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Expédition de l’Astrolabe

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EXPÉDITION
DE
L’ASTROLABE.

Parmi les navigateurs contemporains qui peuvent prétendre à la succession des Cook et des Lapérouse, il n’en est point dont les titres soient plus sérieux que ceux de M. Dumont-d’Urville. L’Angleterre, très compétente sur ce point, a elle-même reconnu l’autorité de ses travaux, et cet aveu a dû coûter beaucoup à une marine rivale. On sait tout ce que la science géographique doit au premier voyage de l’Astrolabe. Des relèvemens laborieux qui embrassent quatre cents lieues de côtes sur la Nouvelle-Zélande et trois cent cinquante lieues au nord de la Nouvelle-Guinée, l’hydrographie de l’archipel Viti, des îles Loyalty, de Vanikoro, d’Hogoleu et de Pelew ; la découverte d’une soixantaine d’îles, îlots ou écueils signalés à la navigation, tel est l’ensemble des résultats obtenus dans une campagne de trois années. Les sciences accessoires n’ont pas été moins bien partagées : les dialectes des tribus océaniennes, fixés et comparés, sont désormais acquis à la philologie ; l’histoire naturelle de ces régions, fondée par les deux Forster, Péron et Solander, a reçu de nouveaux développemens et donné lieu à des observations plus approfondies, tandis que l’étude des races s’est simplifiée par un classement lumineux, emprunté à la différence des mœurs et au contraste des types.

Sans doute d’autres travaux estimables, quoique moins étendus, ont été exécutés de nos jours dans cette partie du monde. Sans remonter plus haut que le début du siècle, nous trouvons l’amiral russe Krusenstern, dont la relation répandit un grand jour sur la configuration de l’Australie, des côtes du Japon et des îles de la mer de Chine. Son élève Kotzebue, commandant le Rurick, armé aux frais du comte de Romanzoff, lui succéda dans ces parages, et opéra sur les Carolines des reconnaissances pleines d’intérêt. Il eut en outre le bonheur d’avoir pour interprète le savant Chamisso, esprit délicat et orné, qui jeta quelque charme dans le récit de ce voyage. En même temps, I’Américain Porter éclairait la géographie des îles Marquises, comme son compatriote Paulding le fit plus tard pour les îles Mulgrave. Parmi les Anglais, nous ne voyons guère que le capitaine Beechey qui mérite une mention : cet intrépide navigateur dirigea son vaisseau, en 1826, vers le nord-ouest de l’Amérique, et pénétra, en longeant la limite extrême des glaces, sur des points que personne n’avait visités avant lui. La France a fait aussi quelques efforts. En 1823, M. Freycinet sillonna les mers du Sud sur la frégate l’Uranie, et nous lui devons une scrupuleuse monographie des îles Mariannes. M. Duperrey y parut à son tour, en 1823, sur la corvette la Coquille, et il est à regretter que la relation de ce curieux voyage se fasse encore attendre. Plus récemment, MM. Laplace et Dupetit-Thouars, envoyés en mission spéciale et pour un but déterminé, ont su donner une valeur scientifique à des campagnes plus particulièrement militaires. Enfin, King et Lütke, hydrographes si consciencieux, Billinghausen et Morrell, recommandables à d’autres titres, ont chacun laissé dans le monde savant quelques traces de leur passage. Certes, nous ne voulons pas dire que le nom de M. d’Urville doive être placé au-dessus de tous ces noms ; mais il nous semble que les travaux de la première expédition de l’Astrolabe dominent ces travaux par des vues plus complètes et des observations plus concluantes.

La seconde exploration que cette corvette vient d’achever en compagnie de la Zélée promet à la science une moisson non moins abondante. L’idée principale de M. d’Urville, en reprenant la mer, était de s’assurer du crédit que méritaient les renseignemens de Weddell. Ce capitaine ayant trouvé les régions australes entièrement dégagées de glaces par le 70e parallèle, il était naturel de croire que les abords du pôle offraient moins de difficultés dans cet hémisphère que dans le nôtre. Recherchant la théorie de ce fait, M. d’Urville avait pu l’entrevoir dans l’absence de grands continens du côté du sud et dans l’action plus efficace des vents sur des mers plus vastes. Quoi qu’il en soit, la solution de ce problème était assez intéressante pour aborder l’entreprise, même en courant le risque d’un échec. Les tentatives de Parry et de Ross, dans la zône boréale, ne sont pas restées sans éclat, quoique infructueuses. Ici d’ailleurs le champ était plus nouveau, moins circonscrit, moins embarrassé. Tout le monde le crut à bord des corvettes, et les équipages quittèrent Toulon le 7 septembre 1837, pleins d’ardeur et d’espérance. Le capitaine d’Urville montait l’Astrolabe, le capitaine Jacquinot commandait la Zélée.

Les premiers mois du voyage n’offrirent qu’un très médiocre intérêt. On traversait alors des mers trop connues. La curiosité ne se réveilla que dans le détroit de Magellan et au mouillage du Port-Famine. Des paysages vigoureux, une nature vierge encore, fixèrent sur-le-champ l’attention. On retrouva quelques traces du séjour du capitaine King et de deux baleiniers américains. Ces circonstances rendirent les équipages au sentiment de leur mission aventureuse. On commença les travaux soit à terre, soit à bord, et la carte du détroit fut rectifiée en plusieurs points à l’aide de relèvemens précis. Cependant les tribus voisines s’étaient familiarisées avec nos marins ; on avait aperçu des Patagons et des Pecherais. Ces premiers n’ont rien des mœurs farouches que les anciens géographes leur ont attribuées. De haute taille sans être gigantesques, ils montrent un caractère doux et sociable, des mœurs simples et indolentes. Les Pecherais, bien plus dégradés au physique, ont également des habitudes paisibles. Toute la différence entre les deux races, sorties sans doute d’une souche commune provient de leur manière de vivre. Le Patagon est chasseur ; le Pecherai est pêcheur ; celui-ci ne quitte pas sa pirogue, celui-là son cheval. Les uns et les autres sont d’une bienveillance extrême envers les étrangers, et deux matelots américains, abandonnés sur cette plage, avaient trouvé pendant plus d’un an, chez les Patagons, une hospitalité fraternelle. M. d’Urville recueillit ces malheureux, qui, après la croisière antarctique, furent débarqués au Chili.

On se trouvait alors à la fin de décembre, et il était temps de se diriger vers le pôle. De tous les navigateurs qui avaient pris cette route, Weddell était le seul dont on pût suivre les traces. Cook, en 1775, avait sur ce point rencontré les glaces par le 60e degré ; Powell, en 1721, n’avait pas pu aller au-delà de 62° 30′ ; Biscoë s’était élevé avec beaucoup de peine à 63° ; mais Weddell assurait qu’il avait trouvé la mer libre jusqu’au 71e parallèle. Les corvettes naviguèrent donc dans cette direction et sur des eaux parfaitement unies ; mais, le 18 janvier, un bloc de glace, de quatre-vingts pieds de haut, se montra devant l’Astrolabe. Le lendemain, ces masses flottantes allèrent en augmentant, et le 22, par 65° environ, une immense barrière se déroula sur toute la ligne de l’horizon. On se ferait difficilement une idée de la magnificence sinistre d’un tel spectacle. Abusé par un effet d’optique, l’œil découvre dans ces blocs inégaux des merveilles monumentales. Tantôt ce sont des clochers de cathédrales gothiques bizarrement sculptés, tantôt des forêts d’obélisques lumineux ou bien des temples gigantesques comme ceux d’Ellora, ou d’immenses carrières de marbre étincelant, ou enfin une vaste capitale hérissée d’édifices et dans la forme vaporeuse et confuse que lui donne le brouillard du matin.

Sans les dangers qu’elle recelait, cette scène aurait pu long-temps captiver le regard ; mais il fallait songer à des soins plus sérieux, on avait l’ennemi en face. Pendant quelques jours, on côtoya cette éternelle muraille, en cherchant si elle n’offrirait pas dans son étendue quelque solution de continuité, Partout on la retrouva, toujours plus compacte et plus menaçante. À diverses reprises, les deux corvettes se trouvèrent resserrées entre d’énormes glaçons, et le 3 février, une barrière de deux cents toises de large les sépara de la haute mer. Qu’on juge des craintes qui vinrent assaillir les équipages ! Il fallait s’ouvrir violemment un passage, tantôt à l’aide du vent, tantôt au moyen de pioches, de leviers et de pinces. À force de bras et de cordes, on tirait les bâtimens de manière à leur faire tracer un sillon au milieu des glaces. Pendant cinq jours, les équipages furent occupés à cette rude manœuvre. Le 9 au matin, les vents ayant passé au sud, les corvettes déployèrent toutes leurs voiles pour livrer à l’obstacle un dernier combat. Contenues par les glaces, mais chassées par la brise, l’Astrolabe et la Zélée se roulaient et s’agitaient en bondissant sur ce lit inégal. Ces secousses faisaient gagner un peu de chemin ; mais tout s’arrêtait quand la barrière devenait trop haute. Alors il fallait employer les machines et les bras, coucher les vaisseaux sur le flanc pour les faire glisser avec plus de facilité et les traîner ainsi au risque de les voir se briser en mille éclats. Enfin cette angoisse eut un terme : après avoir creusé leur route pendant une lieue, la Zélée et l’Astrolabe touchèrent de nouveau à la pleine mer. Elles étaient sauvées, non sans blessures ; elles sortaient de cet étau qui les avait tenues comprimées pendant une semaine.

À la suite de cette épreuve si concluante, il n’y avait plus à se lancer dans de nouveaux périls, sur la foi de Weddel. Cependant il répugnait à M. d’Urville de n’emporter de ces parages qu’un désappointement. Il prolongea encore la barrière polaire pendant trois cents milles sans pouvoir trouver d’issue, et ne s’arrêta que lorsque la direction des glaces l’eut éclairé sur l’inutilité de ses efforts. Alors il se rabattit sur les îles Orkney, dont il compléta la géographie, puis sur la partie orientale du Shetland, qu’il rectifia et rétablit. Sur ce point, il y avait à s’assurer de l’existence de pitons neigeux qu’avaient aperçus des pêcheurs de phoques, et qu’ils avaient désignés sous les noms de Terres de Palmer et de Trinité. Foster, Biscoë et Morrell en avaient eu vaguement connaissance et leur avaient imposé divers noms. Le commandant de l’expédition française voulut fixer l’état réel de ces terres mystérieuses. Il les attaqua dans une partie qu’aucun navigateur n’avait encore aperçue, et en traça la configuration sur une étendue de cent vingt milles à peu près, entre le parallèle de 63° et 64°, et les méridiens de 58° et 62°, à l’ouest de Paris. Ces terres, couronnées de pics nombreux, sont couvertes d’une couche de glaces éternelles. La principale fut appelée Terre de Louis-Philippe ; les autres reçurent divers noms. Cependant, au milieu de ces pénibles travaux la saison avançait, et les équipages commençaient à souffrir du scorbut. Il fallut quitter ces tristes contrées en toute hâte, et regagner l’un des ports du Chili. À l’arrivée devant la Conception, quarante hommes à bord de la Zélée étaient hors de service. L’Astrolabe ne comptait que quinze malades ; mais déjà le mal faisait des progrès, et l’état-major lui-même commençait à en éprouver les cruels symptômes. Des soins attentifs, un régime salubre et l’air du rivage eurent bientôt combattu les atteintes du fléau, et ramené la santé sur les visages. Quand on mouilla dans la baie de Valparaiso, il ne restait plus que trois scorbutiques à bord.

