état de choses, il est évident qu’une guinée aurait tantôt passé pour 22 sh. ou plus, et quelquefois elle n’aurait valu que 18 sh. ou moins, ce qui aurait dépendu uniquement du changement de la valeur courante relative de l’or et de l’argent. Et toutes les variations dans la valeur de l’or, aussi bien que celles dans la valeur de l’argent, auraient été estimées en monnaie d’or, comme si l’argent avait eu une valeur invariable, tandis que l’or aurait été sujet à monter ou à baisser de prix. Quoique une guinée passât pour 22 sh. au lieu de 18 sh., l’or aurait pu ne pas avoir changé de valeur, cette différence étant uniquement due à celle de l’argent ; et par conséquent 22 sh. pouvaient n’avoir pas plus de valeur que 18 sh. n’en avaient auparavant ; et, au contraire, toute cette différence aurait pu être due à l’or, une guinée qui valait 18 sh. ayant pu hausser jusqu’à valoir 22 sh.

Si, maintenant, nous supposons la monnaie d’argent rognée et en même temps augmentée en quantité, la guinée pourrait passer pour 30 sh., parce que l’argent contenu dans ces 30 sh. de monnaie dégradée, pourrait n’avoir pas plus de valeur que l’or d’une guinée. En rendant aux pièces d’argent monnayé leur valeur intrinsèque, l’argent monnayé hausserait de prix ; mais l’or paraîtrait tomber, car une guinée ne vaudrait probablement pas alors plus de 21 bons shillings.

Si l’or devient aussi un moyen légal de paiement, et que chaque débiteur soit libre d’acquitter une dette de 21 l. st., en payant 420 sh., ou 21 guinées, il paiera en or ou en argent, selon qu’il aura l’un ou l’autre à meilleur marché. S’il peut, avec cinq quarters de froment, acheter autant d’or en lingots que la monnaie en met dans vingt guinées ; et si, avec la même quantité de froment, il peut acheter autant d’argent en lingots que la monnaie en emploie à frapper 430 shillings, il aimera mieux acquitter sa dette en argent ; car il gagnera par là 10 shillings. Mais si, au contraire, il pouvait avec ce froment se procurer assez d’or pour faire frapper 20 guinées et demie, et seulement autant d’argent qu’il en faudrait pour frapper 420 shillings, il préfèrerait naturellement acquitter sa dette en or. Si la quantité d’or qu’il pourrait obtenir ne rendait, étant frappée, que 20 guinées ; et si l’argent obtenu de même ne donnait que 420 shillings, il lui serait parfaitement égal d’acquitter sa dette en or ou en argent. Ce n’est donc pas une affaire de pur hasard ; ce n’est jamais parce que l’or convient mieux pour agent de la circulation d’un pays riche, qu’on le préfère à l’argent pour acquitter des dettes ; cela vient uniquement de ce qu’il est de l’intérêt du débiteur de les acquitter dans ce métal.

Pendant un temps considérable, avant l’année 1797, date de la suspension des paiements en espèces, l’or était à si bas prix, comparé à l’argent, qu’il était avantageux à la banque d’Angleterre, ainsi qu’à tout autre débiteur, d’acheter de l’or, et non de l’argent, pour le faire frapper à la monnaie, car on pouvait acquitter les dettes à meilleur compte dans ces espèces monnayées. L’argent monnayé fut, pendant une grande partie de cette époque, très-dégradé ; mais comme il était rare, il ne baissa jamais dans sa valeur courante, et cela, en raison du principe que je viens d’expliquer. Quoique la monnaie d’argent fût si dégradée, c’était toujours l’intérêt des débiteurs de payer en or. Si, cependant, cette monnaie d’argent dégradée eût été extrêmement abondante, les débiteurs auraient pu trouver de l’avantage à s’en servir pour acquitter leurs dettes ; mais la quantité en étant bornée, sa valeur se soutenait, et par conséquent l’or était, dans le fait, la véritable monnaie courante.

Personne n’en a jamais douté ; mais on a prétendu que cela était l’effet de la loi qui avait déclaré que l’argent ne serait pas un moyen légal de paiement pour toute somme au-dessus de 25 l. st., à moins qu’il ne fût pris d’après son poids, et au titre de la monnaie.

