Examen important de Milord Bolingbroke/Édition Garnier/Chapitre 17

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Examen important de Milord BolingbrokeGarniertome 26 (p. 243-244).
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CHAPITRE XVII.

DE LA FIN DU MONDE, ET DE LA JÉRUSALEM NOUVELLE.

Non-seulement on a introduit Jésus sur la scène prédisant la fin du monde pour le temps même où il vivait ; mais ce fanatisme fut celui de tous ceux qu’on nomme apôtres et disciples. Pierre Barjone, dans la première épître qu’on lui attribue, dit[1] que « l’Évangile a été prêché aux morts, et que la fin du monde approche ».

Dans la seconde épître[2] : « Nous attendons de nouveaux cieux et une nouvelle terre. »

La première épître attribuée à Jean dit formellement[3] : « Il y a dès à présent plusieurs antechrists : ce qui nous fait connaître que voici la dernière heure. »

L’épître qu’on met sur le compte de ce Thadée surnommé Jude annonce la même folie[4] : « Voilà le Seigneur qui va venir avec des millions de saints pour juger les hommes. »

Cette ridicule idée subsista de siècle en siècle. Si le monde ne finit pas sous Constantin, il devait finir sous Théodose ; si la fin n’arrivait pas sous Théodose, elle devait arriver sous Attila. Et jusqu’au xiie siècle cette opinion enrichit tous les couvents ; car, pour raisonner conséquemment selon les moines, dès qu’il n’y aura plus ni hommes ni terres, il faut bien que toutes les terres appartiennent à ces moines.

Enfin, c’est sur cette démence qu’on fonda cette autre démence d’une nouvelle ville de Jérusalem qui devait descendre du ciel. L’Apocalypse[5] annonça cette prochaine aventure : tous les christicoles la crurent. On fit de nouveaux vers sibyllins dans lesquels cette Jérusalem était prédite ; elle parut même cette ville nouvelle où les christicoles devaient loger pendant mille ans après l’embrasement du monde. Elle descendit du ciel pendant quarante nuits consécutives. Tertullien la vit de ses yeux. Un temps viendra où tous les honnêtes gens diront : Est-il possible qu’on ait perdu son temps à réfuter ce conte du Tonneau !

Voilà donc pour quelles opinions la moitié de la terre a été ravagée ! voilà ce qui a valu des principautés, des royaumes, à des prêtres imposteurs, et ce qui précipite encore tous les jours des imbéciles dans les cachots des cloîtres chez les papistes ! C’est avec ces toiles d’araignée qu’on a tissu les liens qui nous serrent ; on a trouvé le secret de les changer en chaînes de fer. Grand Dieu ! c’est pour ces sottises que l’Europe a nagé dans le sang, et que notre roi Charles Ier est mort sur un échafaud ! Ô destinée ! quand des demi-juifs écrivaient leurs plates impertinences dans leurs greniers, prévoyaient-ils qu’ils préparaient un trône pour l’abominable Alexandre VI, et pour ce brave scélérat de Cromwell ?

  1. chap. IV, 6. 7. (Id.)
  2. chap. III, 13. (Note de Voltaire.)
  3. II, 18.
  4. Jude, XV, 14, 15. (Id.)
  5. XXI, 2.