Examen important de Milord Bolingbroke/Édition Garnier/Chapitre 12

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Examen important de Milord BolingbrokeGarniertome 26 (p. 228-232).
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CHAPITRE XII.

DE L’ÉTABLISSEMENT DE LA SECTE CHRÉTIENNE, ET PARTICULIÈREMENT DE PAUL.

Quand les premiers Galiléens se répandirent parmi la populace des Grecs et des Romains, ils trouvèrent cette populace infectée de toutes les traditions absurdes qui peuvent entrer dans des cervelles ignorantes qui aiment les fables ; des dieux déguisés en taureaux, en chevaux, en cygnes, en serpents, pour séduire des femmes et des filles. Les magistrats, les principaux citoyens, n’admettaient pas ces extravagances ; mais la populace s’en nourrissait, et c’était la canaille juive qui parlait à la canaille païenne. Il me semble voir chez nous les disciples de Fox disputer contre les disciples de Brown[1]. Il n’était pas difficile à des énergumènes juifs de faire croire leurs rêveries à des imbéciles qui croyaient des rêveries non moins impertinentes. L’attrait de la nouveauté attirait des esprits faibles, lassés de leurs anciennes sottises, et qui couraient à de nouvelles erreurs, comme la populace de la foire de Barthélémy[2], dégoûtée d’une ancienne farce qu’elle a trop souvent entendue, demande une farce nouvelle.

Si l’on en croit les propres livres des christicoles, Pierre, fils de Jone, demeurait à Joppé, chez Simon le corroyeur, dans un galetas où il ressuscita la couturière Dorcas.

Voyez le chapitre de Lucien, intitulé Philopatris, dans lequel il parle de ce Galiléen[3] au front chauve et au grand nez, qui fut enlevé au troisième ciel. Voyez comme il traite une assemblée de chrétiens où il se trouva. Nos presbytériens d’Écosse, et les gueux de Saint-Médard de Paris, sont précisément la même chose. Des hommes déguenillés, presque nus, au regard farouche, à la démarche d’énergumènes, poussant des soupirs, faisant des contorsions, jurant par le Fils qui est sorti du Père, prédisaient mille malheurs à l’empire, blasphémaient contre l’empereur. Tels étaient ces premiers chrétiens.

Celui qui avait donné le plus de vogue à la secte était ce Paul au grand nez et au front chauve, dont Lucien se moque. Il suffit, ce me semble, des écrits de ce Paul, pour voir combien Lucien avait raison. Quel galimatias quand il écrit à la société des chrétiens qui se formait à Rome dans la fange juive ! « La circoncision vous est profitable[4] si vous observez la loi ; mais si vous êtes prévaricateurs de la loi, votre circoncision devient prépuce, etc… Détruisons-nous donc la loi par la foi[5] ? à Dieu ne plaise ! mais nous établissons la foi… Si Abraham[6] a été justifié par ses œuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu. » Ce Paul, en s’exprimant ainsi, parlait évidemment en juif, et non en chrétien ; mais il parlait encore plus en énergumène insensé qui ne peut pas mettre deux idées cohérentes à côté l’une de l’autre.

Quel discours aux Corinthiens[7] ! Nos pères ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer. Le cardinal Bembo n’avait-il pas raison d’appeler ces épîtres epistolaccie, et de conseiller de ne les point lire ?

Que penser d’un homme qui dit aux Thessaloniciens[8] : Je ne permets point aux femmes de parler dans l’église ; et qui dans la même épître[9] annonce qu’elles doivent parler et prophétiser avec un voile ?

Sa querelle avec les autres apôtres est-elle d’un homme sage et modéré ? Tout ne décèle-t-il pas en lui un homme de parti ? Il s’est fait chrétien, il enseigne le christianisme, et il va sacrifier sept jours de suite dans le temple de Jérusalem par le conseil de Jacques, afin de ne point passer pour chrétien. Il écrit aux Galates[10] : « Je vous dis, moi Paul, que si vous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous servira de rien. » Et ensuite il circoncit son disciple Timothée, que les Juifs prétendent être fils d’un Grec et d’une prostituée. Il est intrus parmi les apôtres, et il se vante aux Corinthiens, Ire épître, chap. ix[11] d’être aussi apôtre que les autres : « Ne suis-je pas apôtre ? n’ai-je pas vu notre Seigneur Jésus-Christ ? n’êtes-vous pas mon ouvrage ? Quand je ne serais pas apôtre à l’égard des autres, je le suis au moins à votre égard. N’avons-nous pas le droit d’être nourris à vos dépens ? n’avons-nous pas le pouvoir de mener avec nous une femme qui soit notre sœur (ou si l’on veut, une sœur qui soit notre femme), comme font les autres apôtres et les frères de notre Seigneur ? Qui est-ce qui va jamais à la guerre à ses dépens ? etc. »

