Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Origène

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ORIGÈNE, l’un des plus féconds écrivains, et l’un des plus rares génies[* 1] qui aient fleuri dans l’église primitive, a vécu au troisième siècle. On parle si amplement de lui dans le Dictionnaire de Moréri, et l’on y indique[1] tant d’auteurs aisés à trouver, qui décrivent toute son histoire, que je ne dois faire ici qu’un petit article. Je me borne à ces quatre choses. J’indique, 1°. deux auteurs français[2] qui nous instruisent pleinement des actions et des opinions d’Origène. 2° Je dis qu’une remarque de M. Daillé avait cité saint Origène, eut des suites qui méritent d’être sues (A). 3°. Qu’un ministre de Hollande a fait depuis peu une observation très-solide sur l’un des dogmes d’Origène (B). Si l’auteur du Janua cælorum reserata, l’avait employée (C), il aurait donné de nouvelles forces à l’une de ses objections. 4° Qu’il y a beaucoup de théologiens dans la communion de Rome, qui croient que ce père est dans les enfers (D).

Depuis la première édition de ce Dictionnaire, il a paru deux ouvrages qui m’obligent à donner quelques supplémens à cet article. L’un intitulé Parrhasiana, fut publié à Amsterdam, l’an 1699, par un savant homme qui s’est déguisé sous le nom de Théodore Parrhase. L’autre a été imprimé à Paris, l’an 1700, et s’intitule : Histoire des Mouvemens arrivés dans l’Église au sujet d’Origène et de sa doctrine. Le père Doucin, jésuite, est l’auteur de celui-ci. On trouve dans le Parrhasiana quelques réflexions sur la dispute des manichéens et des orthodoxes. Elles sont précédées d’une observation aussi équitable qu’on le pouvait espérer d’un très-honnête homme[3] ; elles sont, dis-je, précédées d’un jugement tout-à-fait conforme à l’équité, à la vérité et à la raison, touchant les vues dans lesquelles je me suis donné la liberté de rapporter les objections des manichéens, et d’avouer que la lumière naturelle ne fournit pas aux chrétiens de quoi les résoudre, soit qu’on suive le système de saint Augustin, soit qu’on suive celui de Molina et des remontrans, soit qu’on recoure à celui des sociniens. Théodore Parrhase soutient le contraire, et prétend[a] qu’un origéniste peut fermer la bouche aux manichéens… Si un homme de cette sorte, continue-t-il, peut réduire un manichéen au silence, que ne feraient pas ceux qui raisonneraient infiniment mieux que les disciples d’Origène ? Nous examinerons ci-dessous ce qu’il suppose que pourrait dire un origéniste après avoir lu toutes les objections des manichéens (E). Quant à l’ouvrage du père Doucin, je me contente de dire que l’on y trouva un grand et curieux détail sur les matières énoncées dans le titre, et outre cela un abrégé de la vie d’Origène. On ne peut le lire sans déplorer le sort bizarre de l’esprit humain. Les mœurs d’Origène étaient d’une pureté admirable ; son zèle pour l’évangile était très-ardent ; il ruinait sa santé à force de jeûnes et de veilles ; affamé du martyre[b], il soutint avec une constance incroyable les tourmens dont les persécuteurs de la foi se servirent contre lui (F), tourmens d’autant plus insupportables qu’on les faisait durer long-temps : car on évitait avec grand soin qu’il n’expirât dans la torture[c] ; son esprit fut grand, beau, sublime ; son savoir et sa lecture très-vastes ; et néanmoins il tomba dans un prodigieux nombre d’hérésies dont il n’y a aucune qui ne soit monstrueuse[d], et apparemment il n’y tomba qu’à cause qu’il avait tâché de sauver de l’insulte des païens les vérités du christianisme, et de les rendre même croyables aux philosophes ; ce qu’il désirait avec une ardeur extrême, ne doutant pas qu’avec eux il ne convertît l’univers[e]. Tant de vertus, tant de beaux talens, un motif si plein de zèle, n’ont pas empêché qu’il ne soit mort hérétique, et que sa mémoire ne soit en horreur à une infinité de chrétiens. Peu de personnes dans la communion de Rome osent douter de sa damnation éternelle. Or combien y a-t-il de docteurs voluptueux et mondains, paresseux et pleins de vices, et en même temps très-orthodoxes, qui reçoivent tous les jours mille et mille bénédictions pour leur fermeté inébranlable dans la vraie foi ? Tant les jugemens de Dieu sont impénétrables ! On ne s’imagine pas ordinairement que les erreurs d’Origène aient quelque liaison : elles semblent être la production d’un esprit vague et irrégulier ; mais il vaut mieux dire qu’elles coulent d’une même source (G), et que ce sont des faussetés de système, et qui forment une chaîne de conséquences. Quelques-uns de ses sectateurs les poussèrent jusqu’aux sensualités que l’on a vues depuis parmi les molinosistes (H). Mais cet origénisme charnel ne dura guère, et fut plus aisé à détruire que l’origénisme spirituel, qui était une manière de quiétisme (I). Il ne faut pas oublier que l’une des choses qui donnèrent le plus de cours à la secte d’Origène fut que ses erreurs paraissaient capables de réfuter les manichéens (K), qui embarrassaient beaucoup par leurs objections les orthodoxes. L’un des meilleurs livres de cet auteur est sa réponse au philosophe Celsus : on l’a publié en français, l’an 1700 (L).

J’ai parlé de quelques autres éditions dans la remarque (A) de l’article Persona, ci-après. Voyez la note[f].

  1. * Le père Merlin pense que cette épithète ne conviendrait pas à Origène s’il était l’auteur d’un dialogue qui lui est faussement attribué, et dont Bayle a parlé ailleurs. Voyez la remarque (F) de l’article Marcionites, tom. X, pag. 233.
  1. Parrhasiana, pag. 304.
  2. Voyez ci-dessous, rem. (A), pag. 247, col. 2, citation (*4).
  3. Doucin, Histoire de l’Origénisme, pag. 81.
  4. Là même, pag. 36.
  5. Là même, pag. 37.
  6. Son Traité de la Prière, qui jamais été imprimé, le fut en grec et en latin, à Oxford l’an 1686. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, juin 1686, art. VIII. On y débite, selon la préface, qu’Isaac Vossius en avait acheté le manuscrit à Stockholm : la vérité est, comme je l’ai appris depuis ce temps-là par une lettre de M. Huet qui me fut montrée, que Vossius l’apporta à Stockholm, l’ayant acheté environ l’an 1636 de M. Rums, médecin de la reine de Bohème, lequel l’avait acheté des soldats qui avaient pillé la bibliothèque de Worms. Ce manuscrit étant passé des mains d’Isaac Vossius en celles de Herbert Thorndicius, passa en celles de M. Gale, qui l’a mis dans les archives du collége de la Sainte-Trinité, à Cambridge. Voyez M. Cave, de Script. Eccles., parte II, pag. 30, edit. Gen. 1699.
  1. Surtout dans l’édition de Hollande.
  2. Lamotte, Vie de Tertullien et d’Origène, imprimée à Paris, l’an 1675, in-8°. Dupin, Bibliothèque des Auteurs ecclésiastiques, tom. I.
  3. Parrhasiana, pag. 302.

(A) Une remarque de M. Daillé sur… saint Origène eut des suites qui méritent d’être sues.] M. Cottibi, ministre de Poitiers, ayant changé de religion l’an 1660, écrivit une lettre à son consistoire, où il donnait quelques raisons de son changement. On pria M. Daillé de lui répondre, et il le fit avec une grande exactitude. Sa réponse fut imprimée avec la lettre de l’ex-ministre, l’an 1660, sous ce titre : Lettre écrite à M. le Coq, sieur de la Talonnière, sur le changement de religion de M. Cottibi. Il remarqua, entre autres choses, que le nouveau converti, qui se mêlait de parler de pères, et de prôner l’ancienne église, avait peu de connaissance de ce pays-là. On l’en convainquit par diverses preuves, dont la seconde est tirée de l’éloge de saint qu’il avait donné à Origène. Ce langage le trahit, et montre qu’il est étranger, et dans la république des antiquitaires, qui ne parlent pas ainsi d’un homme condamné par un concile œcuménique, et surtout dans les archives des papes, où tant s’en faut que le pauvre Origène ait pu obtenir le titre de saint, que dès l’an 494 il y fut nommé schismatique, et tous ses livres, excepté quelques-uns en petit nombre, condamnés par Gélase[* 1]. Il n’y a pas encore tout-à-fait deux cents ans, que Jean Pic, comte de la Mirandole, ayant publié à Rome, entre ses neuf cents propositions, qu’il est plus raisonnable de croire le salut d’Origène que sa damnation, les maîtres en théologie l’en reprirent, disant que cette conclusion est téméraire et blâmable ; qu’elle sent l’hérésie, et est contraire à la détermination de l’église universelle, comme il le rapporte lui-même dans son Apologie[* 2]. Que n’eussent-ils point fait, s’il eût mis Origène entre les saints, comme a fait M. Cottibi ? eux qui ne purent souffrir qu’il doutât de sa perdition, ni qu’il jugeât qu’il y avait plus d’apparence de le croire sauvé que damné[1] ! Voilà ce qu’on appelle une critique victorieuse : et quand nous ne saurions point d’ailleurs que le ministre de Poitiers n’avait point d’autre connaissance de la doctrine des pères, que celle qu’il avait acquise par la lecture de quelques controversistes, cette remarque de M. Daillé nous en convaincrait. Continuons l’histoire de cette censure ; nous y apprendrons qu’un auteur surpris en faute, et manifestement convaincu de s’être trompé, n’a point de meilleur parti à prendre que d’avouer de bonne grâce la dette, ou au moins de ne dire mot ; car presque toujours les efforts qu’il fait pour se disculper sont de pures extravagances. M. Cottibi répondit que le titre de saint ne se trouvait pas dans l’original de sa lettre, ou qu’il le laissa passer dans la foule, par un trait de plume, plaçant Origène au milieu de beaucoup d’autres anciens pères à qui cette épithète de saint est véritablement due[2]. Ce sont deux échappatoires qu’on réfuta invinciblement. On soutint que saint Origène se trouvait dans l’original écrit de la propre main de l’auteur, et l’on prouva qu’il n’avait pu y être mis par mégarde. Qui croira, dit M. Daillé[3], qu’il n’ait copié au net, et lu et relu plus d’une fois une lettre qu’il écrivait à un consistoire dont il abandonnait et la religion et le ministère ? une lettre où il entreprenait de leur persuader de suivre un exemple qu’il n’ignorait pas les devoir saisir de douleur et d’indignation. Une lettre dont, par conséquent, il ne pouvait douter qu’elle ne fût exactement examinée par des personnes irritées et en colère contre lui ? Assurément, ou il n’a pas le sens commun, ou il a bien touché et limé cette lettre et en a revu plusieurs fois la copie avant que de l’envoyer, pour n’y rien laisser qui pût donner sujet, ou de moquerie à ceux qui ne l’aimaient pas, ou de dégoût à ceux qui l’affectionnaient. Et néanmoins, après tout cela, ce saint Origène est demeuré dans sa lettre, telle qu’il l’a envoyée et que nous l’avons vue. Certainement l’auteur ne savait donc pas que ce n’est pas là la qualité légitime d’Origène. S’il l’eût su, il l’eût ôtée de sa lettre. Et s’il n’a pas su un secret qui est commun parmi ceux qui fréquentent le pays de l’antiquité, je ne vois pas comment je me puis fier aux promesses qu’il me faisait, etc. La suite de l’apologie de Cottibi est plus mauvaise : car il se jette sur le lieu commun de la haine des ministres pour les saints, et dit cent choses hors de propos comme l’on va voir. « Mais comme il semble que les ministres soient gagés pour faire la guerre aux saints, vous avez cru qu’il était de votre devoir d’attaquer celui-ci, quoiqu’il n’en eût que l’extérieur et l’apparence, car c’est assez de paraître sous cet habit et d’en prendre le nom, pour n’être plus à couvert de vos coups ; si vous contestez cette glorieuse qualité à ceux qui l’ont hautement méritée, et dont l’église chante tous les jours les louanges, ce n’est pas merveille que vous ne l’ayez pu souffrir dans un homme à qui elle ne l’a jamais déférée. Aussi n’ai-je garde d’être surpris de votre procédé, et je trouve qu’en effet vous avez grand intérêt à vous opposer à ce que le nombre des saints n’augmente : vous prévoyez avec raison que plus il y en aura dans le ciel, et plus votre parti aura d’ennemis et l’église d’intercesseurs. Je voudrais seulement que des gens qui font dire à saint Paul que[* 3] les enfans des fidèles sont saints dès le ventre de leurs mères, ne refusassent pas cet éloge à celui qui était fils d’un père et d’une mère, non-seulement fidèles, mais martyrs, et qui, après avoir lui-même, dans sa plus tendre jeunesse, souffert persécution pour le nom de Jésus-Christ, témoigna désirer avec tant de piété et d’ardeur de couronner ses premiers travaux de la gloire du martyre[* 4]. Ce bel esprit, de l’autorité duquel vous vous servez avec estime, en avait tant lui-même pour la sagesse de Socrate, que toutes les fois qu’il pensait à ce grand homme, peu s’en fallait que dans son ravissement il ne s’écriât : Saint Socrate, priez pour nous. Ce ne serait donc pas un crime irrémissible, quand mon âme aurait été touchée de quelque génération pour les vertus d’un chrétien, que l’Évangile rend précieuses, puisque les yeux de votre ami se sont laissé éblouir par les actions d’un païen, qui n’étaient après tout que des péchés éclatans[* 5] : si quelques-uns ont trouvé des taches dans le soleil, je ne m’étonne pas que ce docteur ait eu les siennes, et je ne ferai point son apologie après que les conciles ont fait son procès. Je dirai néanmoins avec ce noble écrivain[* 6], qui s’offrit de le défendre publiquement dans Rome, à l’âge de vingt-quatre ans, qu’Origène en avait plus de soixante, premier que de se déterminer dans ses écrits, et qu’il a pu avoir des erreurs sans être hérétique, ne les ayant jamais retenues avec opiniâtreté, ni défendues par la rébellion, puisqu’elles n’ont été condamnées qu’après sa mort, et que même il en avait fait pénitence durant sa vie. C’est donc en vain que vous tâchez d’animer contre moi tout ce qu’il y a de maîtres en théologie ; ce jeune comte me rassure, qui m’apprend qu’il avait le pape de son côté[* 7], avec un grand nombre de ceux qui composaient le sénat apostolique, pendant que quelques esprits envieux murmuraient de ses propositions. En tout cas, si par votre crédit et par vos sollicitations, j’avais à tomber dans la disgrâce du sacré conclave, j’aimerais encore mieux que ce fût pour avoir mis innocemment un docteur extraordinaire dans le catalogue des saints, sans approbation et sans aveu, que pour m’être opposé, comme vous, à la gloire de ceux qu’il a canonisés, tâchant, par le plus sacrilége de tous les attentats, d’en effacer les noms, et du calendrier de l’église et de la mémoire des hommes[4]. Cela ne méritait point d’autre réponse que celle-ci : Apprenez-lui[5] quelle différence il y a dans le style de la cour et de l’église romaine, entre un consistoire et un conclave. C’est une faute pardonnable à un novice. Le mal est que, dans tous ces égaremens où il s’emporte hors de la route de notre dispute, il n’a pu rien trouver qui nous fasse voir que ce soit le style des hommes savans dans l’antiquité, de dire saint Origène.