Ici allait commencer pour l’expédition une autre série d’études. L’Océanie l’attendait ; les corvettes, réparées, mirent leur proue sur ses archipels. À part don Juan Fernandez, célèbre par les aventures du matelot Selkirk qui inspirèrent le Robinson Crusoé, on n’aperçut aucune terre avant les îles Gambier, foyer intéressant d’une mission catholique. Il y a cinq ans de cela, ce petit groupe, qui forme l’extrémité orientale de l’archipel de la Société, était en proie aux misères et aux déréglemens de l’état sauvage. La polygamie, le fétichisme, l’anthropophagie, y régnaient sans partage, et la condition des naturels approchait beaucoup de celle de la brute. Quelques prêtres des missions de Paris ont changé tout cela. Déposés sur ces îles, ils se virent, pendant six mois, chaque jour à la veille d’être tués ou dévorés. La foi les soutint ; ils attendirent. Quelques procédés industriels enseignés à propos, quelques médicamens distribués avec intelligence, leurs soins pour les malades, leur bonté envers les vieillards, leur tendre affection pour les enfans, adoucirent ces cœurs farouches et domptèrent ces natures rebelles. Un petit nombre d’indigènes se laissa d’abord baptiser, puis d’autres suivirent, enfin les chefs eux-mêmes abjurèrent leurs croyances, et mirent de leurs mains le feu aux idoles. Ce fut le signal d’une conversion générale. Aujourd’hui la population des îles Gambier est entièrement catholique.

Quand l’Astrolabe et la Zélée se trouvèrent en vue de ces terres, une embarcation se détacha du rivage et se dirigea vers les corvettes ; trois Français et plusieurs insulaires la montaient. On les admit sur le pont ; les Français étaient des matelots attachés au service de la mission. Quant aux indigènes, ils n’avaient rien de cette curiosité enfantine, de cette cupidité instinctive, qui caractérisent ces tribus ; on voyait qu’une discipline religieuse s’était emparée de leurs esprits et commandait à leurs penchans. Ils ne touchaient à rien sans en demander la permission, et répondaient avec intelligence aux questions qu’on leur adressait. Un officier voulut mouler la figure de l’un d’eux, qui se prêta fort patiemment à cette opération délicate, et se montra enchanté des bagatelles qu’on lui donna en retour. Le teint de ces hommes était fortement cuivré ; leurs traits, sans être réguliers, n’avaient rien de repoussant ; leurs membres, bien conformés, accusaient de la vigueur. Ce groupe de Gambier, le plus important théâtre de la propagande catholique dans l’Océanie, se compose de cinq ou six îles peu distantes les unes des autres, et dont la plus considérable, Mangareva, est couronnée par un pic, le mont Duff, qui s’élève à une hauteur de douze cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Le meilleur mouillage est à Kamaran, entre Mangareva et Karavaï, et ce fut là que les deux corvettes jetèrent l’ancre, le 4 août 1838.

Le principal chef des îles Gambier était alors Mapou-Taona ; mais son influence paraissait subordonnée à celle de son oncle Matoua, ancien grand-prêtre des idoles, aujourd’hui catholique fervent. L’un et l’autre obéissaient d’ailleurs aux quatre membres de la mission, MM. Caret, Laval, Guillemard et l’évêque de Nilopolis. Deux mille ames environ peuplent ce petit état insulaire, et relèvent de ce double pouvoir temporel et spirituel. C’est un noyau d’église qui, sans les jalousies de la société biblique de Londres, se serait bientôt étendu dans toute la Polynésie. Le commandant d’Urville avait quelques instructions au sujet de cet établissement. Il expédia d’abord à l’évêque les ballots qui lui étaient destinés, et alla ensuite lui rendre visite dans l’île d’Aokena, lieu de sa résidence. Le lendemain, l’évêque vint à bord en grand costume, et le roi des Gambier crut à son tour devoir honorer les corvettes de sa présence. Chacun de ces dignitaires se vit saluer de neuf coups de canon, et le pavillon de l’archipel fut hissé aux mâts des navires. Cet échange de bons procédés continua des deux côtés. Le roi envoya aux corvettes ce qu’il avait de meilleur, des fruits à pain, des poules, des cocos, des bananes, le commandant se fit un plaisir de lui offrir des objets qui le comblèrent de joie : un fusil deux coups, de la poudre, des étoffes et un habillement complet.

Un jour avait été fixé pour une messe solennelle qui devait se célébrer en plein air sur le rivage. Elle eut lieu le 12 août. Dès le matin, les corvettes avaient été pavoisées ; vers les neuf heures, l’état-major en grande tenue et les équipages en armes descendirent sur la plage de Mangareva. L’évêque officia, et tous les personnages des îles Gambier parurent à la cérémonie. Au premier rang figurait l’ancien grand-prêtre Matoua, géant de six pieds ; puis venaient, la reine et sa tante, coiffées toutes les deux d’un chapeau de paille et vêtues d’une robe d’indienne. Le roi, assis sur une sorte d’estrade, avait endossé une redingote en drap bleu et portait pour la première fois des souliers et des bas qui semblaient l’inquiéter beaucoup, et dont il se débarrassa après le service. Les princesses n’avaient pas poussé si loin l’étiquette ; elles étaient demeurées pieds nus. La population s’échelonnait à quelque distance, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, tous accroupis sur leurs talons. Aux chants du prêtre, ils répondaient en chœur avec beaucoup d’ensemble et avec un accent guttural des plus prononcés. Quand l’office fut terminé, l’évêque adressa un petit sermon en français aux équipages, et un autre en langue indigène aux insulaires de Mangareva, qui l’écoutèrent dans le plus profond recueillement. Ce spectacle était plein d’émotion et d’intérêt ; il rappelait les premières scènes de la Conquête du Nouveau-Monde, quand des milliers d’Indiens s’inclinaient devant le crucifix d’un moine et signalaient leur soumission par de grandes abjurations publiques. Le triomphe du catholicisme a même été sur ces plages plus pur et plus glorieux : l’Évangile n’y a point eu le bûcher pour auxiliaire.

Les missionnaires de Gambier racontèrent aux officiers des corvettes par quels prodiges de patience ils étaient venus à bout d’établir leur empire sur les naturels. Chez ces tribus, ce n’est pas le fanatisme qui domine, mais l’indifférence. Elles ne tiennent pas à leur culte, mais elles ne se passionnent pour aucun. Avec une pareille disposition des esprits la ferveur arrive lentement, et, sans la ferveur, point de néophytes. Ce n’est pas tout : il fallait rendre intelligibles à ces races abruties des mystères religieux que la plus haute raison ne saurait pénétrer. Les apôtres y épuisèrent toutes les ressources de leur piété, tous les trésors de leur persévérance. Ils fabriquaient de petites croix en osier et venaient les planter devant la case des chefs, afin de les familiariser avec la vue de cet emblème. Pour expliquer le dogme de la trinité, ils avaient adopté la feuille du trèfle, qui semblait résumer ce symbole des trois personnes en une seule. Chaque jour c’étaient de nouveaux efforts inspirés par la dévotion la plus ingénieuse. Rien ne réussissait pourtant. Alors les missionnaires appelèrent à leur aide des moyens plus profanes. Ils avaient apporté quelques outils et une petite pharmacie : ils mirent tout cela au service des naturels, ne se réservant rien pour eux-mêmes. De leurs mains ils creusèrent des puits, bâtirent des cases et entreprirent de construire une chapelle en bambous. Pendant ce temps, le chétif bagage s’épuisait sans se renouveler ; leurs vêtemens s’usaient, et ils étaient obligés d’en surveiller attentivement la conservation. Qu’on juge de leur embarras ! Eux qui blâmaient la nudité chez les indigènes, ils étaient à la veille de n’avoir plus rien pour se couvrir, et d’énormes solutions de continuité dans leur costume les mettaient en infraction journalière avec les préceptes qu’ils enseignaient. Enfin tant d’héroïsme, tant de patience, furent couronnés de quelque résultat. Des secours arrivèrent d’Europe, et l’abjuration d’un grand chef décida du sort de l’archipel.

Depuis ce temps, les îles de Gambier ont changé d’aspect. À la promiscuité on a vu succéder les unions régulières ; des mœurs réservées ont remplacé la licence d’autrefois. Quelques Français, fixés sur les lieux, se sont empressés de donner l’exemple en choisissant des femmes parmi les naturels et en élevant leurs familles à l’européenne. Une sorte de civilisation matérielle s’est introduite avec le culte nouveau et l’a rendu cher par des bienfaits aisément appréciables. Avant l’arrivée des missionnaires, ces peuples se faisaient la guerre pour avoir des cadavres et se livrer à d’horribles festins. Il ne reste plus de traces de cette dépravation, et la concorde règne entre les chefs des îles. La mission a ouvert des écoles où les enfans viennent s’instruire, le beau-frère du roi commence à écrire passablement, et un grand nombre d’insulaires lisent très couramment leur catéchisme. Déjà les cases, plus solidement construites, prennent un air de propreté et d’aisance ; les cultures sont mieux entendues, la canne à sucre a été naturalisée, et l’on va jusqu’à tisser le coton. La race elle-même semble s’améliorer. Le type plat et écrasé de ces tribus fait peu à peu place, chez les enfans, à des lignes plus gracieuses et plus pures. Au lieu de vivre seulement de pêche, les naturels élèvent maintenant des poules et des cochons, et sur leur terrain volcanique toutes les céréales réussissent à souhait. Avec des moyens plus puissans, cette civilisation microscopique serait certainement plus avancée ; mais telle qu’elle est et si près de son berceau, elle surprend et charme à la fois. Rien n’est plus curieux que ces chrétiens qui marchent à demi nus, s’embarquent sur des pirogues à balancier, et brandissent leurs lances armées d’os de poissons. Sous cet aspect, en apparence farouche, ils cachent une docilité parfaite, et jamais on ne les vit rebelles à la voix de leurs pasteurs.

Ce n’est pas sans intention que nous parlons ici avec quelque développement de ce coin de terre. L’avenir de la propagande catholique dans les archipels de l’Océanie tient plus qu’on ne le suppose au succès de cette église naissante. Les missions anglaises et américaines, les presbytériens et les wesleyens, se partagent des îles importantes et les défendent contre le catholicisme avec une inquiétude ombrageuse. Vainement nos missions de Paris ont-elles engagé la lutte en envoyant de courageux apôtres à Taïti, aux Sandwich et dans la Nouvelle-Zélande. Les sectes luthériennes, investies de toute la puissance locale et agitant à leur gré les indigènes, ont suscité aux évangélistes français des difficultés sans nombre, et, ne pouvant les intimider, ont eu recours, sur plusieurs points, à des déportations violentes. Pour mettre un terme à cette oppression, notre gouvernement a fait quelques efforts : il a envoyé deux frégates[1] chargées de venger les outrages dont nos prêtres avaient à se plaindre Mais le fanatisme religieux ne capitule pas facilement, et la leçon, si sévère qu’elle ait pu être, sera bien vite effacée. La propagande luthérienne, s’appuyant d’un côté sur l’union américaine, de l’autre sur l’Angleterre, n’acceptera jamais, sur les lieux où elle règne, une lutte franche et sincère avec la propagande catholique. Sûre de ses avantages, elle préférera anéantir toute concurrence au moyen des armes temporelles. C’est beaucoup si elle souffre le voisinage de quelques établissemens précaires, tels que ceux des Gambier et de l’archipel d’Hamoa. Comme foyer et comme point de départ, ces églises au berceau ont donc une valeur réelle ; elles peuvent devenir une pépinière d’apôtres et un lieu de refuge où ils viendront s’abriter contre la persécution.

