Dictionnaire de théologie catholique/CALOMNIE

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 2.2 : CAJETAN - CISTERCIENSp. 28-31).

CALOMNIE.-
I. Définition.
II. Moralité.
III. Obligations qui en résultent.
IV. Répression individuelle et sociale.

I. Définition. —

Le mot calomnie, calumrtia, de caho ou calvor, synonyme de decipere, frustare, « tromper, o signifie étymologiquement toute ruse ou fraude employé pour tromper autrui, surtout dans les accusations juridiques, procès ou jugements. Cependant, dans un sens plus spécial, il désigne seulement le délit de celui qui accuse méchamment un innocent. Cf. Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, de harem lieret Saglio, art. Calumnia, t. i, p. 853-851. Au sens théologique strict, il désigne l’attaque de la réputation d’un absent. par des imputations que l’on sait fausses ou mensongères.

1° Tandis que l’outrage atteint, d’une manière privi e ou publique, l’honneur d’une personne présente, s. Thomas. Sum, llicol., II" 11 1, q. i.xxiii, a. 1, la calomnie, comme toute détraction, attaque la réputation d’un absent.

2° La réputation est la bonne estime dont quelqu’un jouit dans l’appréciation ou le jugement de ses concitoyens, appréciation, privée ou publique, susceptible de divers degrés Suivant la position et le mérite de chacun et suivant les Ductuations iln jugement particulier ou commun. Que la réputation soit pour l’homme un bien soei.il de première nécessité, i s en avons pour garant la parole de l'Écriture, l’rov., xxii, 1 ; Eccli., vu. -i. xi. i, 15, l’appréciation commune de tous les hommes el la nature même de la société humaine, basée sur la confiance et par conséquent sur l’estime mutuelle. S. Thomas, Sum. thcr.i., IIa-IIæ. q. Lxxrn, a. 2. I réputation aire an point de vue social, -e p, ni par tout ce qui détruit, dans l’esprit (I autrui.)>- : rable jugement primitivement rendu, qu’il faits réels imprudemment portés à la connaît autres, ou qu’il soit exclusivement question d imputations connues commi I coupablement invent soutenues ou propagées. Le premier pi nom générique de détrælwn, entendue dans le de manifestation injuste de débuts vrais du prochain. Voir Médisance. Au second procédé appartient en pi le nom théologique de calomnie, entraînant toujours simultanément une violation de la justice par la coupable attaque de la réputation du prochain, et une violation de la véracité par la fausseté consciente des imputations lancées contre lui.

3° Pour que la calomnie existe réellement, les im] tions doivent être en même temps fausses objectivement et nuisibles au prochain. Le calomniateur n’est subjectivement coupable que dans la mesure où il connait la fausseté de ses allégations et où il veut délibén ne nt > avoir recours, malgré cette connaissance, ou même en vertu de cette connaissance. Donc dans l’hypothèse dune complète incon-ci nce de la fausseté des faits OU manquements reprochés. l’allégation, tout en manquant de vérité objective, n'étant point voulue comme telle par son auteur ou propagateur, ne serait point une calomnie formellement coupable. Le fait peut D point rare, surtout en certains litiges religieux, politiques ou sociaux, où les jugements individuels sont fréquemment déterminés d’une manière presque exclusive par d'étroits et tics tenaces pi dans la première éducation familiale ou collégiale, développés par la constante influence d’un milieu entièrement fermé> et ainsi devenus linalement comme la mentalité habituelle de l’individu. L’on devra cependant tenir compte du caractère moral des propos mis en circulation ainsi que de situations 1res divergentes d’intelligence ou de milieu et des diverses facilités de connaître la vérité'. Autre est le rôle de meneur principal, autre celui d’instrument subalterne ou de docile auditeur soumis exclusivement à une ambiance hostile. Observons aussi que l’erreur ou ignorance invincible et l’irresponsabilité morale qui en résulte, ont des limites et des conditions assez précises en dehors desquelles on ne peut les admettre au point de vue moral. Voir Bonne Foi, col. 1011-1012.

