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Fables d’Ésope, tirées du Labyrinthe de Versailles

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Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir Labyrinthe de Versailles.
Nouveau syllabaire ingénieux (1754)
Augustin-Martin Lottin, imprimeur & libraire (p. 1).
NOUVEAU
SYLLABAIRE
INGENIEUX,
COMPOSÉ
Des Fables d’Éſope, tirées du Labyrinthe
de Verſailles, auxquelles on a joint
le ſens Moral.
Ouvrage orné de Figures.
D É D I É
À MONSEIGNEUR
LE DUC DE BOURGOGNE.
Par Louis Lacroix, Maître, de Penſion
à Paris.
À PARIS,
Chez Augustin-Martin Lottin, Imprimeur & Libraire
rue S. Jacques, au Coq.
M D C C L I V.
Avec Approbation, & Privilège du Roi.



PROLOGUE.

Portrait d’Ésope.


VEnez à la leçon, jeuneſſe vive & folle,
Éſope vous appelle à ſa riante écolle.
Les beſtes autrefois parloient mieux que les gens,
Et le ſiécle n’a pas de ſi doctes régens.


La vertu, le bon ſens, l’eſprit & la prudence
Tombèrent en partage au plus laid des mortels,
Ne jugeons point ſur l’apparence ;
Tel que nous mépriſons, mérite des autels.



FABLE PREMIE’RE.

Le Coq et la Perle.


LE Coq, ſur un fumier, gratoit, lorſqu’à ſes yeux
Parut un Diamant : helas ! dit-il, qu’en faire ?
Moi qui ne ſuis point Lapidaire ;
Un grain d’orge me convient mieux.


Ce trésor, qu’un Coq mal habile
Rebute, & voit ici d’un œil indifférent ;
C’eſt Homere ou Virgile
Entre les mains d’un ignorant.



FABLE SECONDE.

Le Rat, la Grenouille et le Milan.


LE Rat & la Grenouille, auprès d’un marécage
s’entretenoient en leur langage
Le Milan fond ſur eux,
Et les mange tous deux.


C’est ainſi, petits Princes,
Qui vous entrebattez, que, pendant le débat,
Un voiſin plus puiſſant, fondant ſur vos provinces,
À vos dépens, viendra, terminer le combat.



FABLE TROISIE’ME.

Le Loup et la Grue.


LA Grue, ayant tiré de la gorge du Loup
Un os, de ſon long bec, qui le preſſoit beaucoup :
Il n’a tenu qu’à moi de vous manger, Commere,
lui dit le Loup ingrat, & c’eſt votre ſalaire.


Obligez un ingrat, pour toute recompenſe,
Un pareil compliment payra votre imprudence.
Vous me fîtes du bien, je ne vous fis nul mal ;
Tout cela, dira-t-il, me paroiſt fort égal.



FABLE QUATRIE’ME.

Le Renard et le Corbeau.


LE Renard du Corbeau loua tant le ramage,
Et trouva que ſa voix avoit un ſon ſi beau,
Qu’enfin il fit chanter le malheureux Corbeau,
Qui de ſon bec ouvert, laiſſa choir un fromage.


Ce Corbeau, que tranſporte une vanité folle,
s’aveugle, & ne s’apperçoit point
Que, pour mieux le duper, un flateur le cajole.
Hommes, qui d’entre vous n’eſt Corbeau ſur ce point ?



FABLE CINQUIE’ME.

Le Renard et l’Aigle.


COmperes & voiſins, aſſez mal aſſortis,
À la tentation tous deux ils ſuccombèrent ;
Car l’Aigle du Renard enleva les petits ;
Et le Renard mangea les aiglons qui tombèrent.


Grands, quelque ſoit votre avantage
Sur un foible ennemi, craignez de l’outrager ;
N’armat-il contre vous qu’une impuiſſante rage,
Tremblez ; il eſt des Dieux qui ſçauront le venger.



FABLE SIXIE’ME.

Le Renard et la Grue.


LE Renard voulut faire à la Grue un feſtin ;
le dîné fut ſervi ſur une platte aſſiete :
Il mangea tout, chez lui comme ailleurs le plus fin
Elle, de ſon long bec, attrapa quelque miette.


(La Morale à la Fable fuivante.)



FABLE SEPTIE’ME.

La Grue et le Renard.


LE Renard chez la Grue alla pareillement ;
Un vaſe étroit & long fut mis fur nape blanche ;
De la langue le bec ſe vengea pleinement :
N’eſt-il pas naturel de prendre ſa revanche ?


