Dieu et les hommes/Édition Garnier/Chapitre 39

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Dieu et les hommesGarniertome 28 (p. 225-226).

CHAPITRE XXXIX.
Des dogmes chrétiens absolument différents de ceux de Jésus.

À proprement parler, ni les Juifs ni Jésus n’avaient aucun dogme. Faites ce qui est ordonné dans la loi. Si vous avez la lèpre[1], montrez-vous aux prêtres, ce sont d’excellents médecins. Si vous allez à la selle, ne manquez pas de porter avec vous un bâton ferré, et couvrez vos excréments[2]. Ne remuez pas, le jour du sabbat[3]. Si vous soupçonnez votre femme[4], faites-lui boire des eaux de jalousie. Présentez des offrandes le plus que vous pourrez. Mangez[5] au mois de nisan un agneau rôti avec des laitues, ayant souliers aux pieds, bâton en main, ceinture aux reins, et mangez vite, etc., etc.

Ce ne sont point là des dogmes, des discussions théologiques : ce sont des observances auxquelles nous avons vu que Jésus fut toujours assujetti. Nous ne faisons rien de ce qu’il a fait, et il n’annonça rien de ce que nous croyons. Jamais il ne dit dans nos Évangiles : « Je suis venu et je mourrai pour extirper le péché originel. Ma mère est vierge. Je suis consubstantiel à Dieu, et nous sommes trois personnes en Dieu. J’ai pour ma part deux natures et deux volontés, et je ne suis qu’une personne. Je n’ai pas la paternité, et cependant je suis la même chose que Dieu le père. Je suis lui, et je ne suis pas lui. La troisième personne procédera un jour du Père selon les Grecs, et du Père et du Fils selon les Latins. Tout l’univers est né damné, et ma mère aussi ; cependant ma mère est mère de Dieu. Je vous ordonne de mettre, par des paroles, dans un petit morceau de pain mon corps tout entier, mes cheveux, mes ongles, ma barbe, mon urine, mon sang, et de mettre en même temps mon sang à part, dans un gobelet de vin ; de façon qu’on boive le vin, qu’on mange le pain, et que cependant ils soient anéantis. Souvenez-vous qu’il y a sept vertus, quatre cardinales et trois théologales ; qu’il n’y a que sept péchés capitaux, comme il n’y a que sept douleurs, sept béatitudes, sept cieux, sept anges devant Dieu, sept sacrements, qui sont signes visibles de choses invisibles, et sept sortes de grâce qui répondent aux sept branches du chandelier. »

Que dis-je ? Nous apprit-il jamais ce que c’est que notre âme : si elle est substance ou faculté resserrée dans un point, ou répandue dans le corps, préexistante à notre corps, ou en quel temps elle y entre ? Il nous en a donné si peu de notion que plusieurs Pères ont écrit que l’âme est corporelle.

Jésus parla si peu des dogmes que chaque société chrétienne qui s’éleva après lui eut une croyance particulière. Les premiers qui raisonnèrent s’appelèrent gnostiques, c’est-à-dire savants, qui se divisèrent en barbelonites, floriens, phébéonites, zachéens, codices, borborites, ophrites, et encore en plusieurs autres petites sectes : ainsi l’Église chrétienne n’exista pas un seul moment réunie ; elle ne l’est pas aujourd’hui, elle ne le sera jamais. Cette réunion est impossible, à moins que les chrétiens ne soient assez sages pour sacrifier les dogmes de leur invention à la morale. Mais qu’ils deviennent sages, n’est-ce pas encore une autre impossibilité ? Ce qu’on peut seulement assurer, c’est qu’il en est beaucoup qui le deviendront, et qui même le deviennent déjà tous les jours, malgré les barbares hypocrites qui veulent constamment mettre la théologie à la place de la vertu.



  1. Lévitique, xiii, 2.
  2. Deutéronome, xxiii, 13.
  3. Exode, xxxi, 14.
  4. Nombres, v, 14 et suiv.
  5. Exode, xii, 9, 10, 11.