Mais cette loi n’empêchait aucun débiteur de payer une dette, quelque forte qu’elle fût, en argent monnayé sortant de la Monnaie ; et si les créanciers ne payaient pas avec ce métal, ce n’était ni par un effet du hasard ni par force, mais uniquement parce qu’il ne leur convenait pas de porter leur argent à la Monnaie pour l’y faire frapper, tandis qu’il leur convenait fort d’y porter de l’or. Il est vraisemblable que si la quantité de cette monnaie dégradée d’argent en circulation eût été extrêmement multipliée, et qu’elle eût été en même temps un moyen légal de paiement, il est probable, dis-je, qu’une guinée eût acquis de nouveau la valeur de 30 shillings ; mais, dans ce cas, c’est le shilling dégradé qui aurait baissé de valeur, et non la guinée qui aurait monté.

Il paraît donc que, tant que ces métaux ont été légalement recevables en paiement des dettes d’une valeur quelconque, on est resté constamment exposé à des variations dans la mesure principale de la valeur. L’or ou l’argent ont été tour à tour cette mesure ; ce qui provint entièrement des variations dans la valeur relative des deux métaux Aussi toutes les fois qu’un des deux cessa d’être la mesure de la valeur, on le fondit en le retirant de la circulation, parce que sa valeur en lingots excédait celle qu’il avait en monnaie. C’était un inconvénient qu’il importait beaucoup de faire disparaître ; mais telle est la marche lente de toute amélioration, que, quoique Locke l’eût démontré sans réplique, et que les écrivains qui, depuis, ont écrit sur les monnaies, en aient fait mention, ce n’est que dans la dernière session du Parlement, en 1816, qu’il a été déclaré que l’or seul était un moyen de paiement légal pour toute somme excédant quarante shillings.

Le docteur Smith ne paraît pas avoir bien compris les effets qui résultent d’employer à la fois deux métaux comme monnaie courante et comme moyen légal de paiement des dettes, quel qu’en soit le montant ; car il dit : « Dans le fait, pendant tout le temps que dure et continue une proportion déterminée entre la valeur respective des différents métaux monnayés, la valeur du plus précieux des deux règle celle de toutes les espèces monnayées. » Parce que, de son temps, l’or était le métal que les débiteurs préféraient pour acquitter leurs dettes, il a cru que ce métal possédait quelque propriété qui lui était inhérente, et moyennant laquelle il réglait à cette époque, comme il devait régler toujours la valeur de la monnaie d’argent.

À l’époque de la refonte des monnaies d’or, en 1774, une guinée nouvellement frappée à la Monnaie ne s’échangeait que contre 21 shillings dégradés ; mais sous le roi Guillaume, la monnaie d’argent étant également dégradée, une guinée nouvellement frappée s’échangeait contre 30 shillings. Là-dessus M. Buchanan fait l’observation suivante : « Voici donc un fait très-singulier, et duquel les théories reçues n’offrent aucune explication ; nous voyons à une époque la guinée s’échangeant contre 30 shillings dégradés (qui était sa valeur intrinsèque), et plus tard cette même guinée ne s’échangeant plus que contre 21 de ces mêmes schillings dégradés. Il faut nécessairement qu’il se soit opéré quelque changement remarquable dans l’état des monnaies entre ces deux époques, changement sur lequel le docteur Smith ne donne aucun éclaircissement. »

Il me semble que la solution de cette difficulté est très-aisée, si l’on explique la différence dans la valeur de la guinée aux deux époques mentionnées, par les différentes quantités de monnaie d’argent dégradée qui se trouvait en circulation. Sous le règne du roi Guillaume, l’or n’était pas un moyen légal de paiement, il n’avait qu’une valeur de convention. Tous les forts paiements étaient vraisemblablement faits en monnaie d’argent, surtout en raison de ce que le papier-monnaie, et les opérations de banque étaient, à cette époque, peu compris. La quantité de cette monnaie d’argent dégradée excédait la quantité de la monnaie d’argent dégradée qui serait restée en circulation, si la bonne monnaie avait seule eu cours, et par conséquent elle se trouvait non-seulement dégradée, mais encore dépréciée. Mais dans la suite, lorsque l’or devint moyen légal de paiement, et qu’on employa aussi des billets de banque dans les paiements, la quantité de monnaie dégradée d’argent n’excéda pas la quantité de la bonne monnaie d’argent nouvellement frappée qui aurait circulé s’il n’y avait pas en de monnaie dégradée d’argent ; c’est pourquoi, quoique cette monnaie fût altérée, elle ne fut pas dépré­ciée. L’explication qu’en donne M. Buchanan est un peu différente ; il croit que la monnaie du métal qui domine dans la circulation, est sujette à la dépréciation, mais que l’agent subalterne ne l’est pas. Sous le roi Guillaume, la monnaie principale qui était d’argent, fut par conséquent sujette à être dépréciée. En 1774, l’argent n’était plus que subsidiaire, et en conséquence il conserva sa valeur. La dépréciation des monnaies ne dépend cependant pas de ce qu’un des métaux est l’agent principal de la circulation, et l’autre un agent subsidiaire ; elle ne provient que de ce que la quantité d’un métal monnayé jeté dans la circulation est excessive[10].