4° Au péché formel de calomnie doit encore se rapporter l’acte de coopération consciente et délibérée à sa propagation et à son succès, coopération positive par la presse et le discours public ou par quelque encouragement ou aide efficace, coopération négative par un silence voulu et concerté quand l’on sérail tenu de parler et de défendre. Innombrables sont dans toute Société de telles Coopérations à la calomnie ; les luttes

électorales et politiques, les rivalités commerciales ou industrielles, les ambitions de tout genre, parfois même les dissensions religieuses, en sont les plus fréquentes occasions. Ici encore peut se présenter la question d’accidentelle inconscience du caractère calomnieux des imputations pl. L’on en jugera d’après les

principes précédemment énon II. Moralité spécifique et gravité.

1° Moralité

spécifique. — Le péché île calomnie, étant une violation formelle des deux vertus de véracité et de justice, renferme une double malice spécifique, caræl deux objets formellement divers au point de vue moral ; une transgression du devoir Strie ! de ne point établir de contradiction entre sa parole ei sa pensée et une violation du droit individuel de chacun au respect de sa propre réputation. D’où résultent deux péchés spécifiquement distincts, mensonge pernicii ux et injuste atteinte a la réputation.

Gravité objective.

1. Qu’il s’agisse du mensonge pernicieux, ou de l’injuste atteinte à la réputation, la gravité objective, d’après le principe général applicable à toute injustice, se mesure d’après la quotité du dommage réellement voulu et efficacement causé dans la réputation ou dans les biens qui en dépendent. L’on doit cependant observer que la gravité du dommage effectivement produit n’est pas toujours en parfaite équation avec la gravité objective de l’imputation calomnieuse. Il n’est point impossible qu’une fausse allégation, en elle-même grave, ne nuise aucunement à quelqu’un dont la réputation en telle matière est moins délicate ou moins intègre, tandis qu’une renommée particulièrement honorable peut très notablement souffrir d’imputations beaucoup moins considérables, quand elles sont persistantes et qu’elles prennent corps dans l’esprit public. Salmanticenses, Cursus theologise moralis, tr. XIII, c. iv, n. 42.

2. Pour apprécier dans toute sa réalité concrète la gravité objective de la calomnie, l’on devra considérer : a) si l’atteinte portée à la réputation d’autrui est une complète destruction de cette réputation ou si elle n’en est qu’une diminution partielle, du moins quand l’opinion publique admet que quelque estime peut encore subsister d’une manière fragmentaire ; b) l’autorité, la puissance, le crédit ou l’inlluence que le calomniateur met au service de sa passion ou de sa haine et qui assurent plus de succès à son œuvre destructrice ; c) le milieu auquel le calomniateur s’adresse, un petit cercleintime et entièrement fermé où la calomnie expirera peut-être sans avoir causé beaucoup de ruines, ou le grand public rapidement conquis par la presse ou par le discours public et qui bientôt augmente encore les graves proportions de la calomnie ; on devra aussi examiner la mentalité de ces mêmes milieux, ou déjà entièrement désaffectés ou encore fidèlement attachés à la réputation que l’on veut ruiner ; d) la rareté ou la fréquence et même la continuité des attaques calomnieuses qui, en se répétant constamment, fixent en quelque sorte le mensonge dans l’intelligence, peut-être surtout dans l’intelligence populaire ; e) le caractère presque habituellement irréparable du dommage causé, circonstance encore aggravée dans certains cas où il est question de réputations plus délicates et de milieux plus pervers ; f) le dommage qui peut résulter pour toute la société, soit à cause du bien considérable que la calomnie empêche, soit à cause du grave scandale qu’elle propage partout. Ce dommage existe plus particulièrement quand la calomnie s’attaque à des institutions souverainement utiles à la société, dont on paralyse le fonctionnement quand on ne l’arrête point entièrement ; plus grave encore est le tort causé à la société civile ou à la société religieuse par ceux qui ne cessent d’ourdir et de propager contre elles les plus perfides calomnies ; g) les motifs diversement coupables sous l’impulsion desquels le calomniateur peut agir : a. la jouissance du mal voulu comme mal, jouissance diabolique qui suppose une malice consommée dans laquelle on semble avoir fixé sa vie ; b. une haine sectaire s 'acharnant, à l’exemple de celui que la tradition de tous les peuples a dénommé le calomniateur, i, Siâ60).oç, à ruiner par le mensonge l'œuvre « le Jésus-Christ sur la terre et tout ce qui favorise cette œuvre ; cette haine sectaire peut aussi, comme chez certains anarchistes, se porter exclusivement contre la société actuelle que l’on veut bouleverser et détruire de tond en comble ; c. la vengeance d’un tort ou d’un outrage adéquatement vrai ou exagéré et même supposé, indépendamment de la coupable jouissance que I on peut savourer dans l’accomplissement du mal prémédité ; 'I. une simple rivalité jaillissant de l’ambition, de l’avarice ou de l'égofsme et poursuivant directement son but, s.ms que prédomine dans la volonté' ni la haine, ni la coupable jouissance du mal causé ; l’analyse con crète de ces différents motifs isolés ou réunis, donnera une juste idée de la nature et du nombre des fautes secrètes de haine religieuse ou autne, et de jouissance intime du mal secrètement désiré ou efficacement procuré ; h) les péchés concomitants qui forment le cortège le plus habituel de la calomnie, surtout les péchés internes de jouissance haineuse et jalouse et les péchés de scandale privé ou public.