Le père Adam se voulut mêler de l’apologie de Cottibi sur cet article, et s’en acquitta si mal, qu’on ne vit jamais peut-être des tours de sophiste plus impertinens. Le passage que je m’en vais citer est un peu long ; mais comme il contient des faits qui appartiennent à l’histoire d’Origène, et que d’ailleurs il pourra servir de remède aux écrivains qui se jettent à travers champs, je n’en ai voulu rien retirer. Voici donc comment M. Daillé parle au jésuite Jean Adam[6] : « Sentant que ce lieu[7] est fâcheux, vous vous gardez bien d’y faire ferme ; et comme vous êtes hardi et délibéré, tout ce que le peut être un homme de votre robe, abandonnant ce poste incommode, vous vous jetez sur moi à belles injures, à votre ordinaire,[* 8], m’accusant d’ignorance et d’une audace magistrale, qui n’est qu’une tumeur, et non pas une science et un embonpoint. Puis[* 9] m’ayant prié de peser ce que vous m’allez dire, vous me faites une leçon de la différence qu’il y a entre les personnes errantes, et les erreurs, où vous mêlez saint Augustin et saint Jérôme, Jansénius et saint Cyran, et leurs opinions. De là vous tombez sur Origène, et sur les erreurs dont il a été soupçonné, et notamment de l’arianisme, dont vous dites que saint Athanase l’a mis à couvert. Puis[* 10] vous louez l’incomparable innocence de sa jeunesse, sa chasteté, son zèle ; vous dites[* 11] que si j’ai lu l’histoire, je sais bien que, voyant conduire les martyrs au supplice, il sortait de sa maison, et se jetant à genoux devant les bourreaux, les conjurait de lui couper la tête avec les autres chrétiens. Vous dites encore que je sais bien qu’il a rempli le monde de ses ouvrages ; que son père et sa mère ont été martyrs ; et que souvent sa mère, tirant le rideau de son lit lorsqu’il dormait, baisait la poitrine de son fils, avec ces paroles : Je baise le temple du Saint-Esprit. Vous nommez saint Grégoire de Néocésarée, Chrysostome et Basile, qui l’ont fort estimé (je laisse passer Chrysostome, bien que plus jeune, devant saint Basile, pour vous montrer que je ne suis pas si chagrin que vous voulez le faire croire) ; vous me demandez quelle raison j’ai pour prouver que ce grand homme soit mort sans faire pénitence, et m’alléguez un vieux conte pour réfuter cette opinion. Voilà l’abrégé de votre dispute sur l’affaire d’Origène. Sur quoi je vous dirai premièrement que vous me faites tort de m’imputer de savoir qu’il ait prié les bourreaux de lui couper la tête. C’est ce que je ne savais pas, n’en ayant rien vu dans Eusèbe[* 12], qui traite son histoire fort au long dans le sixième livre. Vous m’accusez aussi, avec la même injustice, de savoir que sa mère lui baisait la poitrine pendant qu’il était endormi. J’ai bien appris d’Eusèbe que Léonidas, son père l’avait quelquefois ainsi caressé dans son enfance, lui baisant l’estomac avec respect, comme un sanctuaire au-dedans duquel était consacré le St.-Esprit, et qu’il se disait heureux d’avoir un si admirable enfant. Sans doute vous aurez trouvé ces histoires en la forme que vous les débitez, dans le même auteur qui vous a appris qu’Athanase avait été autrefois grandement loué et estimé par les ariens. Mais la plus cruelle de toutes les injures que vous me faites est que, pour avoir occasion de débiter ces lieux communs et ces histoires, vous m’accusez[* 13] d’avoir cru et assuré comme une chose certaine, qu’Origène est damné. Vous faites passer, me dites-[* 14] vous, les défauts de sa doctrine jusqu’à sa personne, parlant même de sa damnation, comme si vous aviez été par avance dans les enfers, et que vous y eussiez trouvé Origène ; et deux pages plus bas[* 15], je ne saurais souffrir, dites-vous, que vous preniez le parti de ceux qui soutiennent qu’Origène est damné ; et à la fin du chapitre, vous avez pris, dites-vous, l’opinion de ceux qui tiennent qu’Origène est damné… Mais, mettant à part cet excès de votre passion, qui vous a dit que je tiens qu’Origène est damné ? Où est-ce que j’ai déclaré que ce soit là mon sentiment ? À Dieu ne plaise qu’une si injuste présomption me soit jamais entrée dans l’esprit. Je laisse au Seigneur ses secrets, et ne suis pas si hardi que de m’émanciper à définir ce que nul homme ne peut savoir avec une certitude de foi. Mais, au reste, s’il nous est permis de juger de ces choses par les apparences, je crois d’Origène ce que j’en souhaite, que Dieu, dont les miséricordes sont infinies, lui a pardonné ses erreurs, et n’a pas laissé périr avec les infidèles un vaisseau qu’il avait orné de tant de dons admirables, et dont tout ce que nous avons de véritables ouvrages ne respire qu’une foi et une piété singulières, et où les erreurs mêmes, dont ils sont quelquefois tachés (car on ne peut le nier), sont toujours accompagnées d’une modestie et d’une humilité ravissante, pour ne point parler de ses vertus et de la pureté de sa vie. C’est là mon sentiment, et je n’en ai jamais eu d’autre ; et ceux qui m’ont connu particulièrement, savent à quel point j’ai toujours admiré ce grand et incomparable esprit, et ce que j’en ai écrit en quelques endroits de mes petits ouvrages en peut faire foi. Si j’ai rapporté ce qu’écrit[* 16] le comte de Mirandole, que les théologiens de Rome ne purent souffrir qu’il doutât de la damnation d’Origène, je ne l’ai fait, comme il paraît, que pour montrer combien les maîtres docteurs dont M. Cottibi a embrassé la communion, sont éloignés du style qui donne le nom de saint à ce personnage. Ce n’est pas que j’approuve aucunement leur présomption inhumaine. Si j’ai noté la qualité de saint que M. Cottibi lui a donnée, je l’ai notée comme une marque de son ignorance dans les choses de l’antiquité, et dans la façon dont ceux qui les savent ont accoutumé d’en parler. Je ne l’ai point accusé d’avoir péché en cela contre la foi ni contre la bonté des mœurs. L’ignorance de l’antiquité n’est incompatible ni avec l’une, ni avec l’autre ; je lui permets de bon cœur d’avoir d’Origène des sentimens aussi avantageux qu’il lui plaira. Mais les lois de votre église, et celles de son style, et l’usage commun et public de tous les savans, c’est-à-dire la loi souveraine de leur langage, ne lui permettant pas de dire saint Origène, quelque opinion qu’il ait de sa personne, il ne saurait parler ainsi sans témoigner l’ignorance que je lui ai reprochée. »

On trouve mille exemples de cette nature dans les écrits polémiques ; et comme je l’ai déjà dit plus d’une fois, on ne ferait pas mal de les rassembler. Cela ne serait pas inutile pour refréner la licence que tant d’auteurs se donnent de s’écarter à droite et à gauche de l’état de la question. Je ne sais si les autres exemples égaleraient celui-ci en pièces hors d’œuvre.

  1. * Conc. Rom. Gelas., t. 3. Concil., p. 662, col. 2, B. C.
  2. * Johan. Pic. Apol., c. 7, p. 199.
  3. * Dans la forme d’administrer le baptême.
  4. * Érasme.
  5. * S. August. splendida peccata.
  6. * Joan. Picus Mirandulæ Comes in Apol., concl. 7.
  7. * Summi Pontificis et ex apostolico senatu complurium judicio contentus, videbar facilè et odium posse negligere, et convicia hominum improborum. In præfat. Apol.
  8. * Ad p. 267.
  9. * Ibidem, p. 268.
  10. * Pag. 269.
  11. * Pag. 270.
  12. * Eus., Hist. l. 6, c. 2, pag. 203, A.
  13. * Ad pag. 267.
  14. * Ad pag. 269.
  15. * pag. 271.
  16. * L. à M. de la Tal., pag. 70, 71.
  1. Daillé, Lettre à M. le Coq, pag. 70, 71.
  2. Cottibi, Réplique à M. Daillé, p. 221, 222.
  3. Daillé, Réplique à Adam et à Cottibi, IIIe. part., chap. IX, pag. 100.
  4. Cottibi, Réplique à M. Daillé, pag. 222 et suiv.
  5. Daillé, s’adressant au père Adam, Réplique à Adam et à Cottibi, IIIe. part., chap. IX, pag. 191.
  6. Daillé, là même.
  7. C’est-à-dire la supposition que Cottibi était tombé dans une équivoque.