Que de choses dans ce passage ! le droit de vivre aux dépens de ceux qu’il a subjugués, le droit de leur faire payer les dépenses de sa femme ou de sa sœur, enfin la preuve que Jésus avait des frères, et la présomption que Marie ou Mirja était accouchée plus d’une fois.

Je voudrais bien savoir de qui il parle encore dans la seconde lettre aux Corinthiens, chap. XI[12] : « Ce sont de faux apôtres… mais ce qu’ils osent[13], je l’ose aussi. Sont-ils Hébreux ? je le suis aussi. Sont-ils de la race d’Abraham ? j’en suis aussi. Sont-ils ministres de Jésus-Christ ? quand ils devraient m’accuser d’impudence, je le suis encore plus qu’eux. J’ai plus travaillé qu’eux ; j’ai été plus repris de justice, plus souvent enfermé dans les cachots qu’eux. J’ai reçu trente-neuf coups de fouet cinq fois ; des coups de bâton trois fois ; j’ai été lapidé une fois ; j’ai été un jour et une nuit au fond de la mer. »

Voilà donc ce Paul qui a été vingt-quatre heures au fond de la mer sans être noyé : c’est le tiers de l’aventure de Jonas. Mais n’est-il pas clair qu’il manifeste ici sa basse jalousie contre Pierre et les autres apôtres, et qu’il veut l’emporter sur eux pour avoir été plus repris de justice et plus fouetté qu’eux ?

La fureur de la domination ne paraît-elle pas dans toute son insolence quand il dit aux mêmes Corinthiens : « Je viens à vous pour la troisième fois ; je jugerai tout par deux ou trois témoins ; je ne pardonnerai à aucun de ceux qui ont péché, ni aux autres ? » (IIe épître, chap. XIII[14].)

À quels imbéciles et quels cœurs abrutis de la vile populace écrivait-il ainsi en maître tyrannique ? à ceux auxquels il osait dire qu’il avait été ravi au troisième ciel. Lâche et impudent imposteur ! où est ce troisième ciel dans lequel tu as voyagé ? est-ce dans Vénus ou dans Mars ? Nous rions de Mahomet quand ses commentateurs prétendent qu’il alla visiter sept cieux tout de suite dans une nuit. Mais Mahomet au moins ne parle pas dans son Alcoran d’une telle extravagance qu’on lui impute ; et Paul ose dire qu’il a fait près de la moitié de ce voyage !

Quel était donc ce Paul qui fait encore tant de bruit, et qui est cité tous les jours à tort et à travers ? Il dit qu’il était citoyen romain[15] ; j’ose affirmer qu’il ment impudemment. Aucun Juif ne fut citoyen romain que sous les Décius et les Philippe. S’il était de Tarsis[16], Tarsis ne fut colonie romaine, cité romaine, que plus de cent ans après Paul. S’il était de Giscale, comme le dit Jérôme, ce village était en Galilée ; et jamais les Galiléens n’eurent assurément l’honneur d’être citoyens romains.

Il fut élevé aux pieds de Gamaliel[17], c’est-à-dire qu’il fut domestique de Gamaliel. En effet, on remarque qu’il gardait les manteaux[18] de ceux qui lapidèrent Étienne, ce qui est l’emploi d’un valet, et d’un valet de bourreau. Les Juifs prétendirent qu’il voulait épouser la fille de Gamaliel. On voit quelque trace de cette aventure dans l’ancien livre qui contient l’histoire de Thècle. Il n’est pas étonnant que la fille de Gamaliel n’ait pas voulu d’un petit valet chauve, dont les sourcils se joignaient sur un nez difforme, et qui avait les jambes crochues : c’est ainsi que les Actes de Thècle le dépeignent. Dédaigné par Gamaliel et par sa fille, comme il méritait de l’être, il se joignit à la secte naissante de Céphas, de Jacques, de Matthieu, de Barnabé, pour mettre le trouble chez les Juifs.