Il n’y a pas grand inconvénient à établir un droit modéré de monnayage, surtout sur la monnaie destinée au paiement des petites sommes. Les pièces frappées acquièrent en général un surcroît de valeur égal au montant du droit, et cet impôt est par conséquent un de ceux qui n’affectent nullement ceux qui le paient, tant que la quantité de monnaie en circulation n’est pas excessive. Il faut cependant remarquer que, dans un pays où il y a un papier-monnaie en circulation, quoique ceux qui l’émettent soient tenus de le rembourser en espèces, si le porteur l’exige, il peut cependant arriver que ces billets, ainsi que les espèces, soient dépréciés de tout le montant du droit de monnayage établi sur le métal reconnu comme le seul moyen légal de paiement, et cela, avant que les règlements tendant à limiter la circulation du papier aient pu opérer. Si le droit de monnayage sur les pièces d’or était, par exemple, de 5 pour 100, la monnaie courante pourrait, par une forte émission de billets de banque, se trouver réellement dépréciée de 5 pour 100 avant que les porteurs de ces billets eussent trouvé de l’intérêt à les échanger contre des espèces pour les fondre en lingots.

Nous ne serions jamais exposés à éprouver une pareille dépréciation, s’il n’existait point de droit de monnayage ; ou si, malgré l’existence du droit, les porteurs de billets de banque pouvaient en demander le remboursement en lingots, à 3 l. 17 sh. 10 ½ d., prix de la monnaie, et non en espèces monnayées. À moins donc que la banque ne soit tenue de rembourser ses billets en lingots ou en espèces monnayées au gré du porteur, la loi récente qui a établi en Angleterre un droit de monnayage de 6 pour 100, ou de quatre pence par once d’argent, mais en ordonnant que l’or sera frappé par la monnaie sans frais, est peut-être la mesure la plus sage, et la plus efficace pour empêcher toute variation inutile dans les monnaies[11].

    des affaires de la banque qui fut rendu public, et jointe à l’emploi de ses billets dans les paiements publics, prévint toute interruption dans leur circulation ; et, grâce à la modération qui présida aux émissions, ils continuèrent pendant trois ans à être parfaitement équivalents à l’or.

    « La première baisse dans la valeur des billets de banque comparés à l’or commença vers la fin de 1800. Les faibles récoltes de-cette année amenèrent une exportation considérable de métaux précieux ; mais au lieu de diminuer leurs émissions, comme le leur ordonnaient les vrais principes, et comme ils eussent été obligés de le faire dans le cas où on leur eût imposé l’obligation de payer en argent, les directeurs ajoutèrent encore à la quantité de leurs billets existants, et la conséquence immédiate fut que ceux-ci subirent une dépréciation de 8 pour 100 comparés avec l’or. Mais bientôt après ils reprirent leur valeur ; et de 1803 à 1808 inclusivement, ils n’offraient plus qu’un escompte de 2 livres 13 scb. 3 deniers pour 100. En 1809 et 1810 cependant, les directeurs parurent avoir méprisé tous les principes qui avaient jusque là gouverné leurs émissions. La quantité moyenne de bank-notes en circulation, qui n’avait jamais dépassé 17 millions l/2, ni été au-dessous de 16 millions 1/2 dans aucune des années de 1802 à 1808 inclusivement, s’éleva en 1.809 à 18,927,833 livres, et en 1810 à 22,541,523 livres. Les émissions des banques de province s’accrurent dans un rapport encore plus grand, et comme il ne se manifesta pas qui développement relatif dans les affaires du pays, l’escompte sur les bank-notes s’éleva, de 2 liv. 13 sch. 2 deniers vers le commencement de 1809, à 13 livres 9 schellings 6 deniers en 1810. Cette chute extraordinaire dans la valeur du papier comparée à celle de l’or, jointe comme elle le fut à une baisse égale dans le change, excita au plus haut point l’attention, et en février 1810, un comité de la Chambre des communes fut désigné pour rechercher les causes du haut prix des lingots d’or, et de l’état du change. Le comité consulta plusieurs négociants et banquiers, et son rapport, principalement rédigé par, M. Francis Horner, renferme une habile réfutation des chiffres et des doctrines posés par ceux qui soutenaient que la baisse du change et le haut prix des lingots devaient être entièrement attribués à nos dépenses au dehors et à l’état spécial de nos relations avec les autres puissances, et ne tenaient nullement aux quantités additionnelles de papier qui étaient venues grossir la circulation. Mais la Chambre des communes refusa de sanctionner le projet par lequel le comité invitait la banque à reprendre ses paiements en espèces au bout de deux ans. Aussi, en mai 1811, époque à laquelle les guinées emportaient couramment une prime, et où les bank-notes éprouvaient un escompte avoué de plus de 10 pour 100 comparés aux lingots d’or, la Chambre des communes adopta, à une grande majorité, la résolution proposée par M. Vansittart (actuellement lord Bexley), déclarant que les engagements de la banque d’Angleterre avaient été jusqu’alors, et étaient encore en ce moment considérés dans l’opinion publique comme équivalents à la monnaie légale du royaume.