(B) Un ministre… a fait depuis peu une observation très-solide sur un des dogmes d’Origène.] Avant que de rapporter les paroles du ministre, je copierai celles de son adversaire qui ont donné lieu à sa réflexion. C’est une faute considérable de comparer l’opinion d’Origène, touchant la non-éternité des peines, avec le dogme des sociniens sur cet article. Origène ne niait pas l’immortalité de l’âme, et n’a jamais enseigné que les méchans périssent corps et âme par la mort. L’erreur d’Origène est dangereuse, mais au moins elle n’a rien d’impie ; mais l’opinion socinienne est l’impiété épicurienne[1]. Voici la censure de ce passage : «[2] Il y a plus de danger pour la morale à dire : les réprouvés seront sauvés un jour, qu’à dire, ils seront anéantis. Origène a mis les démons et les damnés à peu près au même rang où les papistes mettent les fidèles et les régénérés, qui meurent chargés d’un grand nombre de péchés véniels, et qui n’ont pas de quoi faire dire des messes pour abréger ou adoucir leurs peines dans le purgatoire, dont le feu ne diffère de celui de l’enfer qu’en durée. Ainsi les libertins qui persévèrent dans leur libertinage et dans leurs crimes jusqu’à la mort, peuvent à peu près avoir, selon la théologie d’Origène, les mêmes craintes et les mêmes espérances que les meilleurs catholiques ont, selon la doctrine de leurs prêtres et de leurs moines. Le temps n’est rien en comparaison de l’éternité. Un enfer temporel ne peut pas être mis en parallèle avec un paradis éternel. Il est vrai que les maux présens effacent dans l’esprit des mondains l’idée des biens à venir ; et que le sentiment de ceux-là est ordinairement plus vif et plus fort que le désir et l’espérance de ceux-ci. Mais cela vient de la folie et de la corruption des hommes, et non pas de la nature des objets. De plus, il faut savoir que les maux à venir sont à peu près considérés comme les biens à venir, c’est-à-dire que les étourdis et les brutaux ne sont guère touchés ni des uns, ni des autres ; mais les sages et les gens à réflexion, envisagent de près les peines et les joies de l’autre vie, et s’en font une juste idée. D’où il suit que les gens de la première espèce ne seront pas plus effrayés de l’enfer ou du purgatoire dont Origène les menace, qu’encouragés et consolés par la fin de leurs supplices, et par la jouissance d’une béatitude éternelle dans le paradis, que ce docteur leur fait espérer ; et qu’au contraire, ceux qui ont des pensées plus sérieuses et plus profondes jugeront des biens et les maux futurs par leur durée, et se résoudront sans peine à traverser quelques siècles de mauvais temps, s’ils sont assurés de trouver au delà une éternité de bonheur et de joies infinies. Pour la doctrine des sociniens, elle ne donne point d’autre consolation aux pécheurs endurcis que leur anéantissement. Or, de la manière dont les hommes sont faits, ils aiment mieux être malheureux et heureux successivement, que de n’être point du tout. Et, selon la droite raison, il y a infiniment plus d’avantage à être éternellement comblé de bonheur, après avoir souffert quelque temps, qu’à rentrer dans le néant, et à se voir ainsi privé pour jamais d’une béatitude infinie dont on pouvait s’assurer la possession, et que l’on ne perd que par sa négligence…[3]. L’erreur d’Origène pourra inspirer le mépris de la repentance à quelques-uns, et celle des sociniens pourra en retenir d’autres dans l’impiété. Cependant l’une et l’autre est très-pernicieuse ; et c’est avoir un faux poids et une fausse mesure, et une acception de personnes trop visible, de dire que l’erreur d’Origène, quoique dangereuse, n’a rien d’impie ; mais que l’opinion socinienne est l’impiété épicurienne. Si Origène avait anéanti les réprouvés après un long purgatoire, sa théologie serait moins indulgente aux pécheurs impénitens que celle des sociniens, qui les anéantissent sans leur avoir fait souffrir aucune peine considérable[4]. Mais le paradis qu’il leur promet au bout de leur enfer, et qui les rendra éternellement semblables aux apôtres, aux martyrs et aux plus grands saints, est un puissant contre-poids contre la terreur d’un supplice qui fera place à des joies et à des félicités éternelles. »

Si l’on veut savoir la cause de cette acception de personnes, on n’aura qu’à lire ces paroles du même auteur[5] : La charité que l’on a pour ceux qui sont morts depuis plusieurs siècles ne coûte guère, parce que leur mérite n’excite pas notre jalousie et notre envie, et que nous ne les regardons pas comme nos concurrens. Mais pour juger charitablement d’un adversaire qui parle et qui écrit contre nous, et dont la réputation offusque notre gloire, il faut un peu mortifier l’amour-propre, et c’est un sacrifice que l’on ne fait pas facilement. Comme M. Jurieu n’a pas eu de querelle avec Origène, et qu’il a des ennemis personnels dans le parti socinien, il ne faut pas s’étonner s’il a plus de tolérance pour celui-là que pour ceux-ci. On s’est servi plusieurs fois de cette pensée pour donner raison de la conduite de ceux qui ont soutenu que Sophocle, Euripide, Aristophane, Aristote, etc., ont surpassé de beaucoup Corneille, Racine, Molière, Descartes, etc.

  1. Jurieu, cité par Saurin, Examen de la Théologie de M. Jurieu, pag. 688.
  2. Saurin, la même.
  3. Saurin, Examen de la Théologie de M. Jurieu, pag. 690.
  4. Il semble que M. Saurin tombe d’accord de ce qu’avance son adversaire, que les sociniens enseignent que l’âme des méchans est anéantie au même moment qu’ils meurent. Ce n’est pas ainsi que la doctrine de cette secte est rapportée ci-dessous, citation (18). Mais il est vrai que M. Saurin s’exprime d’une manière qui peut signifier qu’il n’impute point cela à la secte.
  5. Saurin, Examen de la Théologie de M. Jurieu, pag. 688.

(C) Si l’auteur du Janua cælorum reserata l’avait employée.] Cet auteur montre, par plusieurs preuves, que M. Jurieu, raisonnant conséquemment, doit enseigner que le socinianisme ne damne pas. L’une de ces raisons est tirée de ce que ce ministre avoue que les ariens ont appartenu à l’église dans laquelle le salut se peut obtenir. Cette raison serait faible, si les doctrines des sociniens qui n’ont pas été enseignées dans l’arianisme étaient mortelles. C’est pourquoi l’auteur du Janua cælorum se propose cette objection ; et il montre que, posé le cas que les hérésies communes aux sociniens et aux ariens ne soient pas mortelles, l’on ne saurait soutenir raisonnablement que les doctrines particulières aux sociniens méritent la damnation. Parcourant ces hérésies particulières, il commence par la réjection de l’éternité des enfers, et il met en fait que l’on n’oserait damner Origène ni Arnobe, précisément à cause de cette erreur. Quis auderet, dit-il[1], morti æternæ addicere Origenem, ideò præcisè quod de divinâ misericordiâ magnificentiùs sentire volens, crediderit tandem fore ut omnes mali, ne diabolis quidem exceptis, satis pænarum Deo dederint, et Deum placatum experiantur ? At hoc multò plus videtur nacere justitiæ divinæ quàm dogma socinianum de annihilatione reproborum post longas pænas ; nam destructio illa si minùs pænæ genus est gravius, ut quidam existimant, quàm æternitas infelix, rationem tamen habet pænæ, ideòque non officit juribus severi et justi legislatoris. Quidquid id est, nemo præjudiciis exutus, et ad rectæ rationis amussim rem expendens, doctrinam mortalem judicabit, si quis veritus lædere divinas perfectiones, malit sibi Deum repræsentare ut judicem ultimo supplicio reos afficientem, quam ut judicem vitæ reorum parcentem quò per multos annos exquisitis cruciatibus et perpetuis eos torquendo, longiore alieni doloris spectaculo fruatur : nemo, inquam, solidè ratiocinatus talem opinionem mortalem crediderit, qui semel agnoverit arrianam hæresim non esse mortalem. Quis auderet Arnobium in inferis collocare quia crediderit animas reprohorum flammis ultricibus tandem penitùs consumi ? Vous voyez bien qu’il observe que le dogme d’Origène donne plus de bornes à la justice divine que le dogme des sociniens, puisque ceux-ci mettent à la fin des peines un acte de sévérité, savoir l’annihilation du pécheur, au lieu qu’Origène y met un acte d’une souveraine bonté, savoir le transport des esprits damnés dans la jouissance de la souveraine béatitude : vous voyez bien, dis-je, qu’il observe cette différence ; mais il ne la développe pas avec autant d’exactitude que M. Saurin l’a développée. Bien davantage, il se fait une objection qu’il eût pu ruiner par la remarque de M. Saurin, et néanmoins il se sert d’une tout autre réponse. Il suppose[2] qu’on lui dira que la réjection de la Trinité n’est pas aussi pernicieuse à la république, que la réjection de l’éternité des peines ; et il se contente de répondre qu’il ne faut point juger par cette règle si une hérésie est fondamentale, ou si elle ne l’est pas ; car autrement il faudrait dire que des erreurs très-grossières et très-honteuses ne seraient qu’une vétille, attendu qu’elles sont très-propres à tenir en bride les citoyens[3]. Voilà toute sa réponse. Il a oublié ce qu’il y avait de meilleur à dire sur cette objection : il n’a point dit que le sentiment d’Origène est plus pernicieux à la république que celui des Sociniens ; le sentiment, dis-je, d’Origène, que M. Jurieu regarde comme une erreur digne d’excuse[4]. Si Larébonius avait fait la réflexion de M. Saurin, il aurait tiré à brûle-pourpoint sur son adversaire. Rapportons encore un passage du pasteur d’Utrecht. « M. Jurieu veut bien excuser les erreurs d’Origène à cause de son grand zèle ; mais si quelqu’un nous venait aujourd’hui débiter les rêveries de cet ancien, M. Jurieu ne se croirait obligé à aucun support. Si ces rêveries sont des hérésies et des impiétés qui changent l’enfer en un purgatoire, et qui anéantissent par ce moyen la crainte des peines éternelles et la crainte de Dieu, pourquoi les doit-on supporter dans Origène ? Où est le grand zèle de ce docteur, s’il a été hérétique et docteur d’hérésie ? Si ces erreurs n’étaient pas fondamentales dans Origène et dans le troisième siècle, par quelle machine sont-elles devenues fondamentales dans le dix-septième siècle et dans les docteurs modernes ? Nous verrons bientôt qu’il y a de la différence entre l’opinion d’Origène et celle des sociniens sur les peines de l’enfer, et que cette différence dont M. Jurieu veut tirer l’avantage pour Origène, lui est tout-à-fait désavantageuse[5]. »

Si l’auteur du Janua cælorum ne s’est pas servi de ses avantages, M. Saurin, d’autre part, a laissé passer à son homme deux grosses fautes : l’une est d’avoir imputé aux sociniens qu’ils enseignent que l’âme meurt avec le corps, l’autre que leur sentiment sur la destruction de l’âme est l’impiété épicurienne. La première de ces deux fautes est un mensonge, ou plutôt une calomnie[6]. La deuxième est une ignorance inexcusable. La secte socinienne n’enseigne pas que les mechans ne souffriront rien après cette vie ; elle dit seulement que leurs peines cesseront enfin par l’anéantissement de leur âme. Et quand même il se trouverait quelque auteur socinien[7], qui enseignerait que leur âme est anéantie dès qu’elle quitte le corps son sentiment ne serait pas celui d’Épicure : car ce philosophe croyait, d’un côté que les dieux n’ont aucune part ni à la mort ni à la vie des hommes ; et de l’autre, que l’âme meurt avec le corps, parce qu’elle ne consiste que dans un certain mélange d’atomes. Le socinien au contraire, dont nous parlons, soutiendrait que les âmes des méchans sont d’une nature à durer toujours après cette vie, et qu’elles ne cessent d’être que parce que Dieu les anéantit en punition de leurs fautes. Les docteurs les plus orthodoxes sur la nature de l’âme conviennent que Dieu la peut anéantir à toute heure. Notez que rien ne peut nous dispenser de cette règle de l’équité naturelle, qu’on ne doit point attribuer à une secte les sentimens de quelques particuliers.

  1. Carus Larebonius, in Januâ cælorum reseratâ, pag. 96, 97.
  2. Carus Larebonius, in Januâ cælorum reseratâ, pag. 97.
  3. Alioquin mutatis vicibus pro innocuis deberemus habere errores non paucos crassissimos atque fædissimos, undè multum emolumenti capit respublica, in multas perturbationes casura per introductionem quarundam veritatum.
  4. Voyez Saurin, Examen de la Doctrine de M. Jurieu, pag. 682.
  5. Saurin, là même, pag. 683, 684.
  6. On en avertit cet auteur, l’an 1690, dans l’Avis sur le Tableau du Socinianisme, pag. 44.
  7. Il s’en trouve quelques-uns.