Après quinze jours de station sur cet archipel, l’Astrolabe et la Zélée remirent à la voile, et le 24 elles étaient en vue des îles Marquises (Nouka-Hiva). En aucun lieu de l’Océanie, le paysage n’est plus beau, plus riche, plus varié. Les vallons sont couverts d’une magnifique robe de verdure, que traversent de loin en loin, comme autant de sillons d’argent, de larges et éblouissantes cascades. Le cocotier, le bananier, l’arbre à pain, dominent le long des plages ; les pandanus et les hibiscus règnent à mi-côte ; les sommets sont nus et stériles : Parmi les groupes qui se rattachent à la Polynésie, celui-ci est l’un des plus arriérés. Les naturels y vont presque nus, et quand les corvettes mouillèrent dans la baie d’Anna-Maria, plusieurs femmes, venues du rivage à la nage, montèrent sur le pont sans aucune espèce de vêtement. Le tatouage est l’ornement obligé de ces peuples : l’importance d’un individu se mesure au nombre et à la nature des lignes qui le sillonnent. Chez les femmes, cet ornement ne se compose que de dessins légers et superficiels ; les jeunes filles n’y sont point assujéties.

Le séjour des deux corvettes devant les îles Marquises ne dura qu’une semaine, et pendant ce temps les rapports se maintinrent avec les habitans sur le pied le plus amical. Les naturels de la baie d’Anna Maria appartiennent à la tribu des Toupias, constamment en guerre avec les Hoppas et les Toapais, qui occupent le reste de ces îles. Ils obéissent à une reine que dirige un conseil de chefs. Cette princesse honora de sa visite l’Astrolabe et la Zélée, et parut flattée de quelques cadeaux qui lui furent offerts. L’exercice à feu l’étonna sans l’intimider, et elle fit même entendre qu’elle serait bien aise d’avoir de semblables instrumens de guerre pour s’en servir contre ses ennemis. Le lendemain de cette entrevue, les corvettes quittaient le mouillage. Après avoir reconnu une suite de petites îles, elles parurent devant Taïti le 9 septembre et relâchèrent dans la rade de Matavaï. Dans le même moment, la frégate la Vénus se trouvait à Pape-Iti, baie voisine, afin d’y poursuivre la réparation de quelques griefs. Les deux corvettes concoururent à la négociation qui intervint et qui fut terminée par l’Artémise quelques mois plus tard. Cet incident, plus politique que scientifique, était une sorte de hors-d’œuvre pour l’expédition : aussi le séjour à Taïti fut-il abrégé et suivi d’une reconnaissance hydrographique de tout le groupe. Il s’agissait de rectifier les cartes de Cook, dont les indications fautives faillirent causer la perte de l’une des corvettes sur les récifs de Mopélia.

De l’archipel de Taïti, on se dirigea sur celui d’Hamoa que Bougainville avait nommé îles des Navigateurs. Ces parages ont une triste célébrité dans l’histoire des voyages : ils furent témoins de la catastrophe du capitaine Delangle, compagnon de Lapérouse. Lapérouse venait de mouiller sur l’île de Maona en décembre 1787, et deux jours de relations bienveillantes l’avaient rassuré sur les dispositions des naturels. Les pirogues affluaient le long des bâtimens et s’y livraient à des échanges paisibles. Une petite rixe entre un sauvage et un matelot avait seule troublé la bonne harmonie ; mais le commandant avait cru assez faire pour la sûreté des équipages en montrant aux indigènes, dans un tir aux pigeons, la puissance des armes à feu. Confiant dans sa force, Lapérouse se hasarda même à parcourir les hameaux de la plage et l’accueil qu’il y reçut ne fit qu’accroître sa sécurité. Cependant une catastrophe se préparait.

Le troisième jour, le capitaine Delangle se rendit à l’aiguade avec deux chaloupes et deux canots montés par soixante-une personnes armées. La marée étant basse, on échoua les chaloupes ; les canots seuls restèrent à flot. Dans les premières l’opération se fit tranquillement ; seulement peu à peu le nombre des naturels augmentait, et il s’éleva bientôt à plus de mille. D’abord curieux et importuns, ils finirent par devenir turbulens. Delangle voulut les apaiser avec quelques cadeaux, mais il plaça mal ses faveurs, et ne fit qu’aggraver la situation. Sous peine d’un désastre, il fallait opérer la retraite : Delangle l’ordonna trop tard. Le premier grapin venait d’être levé, quand une grêle de pierres annonça les hostilités. Le capitaine, désireux d’éviter une affaire sanglante, n’y fit répondre que par un coup de fusil déchargé en l’air. Ce fut assez pour provoquer une attaque générale. Mille sauvages se précipitèrent dans la mer, ayant de l’eau jusqu’à la ceinture. Les mousquets ne les arrêtèrent pas ; ils allèrent droit aux embarcations. Delangle tomba le premier, renversé par un coup de casse-tête. À ses côtés périrent les officiers qui cherchaient à le défendre. Doués d’une vigueur athlétique, les naturels engagèrent une lutte corps à corps dans laquelle tout l’avantage leur resta. Les pierriers des chaloupes portaient à faux ; les mousquets, avec leurs amorces mouillées, faisaient mal leur service. Ce fut une horrible boucherie. Heureusement, par un mouvement spontané, les équipages compromis se décidèrent à abandonner les chaloupes pour se réfugier dans les canots. Cette diversion sauva une partie de nos marins. Ramenés par cette retraite à l’instinct du pillage, les sauvages se précipitèrent à l’envi sur les embarcations qu’on leur abandonnait, les mirent en lambeaux, les dépecèrent et s’en disputèrent les débris. Dans cet intervalle, les canots, un instant arrêtés dans leur marche, purent s’éloigner et regagner les frégates ; mais vingt-cinq hommes étaient restés sur cette plage fatale, et long-temps on crut que leurs cadavres avaient été dévorés.

Le passage des corvettes à Opoulou, sur le groupe d’Hamoa, contribua à éclaircir ce qu’il y avait de mystérieux dans cette affaire. D’après les renseignemens qui furent donnés, ce désastre fut le résultat d’un malentendu, et non d’un complot formel. Les naturels d’Hamoa sont d’origine polynésienne, et rien chez eux ne révèle des habitudes de cannibalisme. Les corps des victimes furent donc inhumés, et quelques blessés, qui survécurent à la catastrophe, purent finir tranquillement leurs jours dans ces îles. La conduite des insulaires à l’égard de l’Astrolabe et de la Zélée ne démentit pas d’ailleurs ce qu’une explication semblable peut avoir de favorable pour eux. Durant le cours de la relâche, ils se montrèrent fort pacifiques. Un jour seulement il arriva qu’un élève, qui s’était aventuré dans l’intérieur, fut dépouillé par son guide. À l’instant, le commandant voulut donner au pays une leçon sévère. Cinquante hommes armés débarquèrent sur la grève, et une réparation fut demandée. Le chef du village l’accorda sans délai. Il fit restituer les objets volés, et y ajouta douze petits cochons, sous forme d’amende.

On recueillit, dans cette relâche, quelques détails sur les îles du groupe d’Hamoa. Le christianisme les a déjà visitées. Des missions luthériennes et catholiques y ont successivement paru. Le littoral semble à peu près converti ; l’intérieur seul est idolâtre. Le type y est beau, les femmes surtout ont des formes remarquables. Au premier coup d’œil, il est facile de distinguer un chrétien d’un idolâtre. Le chrétien se coupe les cheveux ; l’idolâtre les laisse croître, et comme la chevelure est fort crépue, on le dirait chargé d’une énorme perruque. Le pays offre un aspect de richesse et d’abondance. Les cases, propres et symétriques, ressemblent à des ruches à miel ; les pirogues, merveilleusement ajustées, ont jusqu’à cinquante pieds de long et sont manœuvrées avec une adresse infinie. Habiles et industrieux, les habitans excellent dans la fabrication des nattes, dont ils fournissent les archipels voisins. C’est en somme un peuple avancé, intelligent, prêt pour la civilisation.

Vavao, dans l’archipel de Tonga-Tabou, où se rendirent ensuite l’Astrolabe et la Zélée, est une station encore plus intéressante. Les missions luthériennes, si promptes à s’emparer de toutes les positions, n’ont pas négligé ce groupe, qui s’étend du 18e au 22e parallèle, et comprend deux grandes îles et une infinité de petits îlots. L’archipel de Tonga-Tabou marche presque de pair, pour l’importance, avec ceux de la Nouvelle-Zélande, de Taïti et des Sandwich. Il appartient, comme eux, à la race polynésienne et aux tribus les plus intelligentes de cette race. Il a ses traditions religieuses, son histoire militaire, ses grands hommes, sa généalogie de souverains. À Tonga-Tabou, l’autorité des anciens jours se perpétue ; mais aux îles Hawaï et à Vavao l’influence des missionnaires semble avoir prévalu sur les pouvoirs idolâtres. De là une guerre intestine qui ne cessera qu’avec la conversion totale de ce groupe. Vavao est entièrement chrétien : les missionnaires Thomas et Brooks y tiennent les rênes du gouvernement, en même temps qu’ils dirigent les ames. Tonga-Tabou est plus rebelle : à diverses époques, les wesleyens ont tenté de s’y établir, et la persécution les en a chassés. La résidence du roi et de la reine est à Vavao, devenu ainsi le vrai chef-lieu de l’archipel, et tôt ou tard cette circonstance ramènera les îles dissidentes à l’obéissance et à l’union.

À peine les deux corvettes étaient-elles mouillées sur cette baie que le couple royal se rendit à bord en compagnie des chefs de la mission. L’entrevue fut des plus amicales. M. d’Urville et le missionnaire Thomas n’eurent qu’à renouveler connaissance. Ils s’étaient déjà vus en 1827. Une rencontre plus inattendue fut celle d’un matelot, nommé Simonet, qui avait déserté de l’Astrolabe dans le cours de sa première campagne. Poussée par une tempête violente, la corvette, onze ans auparavant, s’était débattue pendant quatre jours contre les écueils, et, sauvée de ce péril, elle avait eu ensuite à se défendre d’un complot tramé par deux marins dont le résultat fut l’enlèvement d’un canot avec les hommes qui le montaient. Il fallut alors avoir recours au canon pour obtenir la satisfaction de cette injure, et encore la satisfaction demeura-t-elle incomplète, puisque le principal coupable ne fut pas rendu à ses supérieurs et livré à la justice navale.

Ce coupable était le même Simonet que l’on retrouvait à Vavao. Depuis le jour de sa désertion, il avait essuyé des fortunes diverses. Proscrit par les chefs indigènes, il avait quitté Tonga-Tabou, et s’était promené d’île en île sans pouvoir se fixer nulle part. Turbulent et débauché, la mission l’avait mis à l’index : on l’accusait d’être catholique et de vendre de l’eau-de-vie aux naturels. À quelque temps de là, ce fut bien pis encore. Un missionnaire français ayant paru sur ces rivages, Simonet crut devoir se constituer son défenseur, son interprète. La partie était trop inégale : le missionnaire catholique fut forcé de se rembarquer précipitamment ; mais avant de partir, ce prêtre laissa entre les mains du matelot une lettre adressée au premier capitaine de la marine française qui relâcherait sur ces côtes. Naturellement cette pièce pouvait amener des représailles. Les missionnaires luthériens voulurent l’anéantir : Simonet la leur refusa. Alors on résolut sa perte. Enlevé et déporté dans une île inhabitée, il ne fut arraché à cet exil qu’après avoir payé une rançon de vingt piastres d’Espagne, et quand parurent l’Astrolabe et la Zélée, on l’envoya garrotté à bord des corvettes comme un malfaiteur. Là, Simonet chercha à atténuer ses torts, à expliquer sa conduite ; mais le commandant le fit mettre aux fers et ne le relâcha qu’à la Nouvelle-Zélande, où il fut débarqué.

Pendant que l’expédition se reposait à Vavao, nos voyageurs mirent leur temps à profit pour étudier l’archipel de Tonga et ses races, fort curieuses. Déjà, dans un séjour antérieur, M. d’Urville avait recueilli sur cette contrée des notions étendues ; il les compléta dans sa relâche nouvelle, et on nous saura gré de résumer ici rapidement le travail du navigateur le plus exact peut-être que l’Océanie ait inspiré.