    « Cette résolution, tellement extraordinaire qu’elle était contraire au simple

    bon sens, dégagea les directeurs de la banque de toute crainte relativement à l’intervention du Parlement, et les encouragea à accroître le nombre de leurs billets en circulation. Les émissions des banques provinciales s’augmentèrent encore plus rapidement que celles de la banque d’Angleterre. La facilité d’être admis à l’escompte fut telle, que des individus qui pouvaient à peine payer le timbre de leurs billets réussirent très-fréquemment à obtenir de vastes capitaux ; et comme ils ne risquaient rien personnellement,’ils se livrèrent audacieusement aux spéculations les plus hasardées. M. Wakefield, dont la position lui offrit tant d’occasions de recueillir des renseignements exacts, informa le comité d’agriculture, en 1821, que « jusqu’à l’année 1813, il existait des banques sur presque tous les points du territoire, qui forçaient l’entrée de leur papier dans la circulation au prix d’énormes dépenses pour elles-mêmes, et, en beaucoup de cas, aux prix de leur ruine. » Et parmi les diverses réponses qui furent adressées aux enquêtes du conseil d’agriculture en 1816 par les citoyens les plus intelligents des différents districts du pays, il en est à peine une dans laquelle l’émission exagérée des billets de banque ne soit pas particulièrement désignée comme l’une des causes prédominantes de la hausse, sans antécédent encore, qui avait atteint les rentes et les prix.

    « Le prix du blé s’était élevé à un chiffre extraordinaire pendant les cinq années qui finirent en 1813. Mais partie en raison de la brillante récolte de cette année, partie, et principalement peut-être par suite de l’ouverture des ports hollandais et du renouvellement des relations avec le continent, les prix fléchirent considérablement vers la fin de l’année 1813 et le commencement de 1814. Et cette baisse ayant produit un manque de confiance, et répandu l’alarmé parmi les banques de province et leurs clients, détermina une destruction de papier de province qui n’a pu être égalée que par celle de 1825. En 1814, 1815 et 1816, on ne vit pas moins de 240 banques suspendre leurs paiements ; 89 accusations de banqueroute furent lancées contre ces établissements, et cela dans le rapport d’une accusation contre 10 1/2 banques de province existant en 1813. Les faillites qui s’ouvrirent alors furent les plus désastreuses, car elles atteignaient principalement les classes ouvrières, et dévoraient ainsi en un moment les fruits d’une longue vie de travail et d’économie. Des milliers d’individus, qui avaient en 1812 rêvé l’aisance, se trouvèrent dépourvus de toute véritable propriété, et plongés, comme par enchantement, sans qu’il y eût faute de leur part, dans l’abîme de la pauvreté.

    « La destruction du papier des banques de province en 1814,1815 et 1816, en réduisant la masse totale mise en circulation, éleva sa valeur, en 1816, à une presque égalité avec l’or. Et cette hausse ayant matériellement facilité un retour aux paiements en espèces, on commença à être généralement convaincu de l’opportunité qu’il y aurait à rapporter le décret sur les paiements en argent de la banque d’Angleterre. Ceci fut effectué en 1819 par l’acte 59 de Georges III, chap. 78, communément appelé bill de Peel, parce qu’il avait été proposé et obtenu à la Chambre des communes par sir Robert Peel.

