Essai de psychologie/Chapitre 25

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Chapitre 25

De la méchanique des idées de l’ouïe.


Il y a lieu de douter qu’il en soit absolument de l’ouïe comme des trois sens dont je viens de parler. On sait qu’une corde d’une longueur ou d’une tension déterminée ne rend jamais que le même ton fondamental quelle que soit la maniere dont on la touche. Ce ton dépend essentiellement du nombre de vibrations que la corde fait dans un tems donné. Le nombre des vibrations dépend lui-même de la longueur ou de la tension de la corde. Alonge-t-on la corde en la relâchant ? Elle fait moins de vibrations dans le même tems ; & le ton qu’elle rend est plus grave. Accourcit-on la corde en la tendant ? Elle fait plus de vibrations dans le même tems, & le ton est aigu. On sait encore que si dans le même instrument il y a plusieurs cordes à l’unisson ou qui fassent leurs vibrations dans le même tems, si l’on pince une de ces cordes, toutes celles qui seront à son ton frémiront à la fois.

L’air qui transmet aux cordes à l’unisson & en repos le mouvement qu’il reçoit de la corde pincée, rencontrant celles-là à la fin de leur premiere vibration, dans l’instant qu’il leur communique la seconde, continue l’ébranlement. Dans des cordes, au contraire, qui font leurs vibrations en tems inégaux, lorsque l’air vient imprimer la seconde vibration, les unes n’ont que commencé la premiere, d’autres ne l’ont faite qu’à moitié, d’où il résulte entre l’air & les cordes une collision en sens opposé, qui éteint de part et d’autre le mouvement. Mais pour que l’air reçoive & transmette les différens tons que rend le corps sonore, il faut qu’il soit lui-même à l’unisson de tous ces tons. C’est ce qui a porté à soupçonner que l’air contenoit des particules correspondantes aux divers tons de la musique, des particules à l’unisson de l’ ut , d’autres à l’unisson du , d’autres à l’unisson du mi , &c. Peut-être même que cette supposition ne suffit pas : les particules d’un même genre peuvent n’être pas toutes contigues & se trouver séparées par des particules de genres différens, incapables de recevoir & de transmettre les tons propres à celles-là. Il semble donc qu’il faille admettre que chaque corpuscule d’air est formé d’élémens à l’unisson de tous les tons, qu’il est une petite machine composée de sept branches élastiques, de sept ressorts principaux. L’art que cette conjecture suppose dans les élémens de l’air est, sans doute, autant au dessous de la réalité, que les conceptions de l’artisan le plus grossier sont au-dessous de celles de l’artiste le plus habile.

Les mêmes vibrations que les cordes d’un instrument impriment à l’air qui les touche, celui-ci à l’air plus éloigné, elles les communiquent au corps de l’instrument, & de cette communication dépendent la force & l’agrément des tons. Il y a donc aussi dans l’instrument des fibres à l’unisson de ces tons. Leur existence ne paroîtra pas douteuse si l’on fait attention à la maniere dont les instrumens de musique sont construits. Ils sont formés de l’assemblage de plusieurs pieces fort élastiques, coupées & courbées si inégalement que leur longueur & leur largeur different presque à chaque point. Par là l’instrument se trouve pourvu de fibres dont la longueur varie comme les tons qu’elles sont destinées à réfléchir & à fortifier.

Ces principes admis, on ne voit pas comment l’oreille transmettroit à l’ame l’harmonie d’un concert, si toutes ses fibres étoient parfaitement uniformes & identiques, si toutes étoient montées sur le même ton. L’observation paroît concourir ici avec le raisonnement pour nous persuader le contraire. On trouve dans la partie intérieure de l’oreille deux cavités osseuses & tortueuses, le labyrinthe & le limaçon qui semblent être tout à fait analogues aux corps des instrumens de musique. Les rameaux que le nerf auditif jette dans ces cavités & qui en revêtent intérieurement les parois, peuvent être comparés aux fibres qui tapissent l’intérieur d’un violon : ce sont autant de petites cordes dont la longueur est déterminée par celle de la piece qu’elles recouvrent. Les canaux demi-circulaires du labyrinthe étant tous construits sous différentes proportions, le limaçon diminuant continuellement de diametre depuis sa base jusques à son sommet, sont extrêmement propres à fournir l’organe de fibres appropriées à tous les tons & à toutes les nuances des tons. Les rayons sonores rassemblés par l’espece d’entonnoir que forme la partie extérieure de l’oreille, & modérés jusqu’à un certain point par l’action du Tambour, sont portés dans le labyrinthe & le limaçon. Ils communiquent aux fibres de ces cavités les différentes impressions qu’ils ont reçues de l’objet. Le nerf auditif, auquel ces fibres aboutissent comme à leur tronc, en est ébranlé ; l’ame apperçoit des sons & goûte le plaisir de l’harmonie.

Ces sons variés, harmonieux qui charment l’oreille et qu’elle rend à l’ame avec tant de précision, la voix les exécute avec une justesse & un agrément qui l’éleve fort au-dessus des instrumens de musique les plus parfaits. Le larynx, cartilage composé, placé à l’entrée de la trachée-artere, destiné à l’ouvrir & à la fermer est garni intérieurement d’un grand nombre de fibres élastiques qu’on a prouvé être parfaitement analogues aux cordes des instrumens de musique. L’air chassé par les poumons est l’archet qui met ces cordes en jeu. Le degré de vîtesse dont il les frappe détermine le ton. La glotte, cette partie du larynx qui livre passage à l’air, est construite avec un tel art, que son ouverture augmente ou diminue précisément dans la proportion du ton qu’il s’agit de former. On démontre que le diametre de cette ouverture peut se diviser ainsi en 1200 parties, qui font 1200 tons ou nuances de tons. L’air que les poumons poussent vers la glotte y acquiert plus ou moins de mouvement, suivant qu’il en trouve les levres plus ou moins rapprochées. Dans le premier cas, les tons sont plus ou moins aigus ; dans le second ils sont plus ou moins graves.

La voix participe donc à la fois de la nature des instrumens à cordes & de celle des instrumens à vent. Si on souffle avec force dans la trachée de quelque animal mort, on rendra des sons qui différeront peu de ceux que l’animal rendoit. On observera les fibres de la glotte frémir comme les cordes d’une viole.