(D) Il y a beaucoup de théologiens dans la communion de Rome qui croient qu’Origène est dans les enfers.] Nous avons déjà vu les plaintes qui furent faites contre Pic de la Mirande qui soutenait un sentiment opposé. Le jésuite Étienne Binet, publiant un livre à Paris, l’an 1629, touchant le salut d’Origène, n’osa se déclarer pour l’affirmative qu’en tremblant. Il prit le parti de donner à cette affaire la forme d’une révision de procès. Il fit ouïr des témoins ; il fit plaider pour et contre, et intervenir les conclusions des gens du roi du ciel. Enfin, il fit prononcer cet arrêt : Vu tout ce qui a été dit de part et d’autre, et les conclusions des gens du roi du ciel, il a été dit, que l’affaire sera appointée au conseil secret de Dieu, et à lui réservée la sentence définitive. Et néanmoins par provision, et au profit d’Origène, a été dit, que tout bien balancé, les preuves qui le sauvent sont plus fortes et mieux concluantes que celles qui le damnent, partant il y a plus d’apparence de le croire sauvé que damné[1]. Les témoins qu’il fait ouïr pour Origène sont Jacques Merlin[2] et Érasme[3] : Les avocats qu’il fait plaider pour le même père, sont Génebrard[4], et Jean Pic de la Mirande[5]. Après cela le grand cardinal Baronius[6] au nom du cardinal Bellarmin, et de tous ceux qui sont contre Origène, harangue les juges pour demander la condamnation de l’accusé, dont il étale les hérésies et les crimes. Voici quelques-unes de ses hérésies : 1o. Que les âmes avaient péché avant qu’elles fussent dans les corps[7] ; 2o. qu’après la résurrection les corps des saints seraient ronds et lumineux comme le soleil[8] 3o. que le soleil, la lune, et les étoiles sont vivantes ; 4o. qu’au jour du jugement les anges gardiens seront châtiés, s’ils n’ont bien fait leur devoir à la garde des hommes commis aux soins de leur charité[9] ; 5o. que devant la création de ce monde il y en avait eu plusieurs autres, et que quand celui-ci serait réduit en poussière, on en créerait plusieurs les uns après les autres[10] ; 6o. que les étoiles sont des livres où l’on trouve la bonne fortune des humains ; que les anges y font l’horoscope des hommes, et y apprennent leur bonne aventure, et qu’ils ont enseigné aux hommes une partie de cette astrologie judiciaire, afin de tirer la nativité d’un homme, sans forcer pourtant le franc arbitre, ni violenter sa volonté[11]. 7o. que la terre est un gros animal capable de bien et de mal[12], et ensuite digne de récompense ou de châtiment ; et de là vient que Dieu la bénit, ou la maudit, selon qu’elle se comporte bien ou mal, et se rend capable de l’un ou de l’autre[13] ; « 8o. qu’après le jour du jugement, les femmes seront transformées en hommes, et les corps humains en âmes très-pures, et que ce ne seront plus hommes composés d’os et de chairs glorieuses ; mais que tous ne seront que des esprits tous purs, et comme des anges du ciel. » La grande raison de Baronius est celle-ci :[14] « Le concile général ne s’est pas contenté à l’ordinaire de condamner sa doctrine, mais a passé jusque-là que de condamner sa personne, et a foudroyé l’anathème sur sa personne propre, et l’a condamné par son nom[* 1], et voici les paroles du saint concile. L’empereur ayant requis, ut cum erroribus suis autor ipse Origenes damnaretur. Le saint concile[* 2] ayant mûrement considéré l’affaire et invoqué l’assistance du Saint-Esprit, enfin prononça ces paroles, ou plutôt ces éclats de tonnerre. En premier lieu, il[* 3] lança dix anathèmes contre la venimeuse doctrine d’Origène, puis passant outre, dit : Anathema etiam ipsi Origeni qui dicitur Adamantius. Il ajouta exprès ce dernier mot, afin qu’on ne crût pas que ce fût de l’autre Origène qu’il parlait, mais de celui qui était le vrai Origène, qu’il couvrait d’anathème, comme un homme perdu, condamné, et damné. » Voyons un trait de l’éloquence de ce temps-là. Binet suppose que Baronius, se prévalant d’une vision qui est rapportée dans le Pré spirituel, parla de cette manière[15] : Faudra-t-il enfin arriver à cette extrémité, que je sois forcé d’ouvrir les enfers, pour vous faire voir qu’Origène y est, autrement on ne le croira pas ? Serait-ce pas assez d’avoir montré son forfait, sa mort malheureuse, l’arrêt de sa condamnation par les empereurs, par les papes, par les saints et par le concile Ve. général, outre les autres, et quasi par la bouche de Dieu même ? mais puisqu’il ne reste plus que de descendre aux enfers pour faire voir ce perdu, et cet Origène damné ; allons, messieurs, je suis content de le faire, pour mener l’affaire jusques au bout, et allons, de par Dieu, en enfer pour voir s’il y est ou non, et pour enfin décider cette affaire. Le saint concile Ve. général[* 4] a cité un livre, et a autorisé en le citant, qu’il était livre digne de fournir de bonnes preuves et valables pour s’en servir à fortifier les décisions du concile au fait des images. Pourquoi ne nous en servirons-nous pas après lui, pour vider ce différent qui n’est déjà d’ailleurs que trop éclairci et vidé ? Là il est dit qu’un bon homme se trouvant en peine sur le salut de l’âme d’Origène, après des ardentes prières d’un saint vieillard, vit ouvertement comme une espèce d’enfer à découvert ; il reconnut là les hérésiarques qu’on lui nomma tous nom par nom, et au milieu il y vit Origène qui était là damné parmi les autres, et chargé d’horreur, de flammes, et de confusion. Rapportons quelque chose de ce qui fut répondu à l’objection qu’on vient de lire. « L’église fonde-t-elle ses canons sur des visions d’un ermite, elle qui enseigne que les visions des particuliers jamais n’obligent personne à les croire, et que jamais on ne fonde un article de foi sur la vision de quelque particulier. De façon que je veux que le Pré spirituel rapporte qu’un bon abbé a vu Origène en enfer : mais est-ce le premier qui a été trompé ? et de quel Origène parle-t-il, du nôtre, ou de celui qui était infâme ? et de quelle autorité est ce livre du Pré spirituel ? Mettons le cas que le VIIe. concile général l’ait cité en quelque chose, comme au fait des images, est-ce à dire pourtant qu’il l’ait canonisé en tout ce qui y est, et combien de simplicités sont dans ce livret, qui semblent ridicules, et que les sages ont de la peine de croire[16]. » Encore ce petit mot : On nous allègue une vision d’un simple abbé, et moi je vous allègue ici une vision d’une grande sainte nommée Mechtilde[* 5], à laquelle Dieu révéla qu’il ne voulait pas que le monde sût ce qu’était enfin devenu Samson, Salomon et Origène, pour donner de la terreur aux plus forts, aux plus sages et aux plus savans de ce monde, les tenant en suspens dans cette incertitude[17].

Notez que Robert de Corcéone, cardinal anglais qui florissait au commencement du XIIIe. siècle, fit un livre sur la question si Origène est sauvé. Baléus en parle.

  1. * Baron., ann. 400, ann. 538, ann. 553.
  2. * 5. Synod.
  3. * Niceph., lib. 17, c. 27, 28, Sur. 11. Janu, Cedren, in Annal. Cassiod. 1. div. inst. Prat. spirit., c. 26. Baron., ann. 532.
  4. * Baron., ann. 532. Mosch., in Prat., c. 26.
  5. * Lib. vitæ Melcht., edit., ann. 1627.
  1. Étienne Binet, du Salut d’Origène, p. 468.
  2. Præfat. ad Origenem, ann. 1512.
  3. In Vitâ Origenis.
  4. In Origen.
  5. Apologia, Q. VII de Salute Origenis.
  6. Binet, pag. 155, le cite, Annal., tom. 3, an. 533, etc.
  7. Binet, pag. 158, ex S. Leone epist. decret. 11.
  8. Là même, pag. 160 et suiv. ex Niceph., l. 17, c. 27, præf. in Conc. 5, Constantinop.
  9. Orig., Hom. 20 in num., apud Binet, pag. 166.
  10. Orig., in c. i, eccl. ex Methodio et Genebr., apud Binet, pag. 168.
  11. Orig. in Genes. Philocal., c. 25, apud Binet, pag. 168.
  12. Confer quæ suprà, remarque (D) de l’article Képler, t. VIII, pag. 552.
  13. Orig. Hom. 4, in Ezech., apud Binet, ibidem.
  14. Binet, pag. 191.
  15. Binet, pag. 195 et suiv.
  16. Binet, pag. 129.
  17. Binet, pag. 219.

(E) Nous examinerons… ce qu’il suppose que pourroit dire un origéniste après avoir vu toutes les objections des manichéens.] Quoique les raisonnemens qu’il lui prête soient courts et serrés, je crois néanmoins que j’en garderai toute la force si je les réduis à ces trois propositions. « 1o, Dieu nous a faits libres, pour donner lieu à la vertu et au vice, au blâme et à la louange, et à la récompense et aux peines[1]. » 2o. Il ne damne personne simplement pour avoir péché, mais pour ne s’être pas repenti[2]. 3o. Les maux physiques et moraux du genre humain sont d’une durée si courte en comparaison de l’éternité, qu’ils ne peuvent pas empêcher que Dieu ne passe pour bienfaisant et pour ami de la vertu[3]. C’est dans cette dernière proposition que se trouve toute la force de l’origéniste, et voici pourquoi : c’est qu’il suppose que les tourmens de l’enfer ne dureront pas toujours, et que Dieu après avoir jugé que les créatures libres ont assez souffert, les rendra ensuite éternellement heureuses[4]. Le bonheur éternel qui leur sera conféré remplit l’idée d’une miséricorde infinie, quand même il aurait été précédé de plusieurs siècles de souffrance ; car plusieurs siècles ne sont rien en comparaison d’une durée infinie, et il y a infiniment moins de proportion entre le temps que cette terre doit durer et l’éternité, qu’il n’y en a entre une minute et cent millions d’années[5]… « Parmi les hommes, ceux qui traitent un enfant de quelque incommodité, et qui le guérissent par un remède amer, ne font que rire des plaintes qu’il fait de cette amertume, parce qu’ils savent qu’en très-peu de temps il ne la sentira plus, et que le remède lui fera du bien. Il y a infiniment plus de disproportion entre Dieu et les hommes les plus éclairés, qu’il n’y en a entre eux et les enfans les plus simples. Ainsi nous ne pouvons pas nous étonner raisonnablement que Dieu regarde les maux que nous souffrons comme presque rien ; lui qui seul a une idée complète de l’éternité, et qui regarde le commencement et la fin de nos souffrances comme infiniment plus proches que le commencement et la fin d’une minute. Il faut raisonner de même des vices et des actions vicieuses, qui à l’égard de Dieu ne durent pas longtemps, et qui dans le fond ne changent rien dans l’univers. Si un horloger faisait une pendule qui, étant montée une fois, allât bien pendant une année entière, excepté deux ou trois secondes qui ne seraient pas égales, lorsqu’elle commencerait à marcher, pourrait-on dire que cet ouvrier ne se piquerait pas d’habileté, ni d’exactitude dans ses ouvrages ? De même si Dieu redresse un jour, pour toute l’éternité, les désordres que le mauvais usage de la liberté aura causés parmi les hommes, pourra-t-on s’étonner qu’il ne les ait pas fait cesser pendant le moment que nous aurons été sur cette terre[6] ? »

Voyons ce qu’un manichéen pourrait répondre à ce discours d’un origéniste.

I. La première chose qu’il pourrait dire est que nous ne trouvons point dans notre esprit l’idée de deux sortes de bonté, dont l’une consiste à faire un présent dont on prévoit les mauvais effets sans qu’on les arrête, quoiqu’on le puisse ; et l’autre à faire une grâce tellement conditionnée qu’elle servira toujours à l’avantage de celui qui la reçoit. Il n’est pas besoin que j’avertisse que par idée de la bonté on n’entend une bonté imparfaite, telle qu’elle se rencontre dans le cœur de l’homme pécheur, mais une bonté que les abstractions de logique détachent de tout défaut. Cette bonté idéale n’est point un genre qui ait au-dessous de soi les deux espèces que j’ai décrites. Son attribut essentiel et distinctif est de disposer son sujet à faire des biens, qui par les voies les plus courtes et les plus certaines dont il se puisse servir rendent la condition de celui qui les reçoit. Cette bonté idéale exclut essentielle- ment et nécessairement tout ce qui peut convenir à un être malicieux. Or il est certain qu’un tel être se porterait aisément à répandre des faveurs dont il saurait que l’usage deviendrait funeste à ceux à qui il les communiquerait. On parle d’un certain Romain qui faisait présent de très-beaux habits à ceux à qui il voulait du mal.