Le type est beau dans ces îles. Les hommes y sont de haute stature ; ils ont le nez aquilin, les lèvres minces, les cheveux lisses, le teint d’un jaune animé. Les femmes sont gracieuses, et dans le nombre il s’en rencontre de vraiment belles. Le buste chez les deux sexes est ordinairement nu : des étoffes de tapa (broussonetia) leur couvrent le reste du corps jusqu’à mi-jambe. Le caractère de ces peuples a été l’objet des jugemens les plus opposés, ce qui prouverait chez eux ou une grande mobilité d’humeur, ou une dissimulation raffinée. Leur état social est fort avancé. La famille y obéit à des coutumes régulières, et les femmes y sont l’objet de plus d’égards que dans les autres groupes. On peut même dire que ces naturels possèdent des qualités d’un ordre supérieur, et entre autres une puissance sur eux-mêmes qui suppose une raison élevée et réfléchie.

Il est assez remarquable de retrouver sur ces écueils lointains quelque chose qui rappelle la société romaine. Les chefs tongas ont des cliens, de vrais cliens, qui, au moyen de ce patronage, tiennent un rang intermédiaire entre les patriciens et le peuple. Chacune de ces trois classes obéit à des lois qui lui sont propres et qu’on enfreint rarement. Le plus grand droit de la noblesse est ce même tabou, que l’on retrouve dans toutes les contrées polynésiennes. Un chef frappe de tabou, c’est-à-dire interdit à tous l’usage de denrées dont il craint l’épuisement ; il suspend, à l’aide de ce mot sacramentel, la pêche dans certaines baies, dans certaines criques, afin que le poisson puisse s’y renouveler ; il empêche de traverser les champs avant que la récolte soit faite, de toucher aux arbres avant que le fruit soit mûr. À ce point de vue, ce veto s’exerce tantôt pour l’utilité particulière, tantôt pour l’utilité commune. D’autres fois, il ne s’agit plus que de devoirs d’étiquette. Ainsi il est défendu de manger devant un chef, de toucher aux vivres qu’il a entamés. Ces interdictions puériles se multiplient à l’infini et ne semblent faites que pour maintenir la sévère distinction des rangs. Les classes peuvent se mêler par le mariage ; mais l’homme qui épouse une femme d’un rang supérieur vit toujours avec elle dans des conditions d’infériorité. Les enfans prennent la position du conjoint le plus noble. Les mariages se contractent avec une grande liberté ; les enfans des chefs seuls sont fiancés d’avance et astreints à une fidélité rigoureuse. Dans un cas d’adultère, la loi livre les deux coupables à l’époux outragé, qui peut se faire justice lui-même. Ordinairement il se borne à répudier sa femme. Peu de formalités accompagnent la cérémonie du mariage ; l’époux va chercher sa future dans la maison de ses parens et donne ensuite un repas aux amis des deux familles. Il n’y a pas d’autre consécration.

Les maisons des Tongas, d’un ovale allongé, se composent d’un toit soutenu sur un assemblage de poteaux et de solives proprement ajustés et réunis par des liens. Le plancher, en terre battue, est recouvert d’une couche d’herbe sèche, au-dessus de laquelle sont étendues des nattes en feuilles de cocotier. L’intérieur peut se diviser en plusieurs pièces au moyen de compartimens. D’autres nattes, roulées sur le talus du toit, s’abaissent au besoin pour garantir l’habitation de la pluie, ou se relèvent, dans les ardeurs de l’été, pour donner accès aux brises fraîches de la mer. Dans ce logis, les maîtres seuls occupent une pièce distincte ; le reste de la famille couche dans la grande salle, et les serviteurs ont de petites cellules séparées. Les nattes servent de lits, et les vêtemens de couvertures. Quant aux meubles, ils ne sont pas nombreux : ce sont des bols pour le kava, boisson favorite des naturels, des gourdes pour contenir l’eau, des vases de coco remplis d’huile pour la toilette, des escabeaux et des coussinets en bois. Entourées d’un verger, ces habitations forment de petits villages bien découpés, bien tenus, palissadés dans un but de défense et ombragés par d’impénétrables berceaux de verdure.

Les principales occupations qui animent l’intérieur de ces cases consistent, pour les hommes, dans la fabrication des armes, des filets et des pirogues ; pour les femmes, dans celle des étoffes. Les procédés employés pour ce dernier travail sont fort ingénieux : les ouvrières vont d’abord cueillir les plus jeunes baguettes du broussonetia, dont elles enlèvent adroitement l’écorce, qui, nettoyée et plongée dans l’eau, s’y macère dans un sens opposé à sa courbure naturelle. À la suite de cette préparation, on étend l’écorce sur un tronc d’arbre qui sert d’établi, et on la bat avec un maillet prismatique à quatre faces, tantôt uni, tantôt garni de rainures. De temps à autre, la matière est repliée sur elle-même pour être battue et étendue de nouveau ; puis, quand elle est arrivée au degré de finesse et de fermeté convenable on la fait sécher. Les pièces obtenues par ce procédé ont une longueur qui varie de sept à huit pieds, sur une largeur moitié moindre. Ainsi préparée, l’étoffe est blanche ; quand on veut la teindre, on la place sur une large planche garnie de substances fibreuses très serrées, et, à l’aide d’un bain de teinture de l’écorce du koka, on répand sur la pièce une couleur brune et lustrée. Un autre travail essentiel du ménage, c’est la cuisine, très raffinée dans l’archipel de Tonga. La préparation d’un porc entier dans un four de pierres incandescentes est une recette dont nos marins ont pu apprécier le mérite. Le porc est la base de tous les repas. Autour de ce mets de résistance figurent des fruits de toute sorte, des ignames bouillies et écrasées dans une émulsion de noix de cocos, des gelées faites avec des plantes saccharines, des racines de taro accommodées de diverses manières. Au moment du repas, ces divers objets sont étalés sur des feuilles de bananier, et le chef de la famille découpe les parts ; des serviteurs, debout derrière les convives, leur présentent de temps à autre des courges remplies d’eau de coco.

Les soins de la toilette sont un objet essentiel pour les Tongas, et les cheveux sont surtout chez eux l’objet d’un entretien de tous les instans. Autant de têtes, autant de coiffures. Quelques élégans laissent croître leur chevelure dans toute sa longueur, d’autres la portent absolument rase ; il en est qui, à l’aide de mordans, la teignent en blanc, en rouge ou en blond, et la frisent ensuite avec une patience exemplaire. Quand ce chef-d’œuvre de l’art est achevé, ils ne bougent plus, de peur d’en déranger l’économie. Les femmes ne font pas autant d’apprêts, mais elles se couronnent de fruits de pandanus ou de fleurs odorantes. Dans les lobes de leurs oreilles, percés de larges trous, elles introduisent des cylindres de trois pouces de long et des articulations de roseaux remplies de poudre jaune. Des colliers de coquilles, d’ossemens d’oiseaux, de dents de requins, d’arêtes de baleine complètent ces ornemens. L’usage des bains joint à des frictions constantes d’huile de coco, donne à leur peau une douceur et un lustre remarquables.

L’usage le plus caractéristique de ces pays est celui du kava, boisson particulière aux peuplades polynésiennes et produit de la fermentation des racines du piper methysticum. La préparation du kava est ordinairement un plaisir de famille ; mais celle d’un kava solennel s’élève à la hauteur d’une cérémonie publique. Dans cette occasion, tous les chefs se placent en rond sur une vaste pelouse, les supérieurs tenant le haut côté du cercle, les inférieurs se rangeant auprès d’eux dans l’ordre de la hiérarchie. Le peuple n’est pas acteur dans ces scènes, il n’y assiste qu’en témoin, et a seulement le droit de circuler autour de l’enceinte. Quand tout le monde est assis, les serviteurs entrent et apportent les racines du kava ; le président les passe à un préparateur, qui les nettoie et les livre ensuite à ceux qui offrent de les mâcher. Cette opération est nécessaire pour que l’eau puisse plus facilement absorber les parties épicées de la substance fibreuse. Ainsi triturées, les racines sont réunies dans un vase où l’on verse d’abord de l’eau, puis le préparateur les agite, les presse, les pétrit, afin d’en exprimer tout le suc ; après quoi, jetant le tout dans un filet à larges mailles, il le tord de nouveau avec une grande force, de manière à ce que la partie énergique de la racine en découle entièrement. Un kava bien confectionné fait le plus grand honneur au préparateur : le kava a ses artistes. Quand la boisson est prête, le chef en règle la distribution avec un grand cérémonial. Chaque convive a préparé une coupe naturelle, à l’aide de feuilles de cocotier : cette coupe ne peut servir qu’une fois ; après y avoir bu, on la jette pour en fabriquer une autre. L’étiquette la plus sévère préside à l’appel des noms, et ce serait insulter gravement un Tonga que de le faire décheoir de son numéro d’ordre dans une distribution solennelle.

Il est peu de tribus qui aient autant de fêtes publiques, de bals, de tournois, que les Tongas. Les voyageurs ne tarissent pas sur ce sujet : Cook ne se lasse point d’admirer les danses gracieuses de ces insulaires, Maurelle en parle avec enchantement, d’Entrecasteaux leur consacre de longs récits, et Waldegrave renchérit encore sur ces peintures voluptueuses. Aujourd’hui ce n’est guère qu’à Tonga-Tabou, où les mœurs anciennes survivent, que l’on peut retrouver quelques vestiges de ces traditions. L’une des plus grandes fêtes du pays a un caractère belliqueux ; on y voit deux partis de guerriers qui, arrivés dans une sorte de champ clos, y exécutent quelques manœuvres, et, après avoir échangé un défi bruyant, détachent de part et d’autre un champion déterminé. Ainsi de couple à couple l’action s’engage, et la bataille est un long duel. À chaque triomphe, quelques vieillards, juges du camp, proclament le nom du vainqueur, toujours accueilli par un cri d’enthousiasme. Des bouffons animent la scène et remplissent les intermèdes. Les femmes ne sont pas repoussées de ces tournois, et souvent, les mains garnies d’un ceste, elles se livrent un pugilat qui n’est ni sans danger, ni sans gloire.

Ordinairement le combat fait place à une danse. Les musiciens qui l’exécutent sont armés de bambous dont le son est plus ou moins grave, suivant la longueur des tubes, ou bien de tambours composés d’un bloc de bois à demi évidé par une fente centrale. On se ferait difficilement une idée de l’harmonie qui résulte d’un pareil orchestre ; mais les oreilles indigènes sont habituées à ce diapason. Au premier appel du tambour, quatre groupes d’hommes s’élancent, tenant à la main une pagaïe d’un bois mince et léger qu’ils font voltiger autour d’eux d’une manière prestigieuse, la portant tantôt à gauche, tantôt à droite, ou la faisant passer rapidement d’une main à l’autre. Rien de plus vif que ces évolutions combinées avec des mouvemens de danse et des poses d’ensemble. Parfois ce ballet se complète par le chant, et l’un des acteurs vient réciter un prologue auquel ses compagnons répondent comme dans les chœurs du théâtre antique ; puis l’orchestre et les comédiens alternent, l’un avec un redoublement de tambours, les autres avec des chansons mélancoliques, tandis que l’auditoire s’associe à tous ces efforts et joue lui-même un rôle en criant : Bien ! bien ! encore ! encore !