Vous me fîtes jeûner, je vous rends la pareille,
Dit la Grue au Renard honteux baiſſarnt l’oreille ;
Tout eſt dans les régles, ami ;
Car à fourbe, fourbe & demi.



FABLE HUITIE’ME.

Le Loup et le buste.



UN Loup non ſans merveille, entra chez un
Sculpteur ;
Il n’y va pas ſouvent une pareille bête ;
Voyant une ſtatue, il dit, la belle teſte ;
Mais pour de la cervelle au-dedans, ſerviteur.


Par tout Buſtes pareils : à la Cour, à la Ville ;
Qu’il y vienne ce Loup habile,
Pour y rire de plus d’un ſot ;
Oh ! que d’occaſions d’y placer ſon bon mot.



FABLE NEUVIE’ME.

Les Colombes et le Milan.


Les Colombes, en guerre avecque le Milan,
Veulent que l’Épervier à leur tête demeure ;
Mais leur condition n’en devient pas meilleure.
Ayant un adverſaire & de plus un Tyran.


Nos voisins, dit un peuple, arment pour nous
ſurprendre :
Oppoſons-leur un Chef qui puiſſe nous deffendre,
On l’élit, mais bientôt le Chef eſt un Tyran ;
Et l’Épervier fait pis que n’eût fait le Milan.



FABLE DIXIÉME.

Le Geay paré des plumes du Paon.


OSes-tu bien cacher tes plumes ſous les nôtres ?
Dirent les Paons au Geay rempli d’ambition ;
Qui s’élève au-deſſus de ſa condition
Se trouve bien ſouvent plus bas que tous les autres.


Qui s’eleve au-deſſus de ſa condition ?
Y rentre tôt ou tard, avec confuſion.
On l’a dit & redit ; mais on a beau le dire ;
Dans ces lieux, ſur ce point, que de ſujets de rire !



FABLE ONZIÈME.

Le Singe et le Renard.


LE Singe fut fait Roi des autres animaux,
Parce que devant eux il faiſoit mille ſauts :
Il donna dans le piège, ainſi qu’une autre beſte ;
Et le Renard lui dit, Sire, il faut de la tête.


Le Singe étoit fourni d’adreſſe.
On eût dans mainte foire admiré ſa ſoupleſſe
Mais il manquoit de jugement,
Et ſans cela, voit-on de bon gouvernement ?



FABLE DOUZIÈME.

La Chauve-Souris et les Oiseaux.



GUerre entre les Oiſeaux ſanglante &
meurtrière,
Dont pas un ne voulut avoir le dementi ;
Mais la Chauve-Souris, trahiſſant son parti,
N’oſa jamais depuis regarder la lumière.


Profitez de cette leçon,
Faux freres ; rougiſſez de votre perfidie,
Et connoiſſez que l’infamie
ſuit de fort près la trahiſon.



FABLE TREIZIÉME.

Le Renard et les Raisins.



LEs Plaisirs coûtent cher, & qui les a tous
purs !
De gros Raiſins pendoient, ils étoient beaux à peindre,
Et le Renard, n’y pouvant pas atteindre,
Ils ne ſont pas, dit-il, encore meurs.


Le Renard dans le fond croit au déſeſpoir.
On croit qu’il dit apres, avec plus de franchiſe,
Les Raiſins étoient meurs : mais toujours on mepriſe
Ce qu’on ne peut avoir.



FABLE QUATORZIÉME.

Le Serpent et la Lime.


LE Serpent rongeoit la Lime :
Elle diſoit cependant,
Quelle fureur vous anime,
Vous, qui paſſez pour prudent ?


Vous, petits Souverains, qui, bouillant de furie,
Courez, mal-à-propos, inſulter un grand Roi,
Ecoutez ce Serpent, il vous dit, c’eſt folie
De vouloir ſe jouer à plus puiſſant que ſoi.



FABLE QUINZIÉME.

Le paon et le Rossignol.


LE paon dit à Junon, par ton divin pouvoir,
Comme le Roſſignol que n’ai-je la voix belle !
N’es-tu pas des Oiſeaux le plus beau, lui dit-elle ?
Crois-tu que dans le monde on puiſſe tout avoir ?


Nul n’eſt content du lot, qui lui tombe en partage.
Sans biens & ſans honneur, me donner le ſçavoir !
Y penſez-vous, grands Dieux, dit un Savant peu ſage ?
Qu'il ceſſe de le plaindre, on ne peut tout avoir.