    « On sera justement étonné que, malgré la leçons sévères des banqueroutes de 1793, 1814, 1815 et 1816, occasionnées d’une manière si funeste par le système des banques de province, il ne fut fait aucun pas en 1819, même après la reprise des paiements en espèces pour reconstituer ce système et le fonder sur des bases plus solides. Les nations sont des écoliers lents et rétifs, et il semble qu’une expérience complémentaire était nécessaire pour convaincre le parlement et le peuple d’Angleterre qu’il existait quelque chose de défectueux dans un système qui, dans deux circonstances antérieures, avait inondé le pays de banqueroutes, et qui décernait à tout individu, même pauvre ou sans principes, mais qui se sent porté à être banquier, le droit d’émettre des billets qui serviront comme monnaie dans les transactions habituelles de la société. La crise qui survint en 1825 et 1826 fut le résultat naturel de cet état de choses, et eût pu être prévue par tout individu instruit des principes sur lesquels doivent se baser les opérations des banques, ou de l’histoire précédente de ces banques dans le pays.

    « Ces événements persuadèrent enfin le Parlement et le public de ce dont ils eussent dû être convaincus longtemps avant, c’est-à-dire que le système des banques privées en Angleterre et dans les Galles était au plus haut degré faible et vicieux, et qu’il était impérieusement nécessaire de le réformer et le fortifier. Dans ce dessein, l’acte de 1708, limitant le nombre des associés d’une banque à six, fut rapporté avec le consentement de la banque d’Angleterre. Permission fut accordée d’établir des joint-stock banks, banques à fonds réunis ou par actions, composées d’un nombre illimité d’actionnaires, pour l’émission de billets payables, sur tous les points du territoire, mais au delà d’un rayon de soixante-cinq milles seulement, autour de Londres. On autorisa en même temps l’institution, à Londres, de joint-stock banks pour les dépôts ou banques destinées à prendre soin de l’argent de leurs commettants. Après les restrictions imposées aux paiements en espèces, en 1797, la Banque d’Angleterre commença à émettre, pour la première fois, des billets d’une livre, opération dans laquelle elle fut imitée par la plupart des banques de province. La première retira ses billets d’une livre peu après la reprise des paiements en espèces, en 1821 ; mais les billets similaires des banques de province continuèrent à circuler, et formèrent un des principaux canaux par lesquels elles faisaient pénétrer leur papier dans la circulation. Eh 1826, cependant, l’émission des billets d’une livre fut définitivement prohibée après une certaine époque spécifiée en Angleterre et dans les Galles ; et, depuis 1829, il ne fut plus permis de créer des billets de moins de cinq livres.

    « La dernière de ces mesures réparatrices, c’est-à-dire la suppression de billets d’une livre, a indubitablement fermé une des voies les plus aisées et les plus sûres dont se servaient les classes inférieures des banques de province pour écouler leur papier, et elle a été sous ce rapport très-avantageuse. Mais un grand nombre d’autres routes leur demeurent ouvertes ; et l’exemple de 1792-93, alors qu’il n’existait point de billets au-dessous de cinq livres en circulation, démontre

    victorieusement que la suppression des billets d’une livre n’offre aucune sécurité contre les sur-émissions, les paniques, contre rien enfin, sinon contre une banqueroute universelle.

     » Ce fut cependant de la seconde mesure, celle autorisant l’établissement des joint-stock banks, qu’on attendait les plus grands avantages. Peut-être serait-ce une exagération que d’affirmer que ces espérances ont été complètement déçues ; mais, si quelques attentes ont été réalisées, elles sont bien peu importantes. Il aurait été, en effet, facile de prédire, à l’origine de cette institution, comme cela eut lieu, du reste, que le seul établissement des joint-stock banks ne fournirait aucun remède contre les maux primitivement inhérents à notre système financier. Une banque avec sept, soixante-dix ou sept cents associés peut n’être pas appelée à plus de crédit qu’une autre banque avec cinq ou six, et peut-être même à moins. La fortune des associés d’une banque privée peut excéder celle des associés d’une vaste banque par actions ; et il est probable que les opérations de la plus petite banque étant conduites par les intéressés eux-mêmes, le seront plus prudemment et plus économiquement que celles d’une grande banque, qui doivent nécessairement être confiées à des agents sur lesquels ne plane qu’un contrôle inefficace. On ne peut concevoir de plus grande erreur que celle qui décide que parce qu’une banque a un plus grand nombre d’associés, elle est plus digne de là confiance publique. Celle-ci devant dépendre de leur richesse et de leur intelligence, mais non de leur nombre : ce serait substituer la masse au mérite. La richesse seule ne peut suffire à mettre en rapport les émissions de papier avec les besoins. Les joint-stock banks demeurent aussi loin, et, si cela est possible, plus loin même de ce critérium que les banques privées. C’est, en effet, la plus grossière des erreurs et des illusions, que de supposer qu’il est possible de faire disparaître les fluctuations dans la masse et la valeur de la monnaie, par cela seul qu’elle sera fournie par différents agents. Tant qu’un individu ou une réunion d’individus, quelque tarés qu’ils puissent être, jouiront du privilége royal d’émettre du papier sans autorisation ni obstacles, on verra ce papier s’accroître démesurément aux époques de confiance, et disparaître aussitôt que les prix et la confiance s’ébranleront. Si l’on désire que le pays soit à jamais dévoré par une fièvre intermittente, et livré tantôt aux accès de sur-excitation, tantôt à un état d’atonie qui en est la suite inévitable, il n’est pas de meilleur moyen à employer que notre système financier actuel. Mais nous pensons que le lecteur se joindra à nous, dans la pensée qu’une fièvre de cette nature est aussi fatale au corps politique qu’au corps physique ; et que si l’on n’opère une cure radicale, elle paralysera et détruira le malade. Mac Culloch.

