Discussion:Françoise

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  • 1856 : Librairie nouvelle, [1]

Gymnase. Françoise, comédie en quatre actes, de George Sand. – ......

La nouvelle comédie du Gymnase rentre dans cette manière de clair-obscur que Mme Sand affectionne au théâtre. Le fond en est simple, les personnages nuancés d'idéal et de vérité ; l'intrigue se dénoue et se laisse aller avec une négligence qui n'est pas sans grâce. Peu de corps et beaucoup d'âme, et le charme de ces beautés pâles simples, modestes, qui pénètrent et font rêver.

Françoise est une de ces jeunes filles secrètes, parfaites, toutes composées de vertus latentes, qui sont, depuis quelque temps les héroïnes de prédilection de Mme Sand. Figurez vous une sœur grise de l'amour, ou, mieux encore, une vierge puritaine, pareille à ces madones d'Holbein, dont l'auréole même est voilée :

Et, près d'elle, on respire autour de sa beauté quelque chose de doux comme l'odeur du thé. Oui, Françoise est bien l'idéal du ménage protestant : calme douceur, sentimentalité subtile, affection sermoneuse, âme de violette qu'il faut approcher de près pour en discerner le parfum. On peut préférer les types de chair et de sang à cette beauté de grisaille. Il y a peut-être quelque chose de trop raffiné dans sa sagesse, de trop montant dans sa robe, de trop stricte et de trop uni dans sa perfection. On souhaiterait par moment que sa vertu fît un pli. Mais n'est-ce pas se plaindre que la mariée est trop belle ? Si de telles figures n'existent qu'en rêve, fermons les yeux pour mieux rêver, et laissons-nous charmer par ce doux fantôme.

Françoise est la fille du docteur Laurent, un médecin de la paroisse du vicaire de Wakefield. Elle a été élevée avec le comte Henri de Trégenec, un enfant de naissance douteuse, renié par son père. Elle aime avec la tendresse d'une sœur aînée ce jeune homme faible et bon, dont le caractère consiste à n'en pas avoir. Il serait plus facile d'analyser un liquide que de définir cette nature molle et inconsistante. Des instincts et nulle volonté des velléités, pas une énergie. Le vent le change, la lune le gouverne, l'occasion en fait ce qu'elle veut. Il dissipe son cœur et sa fortune en caprices, et pourtant, chaque année, au déclin de la saison parisienne, un besoin machinal d'affection le ramène au foyer cordial où il a passé son enfance. Il y retrouve l'amitié paternelle du bon docteur, la chaste tendresse de Françoise. Il se dit que le bonheur est là, -- et il s'en va le chercher ailleurs.

À côté de l'humble maison du docteur s'élève tout flambant neuf et requinqué de la base au faîte, le château de M. Dubuisson, un paysan enrichi qui fait sonner ses sabots d'or partout où il va. À côté de lui se prélasse Mme Dubuisson, une pécore qui veut se faire aussi grosse qu'une duchesse, et qui crève de vanité dans sa robe gonflée à trente-six volans. Le rêve de ces braves gens serait de galonner d'un bout de blason leur paysannerie parvenue. M. de Trégenec ferait leur affaire il est noble, il est ruiné, et leur fille Cléonice lui jetterait bien volontiers son petit cœur à la tête.

Cette Cléonice est la plus jolie des enfans terribles elle fait la joie de la comédie ; elle a la grâce et la pétulance d'un polisson féminin très gentil et très mal élevé qui en sait plus long que ses père et mère, et ne se ressent en rien du chou rustique sous lequel il naquit. Elle va, elle vient, elle se glisse, elle se faufile, l'oeil au guet, l'oreille aux écoutes, une comme une petite fée, maligne comme une petite masque, rieuse comme un cent de mouches : << C'est une vraie couleuvre que ce petit serpent-là. >>

Ainsi donc, c'est entre l'amour pur et désintéressé de Françoise et le caprice doré de Cléonice que va se trouver placé Henri de Trégenec. Il n'hésite pas d'abord ; il se déclare à Françoise, et cette déclaration fait naître une scène admirable où l'amour parle le plus simple et le plus ému des langages. Françoise accueille avec un ravissement mélangé d'effroi l'aveu brûlant de son frère d'enfance. Elle écoute heureuse et troublée, elle se recueille en elle-même, elle cherche à lire dans son coeur pour en déchiffrer le secret. Ce sentiment obscur et doux, si vaguement mêlé d'amitié de sœur et de vigilance maternelle, qu'elle ressentait pour Henri, il faut donc qu'il se débrouille et qu'il se précise ! C'en est fait : au souffle brûlant de ces paroles qu'elle entend pour la première fois, l'amitié éclôt, éclate en amour ; elle le croit du moins ; mais elle redoute la mobilité du cœur qui lui promet d'être sien, elle lui rappelle la gravité de son engagement, la sainteté de la foi jurée. Henri promet, jure, atteste, et il est de bonne foi en ce moment-là.