FABLE SEIZIE’ME.

Le Renard et le Bouc.



TOus deux au fond d’un puits, taciturnes &
mornes,
De s’aſſiſter l’un l’autre avoient pris le parti :
Pour ſortir, le Renard, ſe hauſſant ſur ſes cornes
Fit les cornes au Bouc après qu’il fut ſorti.


Il ne le paya pas même d’un grand-merci.
Qui s’eſt ſervi de toi ſouvent en uſe ainſi.
Dans le puits beaux diſcours, tant qu’on eſt
néceſſaire :
Mais mon traité ſigné, le tien c’eſt ton affaire.



FABLE DIX-SEPTIE’ME.

Le Milan et les petits Oiseaux.


LE Milan, une fois, voulut payer ſa feſte :
Tous les petits Oiſeaux par lui furent priés ;
Et comme à bien dîner l’aſſiſtance étoit preſte,
Il ne fit qu’un repas de tous les conviés.


Lors qu’à quelque feſin l’ennemi te convie,
Prend ſoin de le payer d’un je vous remercie :
Peut-eſtre eſt-il de bonne foi ;
Mais ne t’y pas trouver, c’eſt le plus ſeur pour toi.



FABLE DIX-HUITIE’ME.

Le Chat et les Rats.



UN Chat faiſoit le mort, & prit beaucoup
de Rats ;
Puis il s’enfarina pour déguiſer ſa mine :
Quand même tu ferois le Sac à la farine,
Dit un des plus ruſés, je n’approcherois pas.


Vieux routier rarement ſe prend au trébuchet :
Hommes, peſez toujours meurement votre objet,
Et n’en jugez jamais, parce qu’il paroît être
Sage, qui veut à fond, tout voir & tout connoître.



FABLE DIX-NEUVIE’ME.

La Perdrix et les Coqs.



LA Perdrix, bien battue, eut un dépit
extrême
Que les Coqs peu galants la traitaſſent ainſi ;
Depuis voyant, qu’entre eux ils en uſoient de même,.
Patience, dit-elle, ils ſe battent auſſi.


Vous, qui ſous les méchans vivez dans les
allarmes,
Vertueux, eſſuyez vos larmes ;
Vous vous plaignez hélas ! l’un de l’autre Jaloux ;

Ils ſont, dans leurs fureurs, plus malheureux que-vous.



FABLE VINGTIÉME.

Les Dragons.


PLuralité de teſtes importune.
Un Serpent en eut ſept, un autre n’en eut qu’une ;
Il paſſa le premier, eut de grands embarras.
Un chef eſt abſolu, pluſieurs ne le ſont pas.


On eſt ſous pluſieurs chefs toujours dans l’embarras,
L’un dit blanc, l’autre noir, on ne s’accorde pas :
Un ſeul bien abſolu nous tire mieux d’intrigue.
On a vû rarement réuſſir une ligue.



FABLE VINGT ET UNIÉME.

La Tortue et le Lievre.



LE Lievre & la Tortue alloient pour leur
profit ;
Qui croiroit que le lievre eut demeuré derrière :
Cependant, je ne ſçai comme cela ſe fit,
Mais enfin la Tortue arriva la première.


Est-il tems de partir lorſque votre adverſaire
Arrive au bout de la carrière ?
Négligens, ou toujours demeurez en repos,
Ou, ſi vous voulez vaincre, hâtez-vous à propos.



FABLE VINGT-DEUXIÉME.

Le Porc-Épic et le Loup.


UN jour au Porc-Épic, diſoit le Loup ſubtil,
Croyez-moi, quittez-là ces piquants, ils vous rendent
Déſagréable & laid. Dieu m’en garde, dit-il,
S’ils ne me parent pas, au moins ils me deffendent.


Quand un méchant vous dit, quittez vos armes,
Je vous aime, vivez en paix & ſans allarmes,
N’en faites rien ; devant un ennemi trompeur,
Retranché juſqu’aux dents, ayez encore peur.



FABLE VINGT-TROISIÉME.

Le Coq et le Coq-d’Inde.



DU Coq d’Inde le Coq fut jaloux, & crut
bien
Qu’il étoit ſon rival, mais il n’en étoit rien :
Car il faiſoit la roue, & libre & ſans affaire,
Pour avoir ſeulement le plaiſir de la ſaire.


Dans le ſiéclé d’Éſope on fut jaloux d’un rien :
Le Coq nous en inſtruit ; les chofes changent
bien,
L’on craint, dans celui-ci, même de le paroître,
Bien que ſouvent on ait fort grand ſujet de l’être.