3° Gravité subjective, dans l’appréciation et la volonté du calomniateur ou de ses auxiliaires. — Quand l’on pourra prudemment juger que, dans un cas individuel, il y a eu inadvertance invincible à la fausseté et à la gravité des imputations propagées ou soutenues, on conclura qu’alors la calomnie n’est point subjectivement imputable, du moins comme faute grave. Mais elle n’en reste pas moins un mal objectif grave, surtout quand elle s’attaque au bien de la société. Aussi doit-on, principalement dans ce dernier cas, lutter contre elle, soit d’une manière privée par la correction fraternelle, soit d’une manière publique par une commune défense des intérêts menacés ou même par la répression légale, dans la mesure où elle peut prudemment et efficacement s’exercer.

Gravité comparée.

Le péché de calomnie, considéré en lui-même indépendamment de toute circonstance ajoutant une autre moralité spécifique, est-il le plus grave parmi les péchés commis contre le prochain ? S’il est vrai, comme l’enseigne saint Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. lxxiii, a. 3, que la gravité d’une injustice est proportionnée au prix du bien qu’elle nous ravit, l’on devra conclure que la calomnie le cède en malice au scandale et à l’homicide, mais l’emporte sur le vol. Car la réputation, ne faisant que participer à la nature des biens spirituels, est d’une valeur moindre que les biens purement spirituels. Appréciable seulement pour qui jouit du bienfait de l’existence, elle est moins précieuse que la vie corporelle. Mais par sa participation à la nature des biens spirituels, elle surpasse les richesses matérielles qui nous sont tout extérieures. S. Thomas, loc. cit. Cette conclusion s’applique indistinctement à la détraction et à la calomnie. Mais la calomnie est de soi toujours plus grave que la détraction, puisqu’elle ajoute une nouvelle malice spécifique, celle du mensonge pernicieux.

III. Obligations qui en résultent.

1° Quant ù la réparation de la réputation injustement détruite. — 1. Puisque toute injustice formellement coupable et efficacement voulue doit, sous peine de se continuer indéfiniment, être intégralement réparée par la restitution de tout le bien injustement ravi, il est également vrai que toute calomnie, connue et voulue comme formellement coupable et réellement nuisible, doit être adéquatement réparée. — 2. En vertu de ce même principe général qui domine toute la question de la restitution, l'étendu.' de l’obligation est en équation parfaite avec l'étendue du dommage causé. Conséquemment l’on est tenu de rétracter la calomnie lancée, soutenue ou propagée, dans la mesure où l’on a ainsi effectivement causé la perte de la réputation ou que l’on y a simplement aide Est-il également nécessaire que l’on rétracte personnellement la calomnie auprès de tous ceux à qui on a prévu qu’elle parviendrait ultérieurement, ou suffit-il strictement de le faire auprès de ceux à qui le calomniateur s’est Immédiatement adressé? En principe, puisque tout le mal efficacement voulu doit être réparé, la rétractation de la calomnie doit avoir la même publicité que la calomnie elle-même. Hone si, en lançant soi même la calomnie, surtout par la parole publique ou par : I on a