Eutrapelus, cuicunque nocere volebat,
Vestimenta dabat pretiosa : beatus enim jam
Cum pulchris tunicis sumet nova consilia et spes :
Dormiet in lucem : scorto postponet honestum
Officiun : nummos alienos pascet : ad imum
Thrax erit, aut olitoris aget mercede caballum
[7].

C’est-à-dire : « Quand Eutrapélus voulait nuire à quelqu’un, il n’en savait pas de meilleur moyen que de lui envoyer des habits magnifiques ; car, disait-il, cet homme-là se croyant déjà le favori de la Fortune, et prenant ces beaux habits formera de nouveaux desseins, et concevra de nouvelles espérances. Il dormira jusqu’à midi, il préférera une courtisane à tous ses devoirs les plus honnêtes ; il prendra le soin de faire profiter à ses dépens l’argent de son voisin ; et il sera enfin réduit à être gladiateur, ou valet de jardinier, et mènera au marché un cheval chargé d’herbes[8]. » Les mauvais princes, qui chercheraient les moyens de satisfaire adroitement la passion qu’ils auraient conçue de ruiner un grand seigneur, lui donneraient avec joie le gouvernement d’une province, s’ils savaient qu’en abusant de cette charge il se rendrait le plus odieux de tous les hommes, et le plus digne d’un châtiment exemplaire ; mais un héros de roman formé pour être un modèle de la perfection royale, un prince, dis-je, tiré d’après les idées encore plus exactement que le Cyrus de Xénophon[9], ne tendra jamais un piége par ses libéralités. Veut-il donner des charges ? il choisit les plus convenables à ceux qu’il souhaite de gratifier, et ne leur donne point celles dont il conjecture qu’ils s’acquitteraient très-mal. Il donne promptement : c’est un caractère de bonté qui multiplie le bienfait[10]. Il n’engage pas à de longues sollicitations ceux qui lui demandent quelque chose : cela détruit le mérite du bienfait[11], et ne convient qu’à une bonté si médiocre qu’elle n’est presque point digne d’être distinguée de la dureté. Ceux qui nous ont donné le portrait du cardinal Mazarin, ont mis comme un grand défaut l’habitude qu’il avait contractée de faire traîner si long-temps l’exécution de ses promesses, que tout le plaisir se consumait dans l’espérance, et qu’on trouvait ses faveurs toutes estropiées par les efforts avec quoi il avait fallu lui arracher. Promissis largus, quibus multoties non stetit : aut si implevit, fastidio et morâ diù libratum beneficium improbè extortum elumbavit, longo voto consumens gaudia[12]. Si l’on avait voulu faire son panégyrique, et lui attribuer par adulation une libéralité achevée, l’on aurait dit que sa promptitude à obliger prévenait les sollicitations, et qu’elle épargnait à ses cliens la honte d’une requête. Illud atque in vulgus, principem obiisse… liberalem in primis, et qui raro exemplo hujus ævi preces anteverteret, ut consuleret accipientium pudori[13]. Un panégyriste qui s’attacherait à la perfection en idée pour l’attribuer à ses héros, ne manquerait pas de faire entrer dans le caractère de leur libéralité une liaison indissoluble entre donner l’art de bien user d’un présent, et donner le présent même.

On voit par-là quelles sont les propriétés de la bonté idéale, ce qu’elle exclut, ce qu’elle renferme. Or en consultant cette idée de bonté, on ne trouve point que Dieu, principe souverainement bon, ait pu renvoyer la félicité de la créature après plusieurs siècles de misères[14], ni lui donner un franc arbitre dont il était très-certain qu’elle ferait un usage qui la perdrait. Si elle lui eût demandé un tel présent, il n’aurait point pu le lui accorder sans démentir son essence ; à plus forte raison n’a-t-il point pu le lui donner sans qu’elle le demandât : l’aurait-elle bien voulu prendre si on l’avait consultée ? et si elle avait connu quelles en seraient les suites, n’aurait-elle pas crié plutôt[15],

Que tels présens soient pour mes ennemis !

Mais si la bonté infinie du Créateur lui permettait de donner aux créatures une liberté dont elles pourraient faire un mauvais usage aussitôt qu’un bon usage, il faudrait pour le moins dire qu’elle l’engagerait à veiller de telle sorte sur leurs démarches, qu’elle ne les laisserait pas actuellement pécher. Son amour infini pour la vertu, sa haine infinie pour le vice, sa sainteté en un mot, uniraient ses intérêts avec ceux de la bonté ; et par le concours de ces deux divins attributs, le mauvais usage du franc arbitre serait détourné toutes les fois qu’il serait prêt à éclore. Les pères qui ne peuvent refuser à un enfant la permission de marcher seul, ou de monter une échelle à bras, ou d’aller à cheval, lorsqu’il est visible qu’il tombera si l’on n’y prend garde, ne manquent jamais de donner ordre que de quelque côté qu’il chancèle il trouve toujours un appui. Si une bonté finie, et qui ne peut pas concilier invisiblement son secours avec les forces d’un petit enfant, empêche toujours, quand elle le peut, qu’il ne tombe, ou qu’il ne se blesse avec un couteau qu’il a fallu lui accorder pour faire cesser ses pleurs, combien plus devrait-on être persuadé que Dieu aurait prévenu le mauvais usage du franc arbitre, lui qui est infiniment bon, infiniment saint, et qui peut infailliblement incliner la créature vers le bien, sans donner atteinte aux priviléges de la liberté[16]. C’est ainsi qu’un manichéen pourrait répondre à l’origéniste sur la première des trois propositions qu’on a vues ci-dessus. On voit bien, sans que je le dise, qu’il se servirait quelquefois des argumens qu’on appelle ad hominem.

Pour ce qui est de la raison alléguée par l’origéniste, qu’il fallait accorder la liberté à la créature afin de donner lieu à la vertu et au vice, au blâme et à la louange, à la récompense et aux peines, on la pourrait très-bien réfuter et facilement. Il suffirait de répondre que bien loin qu’une semblable raison ait dû obliger un être infiniment saint et infiniment libéral, à donner le franc arbitre aux créatures, elle devait au contraire l’en détourner. Le vice et le blâme ne doivent point avoir lieu dans les ouvrages d’une cause infiniment sainte, il faut qu’ils y trouvent bouchées toutes les avenues, tout y doit être louable ; la vertu y doit occuper tellement les postes, que la qualité opposée ne s’y puisse jamais fourrer. Et comme tout doit être heureux dans l’empire d’un souverain être infiniment bon et infiniment puissant, les peines n’y doivent point avoir lieu. On ne doit point trouver en voyageant dans ce vaste empire une vallée de larmes, ni un vestibule tel que celui dont un grand poëte a donné cette description.

Vestibulum ante ipsum, primisque in faucibus Orci,
Luctus, et ultrices posuêre cubilia curæ :
Pallentesque habitant morbi, tristisque senectus :
Et Metus, et malesuada Fames, et turpis egestas,
Terribiles visu formæ) Lethumque, Laborque ;
Tum consanguineus Lethi Sopor : et mala mentis
Gaudia, mortiferumque adyerso in limine Bellum :
Ferreique Eumenidum thalemi ; et discordia demens,
Vipereum crinem vittis innexa cruentis[17].

Sans traverser des espaces remplis d’horreur, on doit rencontrer d’abord les théâtres de la félicité.

Devenêre locos lætos, et amæna vireta
Fortunatorum nemorum, sedesque beatas.
Largior hîc campos æther, et lumine vestit
Purpureo : solemque suum, sua sidera nôrunt
[18].