FABLE VINGT-QUATRIÉME.

Le Serpent et le Hérisson.


LE Serpent trop civil, par une grâce extrême.
Reçoit le Hériſſon, après il s’en repent,
Sortez d’ici, dit le Serpent,
L’autre, comme un ingrat, ſortez d’ici vous-même.


L’autre eût pu répliquer, mais s’il l’eût fait,
ſur l’heure
On vous l’auroit encor chaſſé de ſa demeure.
Il ſe tût & fît bien. Songez à l’imiter,
Raiſons, chez le méchant, ne font que l’irriter.



FABLE VINGT-CINQUIÉME.

Le Duc et les Oiseaux.


LEs Oiseaux, en plein jour, voyant le
Duc paroître,
Sur lui fondirent tous, à ſon hideux aſpect.
Quelque parfait qu’on puiſſe être,
Qui n’a pas ſon coup de bec.


L’espece volatile
Qu’on voit ici charger un Duc objet d’horreur ;
C’eſt la Cour & la Ville,
Qui vont ſe déchaîner contre un méchant auteur.



FABLE VINGT-SIXIÉME.

La Poule et ses Poussins.


LA Poule, du Milan connoiſſant les deſſeins,
Sans ſonger qu’elle même en étoit poursuivie.
Dans une cage enferma ſes Pouſſins,
Et les mit en priſon, pour leur ſauver la vie.


Pour échaper aux fers d’un vainqueur odieux.,
C’eſt ainſi qu’aux voiſins on ſe livre ſoi-même ;
On dit que le vaincu n’en eſt ſouvent pas mieux ;
Mais l’on fuit où l’on peut, dans un péril extrême.



FABLE VINGT-SEPTIÉME.

Le Singe et le Perroquet.



LE Perroquet eut beau, par ſon
caquet
Imiter l’homme, il fut un Perroquet.
Et, s’habillant en homme, ſous le linge,
Le Singe auſſi ne paſſa, que pour Singe.


En vain on ſe déguiſe. Un homme, eſt il
né ſot,
Il le ſera toujours. Un geſte, un ris, un mot,
Sa démarche, ſon air, tout le fait reconnoître.
Il faut ne l’être, point pour ne le pas paroître.



FABLE VINGT-HUITIÉME.

Le Loup, le Renard, et le Singe.



LE Renard, en procès, vint le Loup
attaquer,
Le Singe, comme Juge, écouta leurs requeſtes ;
Après il dit : je ne ſçaurois manquer
En condamnant deux ſi méchantes beſtes.


L’arrest vous ſemble injuſte, & rendu par
caprice.
Éſope ſur ce point eſt d’un avis divers ;
On peurt, dit-il, ici ſans bleſſer la juſtice,
Condamner un méchant à tort & à travers.



FABLE VINGT-NEUVIÉME.

Le Paon et la Pie.



LE Paon eſt élu Roi comme un fort bel
Oiſeau.
La Pie en murmure, & s’irrite
Qu’on ait peu d’égard au mérite.
Eſt-il leur qu’on ſoit bon parce que l’on eſt beau ?


La Pie, a fort bon droit, ſiffloit un choix
peu ſage ;
C’eft l’eſprit qui gouverne & non pas le viſage.
Chez un Prince éclairé, la beauté ſied fort bien,
Mais dans qui n’eſt que beau, qu’on la compte
pour rien.



FABLE TRENTIÉME.

Les Rats tenant conseil.



LE Chat étant des Rats l’adverſaire
implacable,
Pour s’en donner de garde, un d’entre-eux propoſa
De lui mettre un grelot au cou : nul ne l’oſa.
De quoi ſert un conſeil qui n’eſt point praticable ?


C’est ainſi que, ſans fruit, plus d’un conſeil
s’aſſemble.
Jamais en opinant le conſeiller ne tremble :
Lui parle-t-on d’agir, le cas n’eſt pas égal.
L’on conſeille fort bien, l’on exécute mal.



FABLE TRENTE ET UNIÉME.

Le Singe et le Chat.


DU Singe ici l’adreſſe éclate :
Mais celle du Chat paroiſt peu,
Quand il donne à l’autre ſa patte
Pour tirer les marons du feu.


Fais valoir, me dit-on, nos communs intereſts ;
Débrouille cette affaire, agis ; & quant aux frais
Avance les encore. Ami, je crois t’entendre,
Tu veux, pour ton profit, que j’écarte la cendre.