  1. « Les usages de l’or et de l’argent établissent donc en chaque lieu un certain besoin de cette marchandise ; et lorsque le pays en possède la quantité nécessaire pour satisfaire à ce besoin, ce qui s’introduit de plus, n’étant recherché de personne, forme des valeurs dormantes qui sont à charge à leurs possesseurs. » — J.-B. Say, liv. I, chap, 17.

    Dans une autre partie du même chapitre, M. Say dit que si, pour les communications intérieures d’un pays, il fallait l’emploi de mille voitures, et qu’on en possédât quinze cents, tout ce qui excéderait les mille serait inutile ; et de là il conclut que si un pays possédait plus que la quantité nécessaire de monnaie, l’excédant resterait sans emploi. (Note de l’Auteur).

  2. Cet exemple devrait suffire, ce semble, pour convaincre l’auteur que la base de toute valeur est, non pas la quantité de travail nécessaire pour faire une marchandise, mais le besoin qu’on en a, balancé par sa rareté. Le travail, ou en général les frais de production, sont une difficulté à vaincre qui borne la quantité d’une marchandise qu’on peut apporter sur le marché, et c’est en ce sens qu’ils sont un des éléments de la valeur des choses. Mais quand cette rareté est volontaire, l’effet est le même. — J.-B. Say.
  3. Tout ce que je dis des monnaies d’or est également applicable à celles d’argent, et il serait inutile de les désigner toutes les deux à tout propos. (Note de l’Auteur).
  4. Cette vérité aurait pu être énoncée par dix auteurs judicieux, et néanmoins être révoquée en doute par autant d’imbéciles, si ce qui est arrivé dans ces derniers temps aux billets de la banque d’Angleterre n’était venu confirmer l’assertion, par un mémorable exemple. Le gouvernement anglais ne pouvant, en 1797, rembourser à la Banque les avances que cette compagnie lui avait faites, l’autorisa à faire une véritable banqueroute, qui dure encore, et à ne pas payer ses billets payables à vue. Malgré ce manque de foi, et quoique la Banque n’ait point de valeur réelle à offrir pour gage de ses billets (car les engagements du Trésor ne sont que des promesses), nous avons vu récemment les billets de banque remonter au pair des espèces monnayées, non, comme on affecte de le dire, à cause du crédit du gouvernement et de l’esprit national des Anglais qui s’obstine à soutenir la valeur des billets (tout leur esprit national n’en pourrait empêcher la dépréciation si la somme grossissait), mais tout simplement parce que les besoins de la circulation exigent un agent de la circulation qui se monte à une certaine somme, c’est-à-dire à une somme qui égale la valeur courante d’une certaine quantité d’or ou d’argent ; or cette somme paraît avoir été peu excédée par les émissions de la banque d’Angleterre et des banques de province. C’est une des belles expériences qui aient été faites depuis le commencement de ce siècle en Économie politique, et il s’en prépare d’autres qui ne seront pas moins importantes — J.-B, Say.
  5. « Dans les marchés que le gouvernement conclut avec les particuliers, et dans ceux que les particuliers concluent entre eux, une pièce de monnaie n’est reçue, quelque dénomination qu’on lui donne, que pour sa valeur intrinsèque, accrue de la valeur que l’utilité de son empreinte y ajoute. » — J.-B. Say, liv. I, chap. 21, § 4.

    « La monnaie d’argent est si peu un signe, que les pièces de monnaie perdent de leur valeur en s’usant par le frottement ou par la friponnerie des rogneurs d’espèces ; toutes les marchandises augmentent nominalement de prix en proportion de l’altération éprouvée par elles ; et si le gouvernement fait une refonte équitable et rétablit dans chaque pièce la quantité de métal fin qui s’y trouvait dans l’origine, les marchandises reprennent le prix qu’elles avaient alors, sauf les variations qui ont pu avoir lieu dans la valeur de ces marchandises, par des circonstances qui leur sont particulières. ». — J.-B. Say, liv. I, chap. 21, § 6. (Note de l’Auteur.)