positivement prévu et voulu, suivant les contingences ordinaires, tel développement auquel elle est effectivement parvenue.il y a. en toute rigueur d.' principe, obligation de donner soi-même à la î > la même

étendue de publicité que l’on < efficacement voulue et

Causée. Salmanticenses, Cursus théologies nwralis, tr. Mil, c. ix, n. 122. Mais cette rétractation ainsi accomplie étant d’une réalisation moralement Impossible dans presque tons les cas concrets, il pi-ui habituellement suffire de Be rétracter soi-même auprès des auditeurs immédiats, en prenant les précautions ordinaires pour que la propagation réparatrice ait la même étendue que la destructrice. De Lugo, De juttitia et jure, t. i, disp. , n. 15 s<|. ; Salmanticenses, toc. cit., n. 123. Celte solution s’applique encore avec plus de justesse aux cas de publicité par la presse, qui échappent presque entièrement à tout contrôle adéquat de prévision et de réparation directe. — 3. Les principes généraux sur la complète cessation ou la suspension momentanée de l’obligation de restituer peuvent également s’appliquer à la réparation de la calomnie. Toutefois les causes reconnues connue suffisantes pour l’extinction ou la suspension de l’obligation devront être d’autant plus graves que la culpabilité du calomniateur a été plus prononcée et le dommage plus considérable. — a) D’après ces principes l’obligation de réparer la calomnie n’existe plus quand l’on peut juger prudemment qu’elle est entièrement oubliée, sans danger de retour, Salmanticenses, loc. cit., n. I.'JS ; quand la réputation est d’autre part déjà suffisamment rétablie, de Lugo, op. cit., n. 35 ; Salmanticenses, loc. cit., n. 137 ; quand il y a condonation de la part du calomnié, pourvu qu’il ait le pouvoir d’abdiquer son droit, Lehmkuhl, Theologia nwralis, t. i, n. 1194 ; et même suivant beaucoup de théologiens, Molina, De justifia et jure, t. iv, tr. IV, disp. XLIX. n. 2 ; Lessius, De jaslilia et jure, l. II, c. H, n. 134 ; Silvius, In II* m II- —, q. lxii, a. 2, n. 10 ; Salmanticenses, loc. cit., n. 1 if j ; S. Alphonse de Liguori, Theologia nwralis, t. III, n. 999 ; Lehmkuhl, op. cit., n. 1192 ; quand il y a eu calomnie réciproque et que l’autre calomniateur refuse la réparation exigée par la justice, car il est contraire à l'équité naturelle de maintenir le droit à la réparation en faveur de celui qui de son côté ne veut aucunement réparer le droit d’autrui. Cependant Cajétan, In ll' m 1I X, q. lxii, a. 2 ; de Lugo, op. cit., disp. XV, n. 44, et d’autres théologiens soutiennent dans ce cas l’obligation de la réparation, parce que l’on ne peut continuer un dommage qu’au seul titre de compensation légitime qui dans l’espèce ne peut se réaliser. — b) Dans l’hypothèse où le calomniateur ne peut réparer son injustice sans exposer sa propre vie, l’obligation cesse tant que dure ce danger, pourvu que la vie du prochain ne soit point également menacée. Car, à risque égal, le calomniateur n’a point droit que sa vie soit préférée à celle de sa victime. En dehors de cet extrême danger une simple perte de biens matériels ne peut excuser le calomniateur de l’obligation de restituer. L’on n’excepte que le cas où cette perte dépasserait notablement le dommage causé à autrui, car il n’est point présumable que le calomnié veuille à ce prix exiger réparation. — 4. La réputation du calomnié peut-elle être réparée par une compensation pécuniaire considérée comme proportionnelle ? Conséquemment, à défaut d’autre réparation, est-on tenu à cette compensation V Quelques théologiens l’affirment, en s’appuyant sur ce raisonnement. L’impossibilité n’excuse de l’obligation <le restituer que dans la mesure où elle existe strictement. Or cette hypothèse n est point réalisée dans la circonstance, puisque l’on admet ou l’on suppose encore quelque facilite de fournir une compensation, sinon équivalente, du moins proportionnelle, par laquelle les exigences de la justice sont assez convenablement

