Histoire des Météores/Chapitre 18

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chapitre xviii.
les paratonnerres.

Distribution de l’électricité dans les corps. — Influence de la forme des corps sur la distribution de l’électricité. — Pouvoir des pointes. — Parties essentielles du paratonnerre. — Comment il décharge les nuages orageux. — Résumé des rapports qui ont été faits à l’Académie des sciences sur le paratonnerre depuis son origine. — Substances et sites qui attirent plus particulièrement la foudre. — Règles fondamentales pour la construction d’un bon paratonnerre. — Étendue qu’il protège. — Paratonnerre chinois. — Paratonnerre pour les navires.

I.

L’électricité à l’état neutre est uniformément répandue dans la masse des corps ; mais il n’en est pas de même de l’électricité à l’état libre, car alors elle possède une puissance répulsive qui tend sans cesse à la disperser jusqu’à ce qu’elle trouve un obstacle qui l’arrête.

C’est pour cela qu’une fois développé dans les corps, le mouvement électrique se hâte de gagner la surface, et s’y accumule avec plus ou moins d’abondance.

Cette couche électrique est maintenue à la surface des corps par l’influence seule de l’atmosphère. La preuve se trouve en ce qu’il devient impossible de charger un corps bon conducteur si on le place dans le vide produit par la machine pneumatique ; car, dans ce cas, l’électricité que l’on développe s’échappe aussitôt sous la forme d’aigrettes lumineuses.

La force électrique fait donc un effort continuel pour vaincre l’influence atmosphérique ; et l’on désigne cet effort sous le nom de force de tension de l’électricité. Cette tension peut être comparée à celle qu’exercent les fluides pondérables contre les parois des vases qui les contiennent : quand les parois sont résistantes, le fluide est retenu ; mais si elles sont trop faibles, elles cèdent à la pression, et le fluide s’épanche. Il en est de même de l’électricité ; lorsque sa tension est assez puissante pour rompre l’influence de l’atmosphère, qui fait l’office des parois d’un vase, elle se propage à travers l’espace.

La distribution de cet agent à la surface des corps dépend considérablement de leur forme : si le corps est sphérique, il résulte des propriétés mêmes de sa surface que le mouvement électrique s’y distribue uniformément, et présente partout la même puissance.

Si le corps a une forme allongée, terminée en pointe, l’accumulation et la tension électriques augmentent proportionnellement à mesure que l’on approche de l’extrémité effilée.

La tension de l’électricité devient extrême au bout d’une pointe aiguë : la résistance de l’atmosphère est insuffisante pour la retenir, et le chargement d’un corps bon conducteur ainsi terminé devient impossible.

En physique, on appelle pouvoir des pointes cette propriété qu’elles ont de faciliter l’écoulement de l’électricité ; c’est à ce pouvoir des pointes que les appareils destinés à préserver les édifices des coups de la foudre doivent leur puissance.

II.

Un paratonnerre se compose d’une tige de fer se terminant en pointe par une de ses extrémités, et communiquant avec le sol par un conducteur. Ce conducteur est une longue barre ou corde aussi en fer. Voici, d’après les rapports faits à l’Académie des sciences sur ce sujet, les notions les plus indispensables à connaître.

La commission nommée en 1855 conseille de terminer le haut des paratonnerres par un cylindre de 2 centimètres de diamètre sur 20 à 25 centimètres de longueur totale ; le sommet doit en être aminci, afin de former un cône de 3 à 4 centimètres de hauteur. Ce cylindre est ajusté à vis sur l’extrémité de la tige de fer du paratonnerre pour en faire le prolongement.

Le conducteur doit être adapté à la tige par une très bonne soudure à l’étain, et aller se perdre dans une nappe souterraine qui laisse un libre cours à l’électricité, telle, par exemple, que celle des puits du voisinage qui ne tarissent jamais et qui conservent au moins 50 centimètres de hauteur dans les saisons les plus défavorables.

De loin en loin il sera nécessaire de reconnaître l’état du fer immergé, car il y a certaines eaux qui pourraient peut-être le corroder trop profondément dans une période de quatre ou cinq années. Il faudra donc défaire la dernière des soudures qui se trouve hors du puits, et avoir préparé les moyens mécaniques convenables pour enlever le conducteur et amener au jour son extrémité inférieure.