La vertu, la louange, les faveurs, peuvent fort bien exister sans que le vice, le blâme, et les peines aient aucune autre existence que celle qu’on nomme idéale et objective. L’origéniste ne le peut nier, puisqu’il reconnaît une félicité éternelle pour toutes les créatures libres, qui succédera à quelques siècles de souffrance. La vertu, la louange, les bienfaits, auront lieu pendant la durée infinie de bonheur ; mais le vice, le blâme, et les peines, n’y auront aucune existence hors de l’entendement. Si l’origéniste répond que ces bienfaits ne seraient pas une récompense au cas que les créatures n’eussent point été douées de liberté, nous répliquerons qu’il n’y a nulle proportion entre une félicité éternelle, et le bon usage que l’homme fait de son franc arbitre : c’est pourquoi le bonheur éternel que Dieu fait sentir à un honnête homme ne peut point être considéré, proprement parlant, comme une récompense ; c’est une faveur, c’est un don gratuit. On ne peut donc pas prétendre, selon l’exactitude des termes, que le franc arbitre a dû être conféré aux hommes afin qu’ils pussent mériter le bonheur du paradis, et l’obtenir à titre de récompense. Ce langage pourrait avoir lieu tout aussi bien quand même il n’y aurait qu’une subordination entre la vertu et le bonheur éternel, c’est-à-dire une liaison de pensées nécessairement vertueuses dans laquelle le bonheur suivrait et la vertu précéderait. Je laisse à dire que plus la félicité éternelle serait éloignée de la notion de récompense, plus marquerait-elle le caractère d’une bonté infinie. II. La réponse à la seconde proposition ne nous arrêtera guère. Le manichéen ne manquerait pas d’observer que l’impénitence n’étant autre chose qu’un mauvais usage de la liberté, tout revient à un, soit que l’on dise que Dieu ne damne les gens qu’à cause qu’ils ne se repentent pas, soit que l’on dise qu’il les damne simplement à cause qu’ils ont péché. J’avoue que, généralement parlant, c’est une marque de miséricorde, que de vouloir remettre la peine à ceux qui auront regret de leur faute ; mais quand on promet de pardonner sous la condition du repentir, à des gens dont on est très-assuré de l’impénitence, on ne promet rien, proprement parlant, et l’on est tout aussi résolu à les châtier, que si l’on ne leur offrait aucune grâce : si vous vouliez tout de bon les exempter de la peine, vous les empêcheriez d’être impénitens, chose très-facile à celui qui est le maître des cœurs. Voilà encore des argumens ad hominem. III. À l’égard de la troisième proposition et de ses preuves, le manichéen pourrait demander d’abord si l’origéniste oserait bien déterminer la durée des tourmens qui précèdent l’éternité bienheureuse. On n’oserait la déterminer, car non-seulement on l’ignore, mais aussi on craindrait ou de la faire trop courte, ou de la faire trop longue. Si on la faisait trop courte, comme par exemple de cent ans, On craindrait d’être accusé de lâcher la bride aux pécheurs ; et si on la faisait d’un million d’années, on craindrait de ne point donner une juste image de la miséricorde de Dieu, et de ne point lever tout le scandale de la cruauté prétendue de la doctrine des enfers. On ne se fie donc guère à la nullité de proportion entre la durée d’un million de siècles, et une durée infinie, et l’on ne voit pas que ce soit résoudre la difficulté que de dire, qu’il y a infiniment moins de proportion entre la durée de la terre et l’éternité qu’il n’y en a entre une minute et cent millions d’années. Ce qui se peut assurer d’autant de millions de siècles qu’il y a de gouttes d’eau dans l’Océan. Ce nombre de siècles multiplié tant qu’il vous plaira, est une chose finie, or il n’y a nulle proportion entre le fini et l’infini ; il n’y en a donc aucune entre quelque nombre de siècles que ce soit, et l’éternité. Cependant personne ne peut s’empêcher de juger que la justice divine serait moins sévère, si elle faisait cesser, au bout de cent ans le malheur des réprouvés, pour les introduire au paradis, que si elle ne faisait ce changement qu’au bout de cent mille siècles. Quelque effort que l’on fasse sur son esprit, on ne saurait satisfaire la raison en lui disant, qu’à la vérité Dieu s’apaisera enfin, mais que ce ne sera qu’après que les peines infernales, telles qu’on les décrit ordinairement, auront duré autant de millions d’années qu’il y a de gouttes d’eau dans la mer. Ce nombre d’années, qui n’est rien en comparaison de l’éternité, paraît néanmoins une durée très-longue quand il est considéré en lui-même, et par rapport à la personne souffrante. D’où que cela vienne, soit qu’il faille dire que notre raison est trop sotte pour pouvoir être trompée, soit qu’il y ait réellement quelque source d’illusion et de sophisme dans les idées du temps, on ne peut ôter de l’esprit d’un philosophe ne raisonnant qu’en philosophe, que le supplice d’une créature continué pendant cent mille millions de siècles, est incompatible avec la souveraine bonté du créateur. On doit supposer que l’origéniste sent bien cela, et que c’est pour cette raison qu’il n’oserait dire que le purgatoire des damnés sera une si longue durée. Or voici comment il me semble qu’un manichéen le pourrait presser. Vous trouveriez de la cruauté dans un supplice si long, prenez seulement la moitié de cette durée, et si vous y trouvez autre chose qu’une diminution de rigueur, vous vous abusez vous-même, car cinquante millions d’années ne diffèrent de cent mille millions que du plus au moins, et l’on ne passe pas de la cruauté à la souveraine bonté par la simple diminution de la cruauté : les qualités in summo gradu[19], la chaleur par exemple, exclut absolument tous Les degrés de froideur, il faut donc que la bonté in summo gradu exclue tous les degrés quelconques de la qualité opposée. Vous ne pouvez donc parvenir à la suprême bonté de Dieu, qu’en supprimant jusqu’à la dernière minute les supplices des enfers. Car ce que Dieu peut être un moment, il le peut être deux heures, et deux siècles, et dans toute l’éternité ; mais ce qui serait incompatible avec sa nature dans l’éternité, l’est aussi dans chaque instant de la durée des choses. Les qualités de la créature sont susceptibles du plus et du moins, et ne sont jamais parfaites, mais nous les appelons parfaites lorsque ce qui leur manque n’est point fort sensible. Nous louons la justesse d’un horloger, lorsque sa pendule ne se détraque que dans deux ou trois secondes sur une année ; mais la justesse d’un ouvrier souverainement parfait exclut absolument toutes exceptions ; sa sainteté, sa sagesse, etc. sont absolument simples, et sans nul mélange des qualités contraires ; je dis sans le plus petit mélange qui se puisse concevoir, ou qui puisse être dans la nature des choses. IV. L’idée de cette bonté exclut tous les défauts qui se rencontrent presque toujours dans la manière dont les hommes font du bien les uns aux autres. Les uns se plaisent aux délais[20] ; les autres ne peuvent se rendre utiles que par des détours, et ils sont contraints malgré eux de faire passer par le mal ceux qu’ils veulent mener au bien. Les pères qui ne peuvent corriger qu’à coups de fouets les mauvaises inclinations d’un enfant, lui font sentir la douleur des coups de verge ; mais ils s’en garderaient bien s’ils étaient persuadés qu’une complaisance sans bornes serait un moyen plus efficace de correction. Ils le contraignent d’avaler une médecine qui lui causera des tranchées, et dont l’amertume lui sera insupportable ; mais ils n’en useraient pas de la sorte, s’ils savaient un autre moyen de le guérir. Ils se serviraient du sucre, et de tout ce qui serait le plus à son goût, s’ils espéraient de trouver là un meilleur remède. Ne pouvant éviter de lui faire prendre une potion désagréable, ils en adoucissent l’amertume le mieux qu’ils peuvent par de petites tromperies[21], et quoiqu’ils regardent comme une faiblesse ridicule les plaintes qu’il fait du mauvais goût d’une médecine, persuadés qu’ils sont qu’en très-peu de temps il ne le sentira plus, et que le remède lui fera du bien ; nonobstant cela, dis-je, ils lui épargneraient de tout leur cœur cette peine, et le guériraient par les liqueurs les plus savoureuses du monde, s’ils le pouvaient. Il n’est pas besoin d’être père pour sentir telles dispositions dans son âme. Il n’y a ni médecin ni apothicaire qui ne fasse des excuses de ce que les remèdes sont amers, et qui ne proteste que s’il était possible de leur donner le goût de la sauce la plus excellente que les meilleurs cuisiniers sachent faire, on n’y épargnerait point son industrie, mais qu’une nécessité que tout l’art humain ne peut surmonter, oblige à faire prendre des médecines désagréables. Il est sûr que ce langage est sincère, lors même que l’on s’en sert auprès d’un malade que l’on n’avait jamais vu. Demandez à un chirurgien qui remet le bras à une personne inconnue ; si vous pouviez faire cette opération sans causer aucune douleur, ne la feriez-vous pas de cette manière ? Il vous répondra que cette question est inutile, et qu’on doit tenir pour indubitable qu’un homme de sa profession qui saurait panser une plaie en deux manières également bonnes, mais l’une douloureuse, l’autre agréable et qui préférerait celle-là à celle-ci, serait un monstre de cruauté, un tigre, un cannibale qu’il faudrait faire expirer incessamment sur une roue[22]. Les maîtres d’écoles pour l’ordinaire n’ont pas l’esprit bien tourné ; cependant je doute qu’il y en ait d’une pédanterie assez sauvage, pour aimer mieux employer le fouet que les caresses, lors même qu’ils seraient certains que la douceur et la complaisance feraient faire autant de profit à leurs disciples que les châtimens. Ne donne-t-on pas des friandises à de petits écoliers pour vaincre leur répugnance[23] ? Recourir aux gronderies et à la férule sans nécessité, je veux dire sans que cela soit plus profitable que les caresses et les présens, c’est être brutal. On pourrait amplifier à perte de vue cette induction, et de là naîtrait une conséquence qui décontenancerait un origéniste ; car on en pourrait conclure que les idées de l’expérience et les idées métaphysiques s’accordent à nous montrer que faire du mal à quelqu’un, lors même que ce n’est que pour peu de temps, et pour en tirer un grand bien, est une chose incompatible avec la bonté, à moins qu’il ne soit impossible de trouver un chemin droit par où l’on puisse mener ce quelqu’un de bien en bien constamment et invariablement. On a donc beau dire que les peines des damnés ayant duré un certain temps, qui sera fort court en comparaison de l’éternité, seront suivies d’un bonheur qui ne finira jamais ; cela ne laisse pas de paraître d’autant plus incompatible avec la bonté de Dieu, que c’est une bonté infinie et souverainement parfaite, qui ne peut souffrir la moindre diminution, ni la moindre interruption sans cesser d’être parfaite. Souvenons-nous de la doctrine des scolastiques sur la nature des premières qualités. La chaleur in summo gradu[24], ou ut octo, comme ils s’expriment, n’est plus une qualité première, simple, et dans la perfection, dès qu’elle est mêlée avec le plus petit degré de froid qui puisse exister. Elle passe dès lors dans la nature des secondes qualités, ou des qualités composées : les essences consistent in indivisibili, dans un point indivisible ; pour peu que vous en ôtiez, vous les détruisez entièrement. Il leur faut tout ou rien, et ainsi, quelque mince que puisse être le mélange de la qualité malfaisante avec bonté, cette bonté perd l’essence de la bonté parfaite ; elle change d’espèce, et se trouve appartenir à l’espèce des qualités imparfaites. Je mets en note l’axiome philosophique qui prouve cela[25]. Il faut donc que si les origénistes se veulent tirer d’affaire, ils ajoutent une nouvelle hérésie aux précédentes ; il faut qu’ils soutiennent qu’il a été impossible à Dieu de conduire les créatures libres à un bonheur éternel, sans qu’au préalable elles souffrissent les misères de cette vie, et puis pour un certain temps les infernales, Ils pourraient alléguer que tout de même que les poissons ne peuvent vivre dans l’air, ni les hommes sous les eaux, les esprits ne sauraient vivre dans le paradis pendant qu’ils sont chargés de la crasse que leur union avec la matière élémentaire leur communique, qu’il faut donc les en purger dans les fournaises infernales, après quoi ils sont en état de vivre heureux dans les régions célestes. Selon cette supposition, la bonté de Dieu peut subsister toute entière avec les tourmens de la créature, tout comme l’amitié d’un opérateur se conserve entièrement pour la personne qu’il taille, quoiqu’il lui fasse souffrir de très-cruelles douleurs dont il ne lui est pas possible de l’exempter. Mais si l’on recourait à cette hypothèse, on ne ferait qu’adopter une partie de l’erreur des manichéens ; on sauverait la bonté de Dieu aux dépens de sa puissance, on admettrait la matière comme un principe incréé, et si essentiellement mauvais que Dieu n’en pourrait rectifier les défauts. Ce serait donc, non pas répondre aux difficultés des manichéens, mais les faire triompher. Les observations qui ont été faites sur le mal physique, par rapport à la bonté de Dieu, se peuvent facilement appliquer au mal moral par rapport à la sainteté divine. V. Il faut prendre garde que si Origène pouvait répondre aux objections des manichéens, il ne s’ensuivrait pas que l’on pourrait les résoudre à plus forte raison par des principes beaucoup meilleurs, et plus orthodoxes que les siens. Car tout l’avantage qu’il peut trouver dans cette dispute procède des faussetés qui lui sont particulières, donnant d’un côté beaucoup d’étendue aux forces du franc arbitre, et substituant de l’autre à l’éternité malheureuse qu’il supprime, une félicité éternelle. Le plus fort argument des manichéens est fondé sur l’hypothèse que tous les hommes, à la réserve de quelques-uns, seront damnés éternellement. VI. Il n’y a personne aujourd’hui qui donne si peu de prise aux manichéens que la secte de Socin ; mais ce n’est qu’à cause qu’elle s’est plus éloignée que les autres de l’hypothèse des particularistes[26]. Or pendant qu’elle n’ira pas encore plus loin, elle ne sera pas plus heureuse que l’origénisme dans cette dispute ; elle y succombera si elle ne joint à ses autres impiétés, celle de dire que la matière est un principe dont Dieu ne peut disposer que jusques à un certain point, et que hors de là il faut qu’il cède à sa résistance, et qu’il s’accommode aux défauts incorrigibles qu’il y rencontre. Si les sociniens ne se chargent pas encore de ce blasphème, ils se verront réduits à l’absurde ; je veux dire à nier des vérités d’expérience : voici comment. Ils nient l’éternité de l’enfer, parce qu’ils ne sauraient comprendre qu’elle s’accorde avec la bonté infinie de Dieu. Ils ne comprennent pas que cette bonté soit compatible avec un enfer de cent fois cent mille millions d’années. Tant de siècles de souffrances leur paraissent une cruauté horrible. Mais comme de cette cruauté on ne parviendra jamais jusqu’à la bonté infinie par le retranchement de mille siècles, et puis encore de mille, etc. pendant que l’on laissera de reste quelques années de tourment[27], il faudra dire, si l’on veut éviter les inconséquences, que sous un Dieu infiniment bon, il ne peut point y avoir d’enfer. Cela prouve trop ; On ne comprend point après cette thèse, qu’il puisse y avoir des maladies et des chagrins parmi les hommes. Vous posez donc des principes d’où s’ensuit la fausseté, et même l’impossibilité de ce qui existe très-certainement, et dont on ne fait que de trop fâcheuses expériences. Direz-vous que sous les meilleurs monarques il y a et des cachots, et des tortures, et des gibets, et des bourreaux, qui font souvent des exécutions ? On vous répondra qu’aucune de toutes ces choses n’aurait lieu, si ces monarques avaient la force d’inspirer à tout le monde une ferme résolution de se comporter comme il faut. Quel moyen de se tirer de ce labyrinthe, si Dieu dispose de la ma- tière comme bon lui semble, et s’il est l’auteur libre des lois qui assujettissent l’homme aux maladies et aux déplaisirs ? On sera donc obligé de dire pour le dégager, qu’il ne fait pas tout ce qu’il veut, et que la matière contient des semences de mal qui germent ou d’une manière ou d’autre, bon gré malgré qu’il en ait, et quelque combinaison ou quelque tissu qu’il fasse de corpuscules. VII. C'est ainsi qu’il faut apprendre leur devoir à ceux qui veulent assujettir la théologie à la philosophie. Il faut leur montrer les conséquences absurdes de leur méthode, et les ramener par-là à cette maxime de l’humilité chrétienne, c’est que les notions métaphysiques ne doivent point être notre règle pour juger de la conduite de Dieu, mais qu’il faut se conformer aux oracles de l’Écriture. Quant à ceux qui pourraient craindre quelque péril pour la vraie foi, de ce qu’on montre que par les seules lumières philosophiques tous ne pouvons pas résister aux objections des manichéens, je les renvoie aux éclaircissemens que je dois mettre à la fin de cet ouvrage.