sauvegardées. Philippe de la Sainte-Trinité, liis/miationes theologica m Swnmam s. Thomæ, Lyon, 1633,

t. iii, tr. 11, disp. V. du b. iv, p. 337 ; Syl vius, In // /L q, l Ml. a. 2 ; q, XXII. Mais la plupart des théologiens,

rejetant toute équivalence intrinsèque entre la compensation pécuniaire et la réputation perdue, n’admettent aucune obligation dejustice de fournir une telle compen sation, en dehors du cas où elle est imposée judi iairement comme amende pécuniaii i. ce qui rel< te plutôt de la justice vindicative. Banez, lu ll* m 11*, q. lxii. n. 10 ; Salmanticensi iratit, tr. XIII,

c. iv, n. I il, S. Alphonse de Liguori, Theologia rnoralU, 1. 111, n. 1000 ; Lehmkuhl, Theologia moralis, t. i. n. 1 191. D’où l’on peut conclure que le calomnié n’ayant pas un droit certain à être compensé pécuniairement, n’est point autorisé à se rendre justice à soi-même, la compensation n'étant permise que dans le cas d’un droit certain dont on ne peut autrement obtenir la satisiaction. De Lugo, De juttitia et jure, t. i. disp. XV. n Alphonse

de Liguori, Theologia nwralis, t. III, n. lOOl ; Lehmkuhl, op. cit., t. I, n. 1192.

2 » Quant à la réparation des dommages privés ou publics causes par la calomnie. — D’après les principes que nous venons de rappeler, l’obligation à la ri -litution existe dans l’exacte mesure ou ces dommages ont été suflisamment prévus et efficacement voulus.

3 » A ces deux obligations de justice peut se joindre fréquemment le devoir de réparer le scandale donné, surtout quand ce scandale tourne au mépris ou au détriment de la religion. Cette obligation ainsi que la manière de la remplir devront s’apprécier d’après les principes théologiques relatifs au scandale.

i° Quant à l’obligation pouvant résulter d’une calomnie exempte de toute culpabilité formelle : 1. Des que l’on prend connaissance de son caractère injuste et de sa funeste efficacité', il y a devoir de stricte justice d’arrêter l’inlluence mauvaise ainsi causée en toute bonne foi, pourvu qu’on le puisse faire sans un inconvénient personnel trop grave. Cette fatale inlluence ne pouvant être efficacement détruite que par une rétractation ellective, celle-ci s’impose immédiatement, sous peine d’accepter la responsabilité morale de la continuation du dommage, c’est-à-dire du dommage qui, suivant la prévision actuelle, doit résulter de la non-rétractation. Salmanticenses, op. cit., c. IV, n. 121-122. Bien différent du calomniateur coupable qui. dès le début, a prévu et efficacement voulu tout le mal causé, le calomniateur non conscient n’est point tenu à se rétracter lorsqu’il ne le pourrait sans grave atteinte à sa propre vie, à sa réputation ou à ses biens. Salmanticenses. loc. cit.

5° Les obligations résultant de la coopération formelle à la calomnie se déterminent suivant les principes qui régissent la coopération en matière de justice, en tenant compte des causes qui peuvent enlever, suspendre ou modifier l’obligation de réparer la calomnie.