On sait qu’aucune peinture ne compromet les fonctions électriques d’un paratonnerre ; ainsi, on peut appliquer sur la tige et sur le conducteur les enduits les plus propres à le conserver, en exceptant toutefois la portion immergée, qui doit rester en communication immédiate avec l’eau du puits.

La commission chargée d’étudier l’établissement des paratonnerres des édifices municipaux de Paris trouve inutiles les pointes en platine et adopte, pour placer au sommet de chaque tige, une flèche en cuivre rouge pur, d’environ 50 centimètres de longueur, terminée suivant un cône dont l’angle au sommet sera de 15° avec la verticale, soit de 30° pour l’angle total. La tige doit être en fer forgé, d’une seule longueur, polygonale ou légèrement conique, et autant que possible galvanisée en zinc ; mais sous aucun prétexte elle ne devra être peinte[1].

Cette dernière clause, comme on le voit, n’est pas d’accord avec les indications de la commission académique de 1855.

Dans une note présentée à l’Académie des sciences par M. le général Morin, M. Saint-Edme rappelle que, dans le principe, Franklin voulait que les tiges fussent d’un seul métal ; c’est par suite de la rapide oxydation du fer que les commissions successives ont dû penser à modifier la nature de l’extrémité de la tige. Il croit qu’il est possible de revenir à l’idée première, maintenant que l’on sait recouvrir le fer d’un métal, le nickel, qui formera à sa surface un véritable vernis protecteur contre l’oxydation, et possédant la conductibilité nécessaire[2].

Voyons maintenant les phénomènes qui ont lieu, entre le paratonnerre et le nuage orageux. Lorsqu’un nuage orageux passe au-dessus du paratonnerre, l’électricité neutre du métal se trouve décomposée par influence, et cette décomposition s’étend jusqu’au sol par le moyen du conducteur.

Il se produit alors à la pointe de l’appareil un écoulement continu de l’électricité contraire à celle du nuage, qui va recomposer sans secousse une partie de l’électricité de celui-ci et lui ôte ainsi le pouvoir de nuire.

Si l’électricité du nuage n’est pas suffisamment décomposée, et que la foudre éclate, c’est par le cône du cylindre qu’elle pénètre dans la tige et le conducteur, et qu’elle va se neutraliser dans la nappe souterraine, sans causer de dommage à l’édifice que le paratonnerre protège.

III.

Dans un important rapport, la section de physique de l’Académie des sciences fait remarquer qu’autrefois, pour les constructions ordinaires, l’emploi des métaux était restreint presque exclusivement aux faîtages, aux gouttières, aux tirants de consolidation ; ce n’était que bien rarement, et comme par exception, que l’on rencontrait soit une charpente de fer, soit une couverture de plomb, de cuivre ou de zinc, tandis que maintenant le métal prédomine de plus en plus ; on le met partout, et, ce qui est un point important, on le met en grande superficie et en grandes masses : couvertures de métal, charpentes de métal, poutres de métal, croisées de métal, et quelquefois murailles de métal. Alors les nuages orageux décomposent, par influence, des quantités d’électricité décuples de celles qu’ils auraient décomposées sur les corps moins bons conducteurs, comme l’ardoise ou la brique, le bois, la pierre, le plâtre, le mortier et tous les anciens matériaux de construction. Ce nouveau système réalise donc sur une grande échelle ce que l’on attribuait d’abord au paratonnerre, c’est-à-dire la propriété d’attirer la foudre.

Quand l’objection s’appliquait au paratonnerre, elle n’avait qu’une apparence de vérité ; car il est vrai que le paratonnerre attire la foudre, mais il est vrai aussi qu’obéissant aux lois qu’elle a reçues, celle-ci lui arrive, en général, sans bruit, sans éclat, et toujours infailliblement domptée et docile, ayant perdu toute sa puissance originelle de destruction. Quand l’objection, au contraire, s’applique à ces amas de substances métalliques qui entrent dans nos constructions actuelles, elle n’est pas spécieuse, elle est juste, profondément juste, fondée sur les lois les mieux établies ; ces constructions attirent, en effet, la foudre, et rendent ses coups plus désastreux.