FABLE TRENTE-DEUXIÉME.

L’Aigle et L’Escarbot.


L’Aigle prit le Lapin ; l’Eſcarbot ſon compere
Interceda pour lui, touché de ſa mifere,
L’Aigle ne laiſſa pas pourtant de le manger ;
L’autre caſſa ſes œufs, afin de s’en venger.


Trop compter ſur ſa force eſt un trait d’imprudence.
Le plus petit peut nuire, & le grand qui l’offence
Ne le fait jamais ſans danger.
Il n’eſt rien d’impoſſible à qui veut ſe venger.



FABLE TRENTE-TROISIÉME.

La Souris et le Souriceau.


À La vieille Souris, diſoit ſa jeune fille,
Je hais le petit Coq, j’aime le petit Chat.
Le Chat, répond ſa mere, ah ! c’eſt un ſcélérat ;
Mais le Coq n’a point fait de mal à ta famille.


Ne vous fiez point trop à mine radoucie ;
Et ne jugez des gens ſur la phiſionomie.
Plus d’un tartuffe ici l’a bonne, & cependant
Sot qui lui confierait ſa femme, ou ſon argent.



FABLE TRENTE-QUATRIÉME.

La Chate metamorphosée en Femme.



UN homme aimoit ſa Chate, & de crainte
du blâme,
Venus, à ſa priere, en compoſa ſa femme.
Elle friande & vive, oubliant le mari,
Courut à la Souri.


On diſſimule en vain. Voit-on ce qui nous
touche,
Le cœur, pour ſe montrer, eſt bientôt ſur la bouche.
Transformez un Rimeur en ce qu’il vous plaira,
Qu’on lui parle de vers, il ſe découvrira.



FABLE TRENTE-CINQUIÉME.

Le Singe et son Fils.


EMbrassant ſes Petits, le Singe s’en défait,
Par une tendreſſe maudite.
À force d’applaudir ſoi-même à ce qu’on fait,
L’on en étouffe le mérite.


Ce point eſt important, penſez-y, tendres peres,
N’ayez pour vos enfans que les ſoins néceſſaires :
En prendre trop de ſoin, les aimer à l’excès,
C’eſt les perdre. Avec eux ménagez vos bien-faits.



FABLE TRENTE-SIXIÉME.

Le Coq et le Renard.


LE Renard, dit au Coq, une paix éternelle
Eſt conclue entre nous, deſcends. Oui, deux Lévriers
Viennent, répond le Coq, m’en dire la nouvelle.
Le Renard n’oſa pas attendre les couriers.


Ce Coq eut mal fait de deſendre.
Il vous dit, qu’on ne doit jamais
Prêter l’oreille, à qui ne nous parle de paix
Que pour mieux nous ſurprendre.



FABLE TRENTE-SEPTIÉME.

Le Cigne et la Grue.


LA Grue interrogeoit le Cigne, dont le chant
Bien plus qu’à l’ordinaire étoit doux & touchant.
Quelle bonne nouvelle avez-vous donc reçue ?
C’eſt que je vais mourir, dit le Cigne à la Grue.


Le Cigne, ſur ſa fin, ne chantoit pas à tort.
À vivre on ſouffre tant, que, quoique l’on en die,
Le plus beau jour de notre vie
Ne vaut pas tel qu’il ſoit celui de notre mort.



FABLE TRENTE-HUITIÉME.

Les Cannes et le Barbet.


LE Barbet en veut à ces Cannes ;
Mais par elles il eſt inſtruit,
Qu’il eſt par fois des vœux auſſi vains que profanes ;
Et qu’on ne force pas toujours ce qu’on pourſuit.


Le Barbet s’en revint avec un pied de nez ;
Ne comptez ſur un bien que quand vous le tenez.
Vous alliez épouſer une riche héritière ;
Le contrat fait, un rien fit échouer l’affaire.



FABLE TRENTE-NEUVIÉME.

Le Dauphin qui porte un Singe.



LE Dauphin, ſur ſon dos, portoit le Singe
à nage ;
Et reconnut au premier mot
Qu’il n’étoit pas un homme, ou que c’étoit un ſot :
Ainſi ne voulut pas s’en charger davantage.


Ignorant, fourni d’imprudence,
De loin ſemble tout autre, on le prône, on l’avance ;
Mais a-t-on de plus près manié fon eſprit,
On le remet où l’on l’a pris.


Plan du Labirinthe.