La danse aux flambeaux a un autre caractère ; les femmes seules y figurent, et c’est le soir seulement qu’elle a lieu. Le coup d’œil en est charmant. Tous les palmiers de la place publique sont garnis de torches de résine, qui répandent sur cette scène des clartés joyeuses. Les éclats de rire des jeunes filles préludent à la fête et ne cessent que quand les tambours ont donné le signal. Alors vingt danseuses, demi-nues, les cheveux garnis de roses de la Chine et le corps enveloppé de guirlandes, se répandent au milieu de l’enceinte et y décrivent des ondulations gracieuses. Les mouvemens de ces femmes sont d’abord lents et mesurés : elles pivotent sur elles-mêmes, ou s’inclinent toutes dans le même sens avec une précision merveilleuse. D’autres fois elles élèvent ensemble leurs mains au-dessus de leurs têtes de manière à se former une auréole, puis elles les ramènent avec une sorte de pudeur sur leurs poitrines nues. Par momens elles bondissent sur un pied et se replient ensuite en imitant le balancement de la vague. Cette danse calme laisse ressortir tout le luxe de la toilette, les bandes de tapa drapées avec goût, les fleurs, les colliers et la verroterie ; aussi la coquetterie la prolonge-t-elle volontiers. Mais peu à peu le mouvement devient plus vif, et les poses s’animent avec la musique. Dans l’orchestre comme parmi les figurantes, la symétrie fait alors place au désordre, et cette danse peu édifiante ne finit pas même quand les flambeaux se sont éteints.

Les traditions religieuses des Tongas se réduisent à quelques croyances vagues. Ces insulaires adorent les esprits sous le nom d’Hotouas, et çà et là, dans l’intérieur des terres, on trouve des chapelles qui leur sont dédiées et qu’entourent des casuarinas, arbres sacrés du pays. Ainsi l’idolâtrie de ces insulaires est plus emblématique que réelle, et l’on n’a pas retrouvé chez eux les fétiches qui ornaient les temples de la Polynésie orientale. Peut-être faudrait-il plutôt regarder ce culte comme un naturalisme analogue à la doctrine des esprits, si répandue sur le continent asiatique. Une circonstance fort singulière, c’est qu’une légende locale rappelle l’histoire biblique de Caïn et d’Abel dans des termes auxquels il est impossible de se méprendre. Voici ce curieux morceau

« Le dieu Tangaloa et ses deux fils allèrent habiter Bolotou. Il y avait demeuré long-temps quand il parla ainsi à ses deux fils : — Allez avec vos femmes et habitez dans le monde à Tonga. Divisez la terre en deux et peuplez-la séparément. — Ils s’en allèrent. Le plus jeune des deux fils était fort habile. Le premier, il fit des haches, des colliers de verre, des étoffes et des miroirs. L’aîné était tout autre : c’était un fainéant. Il ne faisait que se promener, dormir et convoiter les ouvrages de son frère. Ennuyé de les demander, il pensa à le tuer et se cacha pour cette mauvaise action. Il rencontra un jour son frère qui se promenait, et il l’assomma. Alors leur père arriva de Bolotou, enflammé de colère, et l’interrogea : — Pourquoi as-tu tué ton frère ? fuis, malheureux, fuis ! Ensuite Tongaloa adressa la parole à la famille de la victime. — Lancez vos pirogues, dit-il, faites route à l’est vers la grande terre. Votre peau sera blanche comme votre ame, car votre ame est belle. Vous serez habiles, vous ferez des haches, toutes sortes de bonnes choses et de grandes pirogues. — Puis Tangaloa dit au frère aîné : — Vous serez noir, car votre âme est mauvaise, et vous serez dépourvu de tout. Vous n’aurez point de bonnes choses, et vous n’irez pas à la terre de votre frère. Comment pourriez-vous y aller avec vos mauvaises pirogues ? Mais votre frère viendra quelquefois à Tonga pour commercer avec vous. »

Cet échantillon des légendes de l’archipel de Tonga, s’il est vraiment authentique, comme l’assure Mariner, serait des plus précieux, car il renfermerait à la fois une analogie frappante avec les livres sacrés et une prophétie singulière touchant les voyages de découvertes des Européens.

Pour leur culte, tout idéal, les Tongas n’ont point de prêtres proprement dits. Le sacerdoce est un fait accidentel, qui se manifeste pour un homme à un jour, à une heure donnée. Le dieu l’inspire, aussitôt il est prêtre ; il sort de la condition humaine, il passe à l’état de pure essence. Tant que l’extase dure, ce caractère persiste ; il cesse quand le souffle divin n’anime plus l’homme. Aussi les prêtres appartiennent-ils, dans ces îles, à la classe inférieure. Aucun crédit ne s’attache à leurs fonctions, qui exigent une grande habileté de mise en scène, et rappellent les phénomènes extérieurs par lesquels se révélaient les anciennes pythonisses. Un prêtre tonga doit d’abord s’abandonner à une profonde mélancolie ; il lutte avec le dieu et cherche à le vaincre : vaincu à son tour, il laisse échapper des révélations confuses et tombe dans une crise nerveuse dont il ne se relève que pour faire un excellent repas. Voilà le rôle ; il n’est pas fait pour exciter l’envie. Les prêtres sont également consultés au sujet des malades que l’on promène de chapelle en chapelle. Ils paraissent encore, quoique d’une manière secondaire, dans les fêtes publiques et dans les funérailles, qui sont les plus belles de ces fêtes. C’est là qu’on voit accourir des populations entières chargées d’offrandes et prolongeant leur deuil pendant des mois entiers.

Quatre jours s’étaient à peine écoulés depuis l’arrivée de l’Astrolabe et de la Zélée, à Vavao, et déjà les deux corvettes tournaient leurs proues vers d’autres rivages. Les missionnaires anglicans, MM. Brooks et Thomas, avaient obtenu du commandant leur passage jusqu’au îles Hapaï, où on les déposa deux jours après. Le nom des îles Hapaï rappelle involontairement celui de Finau, le premier homme de guerre qu’ait produit l’archipel de Tonga. Finau joignait à un courage indomptable une sagacité surprenante. Il devinait notre civilisation européenne et en faisait la critique avec beaucoup de justesse. Deux chefs de Tonga-Tabou, qui avaient passé quinze mois dans la colonie anglaise de Sydney, lui racontaient un jour qu’on pouvait y mourir de faim en face de magasins regorgeant de vivres. — Est-il possible ! disait ce grand chef. — Sans doute, reprenait son interlocuteur, pour se nourrir, il faut de l’argent. — L’argent, s’écriait alors Finau, de quoi est-ce fait ? Est-ce du fer ? Peut-on en fabriquer des armes ou des instrumens utiles ? Si l’on peut en fabriquer, pourquoi chacun ne s’occupe-t-il pas à faire de l’argent pour l’échanger contre les objets qu’il désire ? » Et son indignation s’exhalait en termes très vifs. Le chef tonga cherchait à le calmer et à l’éclairer. — Voici ce que c’est, disait-il : l’argent est moins embarrassant que les biens ; il est très commode de changer ses biens pour de l’argent, puisqu’en retour on peut changer son argent contre des biens toutes les fois qu’on le désire. Les biens peuvent se gâter, surtout les provisions, mais l’argent ne peut s’altérer. — Malgré cette explication, Finau persistait et répliquait : — Non, cela ne doit pas être ainsi ; il est absurde d’accorder à un métal une valeur qu’il n’a pas. Si l’on employait à cela du fer, ce serait bien : on pourrait en faire des couteaux, des ciseaux, des haches ; mais de l’argent, à quoi bon ? Si vous avez des ignames de trop, vous les troquez contre des étoffes. L’argent sans doute est plus commode ; il ne peut se gâter ou s’user, mais alors on l’enterre, au lieu de le partager avec ses voisins, comme il convient à un noble chef. On devient avare et égoïste. On ne peut le devenir avec des provisions ; il faut les échanger ou les donner. »

Voyez-vous ce roi polynésien parlant la langue de nos économistes, et défendant les valeurs en nature contre les valeurs monétaires ! Ce n’est plus là un sauvage, mais un théoricien, un professeur, un philosophe.

Cette famille des Finau fut féconde en hommes remarquables de plus d’un genre. Le père avait porté la guerre dans les moindres îlots de l’archipel : sans redouter les représailles, il avait surpris plusieurs navires européens, enlevé les équipages, brûlé les coques des bâtimens, massacré des hommes. Guerrier redoutable, il devait sa fortune à sa passion pour les armes. Monté sur le trône, son fils ne se laissa point égarer par l’exemple de son père. Il vit le pays dévasté, les populations affaiblies, les campagnes en friche. Son plan de conduite fut bien vite arrêté ; il rassembla les chefs et leur tint le discours suivant : « Chefs et guerriers, mon ame a été attristée par les guerres continuelles de celui dont le corps repose actuellement dans la tombe. Nous avons beaucoup fait ; mais quel est le résultat ? La terre est envahie par la mauvaise herbe, il n’y a personne pour la défricher. La vie n’est-elle pas déjà trop courte ? C’est une folie que de vouloir abréger ce qui est trop court. Qui parmi vous peut dire : Je désire la mort ; je suis fatigué de la vie ! Voyez ; n’avez-vous pas agi comme des insensés ? Appliquons-nous donc à la culture de notre sol, puisque c’est là le seul moyen de sauver et de faire prospérer notre pays. Pourquoi serions-nous jaloux d’un accroissement de territoire ? Le nôtre n’est-il pas assez grand pour nous procurer notre subsistance ? Nous ne pouvons jamais consommer tout ce qu’il produit. Mais je ne vous parle peut-être pas avec sagesse… Les vieux chefs sont assis auprès de moi ; je les prie de me dire si j’ai tort. »

Cependant les deux corvettes, poussées par une brise favorable, s’éloignaient du groupe de Hapaï, siége du pouvoir des Finau. À la hauteur des îles Hoïa et Oleva, elles quittaient la Polynésie et entraient dans la zône mélanésienne. Un contraste bien tranché sépare ces deux races si voisines sur la carte. D’un côté se trouvaient ces tribus que nous venons de décrire, tribus dont le teint est jaune, et qui reconnaissent la loi du tabou ; en un mot, la tête de la civilisation océanienne. De l’autre côté allaient paraître des peuplades à peine distinctes de la brute et caractérisées par une couleur fuligineuse, des yeux mous et faux, des membres grêles et difformes, des cheveux laineux et crépus. Parmi elles, rien de fixe, rien de suivi ; point de gouvernement, point de lois, mais seulement une haine profonde et générale pour l’étranger. Ici la femme ne tient plus le même rang que dans les îles orientales : elle vit dans l’abjection et la dégradation la plus complète. L’homme, de son côté, est farouche, impitoyable. La loi du plus fort est son code ; ses besoins sont toute sa science.

En pénétrant dans ces parages, l’Astrolabe et la Zélée avaient à remplir une mission périlleuse et délicate. Un navire de commerce, appartenant à l’un de nos ports de l’ouest, la Joséphine, capitaine Buneau, avait été surpris par l’un des chefs de l’île de Piva, et massacré avec son équipage. De pareils évènemens ne sont pas rares sur ces côtes, au milieu de ces tribus farouches, et la baie de Sandal-Wood[2], dans les îles Viti, a déjà vu bien des aventures de ce genre. Celles de la Favorite et du Hunter sont les plus dramatiques. En 1809, la Favorite, capitaine Campbell, était venue couper du bois sur ces îles, dans un moment où une guerre d’extermination en agitait les tribus. Dès les premiers jours de son arrivée, deux officiers de ce navire tombèrent, avec quelques matelots, entre les mains d’un chef vitien, nommé Boullandam, la terreur de l’archipel. Pour sauver leur vie, ils furent obligés de l’accompagner dans une expédition décisive, et il est à croire qu’ils n’échappèrent à la mort qu’à cause du concours qu’ils lui donnèrent. Ce fut une campagne horrible dont ils ont raconté plus tard les détails. Après une bataille acharnée, un grand village fut pris d’assaut, pillé et livré aux flammes. Les femmes, les vieillards, les enfans, s’étaient réfugiés non loin de là dans un enclos qu’entourait une haie de palétuviers. Boullandam les y surprend ; il pénètre dans l’enceinte et abat de sa main la première victime. Ses soldats achèvent l’œuvre, égorgent tout, jusqu’aux nourrissons, et transportent ces cadavres, chauds encore, dans leurs pirogues de guerre. Sur la plate-forme qui couronnait celle du chef vainqueur, on en entassa quarante-deux. Boullandam se montra flatté de cet hommage, et ayant remarqué, parmi ces corps inanimés, celui d’une jeune fille, il la désigna sur-le-champ pour défrayer sa table particulière. Cependant le festin ne devait pas avoir lieu sur la terre ennemie. C’était une fête que les vainqueurs voulaient célébrer dans leurs foyers. La flotte appareilla et regagna la grande île. Des cris de joie accueillirent son retour. On se précipita sur les pirogues, on s’arracha les cadavres pour les dépecer, et ces débris humains demeurèrent pendant deux jours suspendus aux arbres du rivage. Enfin on les apprêta, et deux cents convives prirent part à ce banquet. Comme témoignage de bienveillance à l’égard des Anglais captifs, Boullandam crut devoir leur envoyer quelques morceaux de sa table, qui furent repoussés avec horreur. Le chef vitien ne s’expliquait pas cette répugnance, et il dut prendre une opinion peu favorable du goût des Européens. Néanmoins, voulant se montrer généreux jusqu’au au bout, il relâcha les prisonniers, qui purent rejoindre leur navire après neuf jours de privations et d’angoisses.