IV. RÉPRESSION INDIVIDUELLE LT SOCIALE.

1° Réprcs sion individuelle. — I. Pour les calomnies dirigées centre soi-même. — ai En soi. indépendamment de toute circonstance qui exige le contraire, il n’y a aucune obligation grave de défendre sa propre réputation calomnieusement attaquée. Il est même en soi très parfait et très méritoire de supporter ces attaques avec une chrétienne résignation et par amour pour Jésus-Christ particulièrement calomnié dans sa passion. Lehmkuhl, op. cit., t. i, n. 1173. — b) Mais quand la réputation personnelf nécessaire pour remplir des devoirs d'état strictement obligatoires ou que de sa perte ou « le sa diminution résulteraient des dommages considérables pour la famille dont on a la charge OU pour des intérêts dont on est r i tvement responsable, à [dus forte raison quand son maintien intégral est indispensable au bien général ou partiel de la société civile ou religieuse, le strict devoir de la défendre ou d’en exiger la juste réparation s’impose comme une conséquence rigoureuse. Lehmkuhl, (or. cit.

— c) Quant au mode de répression, il variera suivant la

nature de l’attaque, privée ou publique, suivant la condition de la ictime et celle des auteurs ou propagateurs de la calomnie et suivant le^ moyens dont on peut disposer pratiquement Ces moyens peuvent être uni mande formelle, parfois même publique, de réparation,

ou une dénonciation du procédé calomnieux, même par la parole publique et par la presse, ou encore le recours à la voie légale pour obtenir en même temps une réparation pour soi et une pénalité pour le calomniateur.

2. Pour les calomnies dirigées contre la réputation d’autrui ou contre des institutions nécessaires ou souverainement utiles à la société civile ou religieuse : a) Pour ceux qui exercent des fonctions sociales les obligeant par un quasi-contrat de justice à défendre les intérêts qui leur sont confiés, il y a devoir strict de justice à combattre ou à réprimer les calomnies directement attentatoires à ces mêmes intérêts, pourvu qu’aucun obstacle grave ne s’y oppose. — b) Pour qu’il y ait obligation de charité, il faut que le prochain, individu ou société, ne puisse se préserver de dommages graves s’il n’est aidé, et que l’on soit seul à pouvoir lui donner commodément l’assistance nécessaire. Il peut être assez difficile de déterminer pratiquement l’existence de ces deux conditions. Mais il n’est point douteux que, dans une société, ce devoir de charité s’impose et que la conscience de ceux qui sont aptes à le remplir et l’omettent toujours et à l'égard de tous, ne peut être sans reproche, surtout quand il s’agit de la défense des intérêts religieux gravement menacés, et que d’autre part l’on possède la capacité et la liberté nécessaires.

Répression provenant d’associations ou de groupements de défense.

Souvent la répression individuelle reste impuissante même en face de calomnies n’atteignant qu’un seul individu. A plus forte raison restet-ellesans force, en présence d’entreprises calomnieuses savamment ourdies et puissamment organisées contre les institutions vitales de la société civile et surtout contre les ministres de l'Église, et contre toutes ses œuvres. Seule l’association de délense peut efficacement soutenir la lutte, en multipliant et en organisant les ressources et les moyens de résistance et de réparation. A ceux qui objectent le précepte du pardon intégral, Matth., xviii, 35, le conseil de Jésus-Christ, Matth., v, 39, et la recommandation de saint Paul, Rom., XII, 19, l’on peut répondre que la résignation évangélique, l’intégral pardon des injures et l’amour héroïque des humiliations ne doivent point empêcher le strict devoir de défendre la société civile et la société chrétienne contre les calomnies qui leur seraient très funestes. C’est ce que répond saint Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. lx, a. 1, ad 2um : Dicendum quod hufusmodi prsecepta, sicut Augustinus dicil in l. I de sermone Domini in monte, c. xix, et Epiât, v, ad Marcellinum, semper sunt servanda in prseparalione animi ; ut scilicet semper homo sil paralus non resistere, vel se non defendere, si opus fneril ; sed quandoquc est aliter agendum proptcr commune bonum ; vel eliam illorum cum quibus pugnatur ; unde Augustinus dicit in Epist. ad Marcellinum : Agenda sunt multa eliam cum invilis benigna quadam aiperilate pleclendis : nam cui licenlia iniquilatis eripitur, uliliter vincitur ; quoniam nihil est infelicius felicitate peccanliun, , qua pœnalis nutritur impunilas, et mala voluntas celui lioslis interior roboratur.