Mais, hélas le premier souffle contraire retournera son âme indécise ; au sortir de cette entrevue des fiançailles, Henri apprend qu'il est déshérité par son père. Le voilà pauvre à jamais, et déjà poursuivi par des dettes criardes qui vont le mettre aux abois. 0r, il ne comprend pas l'amour dans la pauvreté ; il n'est pas de ceux dont le cœur n'a besoin que d'un cœur, sans parc, sans voiture, sans loge à l'Opéra, sans hôtel. Il lui faut pour aimer à l'aise une nature de luxe, une atmosphère de bonheur, des loisirs et des élégances, et que sa lune de miel se lève sur les pins d'une villa d'Italie ou sur les charmilles d'un jardin anglais. C'est en vain que le docteur lui offre de payer ses dettes et de lui ouvrir une carrière, c'est en vain que M. de la Hyonnais, -- un frère mystérieux qui voudrait être son bon génie, -- l'encourage à payer son bonheur d'un peu d'énergie. Il recule, il hésite, il temporise, il fuit pour éviter le combat ; et Françoise le voit de la fenêtre, déjà suspendu au bras de Cléonice qui l'a saisi au passage.

Au troisième acte, en effet, le parjure est consommé, et M. Dubuisson donne un grand bal dans son petit castel, pour fêter le mariage qui va savonner sa fille de la vilenie paternelle. Ils n'y vont pas de main morte, ces Dubuisson : ils pèsent leur fille comme un sac qui revient de la Banque ; le compte y est : un million et seize ans par dessus le marché. Vous diriez des Veaux d'or achetant au marché un cheval de race pour ennoblir leur étable. Elle est peut-être un peu crue, la peinture de ces noces vénales ; mais elle n'en fait que mieux ressortir l'humiliation de ce gentilhomme qui laisse ainsi marchander sa qualité contre cette, quantité grossière et massive. Cependant, Françoise arrive pâle, brisée, mais contenant sa douleur, réprimant ses larmes. Au regard que lui jettent ces beaux yeux malades, voilà M. de Tregenec qui se ranime et qui se rallume. M. de la Hyonnais, qui aime Françoise en secret, encourage généreusement ce tardif retour. Henri promet de revenir à sa bien-aimée il renonce aux Dubuisson et à leurs millions faits d'écus rognés. Françoise reçoit en grâce l'amant infidèle ; mais déjà vous trouveriez dans son compatissant. accueil plus de charité que d'amour ; elle ne croit plus, elle voudrait, croire, et cet effort sera le dernier.

Et qu'elle avait raison de douter encore ! À peine relevé de ses genoux, Henri tombe sous la patte crochue de Dubuisson, qui lui montre des papiers timbrés signés de son nom. Il est homme de precaution, le père ubuisson il a prévu les tergiversation de son gendre, il tient à ce petit marché de famille, et il s'est pourvu d'un argument suprême, en cas de dédit. M. de Trégénec ne résiste pas à ses menaces de recors il donne sa parole il signe un engagement : la lettre de change du mariage d'argent. Cela ne l'empêche pas de retomber aux pieds de Françoise dès qu'elle reparait alors le paysan se fâche ; les griffes de l'usurier percent sous les manchettes du richard. Il exhibe l'engagement qui vaut un contrat, et Françoise, brisée et désabusée, se réveille de son amour comme d'un mauvais rêve.

Il n'était pas facile d'incarner sous une forme vraisembiable cette girouette gémissante et mélancolique qui s'appelle M. de Trégenec ; tous ces tiraillemens d'une âme mal tissue, qui se découd fil à fil, ne s'accomplissent pas sans lenteurs ; mais le dénouement vient tout ranimer ; il est net, ferme, imprévu, il a la beauté sévère du châtiment moral doucement infligé. Henri a fui, suivant sa coutume, au moment critique ; il revient un mois après essayer de rentrer en grâce. Mais pendant ce temps M. de la Hyonsais a parlé, et cette parole loyale, qui tient ce qu'elle promet, a raffermi le cœur de Françoise, ébranlé par tant de secousses. Elle a vendu le modeste héritage de sa mère pour payer les dettes de M. de Trégence. Par cet acte de dévouement suprême elle a fini de s'acquitter envers lui. Tout est consommé : son amour est mort, sa dernière larme est tombée. Ce n'est plus qu'avec une compassion généreuse qu'elle regarde le faible enfant qui pleure et se ...