  1. Parrhasiana, pag. 306.
  2. Là même, pag. 307.
  3. Là même, pag. 308.
  4. Là même, pag. 312.
  5. Là même, pag. 309.
  6. Là même, pag. 310, 311.
  7. Horat., epist. XVIII, lib. I, vs. 31.
  8. Je me sers de la version de M. Dacier.
  9. Cyrus ille à Xenophonte non ad historiæ fidem scriptus, sed ad effigiem justi imperii. Cicero, ad Q. fratrem, epist. I, lib. I, folio m. 98, D.
  10. Bis dat qui citò dat.
  11. Gratia quæ turda est, ingrata est, gratia namque
    Cùm fieri properat, gratia grata magis.
    Ausonius, epigr. LXXXII
    .

    Voyez aussi l’épigramme LXXXII, et les auteurs que l’on cite dans le commentaire sur ces paroles d’Ausone, à l’édition d’Amsterdam, 1671.

  12. Priolus, de Rebus gallicis, lib. XI, sub fin., pag. m. 392.
  13. Famian. Strada, Prolus. II, lib. II, pag. m. 255. Il parle de Léon X.
  14. Il sera parlé de ceci au paragraphe IV.
  15. Historibus eveniant talia dona meis.
  16. Voyez, tom. X, pag. 235, remarque (G) de l’article Marcionites.
  17. Virgil., Æn., lib. VI, vs. 293.
  18. Idem, ibidem, vs. 638.
  19. Je parlerai encore de ceci, ci-dessous, num. (60).
  20. Voyez, ci-dessus, citation (48). Ces délais sont quelquefois si ennuyans que l’on demande enfin comme une grâce la promptitude du refus.

    Jam, satis est, finem, ô Cæsar, promunere posco
    Remque meam seu das, perfice sive negas.

    Voyez Balzac, entret. XXVII, pag. m. 216.

  21. Pueris absinthia tetra medentes
    Cum dare conantur, priùs oras pocula circùm.
    Contingunt mellis dulci flaroque liquore,
    Ut puerorum ætas improvida ludificetur
    Labrorum tenùs, intereà perpotet amarum
    Absinthi laticem, deceptaque non capiatur,
    Sed potiùs tali facto recreata valescat.

    Lucret., lib. I, vs. 935, et lib. IV, vs. 11.

  22. Conférez ce que je cite de Sénèque, dans l’article Callistrate, tom. IV, pag. 325, citations (7) et (8).
  23. Ut pueris olim dant crustula blandi
    Doctores, elementa velint ut discere prima.

    Horat. sat. I, lib. I.

  24. Conférez ce que dessus, num. (55).
  25. Bonum ex integrâ causâ, malum ex quocunque defectu.
  26. Ce sont ceux qui pressent avec le plus de rigueur le sens littéral de saint Paul sur le dogme de la prédestination absolue, et de la nécessité de la grâce, et de la vertu du franc-arbitre.
  27. Voyez-en les preuves ci-dessus, remarqu. (E), paragraphe III.

(F) Les tourmens dont les persécuteurs de la foi se servirent contre lui.] De tous les illustres martyrs qui périrent sous la septième persécution[1], nul ne fut attaqué avec plus d’opiniâtreté qu’Origène… Il fut jeté dans un noir cachot[* 1], attaché par le cou à un large collier de fer, étendu durant plusieurs jours sur une espèce de chevalet, qui, à force de lui écarter les pieds, lui disloqua les membres de telle sorte, que le reste de sa vie se passa dans les douleurs. Il avait alors soixante et sept ans… Chaque jour on inventait de nouvelles cruautés, que lui-même a racontées dans ses lettres, auxquelles les anciens nous renvoient, mais qui se sont perdues depuis. Souvent on le menaçait de le brûler peu à peu, et à diverses reprises, et jamais dans ce cruel et long martyre qui dura, autant qu’on en peut juger, jusqu’à la mort de Dèce, ne lui échappa rien qui ne fût digne d’un soldat de Jésus-Christ. Heureux si, rendant l’âme dans un si glorieux combat, il eût pu laver de son sang les erreurs de sa doctrine. Mais Dieu ne le permit pas[* 2]. Il souffrit beaucoup, dit saint Épiphane, et il n’arriva point au terme où le martyre conduit. Il toucha la couronne de la main, sans se la pouvoir mettre sur la tête, et celui à qui pour être martyr, il n’a, ce semble, manqué que d’expirer dans les tourmens dont il a porté les marques jusqu’à la mort, est un hérésiarque rejeté et abhorré par l’église, parce qu’il n’a pas cru comme elle. Mais on ne doit plus s’en étonner, lorsqu’on lit dans les actes du saint prêtre Pionius, qui souffre pour lors à Smyrne, qu’à côté de lui brûlait un marcionite, dont la secte, pour inspirer le désir du martyre, n’était pas moins hérétique, parce que ces faux martyrs mourraient attachés à leurs erreurs. Ce qui fait le martyr, dit excellemment saint Augustin, ce n’est pas le supplice, mais la foi qui le fait endurer. Or il n’y a plus de foi dans celui qui s’élève contre la doctrine de l’église. Où sont ceux de ce caractère, qu’on nous veut donner pour des saints, quoiqu’on ne voie rien dans leur vie qui approche ni des vertus, ni des souffrances des martyrs, mais seulement une opiniâtreté beaucoup mieux marquée que celle des anciens héresiarques[2] ?

J’ai rapporté ce long passage du pére Doucin sans en ôter la réflexion ; car j’ai cru qu’elle servirait de supplément aux choses que j’ai rapportées ci-dessus[3], touchant la querelle qui fut faite à M. Maimbourg, à l’égard des marcionites. J’ai cru encore que cela me fournirait une occasion de remarquer que les voies les plus faciles du discernement de la bonne cause nous échappent tôt ou tard. Il serait bien plus à la portée du peuple de connaître à certaines marques extérieures quelle est la vraie religion, que d’entrer dans un examen sévère de la doctrine. Or entre les marques extérieures, la constance des martyrs est la plus capable de faire impression. Elle fut tout-à-fait utile à l’avancement de la foi chrétienne : leurs cendres furent la se- mence des justes, et donnèrent une infinité d’élèves à l’évangile. Mais cette preuve devint équivoque après que le christianisme se fut partagé en diverses communions : elles eurent toutes leurs martyrs, et ainsi pour n’être pas abusé, il fallait entrer dans la discussion de la doctrine, et renoncer à cette voie abrégée de la vérité : une telle communion a des martyrs, donc elle est bonne.

  1. * Euseb., l. 6, c. 39 ; Nicep., l. 5, c. 32.
  2. * L. de Ponderib. et Mensuris.
  1. Celle de l’empereur Décius, l’an 250.
  2. Doucin, Histoire de l’Origénisme, pag. 81 et suiv.
  3. Dans la remarque (E) de l’article Marcionites, tom. IX, pag. 225.

(G) Il vaut mieux dire que les erreurs d’Origène coulent d’une même source.] C’est dans ses trois livres des Principes[1] qu’il les a développées et établies, et tellement liées l’une avec l’autre, qu’on les y voit toutes naître d’un seul principe[2]. « Il est aisé de démontrer, premièrement que dans les livres des Principes, ce qui est hérétique et digne de censure n’est ni une ni deux propositions de celles qui sont étrangères au sujet, c’est le corps même de la doctrine, c’est la substance de l’ouvrage, ce sont les propositions fondamentales sur lesquelles tout le système porte, et qu’on ne saurait détacher sans renverser tout l’édifice. On peut démontrer en second lieu, que les mêmes erreurs qui infectent les livres des Principes, se trouvent répandues dans tous les autres du même auteur : de manière que c’est par tout le même esprit qui règne, partout les mêmes idées qui se manifestent. Pour les lui ôter, il faut détruire jusqu’aux premiers élémens de sa doctrine[3]… Tel est le sort de quiconque ose tenter une nouvelle route en matière de religion : une suite épouvantable d’abîmes et de précipices s’ouvrent sous chaque pas qu’il fait. Plus il a d’esprit, plus l’envie de raisonner conséquemment lui fait dévorer d’absurdités ; et ce qui d’abord ne paraissait qu’une singularité légère et indigne d’être relevée, devient enfin le renversement général de tous les dogmes. Tant il est funeste d’inventer lorsqu’il s’agit simplement de croire[4]. » L’auteur qui me fournit ces paroles dit ceci en un autre endroit : « Ce qui mérite principalement d’être observé, c’est la liaison imperceptible et néanmoins réelle de toutes ces erreurs, dont l’une a obligé son auteur de se jeter dans l’autre, et d’imaginer en même temps cette effroyable multitude de nouveautés dont son système est composé. Car, comme saint Jérôme l’a fort bien dit en traitant de cette matière, il ne faut pas croire qu’Origène ait été un insensé ni un esprit faible ;[* 1] et la plupart de ceux qui l’ont lu n’y auraient pas trouvé ces fréquentes contradictions dont ils l’accusent, s’ils s’étaient plus appliqués à l’étudier. Il est vrai que le livre des Principes, tel que nous l’avons aujourd’hui, n’est pas toujours bien d’accord avec le reste de ses ouvrages ; mais ce n’est pas à l’auteur qu’on s’en doit prendre[* 2]. Personne n’ignore les peines que Rufin s’est données pour ôter de sa traduction ce qui lui paraissait capable de la faire condamner en Occident. Ce n’est que de cette façon qu’Origène combat quelquefois en latin les erreurs qu’il établit en grec, dans ses autres livres. Du reste on ne le trouvera point du tout contraire à lui-même, pourvu qu’on remonte à la source de ses idées, et qu’on cherche pour ainsi dire, la clef de ses écrits ; car il y en a une assurément, et il ne faut s’imaginer que tant d’hérésies différentes soient autre chose que les suites d’un premier égarement, qu’il ne paraît point qu’on se soit jusqu’ici assez attaché à découvrir[5]. » Le père Doucin propose ensuite ses conjectures, et la manière dont il conçoit l’enchaînement de la doctrine d’Origène. Cela mérite d’être lu dans l’original.

  1. * Non est fatuus Origenes. Et ego movi contraria sibi loqui non potest. Hier. Apol., l. 2.
  2. * Quæ cum legissem contulissemque cum græco, illicò animadverti quæ Origenes de Patre et Filio et Spiritu Sancto impiè dixerat, et que remanæ aures ferre non poterant, in meliorem partem ab interprete commutata. Hier. Apol., l. 1. Si ideò interpretaris ut eum hæreticum arguas, nihil de græco mutes. Ib., lib. 2.
  1. Il les composa l’an 217. Voyez le père Doucin, ubi infrà.
  2. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 31.
  3. Là même, pag. 36.
  4. Là même, pag. 37.
  5. Doucin, Histoire de l’Origénisme, pag. 323 et suiv.

