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Essai de psychologie/Chapitre 1

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(p. 5-8).


Chapitre 1

De l’état de l’ame après la conception.


le principe fécondant en pénétrant le germe y fait naître une circulation qui ne finira qu’avec la vie. Le mouvement, une fois imprimé à la petite machine, s’y conserve par les forces de son admirable méchanique. C’est ainsi que le mouvement imprimé dès le commencement à la grande machine du monde continue suivant les loix établies par le premier moteur. Les solides mis en action travaillent la matiere alimentaire. Ils en extraisent les différentes liqueurs dont la circulation & le jeu constituent les grands principes de la vie. Les esprits filtrés par le cerveau coulent dans les nerfs & les animent. L’ame commence à éprouver des sensations, mais ce ne sont encore que des sensations extrêmement foibles & confuses ; des sensations que l’ame ne peut rapporter à aucun lieu, qui ne l’instruisent de rien, qui ne sont proprement ni agréables ni désagréables, qui n’excitent en elle aucune velléité.

À mesure que le germe se développe, l’action réciproque des solides & des fluides acquiert plus de force ou d’intensité. Des filets nerveux qui n’avoient point encore été rendus sensibles commencent à le devenir. La réaction de l’ame sur les fibres nerveuses ou sur les esprits animaux, toujours porportionnelle à la quantité de leur mouvement, augmente conséquemment d’intensité. Les sensations sont moins foibles & moins rares. Les relations du foetus avec le corps organisé qui le nourrit devenant de jour en jour plus étroites, plus efficaces & plus nombreuses multiplient les sources du sentiment & le rendent plus actif. Bientôt les sensations acquierent assez de vivacité pour être accompagnées d’un certain degré de plaisir ou de douleur. L’ame commence à avoir quelque degré de velléité. Par sa nature d’être sentant elle desire nécessairement la continuation du plaisir & la cessation de la douleur. Mais ce desir est encore très-foible ou très-imparfoit, parce qu’il est proportionné à la foiblesse du sentiment qui en est l’objet & à l’impuissance actuelle de l’ame. Les organes du foetus plus développés sont par cela même plus accessibles aux impressions des objets environnans. Les nerfs qui y sont répandus étant ébranlés plus fréquemment et quelquefois assez fortement, font passer jusqu’à l’ame des sensations qui l’émeuvent. Une suite naturelle de cette émotion est le cours irrégulier des esprits dans différens muscles. Les contractions qu’ils y excitent font sentir à l’ame qu’elle est douée de la faculté de mouvoir : mais ce n’est encore qu’un sentiment vague, confus, indéterminé. L’ame ne connoît encore ni son corps ni l’empire qu’elle a sur lui. Elle meut accidentellement et sans dessein de mouvoir. Elle ne se détermine point ; les sensations la déterminent. Rien ne se lie encore dans le cerveau ; nulle réminiscence ; nul rappel ; nulle imagination. La réminiscence se forme dans l’ame par le retour fréquent de la même sensation ou par sa liaison avec d’autres. Le rappel & l’imagination sont des modifications de la force motrice qui ne sauroient avoir lieu qu’après un exercice réitéré de cette force. Plus passive qu’active, plus automate que libre, l’ame obéit plus qu’elle ne commande, elle est mue plus qu’elle ne meut.