L’aventure du Hunter, non moins lugubre, a été connue par le récit de Dillon, officier sur ce bâtiment. Le Hunter, en station dans la baie de Waïlea, sur l’une des îles Viti, entretenait des rapports avec un chef qu’il seconda dans ses expéditions. Grace aux Européens, ce Vitien écrasa son ennemi ; mais, se refusant à tenir ses promesses, il ne voulut plus, après la victoire, donner au navire le bois de sandal dont on avait besoin. Une lutte s’ensuivit. Les équipages débarquèrent en armes et marchèrent droit aux Vitiens. Malheureusement, surpris par des masses de naturels, ils purent à peine se servir de leurs armes à feu, et furent en un instant entourés, coupés, anéantis. Un seul détachement restait sous les ordres de M. Billon, qui put gagner un rocher à pic, où, avec quelques hommes, il tint tête à l’armée des sauvages. Quoique sa troupe fût réduite à trois combattans, il persévéra néanmoins dans sa résistance. D’ailleurs, en jetant un regard sur la plaine, il pouvait se convaincre que ces cannibales ne faisaient de quartier à personne. Les cadavres de ses compagnons étaient dévorés sous ses yeux, et deux de ses marins, ayant voulu capituler, avaient été massacrés sans pitié. Il était difficile de prévoir comment on pourrait se tirer de cette position désespérée. Billon, qui connaissait les mœurs de ces peuples, eut recours à un stratagème : il s’empara d’un prêtre, personnage sacré pour les Vitiens, et le soir, quand le camp ennemi, fut plongé dans le repos, il le traversa, précédé de son prisonnier, qu’il faisait marcher en lui tenant le pistolet sur la poitrine. Ainsi il put parvenir jusqu’à la chaloupe et regagner le Hunter.

Tel est le peuple auquel l’Astrolabe et la Zélée allaient demander une réparation. Les circonstances de la catastrophe du capitaine Buneau étaient encore peu connues. On savait seulement que cet officier était venu mouiller devant l’île de Piva avec son bâtiment marchand, la Joséphine, et que des relations s’étaient établies entre lui et l’un des chefs les plus farouches et les plus redoutés du pays, Missi-Maloa, surnommé Nakalassé. Quoique le pouvoir de ce sauvage fût subordonné à celui de l’Abouni-Valou, ou empereur résidant sur la grande île de Viti-Lebou, sa férocité lui avait valu une sorte d’indépendance. Comblé de faveurs et de présens par le capitaine Buneau, il n’en résolut pas moins sa perte, et, au moyen d’une surprise, il fit tomber sous ses coups le capitaine et les matelots. Ce massacre appelait une expiation, et elle était d’autant plus nécessaire, que, depuis cet attentat, Nakalassé portait des défis continuels à notre pavillon, en répétant avec arrogance qu’il attendait un navire de guerre français afin de se mesurer avec lui. Le pillage de la Joséphine lui avait procuré des fusils, de la poudre et des canons, et les peuplades voisines tremblaient devant ses menaces. La chute de ce barbare importait donc à l’honneur de notre marine et à la sécurité de nos relations dans ces parages.

Ces détails furent donnés au commandant d’Urville par un chef nommé Latsiska, qu’en passant devant l’île de Laguemba on avait pris en qualité d’interprète. Cet homme, qui appartenait à l’une des premières familles de Tonga-Tabou, jouissait d’une grande influence dans les îles Viti. Son concours était précieux à ce titre. L’expédition contre Nakalassé offrait plusieurs difficultés. La première était d’aborder les rivages de Piva, qui sont environnés d’écueils à une distance assez considérable. Avec beaucoup de peine, et après avoir plus d’une fois labouré les pointes aigües des coraux, les corvettes se trouvèrent enfin mouillées devant le village de Piva et à deux milles environ de sa forteresse. On pouvait de là distinguer cet ouvrage, qui ne manquait pas d’un certain art et qui tenait de sa position une grande force naturelle. Sur-le-champ M. d’Urville expédia son interprète Latsiska avec un des officiers de l’Astrolabe vers le chef suprême, le roi, dont la résidence était à Pao. Ce personnage se nommait Tanoa ; c’était un vieillard de soixante-dix ans, remarquable par sa longue barbe. Il reçut les envoyés du commandant avec toute sorte de prévenances, et protesta de son dévouement sincère pour les Français. Quand il fut question de Nakalassé : « Ne me parlez pas de cet homme, s’écria-t-il, il me fait horreur ; je désavoue ses crimes, et je fais des vœux pour qu’il en soit puni. Mais que voulez-vous ? il est jeune, il est fort, et moi je ne suis plus qu’un vieillard. Il a des fusils, il a des canons, et je n’ai que des zagaies. Je suis son maître, son souverain, et pourtant il m’a vaincu, il m’a forcé souvent à chercher un asile dans les îles voisines. » Comme les envoyés insistaient pour que le vieux chef fît cause commune avec les Français, Tanoa ajouta avec une tristesse qui semblait sincère : « Je ne le puis ; Nakalassé a un parti dans ma capitale ; je suis entouré, surveillé par ses amis. Mais, continua le vieillard en s’animant, marchez contre lui, chassez-le de ses états, je dirai : C’est bien ; et s’il cherche un asile sur mon territoire, il n’y aura pas de grace pour lui. Quoiqu’il ait épousé ma nièce, je le tuerai de mes mains et le mangerai. » Après ces paroles, il n’y avait plus à insister. Les deux envoyés se retirèrent et retournèrent vers les corvettes. On tint conseil à bord, et l’attaque du village de Piva fut résolue pour le lendemain, 17 octobre.

À cinq heures du matin, les embarcations débarquaient sur les récifs : cinquante marins armés sous les ordres d’un lieutenant de vaisseau. Presque tous les officiers des deux navires avaient demandé à faire partie de l’expédition en qualité de volontaires. On s’attendait à une vive résistance de la part de Nakalassé. La veille encore il avait déclaré que sa forteresse ne capitulerait pas devant les Français, et qu’il se ferait enterrer sous ses ruines, plutôt que de se rendre. Cependant, quand le détachement marcha vers le village, aucun préparatif n’indiqua qu’on s’opposerait à ses efforts. C’est qu’au moment décisif, Nakalassé avait vu sa férocité naturelle se changer en un profond découragement. Son audace l’abandonna, et fuyant le péril, il ne songea plus à disputer la victoire. Nos marins trouvèrent la plage déserte. Pour laisser dans ces contrées un exemple éclatant, ils incendièrent le village de Piva et le palais de Nakalassé, orgueil de son maître. Deux heures après, il ne restait plus sur cet emplacement qu’un monceau de cendres et de décombres. Bien qu’il se fût soustrait à la vengeance des Français, le chef ennemi n’en était pas moins un homme perdu. Un préjugé religieux interdisait de rebâtir son village sur le même point, et partout ailleurs il se trouvait à la merci de rivaux implacables. Ainsi son châtiment aura été complet.

Le vieux chef de Pao parut s’associer de bonne foi au succès de cette affaire : la ruine de Nakalassé le débarrassait d’un voisin turbulent, que les conseils de déserteurs anglais auraient tôt ou tard poussé vers la conquête de toutes ces îles. En retour de ce service, il voulut que les Français vinssent le voir dans sa capitale et au milieu de tout l’appareil de sa grandeur. M. d’Urville se prêta à ce désir. Dans l’après-midi, l’état-major presque tout entier et un nombreux détachement des équipages se rendirent à Pao en grande tenue. Le vieux chef attendait ses hôtes sur la grande place du lieu, entouré des anciens de la tribu, rangés sur deux files et accroupis comme lui. À une distance plus grande se tenait la foule des insulaires, également assis sur leurs talons. Le silence le plus profond régnait dans cette assemblée. On eût dit une des scènes si bien décrites par Cook. Le détachement défila devant le roi, qui était nu comme ses sujets, et ne se distinguait que par un bonnet de laine, de fabrique anglaise, qui lui tenait lieu de couronne. Quand tout le monde fut en place, le commandant prit la parole ; il dit au roi que ses navires ne faisaient pas la guerre aux peuples de l’Océanie, mais que, sur leur route, ils avaient dû châtier un barbare, un meurtrier de sujets français ; que le crime de Nakalassé était d’autant plus odieux, qu’il n’avait été amené par aucune provocation de la part du malheureux Buneau. « Voilà pourquoi, reprit le capitaine, j’ai ruiné Piva de fond en comble, et le même sort est réservé à tout chef vitien qui insulterait sans motif un navire de ma nation. La punition pourra être lente à cause des distances, mais elle atteindra toujours et tôt ou tard les coupables. » En terminant, M. d’Urville ajouta que la France n’avait qu’un ennemi sur ces îles, Nakalassé, et qu’elle désirait être l’amie, l’alliée du roi Tanoa et du peuple de Pao.

Cette allocution, courte et précise, avait pu durer de six à huit minutes ; Simonet la traduisit en dialecte tonga à Latsiska, qui se chargea de la développer en langue vitienne. Jaloux de montrer ses talens, cet interprète en fit une véritable harangue, qui dura près de trois quarts d’heure. Toutes les finesses du geste et de la voix, toutes les ressources de la parole furent mises en jeu par l’orateur, qui se recueillait de temps à autre, soit pour préparer ses argumens, soit pour observer les impressions de l’auditoire. Le morceau produisit un effet profond, et dans tous les yeux l’éloquent Latsiska pouvait lire la preuve de son succès. Par intervalles, les chefs interrompaient le discours pour s’écrier : Saga ! ( c’est juste), ou binaka ! (c’est bien). Quelques hommes seulement semblaient, au milieu de l’assentiment général, conserver un air triste et contraint. C’étaient les partisans de Nakalassé, consternés de sa défaite. Mais ils formaient une minorité imperceptible ; tous les autres se déclaraient franchement pour les Français. Ce qui avait surtout frappé ces peuples, c’était la rapidité du châtiment ; on s’était figuré que Nakalassé opposerait une grande résistance, et Tanoa lui-même n’en pouvait croire ses yeux, lorsqu’il vit, au point du jour, le fort de ce chef conquis et livré aux flammes.

Quand les discours furent terminés, on donna aux indigènes le spectacle d’un exercice à feu. Les matelots tirèrent à la cible, et à chaque coup heureux les sauvages témoignaient leur admiration par des cris. L’échange de quelques cadeaux suivit ce divertissement militaire ; puis on servit un grand kava. Les chefs se rangèrent en cercle ; on prépara la liqueur dans un immense plat en bois et de la manière que nous avons décrite. La première tasse fut offerte à un vieillard confondu dans la foule, et comme M. d’Urville s’étonnait de cette préférence : — c’est notre grand-prêtre, notre dieu, lui dit le roi. La seconde tasse fut pour Tanoa, qui la fit passer au commandant. Celui-ci feignit d’y porter les lèvres et la renvoya à Simonet, qui la vida d’un trait. Les chefs indigènes burent ensuite ; le reste fut distribué aux matelots, qui s’accommodèrent sans peine de cette liqueur épicée. Après le kava, on apporta des fruits, du poisson, des ignames, et ce repas termina la fête.