  6. Toutes les lignes renfermées dans les guillemets sont extraites d’un pamphlet intitulé : Projet d’une Circulation monétaire économique et sûre. Ce pamphlet a été publié par moi, en 1810. (Note de l’Auteur.)
  7. Le prix de 3 l.17 s., que nous avons indiqué ici, est, nécessairement, un prix arbitraire : il y ; aurait peut-être d’excellentes raisons pour le fixer un peu plus haut ou un peu plus bas. En disant 3 1.17 s., j’ai seulement voulu éclaircir le principe. Le prix devrait être conçu de manière à ce que le possesseur de l’or trouvât de l’avantage à le vendre à la Banque plutôt qu’à le faire monnayer par l’administration.

    La même observation s’applique à la quantité désignée de vingt onces. Il pourrait être tout aussi convenable de la porter à dix ou à quinze.

  8. Nous ne saurions donner de ce curieux et grave épisode financier un historique plus net et plus complet, que celui dont M. Culloch a enrichi son édition d’Ad. Smith, et dont nous puisons la traduction dans la belle édition française de M. Blanqui. On sent, que ce morceau a été écrit sur la brèche, au spectacle des banques américaines qui s’écroulaient par centaines, des banques provinciales qui chancelaient avant de tomber, et d’un système, de crédit qui menaçait de couvrir de ruines le sol de l’Angleterre, déjà travaillé par la crise industrielle, la disette et les soulèvements politiques. On pourra reconnaître, dans les lignes qui vont suivre, combien les événements portent secours, aux saines théories, on y pourra voir les mêmes principes, les mêmes vérités, écrites avec des catastrophes et des faillites par la main du temps, et avec des mots et des phrases par les penseurs ; car la logique de l’esprit humain n’est si grande que parce qu’elle pressent et devance la logique des faits : —

    « La crise la plus importante dans l’histoire de la circulation du papier dé la Grande-Bretagne eut lieu en 1797. En partie par suite des événements résultant de la guerre où nous étions alors engagés, des prêts à l’empereur d’Allemagne, des traites faites sur le trésor par les agents anglais au dehors, et, en partie^ et principalement peut-être, par suite des larges- avances accordées au gouvernement par la banque d’Angleterre, le change devint onéreux en 1795, et, cette année, ainsi que les années suivantes, il fut demandé à la banque des quantités énormes en espèces. Il n’est pas douteux cependant que la dernière crise ne fût entièrement due à des causes politiques. Des bruits d’invasion, et même de descentes qui auraient eu lieu sur fies côtes, acquirent une certaine gravité pendant la fin de l’année 1796 et le commencement de 1797. Cette alarme provoqua chez beaucoup de particuliers, mais surtout chez les petits fermiers et les marchands en détail, un vif désir^de convertir là plus grande partie possible de leur fortune en espèces. Une foule redoutable se précipita sur la plupart des banques de province ; et la banqueroute de quelques-uns de ces établissements à Newcastle, ainsi qu’en d’autres parties du royaume, imprima une force nouvelle à la première paniquera banque d’Angleterre fut assaillie de tous les points du territoire par des demandes d’argent, et le fonds d’espèces et de lingots renfermés dans ses coffres, qui s’était élevé en mars 1795 à 7,940,000 livres, se trouvait réduit, le samedi 25 février 1797, à 1,272,000 livres, avec la perspective d’une violente irruption pour le lundi suivant. Dans cette douloureuse circonstance, le conseil privé se réunit et décida que les paiements en espèces seraient suspendus à la banque jusqu’à ce que le Parlement eût pu statuer. À cet effet, un ordre du conseil fut promulgué le dimanche 26 février 1797.

    « Aussitôt que commença la-suspension, les principaux négociants, banquiers et armateurs de Londres signèrent la résolution expresse d’accepter les billets de la banque d’Angleterre, et se portèrent caution des efforts qu’ils tenteraient pour les faire accepter des autres. Cette résolution prise conformément à l’état officiel

  9. Si cette proposition faite au gouvernement anglais de se mettre à la place de la banque de Londres et de celle des provinces, et de fournir, au lieu d’elles, le papier qui sert d’agent de la circulation, était adoptée, l’Angleterre acquitterait d’un coup pour un milliard et demi de francs de sa dette, et se libérerait d’un intérêt annuel de soixante-quinze millions de francs environ. Mais qu’est-ce que soixante-quinze millions d’intérêt lorsqu’on est obligé d’en payer annuellement pour environ un milliard (compris l’intérêt des bons du trésor) ?