Répression provenant des pouvoirs publics.

La justice légale impose aux pouvoirs publics le devoir de défendre les droits des citoyens par la protection des lois et l’appui des décisions judiciaires et des sanctions légales concomitantes. La réputation étant un bien social de première importance se recommande nécessairement à cette protection publique des lois, des décisions judiciaires et (les sanctions pénales. Quelle mesure de répression légale convient dans telle société, à telle époque, en présence de telles attaques calomnieuses atteignant au inoins partiellement les intérêts publics que tout pouvoir cou scieur ieux (luit Sauvegarder ? Inversement, quelle mesure de tolérance légale peut-on accorder à la presse soit dans la lutte inévitable des partis politiques ou dans les publiques revendications des partis révolutionnaires

ou socialistes, soit dans les dissensions religieuses ? Ces questions pratiquement très complexes relèvent de la prudence politique, qui doit tenir compte de la divergence des situations politiques, surtout quand elles sont depuis longtemps établies. Cependant l’on ne devra jamais oublier que le mal ne peut être justement toléré, que dans la mesure exigée par un bien public prépondérant : Yerumtamen in ejnsmodi rerum adjunctis, H communis boni causa et hac tantum causa, potest vel eliam débet lex hominum ferre toleranter malum, tamen nec potest nec débet id probare aut velle per se, quia malum cum sit boni privatio, répugnât bono communi quod legislator, quoad optime potest, velle ac lueri débet. Et hac quoque inread imitandumsibi lex liumana proponat Deum necesse est, qui in eo quod mala esse in mundo sinit ncque vult mala fieri, neque vult mala non fieri, sed vult permittere mala fieri, et hoc est bonum. Quse docloris angelici sententia brevissime totam continet de malorum tolerantia doctrinam. Encyclique de Léon XIII, Libertas, 20 juin 1888.

S. Thomas, Sum. theol., II" II », q. lxviii, a. 3 ; q. lxix, a. 2 ; q. lxxiii, et les commentateurs de la Somme, loc. cit. ; S. Antonin, Summa theulogica, Vérone, 1740, t. ii, tit. II, c. ii, p. 369 sq. ; tit. viii, c. III, p. 895 sq. ; Domintcus Soto, De justifia et jure. t. IV, q. vi ; Navarre, Encliividion seu manuale confessariorum et pœnitentium, c. xviii. n. 24 sq. ; Molina, De. juslitia et jure, t. iv, tr. IV, disp. XXXIX sq. ; Lessius, De juslitia et jure, 1. H, c. xi, passim ; de Lugo, De justitia et jure, t. I, disp. XV ; Philippe de la Sainte-Trinité, Disputationes theologicx in Summam S. Thomx, Lyon, 1653, t. iii, tr. II, disp. V, dub. iv, p. 330 sq. ; Layman, Theologia moralis, Lyon, 1654, t. III, tr. III, part. II, c. vii, t. I, p. 347 sq. ; Bonacina, De morali theologia, Lyon, 1697, t. II, De restitutione, disp. II, q. iv ; Lacroix, Theologia moralis, Paris, 1867, t. ii, t. III, tr. VI, n. 1213 sq., 1238 sq. ; Sylvius, In Summam S. Thomæ, II* II-, q. lxii, a. 8 sq. ; q. lxxiii ; Salmanticenses, Cursus theologiæ moralis, tr. XIII, c. IV, n. 118 sq. ; S. Alphonse, Theologia moralis, t. III, n. 991 sq. ; Lehmkuhl, Theologia moralis. t. I, n. 1191 sq., Génicot, Theologia moralis institutiones, Louvain, 1898, t. I, n. COI sq. ; Berardi, Praxis confessariorum, 3e édit., Fænza, 1898, t. ii, n. 422 sq.

E. DUBLANCHY.