Esprit des lois (1777)/L16/C15

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CHAPITRE XV.

Du divorce & de la répudiation.


Il y a cette différence entre le divorce & la répudiation, que le divorce se fait par un consentement mutuel à l’occasion d’une incompatibilité mutuelle ; au lieu que la répudiation se fait par la volonté & pour l’avantage d’une des deux parties, indépendamment de la volonté & de l’avantage de l’autre.

Il est quelquefois si nécessaire aux femmes de répudier, & il leur est toujours si fâcheux de le faire, que la loi est dure, qui donne ce droit aux hommes, sans le donner aux femmes. Un mari est le maître de la maison ; il a mille moyens de tenir ou de remettre ses femmes dans le devoir, & il semble que, dans ses mains, la répudiation ne soit qu’un nouvel abus de sa puissance. Mais une femme qui répudie, n’exerce qu’un triste remede. C’est toujours un grand malheur pour elle d’être contrainte d’aller chercher un second mari, lorsqu’elle a perdu la plupart de ses agrémens chez un autre. C’est un des avantages des charmes de la jeunesse dans les femmes que, dans un âge avancé, un mari se porte à la bienveillance par le souvenir de ses plaisirs.

C’est donc une regle générale, que dans tous les pays où la loi accorde aux hommes la faculté de répudier, elle doit aussi l’accorder aux femmes. Il y a plus : dans les climats où les femmes vivent sous un esclavage domestique, il semble que la loi doive permettre aux femmes la répudiation, & aux maris seulement le divorce.

Lorsque les femmes sont dans un sérail, le mari ne peut répudier pour cause d’incompatibilité de mœurs : c’est la faute du mari, si les mœurs sont incompatibles.

La répudiation pour raison de la stérilité de la femme, ne sauroit avoir lieu que dans le cas d’une femme unique[1] : lorsque l’on a plusieurs femmes, cette raison n’est pour le mari d’aucune importance.

La loi des Maldives[2] permet de reprendre une femme qu’on a répudiée. La loi du Mexique[3] défendoit de se réunir, sous peine de la vie. La loi du Mexique étoit plus sensée que celle des Maldives ; dans le temps même de la dissolution, elle songeoit à l’éternité du mariage : au lieu que la loi des Maldives semble se jouer également du mariage & de la répudiation.

La loi du Mexique n’accordoit que le divorce. C’étoit une nouvelle raison pour ne point permettre à des gens qui s’étoient volontairement séparés, de se réunir. La répudiation semble plutôt tenir à la promptitude de l’esprit, & à quelque passion de l’ame ; le divorce semble être une affaire de conseil.

Le divorce a ordinairement une grande utilité politique ; & quant à l’utilité civile, il est établi pour le mari & pour la femme, & n’est pas toujours favorable aux enfans.


  1. Cela ne signifie pas que la répudiation pour raison de la stérilité, soit permise dans le christianisme.
  2. Voyage de François Pycard. On la reprend plutôt qu’une autre ; parce que, dans ce cas, il faut moins de dépenses.
  3. Histoire de sa conquête, par Solis, p. 499.