IV.

Pour se faire une idée juste de toutes les causes qui concourent à l’explosion de la foudre, il ne faut pas considérer seulement les constructions ni les objets qui s’élèvent au-dessus du sol ; il faut tenir compte encore du sol lui-même et de toutes les substances qui le constituent, depuis sa surface jusqu’à de grandes profondeurs dans les entrailles de la terre. Un sol aride, composé d’une couche mince de terre végétale sous laquelle se trouvent d’épaisses formations de sable sec, de calcaire ou de granit, n’attire pas la foudre, parce qu’il n’est pas conducteur de l’électricité ; s’il est exposé à ses coups, ce n’est qu’accidentellement, après les pluies qui ont imbibé sa surface. Là, les bâtiments participent jusqu’à un certain point au privilège du sol, à moins qu’ils ne soient construits dans le nouveau système et qu’ils n’occupent une étendue assez considérable. Mais sous ce sol aride et sec y a-t-il, à plusieurs dizaines de mètres de profondeur, de grands gisements métalliques, de vastes cavernes, des nappes d’eau ou seulement des fontaines abondantes, les nuages orageux exercent leur action sur ces matières conductrices, la foudre est attirée, elle éclate en franchissant l’intervalle ; la croûte sèche n’est pas un obstacle insurmontable ; elle peut être percée, fouillée, fondue, à peu près comme l’est une couche de vernis par l’étincelle électrique. Alors malheur aux constructions qui se trouvent sur son passage ! Fussent-elles de pierre ou de bois, elles sont brisées comme le reste, à moins qu’elles n’aient à opposer pour défense un paratonnerre bien établi.

Si ces couches humides ou métalliques se trouvent cachées à des profondeurs plus grandes, le danger de l’explosion diminue pour deux causes : d’une part, l’enveloppe qui les couvre devient difficile à traverser ; d’une autre part, l’action des nuages s’affaiblit par l’augmentation de la distance. On peut citer en preuve les vallées étroites qui ont quelques centaines de mètres de profondeur ; la foudre n’y pénètre jamais ; elle peut frapper les crêtes des collines, mais il est sans exemple qu’elle soit descendue jusqu’aux habitations, aux arbres ou aux ruisseaux qui occupent les parties basses. Ces faits constants donnent en quelque sorte la mesure de l’accroissement de distance aux nuages, nécessaire pour être à l’abri du danger.

V.

Il importe de bien remarquer que jamais la foudre ne s’élance au hasard : son point de départ et son point d’arrivée, qu’ils soient simples ou multiples, se trouvent marqués d’abord par un point de tension électrique, et au moment de l’explosion le sillon de feu qui les unit, allant à la fois de l’un à l’autre, commence en même temps par ses deux extrémités. Les herbes, les buissons, les arbres même, sont des objets trop petits pour la foudre ; ils ne peuvent pas être son but. S’ils sont frappés, c’est parce qu’il y a au-dessous d’eux des masses conductrices plus étendues, qui sont le but caché d’attraction, qui reçoivent au large l’influence et déterminent l’explosion.

Ainsi les lieux les plus exposés sont les lieux qui, étant les plus rapprochés des nuages, sont en même temps découverts, humides et bons conducteurs ; les arbres élevés sur les sommets des coteaux sont soumis à la première condition, les vaisseaux au milieu de la mer sont soumis à la seconde, et il se peut trouver à une hauteur moyenne des localités qui tiennent assez de l’une et de l’autre pour recevoir à la fois les coups les plus fréquents et les plus terribles, car le coup d’un même nuage orageux peut être fort ou faible, suivant l’étendue grande ou petite du corps conducteur qui le fait éclater.

VI.

Le cercle de protection qu’il est permis d’attribuer à un paratonnerre n’est pas fixé d’une manière absolue ; quelques anciennes observations paraissent avoir constaté des coups de foudre sur des parties de bâtiment qui se trouvaient à une distance de la tige égale à trois ou quatre fois sa hauteur au-dessous de leur niveau. En conséquence, à la fin du siècle dernier, c’était une opinion généralement reçue que le cercle de protection du paratonnerre n’avait pour rayon que deux fois la hauteur de la tige. L’instruction de 1823, ayant trouvé cette pratique établie, a cru devoir l’adopter. Cependant elle y apporte quelques restrictions : par exemple, en ce qui regarde les paratonnerres des clochers, elle admet, s’ils s’élèvent à 30 mètres au-dessus du comble des églises, que pour ces combles le rayon du cercle de protection se réduit à 30 mètres au lieu de 60.

