Gargantua et Pantagruel (Texte transcrit et annoté par Clouzot)\QL13

La bibliothèque libre.

CONTINUATION DES CHICANOUS DAUBÉS EN LA MAISON DE BASCHÉ.

Quatre jours après, un autre jeune, haut et maigre chicanous alla citer Basché à la requête du gras prieur. À son arrivée, fut soudain par le portier reconnu, et la campanelle[1] sonnée. Au son d’icelle, tout le peuple du château entendit le mystère. Loyre pétrissait sa pâte, sa femme blutait la farine. Oudart tenait son bureau. Les gentilshommes jouaient à la paume. Le seigneur Basché jouait aux trois cents trois avec sa femme. Les damoiselles jouaient aux pingres[2], les officiers jouaient à l’impériale, les pages jouaient à la mourre à belles chiquenaudes. Soudain fut de tous entendu que chicanons étaient en pays. Lors Oudart se revêtir, Loyre et sa femme prendre leurs beaux accoutrements, Trudon sonner de sa flûte, battre son tambourin, chacun rire, tous se préparer, et gantelets en avant.

Basché descend en la basse-cour. Là chicanons le rencontrant, se mit à genoux devant lui, le pria ne prendre en mal si, de la part du gras prieur, il le citait, remontra par harangue diserte comment il était personne publique, serviteur de moinerie, appariteur de la mitre abbatiale, prêt à en faire autant pour lui, voire pour le moindre de sa maison, la part[3] qu’il lui plairait l’emploiter[4] et commander. « Vraiment, dit le seigneur, jà ne me citerez que premier[5] n’ayez bu de mon bon vin de Quinquenays, et n’ayez assisté aux noces que je fais présentement. Messire Oudart, faites-le boire très bien et rafraîchir, puis l’amenez en ma salle. Vous soyez le bienvenu. »

Chicanous, bien repu et abreuvé, entre avec Oudart en salle, en laquelle étaient tous les personnages de la farce, en ordre et bien délibérés[6]. À son entrée chacun commença sourire chicanous riait par compagnie. Quand par Oudart furent : sur les fiancés dits mots mystérieux, touchées les mains, la mariée baisée, tous aspersés d’eau bénite, pendant qu’on apportait vins et épices, coups de poings commencèrent trotter. Chicanous en donna nombre à Oudart. Oudart, sous son surplis, avait son gantelet caché : il s’en chausse comme d’une mitaine, et de dauber chicanous, et de draper chicanous, et coups des jeunes gantelets de tous côtés pleuvoir sur chicanous. « Des noces, disaient-ils, des noces, des noces, vous en souvienne. » Il fut si bien accoutré que le sang lui sortait par la bouche, par le nez, par les oreilles, par les œils, au demeurant, courbatu[7], espaultré[8] et froissé, tête, nuque, dos, poitrine, bras, et tout. Croyez qu’en Avignon on[9] temps du carnaval, les bacheliers onques ne jouèrent à la raphe[10] plus mélodieusement que fut joué sur chicanous. Enfin, il tombe par terre. On lui jeta force vin sur la face, on lui attacha à la manche de son pourpoint belle livrée[11] de jaune et vert, et le mit-on sur son cheval morveux. Entrant en l’Île-Bouchard ne sais s’il fut bien pansé et traité de sa femme comme des mires[12] du pays. Depuis n’en fut parlé.

Au lendemain, cas pareil advint, pour ce qu’au sac et gibecière du maigre chicanous n’avait été trouvé son exploit. De par le gras prieur fut nouveau chicanous envoyé citer le seigneur de Basché, avec deux recors pour sa sûreté. Le portier, sonnant la campanelle, réjouit toute la famille, entendants que chicanous était là. Basché était à table, dînant avec sa femme et gentilshommes. Il mande quérir chicanous, le fit asseoir près de soi, les recors près les damoiselles, et dînèrent très bien et joyeusement. Sur le dessert, chicanous se lève de table, présents et oyants les recors, cite Basché. Basché gracieusement lui demande copie de sa commission. Elle était jà prête. Il prend acte de son exploit ; à chicanous et à ses recors furent quatre écus soleil donnés. Chacun s’était retiré pour la farce. Trudon commence sonner du tambourin. Basché prie chicanous assister aux fiançailles d’un sien officier et en recevoir le contrat, bien le payant et contentant. Chicanous fut courtois. Dégaina son écritoire, eut papier promptement, ses recors près de lui. Loyre entre en salle par une porte, sa femme avec les damoiselles par autre, en accoutrements nuptiaux. Oudart, revêtu sacerdotalement, les prend par les mains, les interroge de leurs vouloirs, leur donne sa bénédiction, sans épargne d’eau bénite. Le contrat est passé et minuté. D’un côté sont apportés vins et épices ; de l’autre, livrée à tas, blanc et tanné ; de l’autre sont produits gantelets secrètement.


  1. Cloche.
  2. Osselets.
  3. De quel côté.
  4. Employer.
  5. Premièrement.
  6. Résolus.
  7. Courbaturé.
  8. Couvert de bleus.
  9. Au.
  10. À la main fermée.
  11. Floc de rubans.
  12. Médecins.