Pour peu qu’on ait une étincelle de raison, on jugera que cette cause de l’apostasie de ce malheureux Juif est plus naturelle que celle qu’on lui attribue. Comment se persuadera-t-on qu’une lumière céleste l’ait fait tomber de cheval en plein midi, qu’une voix céleste se soit fait entendre à lui, que Dieu lui ait dit[19] : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Ne rougit-on pas d’une telle sottise ?

Si Dieu avait voulu empêcher que les disciples de Jésus ne fussent persécutés, n’aurait-il point parlé aux princes de la nation plutôt qu’à un valet de Gamaliel ? En ont-ils moins été châtiés depuis que Saul tomba de cheval ? Saul Paul ne fut-il pas châtié lui-même ? à quoi bon ce ridicule miracle ? Je prends le ciel et la terre à témoin (s’il est permis de se servir de ces mots impropres, le ciel et la terre) qu’il n’y a jamais eu de légende plus folle, plus fanatique, plus dégoûtante, plus digne d’horreur et de mépris[20].

  1. Évêque de Cork, dont il est parlé tome XVIII, page 19.
  2. Bartholomew-fair, où il y a encore des charlatans et des astrologues. (Note de Voltaire, 1767.)
  3. Il est fort douteux que Lucien ait vu Paul, et même qu’il soit l’auteur du chapitre intitulé Philopatris. Cependant il se pourrait bien faire que Paul, qui vivait du temps de Néron, eût encore vécu jusque sous Trajan, temps auquel Lucien commença, dit-on, à écrire.

    On demande comment ce Paul put réussir à former une secte avec son détestable galimatias, pour lequel le cardinal Bembo avait un si profond mépris ? Nous répondons que sans ce galimatias même il n’aurait jamais réussi auprès des énergumènes qu’il gouvernait. Pense-t-on que notre Fox, qui a fondé chez nous la secte des primitifs appelés quakers, ait eu plus de bon sens que ce Paul ? Il y a longtemps qu’on a dit que ce sont les fous qui fondent les sectes, et que les prudents les gouvernent. (Note de Voltaire, 1771.) — Sur le Philopatris, voyez la note, tome XIX, page 594.

  4. Aux Rom., ii, 25.
  5. Ibid., iii, 31.
  6. Ibid., iv, 2.
  7. I. Cor., X, 2.
  8. Ce n’est pas dans l’épître aux Thessaloniciens, mais dans la Ire aux Corinthiens, xvi, 34.
  9. Ibid., XI, 5.
  10. v, 2.
  11. Versets 1-7.
  12. Verset 13.
  13. 21-25.
  14. 1-2.
  15. Actes, XVI, 37.
  16. Voyez tome XVII, page 328.
  17. Actes, XXII, 3.
  18. VII, 57.
  19. IX, 4.
  20. Ce qu’il faut, ce me semble, remarquer avec soin dans ce Juif Paul, c’est qu’il ne dit jamais que Jésus soit Dieu. Tous les honneurs possibles, il les lui donne, mais le mot de Dieu n’est jamais pour lui. Il a été prédestiné dans l’Épitre aux Romains, chap. I. Il veut qu’on ait la paix avec Dieu, par Jésus, chap. V. Il compte sur la grâce de Dieu par un seul homme, qui est Jésus. Il appelle ses disciples héritiers de Dieu, et cohéritiers de Jésus, même chapitre. Il n’y a qu’un seul verset dans tous les écrits de Paul où le mot de Dieu pourrait tomber sur Jésus : c’est dans cette Épitre aux Romains, V IX. Mais Érasme et Grotius ont prouvé que cet endroit est falsifié et mal interprété. En effet, il serait trop étrange que Paul, reconnaissant Jésus pour Dieu, ne lui eût donné ce nom q>u’une seule fois. C’eût été alors un blasphème.

    Pour le mot de Trinité, il ne se trouve jamais dans Paul, qui cependant est regardé comme le fondateur du christianisme. (Note de Voltaire, 1771.)