Il importe cependant de remarquer que ces règles, bien qu’elles soient appliquées depuis longtemps, reposent sur des bases où il entre beaucoup d’arbitraire ; sans les condamner, il ne faudrait pas leur attribuer une valeur qu’elles sont loin d’avoir.

Ne suffirait-il pas, en effet, que d’époque en époque elles fussent ainsi admises traditionnellement, et de confiance, pour que l’on se crût dispensé de les soumettre à quelque contrôle, pour que l’on négligeât de faire sur ce point des observations qui pourraient se présenter, et qui fourniraient à la science des documents qui manquent presque complètement ?

La commission n’admet qu’avec ces réserves, faute de données assez nombreuses et assez certaines, ces règles reçues sur la grandeur du cercle qu’un paratonnerre protège autour de lui ; elles ne peuvent d’ailleurs pas être générales et absolues ; elles dépendent d’une foule de circonstances, et particulièrement des matériaux qui entrent dans les constructions ; par exemple, le rayon du cercle de protection ne peut pas être aussi grand pour un édifice dont les couvertures ou les combles sont en métal, que pour un édifice qui n’aurait dans ses parties supérieures que du bois, de la tuile ou de l’ardoise ; dans ce dernier cas la portion active du nuage orageux, quoique notablement plus éloignée du paratonnerre que de la couverture, exerce cependant sur le paratonnerre une action plus vive, tandis que dans le premier cas ces deux actions doivent être à peu près égales pour une distance égale.

M. Perrot, savant distingué, a fait d’ingénieuses expériences pour vérifier de nouveau les lois de l’électricité. Il fait remarquer que l’on rendrait l’action du paratonnerre beaucoup plus efficace en armant son extrémité supérieure d’une couronne de pointes ; que ces pointes multiples, tout en augmentant considérablement la quantité d’électricité fournie par le paratonnerre dans un temps donné, auraient l’avantage de diviser le flux. Chacune d’elles ne serait ainsi traversée que par un courant trop faible pour la fondre, même par les orages les plus violents.

VII.

Il y a quelques années, M. Babinet, de l’Institut, a présenté à l’Académie des sciences, de la part de M. Marchal, de Lunéville, la figure d’un des appareils qui, en Chine, accompagnent toujours les flèches aiguës qui couronnent les tours nombreuses de ce pays, où chaque ville a la sienne.

Suivant l’auteur, les chaînes qui accompagnent la flèche, et qui, partant de son pied, vont rejoindre les angles saillants de la tour, sont de vrais conducteurs de l’agent électrique, dont l’expérience peut avoir fait reconnaître l’efficacité à un peuple bien plus observateur que théoricien.

Il a remarqué que dans la construction des tours chinoises il n’entre point de substances métalliques, pas plus que dans leurs maisons et leurs palais. L’appareil des chaînes offre donc une sorte d’enveloppe conductrice qui préserve la tour de l’introduction de l’électricité.

Ces tours, d’ailleurs, n’ont jamais été frappées de la foudre. La fameuse tour de porcelaine de Nankin a quinze siècles d’existence.

M. Marchal rapproche la construction chinoise de la méthode italienne, qui consiste à consolider les flèches par des haubans métalliques allant se fixer aux angles du bâtiment ; il ajoute que la flèche de l’appareil chinois se termine en flamme dorée, et, par suite, conductrice.

La cour impériale à Ummerapoura

VIII.

M. Harris s’occupe, depuis près de quarante ans, de la destruction des vaisseaux par la foudre. Il a recueilli sur ce sujet un grand nombre de documents qu’il a adressés, il y a quelques années, au conseil d’amirauté. La chambre des lords et la chambre des communes, après un examen approfondi, en ont ordonné l’impression.