(H) Quelques-uns de ses sectateurs les poussèrent jusqu’aux sensualités que l’on a vues depuis parmi les molinosistes.] Je me servirai des propres termes du père Doucin. Ils sont remplis de semences de réflexion, et indiquent l’usage qu’on en peut faire par rapport au temps présent. « Tandis que les contemplatifs sans étude donnaient inconsidérément dans toutes les chimères d’Origène, d’autres plus éclairés qu’eux, mais aussi plus corrompus, en aperçurent les conséquences très-favorables à leurs déréglemens ; et de ce que la chair n’était plus regardée que comme la prison de l’esprit, et nullement comme une partie de nous-mêmes, sanctifiée par l’union qu’elle a avec Jésus-Christ, et destinée à régner avec lui dans la gloire, ils conclurent que les souillures de la chair n’étaient pas capables d’ôter à l’esprit sa pureté, ni le priver de la grâce du créateur. On voit assez à quelles abominations conduit ce détestable principe, qui forma dans l’Orient une seconde secte d’origénistes si décriés pour leurs désordres, qu’on leur donna le nom d’infâmes et de débordés[* 1]. Ce double origénisme, l’un charnel et l’autre spirituel, a pour témoin saint Épiphane. Ainsi on ne le prendra pas pour l’invention d’un historien qui cherche dans les siècles passés des portraits de ce qui se voit dans le nôtre. Beaucoup moins doit-on le regarder comme une occasion ménagée pour avoir lieu de s’expliquer sur les affaires présentes… Si l’exécrable Molinos, tout opposé qu’il était au chaste Origène, n’a pas laissé de devenir comme lui le chef d’une hérésie spirituelle, et d’une hérésie charnelle, il ne faut pas s’en étonner[* 2]. L’hérésie la plus spirituelle, pour peu qu’elle ait d’affinité avec la règle des mœurs, et de rapport à la pratique, ouvre le chemin aux plus monstrueux désordres. Tel soupire et s’accuse lui-même, après avoir commis une méchante action, que je n’ai pu éviter, dit-il, Dieu m’ayant refusé la grâce. Tel autre, de ce que Dieu lui a ôté les moyens d’éviter cette même action, conclut qu’elle ne saurait donc être criminelle ; et il la commet sans rougir. La différence de l’un à l’autre n’est souvent que dans la manière de parler. Celui-ci parle comme il pense, et celui-là comme il veut qu’on pense de lui[1]. »

  1. * Hæres. 63 et 64. Horum verò hæresis ad Epiphanis dogma conformata videtur de que in gnosticorum sectâ sermonem anteà fecimne… nuptias repudiant, que tamen obscænis libidinibus modum ullis adhibent, adeòque omni genere spurcitite et corpus suum, et mentem animumque contaminant. Ibidem.
  2. * Voyez ce que dit M. Huet, pour prouver qu’il n’y a eu qu’un seul Origène.
  1. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 139.

(I) Cet origénisme charnel… fut plus aisé à détruire que l’origénisme spirituel qui était une manière de quiétisme.] « Ce qui semblera incroyable, et qui mérite néanmoins d’être soigneusement remarqué, une hérésie charnelle est moins à craindre pour l’église[1], que celles où l’on ne voit rien que de très-réglé dans les mœurs. Il n’en faut point d’autres preuves que celle du double origénisme. Le charnel dura très-peu, et fut abhorré de tout le monde : ceux mêmes qui en étaient infectés n’osèrent produire aux yeux des hommes une doctrine si affreuse ; au lieu que l’origénisme spirituel, dont les sectateurs, selon[* 1] saint Épiphane même, étaient irréprochable du côté de la pureté, ne put être éteint qu’après plus de deux siècles ; tant la probité de ceux qui en faisaient profession cachait d’aheurtement et d’orgueil sous les apparences spécieuses d’une piété exemplaire[2]. »

J’ai encore besoin de ce passage du père Doucin. Évagre… diacre de l’église de Constantinople… était allé à Jérusalem, et de là en Égypte, s’y confiner dans la solitude… il n’était rempli que de son Origène. À peine fut-il dans son désert, que les moines origénistes, connaissant ce qu’il valait, le mirent à leur tête, et c’est la raison pourquoi l’église l’a condamné depuis comme un des chefs de cette secte. Son occupation était d’écrire des livres spirituels, qu’on estimait infiniment, et dont les

fragmens qui restent encore aujourd’hui sont effectivement très-beaux. Par ce moyen l’erreur fit des progrès inconcevables ; saint Épiphane ne tarda pas à s’en apercevoir, et saint Jérôme avertissait de son côté les fidèles d’y prendre garde. « Évagrius, disait-il, cet homme venu du Nord, qui de sa solitude écrit des lettres à tout l’univers, qui envoie des instructions aux vierges, des instructions aux moines, des instructions à celle dont le nom semble exprimer les ténèbres et la noirceur de l’hérésie (c’est de Mélanie qu’il parle), s’est avisé de publier un livre des Maximes, par lesquelles il prétend ôter à l’homme tout sentiment des passions. » Voilà justement la prétendue perfection des quiétistes. « C’est-à-dire, ajoute saint Jérôme, que de son homme parfait, Évagre en fera ou un Dieu ou une pierre[3].
  1. * Nam licet nullum sectatoribus suis usum turpitudinis imponat., Hæres. 64.
  1. Voyez les Pensées diverses sur les Comètes, section CLXXXIX, CXC.
  2. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 141.
  3. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 177 et suiv.

(K) Les erreurs d’Origène paraissaient capables de réfuter les manichéens.] C’est ici principalement qu’il est à propos que je me serve de paroles empruntées. Pallade fut élève d’Évagre dans la vie monastique. Il sut réussir pour le moins aussi bien que lui dans l’art de faire valoir une secte. « Les femmes, et surtout celles qui avaient de la lecture, aimaient à l’entretenir, et résistaient moins que les autres à son artificieux langage. Sa coutume était de commencer par leur rendre suspecte la créance orthodoxe, en la représentant comme remplie d’absurdités dont on ne pouvait la sauver que par les principes d’Origène. Il leur demandait par exemple :[* 1] Quel mal a fait un tel enfant, que vous voyez tourmenté et possédé par le démon ? À quel âge ressusciterons-nous ? Sera-ce au même âge que nous serons morts, etc.[1]… C’est ainsi que Pallade faisait goûter l’origénisme comme un système nécessaire à expliquer d’une manière simple et aisée ce qui avait paru jusque-là comme l’écueil de notre religion. Une doctrine ainsi exposée par les premiers hommes du siècle, pouvait-elle n’avoir pas un grand succès, surtout dans la disposition où les esprits étaient alors ? On ne cherchait qu’à répondre aux manichéens, dont la secte était devenue plus nombreuse et plus florissante que jamais. S’il n’y a qu’un seul Dieu, disaient ces hérétiques, tout-puissant et infiniment bon, comment peut-il permettre ce déluge de maux qui arrivent dans le monde, et que tant de gens en soient accablés dès leur naissance, tandis que les autres naissent dans la prospérité, et dans l’affluence des biens ? Quelque absurde que parût le dogme des deux principes, l’un bon et l’autre mauvais, également puissans et indépendans l’un de l’autre, il avait trouvé néanmoins une multitude infinie de sectateurs, qui sans cela ne croyaient pas pouvoir rendre raison des maux qui arrivent en cette vie. On sait les mouvemens que saint Augustin s’est donnés pour les satisfaire là-dessus. On sait encore que Pélage qui vint ensuite, et dont le dogme fut d’abord trés-goûté, s’appliqua singulièrement à lever cette espèce de scandale, et à répondre à la question si rebattue alors : D’où vient le mal, et quelle en est l’origine ? Or cette origine de nos maux, et de la diversité de ce que chacun a à souffrir, personne ne l’expliquait avec plus de vraisemblance que les docteurs origénistes[2]. »

Notez que l’origéniste du Parrhasiana fait succéder une éternelle béatitude aux tourmens que souffriront les damnés pendant quelques siècles[3]. Cela lève la plus accablante de toutes les difficultés des manichéens ; je veux dire l’éternité du mal moral et du mal physique des enfers. Mais le père Doucin rapporte autrement la doctrine d’Origène, et ne la fait pas si commode pour répondre à ces hérétiques ; car il soutient qu’elle rejetait également l’éternité bienheureuse. Outre qu’Origène « trouvait de la cruauté à faire durer toujours la peine des damnés, cette éternité de peines lui paraissait opposée au caractère essentiel de toutes les choses créées, qui est l’instabilité. Il voulait donc qu’autant que Dieu est incapable de changement, autant la créature fût incapable d’être fixée à rien de permanent et d’éternel, soit pour le bien, soit pour le mal. Ainsi il prétendait qu’après que tous les esprits purifiés de leurs taches seraient rentrés dans la divinité[* 2] dont ils sont des écoulemens, selon lui, il leur arriverait tout de nouveau de se détacher de son sein, comme des étincelles qui sortent d’une fournaise, et qu’en punition de cette[* 3] légèreté ils seraient condamnés à rentrer dans de nouveaux corps : que pour cela il faudrait créer de nouveaux mondes, et qu’ainsi durant toute l’éternité ce ne seraient que révolutions périodiques semblables à celles des saisons[4]. » La note marginale du père Doucin mérite d’être rapportée, car elle nous apprendra qu’il y avait dans l’origénisme un rameau du spinosisme, savoir l’identité de tous les esprits avec la divinité. Voici donc ce que cet auteur observe après avoir cité les paroles de saint Jérôme : « Remarquez que Ruffin a retranché cet endroit de sa traduction. Lisez le dernier chapitre du livre III, où ces paroles, et erit Deus omnia in omnibus, sont expliquées fort au long. Saint Jérôme poursuit : Ne parvam esse putaremus impietatem eorum quæ præmiserat in ejusdem voluminis (quarti) fine conjungit omnes rationabiles naturas, id est, Patrem et Filium et Spiritum sanctum, angelos, potestates, dominationes, cæterasque virtutes, ipsum quoque hominem secundum animæ dignitatem unius esse substantiæ… Et qui in alio loco Filium et Spiritum Sanctum non vult de patris esse substantiâ, ne divinitatem in partes secare videatur, naturam omnipotentis Dei Angelis hominibusque largitur. Ex quo concluditur (inquit) Deum et hæc quodammodò unius esse substantiæ. Unum addit verbum, quodammodò, ut tanti sacrilegii crimen effugeret. Voyez liv. III, ch. XVI[5]. »

  1. * Hier., ep. 27.
  2. * In libro e tertio quoque tertio περὶ ἀρχῶν disputationem longissimam ad extremum intulit, et erit Deus omnia in omnibus ut universa natura corporea in eam redigatur substantiam quæ omnibus melior est in diviuam scilicet, quæ nulla est melior. Origen., apud Hier., Ep. ad Avit.
  3. * Hier., Ep. ad Avitum, et Apol. 2.
  1. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 180.
  2. Doucin, là même, pag. 182.
  3. Voyez la remarque (E), citation (40).
  4. Doucin, Histoire de l’Origénisme, p. 338.
  5. Là même, pag. 339.

(L) On a publié en français la réponse d’Origène au philosophe Celsus.] M. Bouhéreau[1], si connu par les doctes lettres que M. Lefèvre de Saumur lui a écrites, est l’auteur de cette version. Nos journalistes[2] ayant assez fait connaître le mérite de ce travail, il n’est pas nécessaire que j’en parle. Je dirai seulement une chose qui confirmera une observation que j’ai faite plusieurs fois, c’est qu’il ne faut pas se fier beaucoup aux discours de conversation. J’avais ouï dire à quantité des personnes, que des gens de poids dans l’église réformée de Paris, et nommément M. Claude, avaient déconseillé à M. Bouhéreau la version française de ce livre-là, parce qu’il n’était pas à propos que tout le monde pût voir les objections du philosophe païen, et les comparer avec les réponses d’Origène. Mais M. Bouhéreau n’en parle pas de cette manière. Il dit[3] que des personnes d’un mérite distingué, et le fameux M. Claude entre autres, croyaient[4] qu’il était dangereux de mettre Origène entre les mains de tout le monde, à cause de quelques sentimens singuliers qui lui ont été reprochés de tout temps. Voilà une extrême différence entre ce que j’avais ouï dire tant de fois, et ce que M. Bouhéreau, mieux instruit du fait que personne, nous apprend lui-même. Mais quoiqu’il ne parle pas de cette raison prétendue du conseil de M. Claude, il est pourtant vrai que nos journalistes l’ont rapportée et condamnée[5]. Ils avaient sans doute ouï dire la même chose que moi. On m’avait dit aussi que le traducteur se persuade qu’on rétablirait tout entier le livre de Celsus, si l’on joignait ensemble tous les passages qu’Origène en a allégués. Mais puisqu’il n’observe point cela, ni dans sa préface, ni dans ses remarques, je me défie de ceux qui m’ont fait ce conte. Rien ne saurait marquer plus solidement la bonne foi d’Origène : pourquoi donc ne l’aurait-on recommandé par cet endroit-là dans la préface de la version ?

  1. Il est de La Rochelle. C’est l’Éliss Bohérellus des Épîtres de Tanaquil le Fèvre.
  2. Voyez l’Histoire des Ouvrages des Savans, déc. 1699, pag. 519, et les Nouvelles de la République des Lettres, janvier 1700 ; pag. 3.
  3. Dans sa préface.
  4. Voyez contre une semblable pensée ce qui a été dit dans les Nouvelles de la République des Lettres, juin 1686, pag. 691.
  5. Histoire des Ouvrages des Savans, déc. 1699, pag. 522, et Nouvelles de la République des Lettres, janvier 1700, pag. 12.

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