    D’ailleurs, tant que les dépenses du gouvernement ne seront contrôlées, comme à présent, que par une chambre de la majorité de laquelle les ministres disposent, on peut s’attendre qu’aucune économie ne tournera au profit de l’État. Soixante-quinze millions épargnés sur l’intérêt de la dette ne sont, pour le gouvernement, qu’un moyen de dépenser soixante-quinze millions de plus en intrigues dans les cabinets de l’Europe, en folles guerres décorées de beaux motifs, en grâces et en moyens d’influence pour maintenir la prépondérance de l’intérêt privilégié aux dépens du public. Il n’y a d’économie profitable pour les nations que lorsqu’une représentation forte et indépendante tient véritablement les cordons de la bourse, et ne l’ouvre que pour payer un petit nombre de fonctionnaires absolument indispensables pour maintenir l’ordre public. Jusque là il ne peut y avoir que des rapines légalisées. — J.-B. Say

  10. Toute cette longue explication se réduit à ceci : les échanges qui se font dans un pays exigent différentes coupures de monnaie, c’est-à-dire des pièces de petite valeur, soit pour les petits paiements, soit pour les appoints des gros. Tant que les petites pièces ne sont qu’en quantité suffisante pour ce genre de circulation, le besoin qu’on en a soutient leur valeur courante au niveau de leur valeur légale, quelque dégradées qu’elles soient par le frai. Ainsi quand les paiements se faisaient en or en Angleterre, on trouvait facilement une guinée pour 21 shillings en argent, quoique les shillings eussent perdu plus du quart de leur valeur intrinsèque. Leur valeur se soutenait par la même raison qui soutient celle de tout billet de confiance : parce qu’on trouve partout à les échanger à bureau ouvert. C’est en ce sens que Smith a dit que la valeur de la bonne monnaie soutient celle de la mauvaise.

    Mais si l’on mettait dans la circulation plus de cette monnaie dégradée que les besoins du commerce n’en exigent, alors on ne trouverait plus aussi facilement des personnes disposées à la rembourser à bureau ouvert, c’est-à-dire à vous donner en échange une bonne pièce. Il faudrait vendre cette monnaie dégradée avec perte ; c’est ce qui était arrivé en France lorsqu’on avait laissé se multiplier les coupures de billon au-delà de ce qu’il en fallait aux appoints. Les porteurs de cette monnaie de billon étaient obligés d’y perdre pour la changer en argent, et il fallut une loi pour borner à 1/40 de la somme totale la quantité de billon qu’on pouvait donner en paiement. Cette loi dégradait la monnaie tout entière comme aurait pu faire un alliage. — J.-B. Say.

  11. M. Say serait d’avis que l’Hôtel des Monnaies se fit payer un droit de monnayage qui varierait selon la quantité de lingots qu’il aurait à frapper.

    « Le gouvernement ne frapperait les lingots des particuliers qu’autant qu’on lui paierait les frais et même le bénéfice de la fabrication. Ce bénéfice pourrait être porté assez haut en vertu du privilège exclusif de fabriquer ; mais il devrait varier suivant les circonstances où se trouveraient les Hôtels des Monnaies et les besoins de la circulation. » — J.-B. Say, liv. I, chap. 21. Une telle disposition aurait un effet très-dangereux, et exposerait le pays à une variation considérable et inutile dans la valeur intrinsèque des monnaies. (Note de l’Auteur.)

    Je n’ai rien à dire au sujet du danger que M. Ricardo trouve à ma proposition, si ce n’est que je suis assez porté à être de son avis. Mais si l’art d’organiser la société n’était pas encore dans l’enfance, si l’on avait trouvé des moyens pour que les intérêts de ceux qui sont gouvernés ne fussent pas toujours subordonnés aux intérêts de ceux qui gouvernent, on aurait lieu de regretter qu’une manufacture aussi lucrative (sans rien coûter au consommateur) que pourrait l’être celle de battre monnaie, non-seulement ne donne aucun bénéfice à l’État, mais lui soit au contraire fort onéreuse. Au surplus, je ne veux point indiquer les moyens de rendre cette manufacture profitable, jusqu’à ce qu’il me soit démontré que ces bénéfices tourneront au profit de la nation, en lui procurant un allégement équivalent dans l’impôt. — J.-B. Say.