De la place publique, le roi se rendit à son palais, dont il fit les honneurs à M. d’Urville et aux officiers. Ce palais est une case vaste et belle de plus de quarante pieds de haut. Les habitans de trente villages y ont travaillé sans relâche pendant un mois. Elle a deux portes, dont l’une est exclusivement destinée au roi et à la reine ; la franchir est un crime que la mort seule peut expier. En général les habitations de Pao sont assez bien construites, et leurs toitures en bambous recouvertes de nattes ne manquent pas d’une certaine élégance. Il est vrai que l’archipel de Viti renferme le peuple le plus intelligent de toute la Mélanésie, et Pao l’une des tribus les plus civilisées de l’archipel de Viti. Le voisinage des races polynésiennes et les relations qu’il entraîne ont contribué sans doute à ce résultat. Les naturels de Pao ont le teint fuligineux ; ils sont grands, robustes, bien musclés, marchent presque nus, disposent leurs cheveux sur leur tête en forme de turban, ne se tatouent pas, mais se pratiquent sur la peau des incisions profondes. Les femmes et les filles, tenues dans une condition inférieure, s’occupent surtout des travaux du ménage. Guerriers et anthropophages, les naturels ont pour armes le casse-tête, la lance, l’arc, les flèches, et les manient avec une adresse remarquable. Habiles dans l’art de la navigation, ils exécutent des voyages de trois cents lieues sur de frêles pirogues ; en fait d’industrie, ils connaissent la fabrication des paniers et des nattes, et celle de poteries grossières.

Comme chez tous les cannibales, la guerre parmi ces tribus ne se fait que dans un seul dessein, celui de faire des prisonniers. À diverses époques de l’année, on célèbre des réjouissances publiques qui exigent un certain nombre de victimes. Malheur alors aux naturels qui n’ont point d’asile, comme, par exemple, les habitans de Piva, errans depuis le matin, et leur chef Nakalassé. On fait la chasse aux vagabonds comme à une sorte de gibier, et on ajoute ce supplément au produit de la guerre. Enfin, quand tous ces moyens sont insuffisans, on sacrifie quelques femmes de la tribu, qui sont ainsi dévorées par leurs proches. Dans une occasion semblable, le vieux Tanoa avait fait récemment assommer trente femmes, pour défrayer un repas public. Les familles ne s’en plaignaient pas, et en prirent leur part : c’était la coutume. La population mâle assiste seule à ces festins.

Après la visite au palais du roi, le commandant donna le signal de la retraite. Le vieux Tanoa voulut accompagner les Français jusqu’à bord des corvettes, et ne les quitta que fort tard. M. d’Urville lui fit encore quelques présens ainsi qu’à l’interprète Latsiska, dont le concours dans cette affaire avait été si utile et si intelligent. On se sépara fort satisfaits les uns des autres, et le lendemain l’Astrolabe et la Zélée quittaient cette plage, après y avoir assuré, par une leçon prompte et sévère, le respect du pavillon français.

Le reste de cette navigation à travers les îles Viti et les Nouvelles Hébrides fut employé à des travaux hydrographiques. On reconnut le 20 octobre l’île de Lavouka, où les naturels ont presque tous les petits doigts coupés à la première ou seconde phalange. Par suite de la mort d’un grand chef, cette île se trouvait alors placée sous la loi d’une continence rigoureuse, ce qui dérangeait les relations ordinaires des femmes avec les équipages étrangers. L’Astrolabe et la Zélée n’en aperçurent aucune. Plus loin, les corvettes relevèrent successivement l’île Aurore, qui tient à l’archipel des Hébrides, Vanikoro, tombeau de Lapérouse et l’un des titres de l’Astrolabe, l’archipel de Santa-Cruz, puis Saint-George et Isabella, dans les îles Salomon. La nature étale beaucoup de puissance sur ces terres, et la richesse y est grande dans tous les règnes. On y trouva des insectes très-variés, des cacatois, des perroquets de mille couleurs, des tourterelles et un très beau coq sauvage. Les naturels étaient fort empressés à visiter les corvettes. Leurs mouvemens rappellent ceux des singes petits, noirs et crépus, ils ont pourtant le caractère jovial ; ils mâchent du bétel et se barbouillent le visage avec une teinture blanche.

Le 12 novembre, les corvettes changèrent d’hémisphère en coupant l’équateur pour la seconde fois. Quelques jours après, on était devant Hogoleu, centre de l’archipel des Carolines, et pendant plusieurs jours on assura les positions de ce groupe. La race qui peuple ces terres est des plus abruties, et on pourrait la classer au-dessous des tribus mélanésiennes. Seulement, ici, le cannibalisme cesse ; ces sauvages ne vivent que de fruits et de pêche. Quelques caractères du type chinois et malais, par exemple les yeux bridés, le nez épaté, la bouche grande, se retrouvent chez eux, mais à l’état de dégénération. Ils marchent vêtus d’une sorte de puncho en fibres de coco, et portent les cheveux très longs. Leurs figures sont barbouillées de rouge et de jaune, et leur malpropreté est extrême. Jaloux de leurs femmes, ils les cachent aux yeux de l’étranger, et cette circonstance les distingue encore des autres peuplades océaniennes, si accommodantes sur ce chapitre.

Les deux corvettes venaient de parcourir les archipels les plus mal famés sans avoir eu à repousser aucune voie de fait, aucune violence : Hogoleu leur réservait cette épreuve. Depuis un ou deux jours, on envoyait les canots sur divers points pour faire des relèvemens. L’un d’eux, engagé dans les bancs de coraux, se vit assailli à l’improviste par une vingtaine de pirogues, qui lancèrent d’abord une grêle d’oranges et finirent par envoyer des zagaïes. Surpris par cette attaque, le canot ne se trouvait pas dans une situation assez libre pour se défendre avec tous ses avantages ; il quitta l’écueil et navigua vers le large. À ce mouvement, qui ressemblait à une fuite, les sauvages poussèrent des cris de joie ; ils poursuivirent l’embarcation et célébrèrent leur triomphe par des gestes insultans. Le canot continua sa manœuvre ; mais, une fois au large, il vira de bord et tira un coup d’espingole à mitraille, tandis que les matelots commençaient la fusillade. Plusieurs insulaires furent atteints, les autres se sauvèrent à la nage ; quatre pirogues, qui voulaient persister dans leur agression, furent presque anéanties. Le lendemain, les mêmes hostilités se reproduisirent sur le rivage. Nos marins ayant été assaillis à coups de pierre, il fallut encore avoir recours aux mousquets.

L’année 1839 trouva l’Astrolabe et la Zélée à Guam, sur les Mariannes, où elles venaient d’arriver. Pour l’expédition, ce fut là un millésime fatal. Le fléau des tropiques, la dyssenterie, s’était emparée des deux corvettes, où elle laissa des traces cruelles de son passage. De longues relâches dans des ports salubres, les soins les plus minutieux, tant pour le choix des vivres que pour le maintien de la propreté, ne purent arrêter ses ravages. Le mal frappa indistinctement l’équipage et l’état-major ; le commandant de l’expédition subit lui-même la loi commune. Tant que les navires logèrent dans leurs flancs cet hôte fâcheux, il fut difficile d’apporter la même ardeur aux entreprises scientifiques et de s’exposer à des reconnaissances dangereuses qui demandent le concours de toutes les intelligences et de tous les bras. Un nouvel ordre de travaux commença alors, travaux non moins utiles, bien qu’exécutés dans des conditions moins périlleuses. Outre le groupe de Pelew, qui semble former la limite extrême de la zône océanienne, l’expédition étudia le vaste ensemble des archipels asiatiques, les Moluques, les Philippines, les îles de la Sonde. Quoique très fréquentées, ces mers offrent encore bien des points sur lesquels la science hésite, et qui sont plutôt fixés dans la pratique que dans la théorie. Ces divers groupes exigeraient, dans leurs nombreux détails, une étude de plusieurs années, car, pour être plus voisins des grands continens, ils n’en sont guère mieux connus.

L’Astrolabe et la Zélée promenèrent d’Amboine à Batavia leurs marins décimés, en visitant sur cette route une foule de points intermédiaires. Durant les six derniers mois de 1839, l’état sanitaire des équipages ne fit qu’empirer. Une relâche à Batavia en octobre n’améliora pas la situation, et à l’arrivée à Hobart-Town, en Tasmanie[3], l’Astrolabe et la Zélée ressemblaient à des hôpitaux flottans. Le séjour dans ce port austral put seul amener une amélioration notable et arrêter les progrès du fléau. Les malades furent débarqués, et des secours bien entendus en sauvèrent le plus grand nombre. Dans cette longue et douloureuse campagne, le dévouement du chef de l’expédition et de ses officiers ne se démentit pas un instant. Toujours à leur poste, même quand leurs forces semblaient les trahir, ils luttèrent entre eux de courage et de zèle, et soutinrent le moral de ces hommes vaincus par la douleur. Le service médical se surpassa : il chercha à suppléer au nombre par l’activité ; plusieurs traits d’un héroïsme simple et modeste marquèrent ces jours d’épreuve.

Cependant, à mesure que la vie renaissait parmi les équipages, le sentiment de leur mission se réveillait aussi parmi les chefs. L’air d’Hobart-Town avait opéré des prodiges : il ne restait plus dans l’hospice de la ville que sept à huit malades, et la vigueur était revenue à bord avec la santé. Le commandant tenait surtout à signaler son expédition par un succès du côté du pôle antarctique, et il avait résolu de tenter un dernier effort dans cette direction. Le 1er avril 1840, l’Astrolabe et la Zélée tournèrent de nouveau leurs proues vers ces zônes glaciales, où depuis deux siècles viennent se briser les efforts humains. Le désir d’atteindre à l’impossible est si vif dans nos cœurs, que les échecs ne nous détournent pas de cette poursuite. Le problème des pôles est, comme le problème de l’existence, impénétrable peut-être, et c’est pour cela que l’on s’obstine dans sa recherche. L’homme n’est curieux que de ce qu’il ignore. L’expédition australe obéissait à cet instinct.

Jusqu’au 60° de latitude, la navigation, pénible et lente, n’offrit pas un grand intérêt ; mais à partir de ce point jusqu’au 65° parallèle, les glaces parurent ; des blocs énormes passaient à côté des corvettes, et on navigua un instant entre deux murs de soixante pieds de haut. Cependant divers indices annonçaient depuis quelques jours le voisinage d’une côte. Des pingoins volaient autour des mâts, on apercevait des phoques, des baleines ; l’eau se décolorait, et une ligne brumeuse se montrait à l’horizon. Enfin, le 19 au soir, la terre fut signalée. Plusieurs officiers doutaient encore et n’y voyaient qu’une masse compacte de glaces ; mais le surlendemain, les hésitations cessèrent. À dix milles de distance, et par 66° 30′ sud et 158° 21′ de longitude ouest, on aperçut très distinctement une longue côte se développant à perte de vue du sud-sud-ouest à l’est-sud-ouest. C’était une falaise presque taillée à pic, de deux à trois cents toises d’élévation et recouverte d’un manteau de glaces. Le commandant lui donna le nom de terre d'Adélie. Pour ne point laisser de prétexte à l’incrédulité, un canot débarqua sur le rivage un petit nombre d’officiers et des naturalistes. On recueillit quelques algues et des échantillons de roches, on tua quelques pingoins. Cette position était d’autant plus précieuse à constater, qu’elle semble très voisine du pôle magnétique. Les observations de l’aiguille aimantée ne laissèrent pas de doute à ce sujet. À la suite de cette reconnaissance, l’Astrolabe et la Zélée reprirent leur route vers l’ouest ; mais les glaces opposèrent bientôt de tels obstacles, qu’il fallut gagner une mer plus libre. Cependant le 30 janvier on retrouva, par 64° 30′ sud et 129° 34′ de longitude orientale, une terre qui fut nommée Côte Clarie et reconnue sur une étendue de vingt lieues. Ce double succès suffisait pour une campagne. Aussi, quand la barrière de glaces se présenta de nouveau, les corvettes renoncèrent à la lutte et cinglèrent vers la Tasmanie.

Par un rapprochement assez singulier, dans le même moment, trois navires envoyés par le gouvernement américain croisaient dans ces parages, et tout un jour les deux expéditions se trouvèrent en vue. La corvette le Vincennes, qui, séparée de ses conserves, exécuta seule, sous les ordres du lieutenant Wilkes, des opérations importantes, reconnut la terre à diverses reprises entre les 65e et 67e degrés de latitude et du 95e au 152e degré de longitude orientale, ce qui conduit à supposer que ce sont là des rameaux distincts d’un même continent qui occuperait soixante degrés environ. Telle est du moins l’opinion du lieutenant Wilkes. Les rapports du capitaine Kemp, qui existent à Londres dans les archives de l’amirauté, confirmeraient cette hypothèse en reculant les limites de cette terre jusqu’au 70e méridien, et les découvertes du capitaine Balleny, poussées jusqu’au 164e méridien, donneraient, dans un autre sens, un appui et une extension nouvelle à ces conjectures. De tout cela, on pourrait induire que le pôle antarctique, à la hauteur du 66e parallèle, est occupé par un continent considérable qui embrasse d’un côté les terres de Balleny, de l’autre celles de Kemp et de Wilkes, et dont les terres Adélie et Clarie de M. d’Urville seraient les saillies centrales. Ce continent comprendrait dix-sept cents milles en longitude, et avec un peu de goût pour les explications imaginaires on pourrait le prolonger de neuf cents milles encore jusqu’aux terres Enderby. Les explorations prochaines éclairciront ces questions confuses. Peut-être le capitaine James Clarck Ross, qui navigue maintenant dans les eaux antarctiques, a-t-il obtenu la solution de ce problème. Il est donc sage d’attendre et de se garder de toute hypothèse chimérique.

Vers la fin de février, après avoir touché à Hobart Town, l’Astrolabe et la Zélée remirent à la voile, et, dans une patiente navigation autour de la Nouvelle-Zélande, en complétèrent l’hydrographie. Ces travaux durèrent jusqu’au 28 avril, jour où les corvettes parurent dans la Baie des Îles. Sur l’un des côtés de cet immense hâvre, est située Karora-Reka, qui est maintenant une ville européenne. Beaucoup de navires en rade, une ligne de maisons bien construites et régulièrement alignées, des quais, un débarcadère, des magasins, voilà l’aspect de cet entrepôt du commerce zélandais. Grace à l’activité anglaise, ce pays se métamorphose à vue d’œil. Chaque jour le nombre des naturels diminue, et celui des colons s’accroît. On prévoit quel sera le résultat de cette double tendance. Pour en finir plus vite, on excite l’instinct guerrier des tribus qui s’entredéchirent. Nous avons eu l’occasion naguère de parler avec étendue de ce pays ; M. d’Urville y trouva les choses à peu près au même point où notre récit les laissait[4]. La prise de possession au nom de l’Angleterre venait de s’accomplir ; la Nouvelle-Zélande avait une garnison anglaise et un gouverneur. M. d’Urville y vit quelques membres de la mission catholique, et entre autres le curé Petit, qui officia dans une messe solennelle à laquelle assistait une portion des équipages des deux corvettes. Trente Zélandais, hommes ou femmes, composent la clientelle indigène de cette église, et quelques Irlandais s’y sont joints. Nos prêtres se plaignent plus que jamais de l’intolérance des missionnaires anglicans, dont la fortune scandaleuse grandit chaque jour. Il n’y a point d’autres banquiers à Karora-Reka que les capitalistes de la société biblique de Londres, et l’agiotage sur les terres ne compte pas de spéculateurs plus acharnés.

L’itinéraire que s’était tracé M. d’Urville se trouvait à peu près épuisé ; l’expédition touchait à sa fin. Avant de rentrer en France, le commandant voulut couronner sa navigation par un travail depuis long-temps attendu, et ajouter quelques délinéations précises à la carte du globe. Le tracé de la Louisiade, depuis d’Entrecasteaux, était demeuré incertain. En quittant la Nouvelle-Zélande, les corvettes allèrent reconnaître ces terres, et il fut constaté que la Louisiade adhère à la Nouvelle-Guinée, et n’en est séparée par aucun bras de mer. Une grande partie de la côte fut relevée ; puis, cette tâche accomplie, on entra dans le détroit de Torrès, la terreur des navigateurs. Il ne semble pas que, depuis Cook, cette syrte hérissée de récifs ait été l’objet d’aucune reconnaissance digne de ce nom. L’Astrolabe et la Zélée ne tinrent pas compte du danger à courir ; elles ne virent que le service à rendre. Ce dévouement faillit leur coûter cher.

La première station dans le détroit eut lieu devant l’île d’Aroub-Dornely. Une embarcation se rendit au rivage, où l’on trouva des naturels, qui tiennent le milieu entre les Papous et les Australiens, doux, mais défians, nus, misérables et vivant de coquillages. Le jour suivant, on remit à la voile pour atteindre un espace libre qui, suivant les cartes, doit former canal entre les brisans de l’île Tonda et ceux de l’île Tehegne. On croyait être dans la bonne voie quand tout à coup la sonde à bord de l’Astrolabe annonça trois brasses d’eau. Il n’y avait pas un moment à perdre, on était sur l’écueil. L’ancre fut jetée, mais elle touchait à peine le fond que le navire talonna. La Zélée venait d’échouer aussi ; elle signala qu’elle était en danger de se perdre. Ainsi, les deux corvettes étaient compromises à la fois de la manière la plus grave. La marée qui baissait empira encore la situation : laissés presque à sec, les navires se couchèrent sur le flanc. On pouvait craindre à chaque minute de les voir s’entr’ouvrir ou chavirer. La Zélée, plus voisine des brisans, était plus exposée ; sa mâture, violemment secouée, menaçait de se rompre. Roulant sur les coraux qui déchirèrent ses bordages, l’Astrolabe avait gagné un demi-mille, et, assis sur la limite même du récif, le bâtiment comptait, à la mer basse, quatre pieds d’eau d’un côté et quatorze de l’autre. Quand le reflux fut arrivé à son dernier point, il s’inclina jusqu’à 38°.

Le commandant vit d’un coup d’œil tout le péril de la situation. Ses mesures furent promptement prises. Les embarcations stationnèrent le long du bord : les unes étaient destinées à recevoir les équipages et les papiers les plus précieux de l’expédition ; les autres devaient aller sonder les passes et reconnaître la ligne du canal navigable. Ces divers ordres s’exécutèrent. On élongea des câbles, et, au moyen de cabestans, on chercha à tirer les malheureux navires du milieu des madrépores. Pendant deux jours, tous les efforts furent vains ; ces masses restaient immobiles et semblaient adhérer au roc. Que le vent fraîchit, que le ressac augmentât, c’en était fait de l’Astrolabe et de la Zélée. Enfin, le 3 au soir, le mouvement du flux sembla agir sur les corvettes ; la Zélée se dégagea la première, et se remit à flot. L’Astrolabe fut plus lente, et le concours des deux équipages suffit à peine pour la traîner sur les tranchans des coraux, où elle laissa une grande partie de son cuivre. Rendus à des eaux plus profondes, les deux bâtimens franchirent le détroit de Torrès et gagnèrent l’océan Indien.

Cet incident dramatique fut le dernier épisode du voyage. Le reste de la traversée n’offrit plus rien de curieux. L’expédition relâcha à Toupong sur l’île de Timor, passa à Bourbon vers la fin de juillet, et visita Sainte-Hélène un mois avant l’exhumation des cendres de l’empereur. Le 9 novembre, l’Astrolabe et la Zélée, compagnes inséparables, ramenaient dans le port de Toulon, après trente-huit mois d’absence, leur colonie flottante de marins, de dessinateurs et de naturalistes.

Pour apprécier les travaux d’une campagne si variée, une simple énumération suffit. Deux croisières au pôle, l’une sur les traces de Weddel, l’autre dans une direction plus nouvelle et plus féconde ; une exploration presque simultanée de quatre grands archipels polynésiens, Nouka-Riva, Tonga-Tabou, Taïti, la Nouvelle-Zélande ; une étude hydrographique poursuivie, au milieu de dangers infinis, sur tous les points douteux de l’Océanie occidentale, aux îles Viti, aux Nouvelles-Hébrides, aux îles Salomon, Hogoleu et Pelew, le long de la Nouvelle-Guinée et de la Louisiade comme dans les labyrinthes du détroit de Torrès ; une vérification attentive des positions les plus essentielles de l’archipel asiatique ; trois découvertes importantes ; une expédition heureuse contre un chef sauvage coupable du massacre d’un équipage français ; une riche collection d’objets d’histoire naturelle et des observations précieuses à l’appui, voilà une récapitulation incomplète des fruits de ce long voyage et des travaux de ceux qui ont figuré activement dans ce long itinéraire.

De semblables entreprises n’honorent pas seulement les hommes qui y concourent ; elles deviennent aussi des titres précieux pour les nations, elles propagent l’éclat de leur nom, elles importent à leur grandeur. Même au seul point de vue scientifique, il est digne, il est généreux, de se dévouer ainsi pour ajouter quelque chose au faisceau des connaissances humaines. Ce sont là des tâches qui écheoient aux peuples marqués du sceau de l’initiative. Il y a mieux : dans le sens de l’intérêt le plus étroit, ces croisières lointaines se justifient. Pour assurer son ascendant, un pavillon a besoin de se déployer dans toutes les mers sous des conditions d’autorité et de force. On fonde ainsi sans violence des habitudes de respect, on donne des gages à la sécurité des relations commerciales. Personne ne veut croire aux puissances absentes et à une influence qui ne se fait jamais voir. L’Angleterre et l’Union américaine ont compris cela, et leurs corvettes de guerre fatiguent toutes les plages. Aussi, ces états n’ont-ils pas, comme nous, des insultes à venger, ni des blocus onéreux à poursuivre. Menacer plutôt que sévir, prévenir plutôt que réprimer, telle est leur politique. C’est la moins coûteuse et la plus sûre.

Les expéditions scientifiques ont donc cet intérêt réel de porter le pavillon là où il est peu connu et d’en manifester au besoin la puissance, comme l’a fait le capitaine d’Urville avec tant d’à-propos et de succès. On peut donc les multiplier utilement en leur donnant des instructions plus étendues et des destinations moins rigoureuses. Tout y gagnerait, l’art nautique que perfectionne cette vie d’aventures, la politique qui désormais aurait moins de griefs à venger, le commerce heureux d’obtenir une protection plus suivie et plus efficace, enfin la science déjà si fière des efforts de nos marins, et redevable de tant de matériaux au commandant de l’Astrolabe et de la Zélée.


Louis Reybaud.
  1. Voyez dans la Revue du 15 août 1840,l’Artémise à Taïti.
  2. On appelle ainsi une baie où les bâtimens de commerce viennent couper du bois de sandal pour le transporter en Chine, où l’on en fait des cercueils. La spéculation consiste à obtenir des blocs énormes qui puissent servir à confectionner un cercueil d’une seule pièce. Dans ces conditions, les Chinois opulens attachent au bois de sandal un prix excessif, et achètent leur caisse mortuaire de leur vivant.
  3. Terre de Van-Diémen.
  4. Voyez, dans la Revue du 15 janvier 1840, Colonisation de la Nouvelle-Zélande.