On trouve, dans cet ouvrage, plus de deux cents cas de navires de la marine militaire anglaise et de la marine marchande frappés et endommagés par la foudre, classés méthodiquement, de manière à donner à l’ensemble un caractère tout à la fois scientifique et pratique.

M. Harris rappelle qu’à une certaine époque, dans un temps de guerre, vingt frégates et dix corvettes ont été tellement avariées par des coups de foudre, qu’elles étaient impropres au service. Dans le huitième de ces cas, le feu avait pris aux mâts, aux voiles, etc.

Il rapporte que, sur cinquante-quatre navires marchands frappés par la foudre, dix-huit ont été complètement perdus.

Les paratonnerres qu’il propose pour éviter ces malheurs consistent en de longs conducteurs fixés dans les mâts et à la coque des vaisseaux. Dans cette disposition, la foudre ne peut arriver dans la mer par un chemin plus facile que celui qui lui est offert par les conducteurs du paratonnerre. Depuis près de trente ans, aucun navire de la marine royale pourvu d’un paratonnerre établi d’après les principes de l’auteur n’a été endommagé par la foudre.

Voici un fait qui vient donner une nouvelle importance à ce système :

Une dépêche officielle du vice-amiral sir William Martin, commandant en chef de la flotte anglaise dans la Méditerranée, annonçait que, dans la nuit du 20 septembre 1863, le vaisseau de Sa Majesté le London avait été frappé de la foudre pendant une très forte tempête. Les étincelles électriques s’élançaient à la fois de plusieurs points des lames conductrices. Le choc fut terrible ; tous les matelots du bord éprouvèrent la même sensation que s’ils avaient été assaillis par un violent tremblement de terre. Et cependant, à l’exception de quelques clous arrachés, cette explosion formidable ne causa aucun désastre. C’est que le London, de 90 canons, est armé du paratonnerre et des admirables conducteurs continus de M. Harris. Une fois entré dans l’ensemble des lames métalliques, le fluide électrique les traverse sans tendance aucune à en sortir, et s’écoule dans la mer par la quille, sans rien détruire. Presque dans les mêmes parages, en 1839, le vaisseau de Sa Majesté le Rodney, de 90 canons, fut aussi atteint par la foudre ; il n’était armé malheureusement que des anciens paratonnerres à chaînes : M. Harris n’avait pas encore fait adopter ses conducteurs ; aussi le Rodney fut-il tout en feu pendant vingt minutes. Son grand mât et son grand hunier furent brisés ; son grand mât de perroquet fut réduit en poussière qui flottait à la surface de la mer ; deux hommes de l’équipage furent tués sur le coup, et le navire fut obligé de rester en réparation deux mois entiers dans le port de Malte. Ce coup de foudre coûta au trésor 250 000 francs ! M. Harris a donc grandement mérité de son pays en mettant la marine royale anglaise, d’une manière presque absolue, à l’abri de ces terribles accidents dont les suites sont escomptées si chèrement.

IX.

Sur les navires qui ne suivent pas le système de M. Harris, le paratonnerre est mis en communication avec la mer par le moyen d’une chaîne conductrice. Lorsque l’orage paraît éloigné, on retire la chaîne de la mer, on la laisse traîner sur le pont, on la décroche même quelquefois du paratonnerre, et lorsque l’orage arrive, on la remet quand on y pense et quand on a le temps, car dans certains parages l’orage arrive tout à coup sans se faire annoncer ; on paraît s’en soucier fort peu, et même, ce qui est incroyable, quand le moment est venu où la foudre se fait craindre, on ne prend aucune précaution pour que le conducteur soit isolé, ce qui est d’une incurie sans nom ou d’une ignorance absolue, car alors le paratonnerre devient très dangereux, et attire la foudre sur le navire plutôt que de l’en préserver.

Je me suis trouvé plusieurs fois au milieu des plus grands orages de l’Océan, aux environs du cap de Bonne-Espérance surtout, étonné de voir le conducteur en communication avec le navire, je fis quelques observations et j’eus mille peines à faire comprendre au marin qui lançait la chaîne à la mer, qu’il fallait l’isoler du navire. Après quelques moments de réflexion, il se souvint qu’il manquait en effet quelques petits instruments ; il alla les chercher, et c’étaient justement les supports isolants. Je pensais que ce navire faisait exception sous ce rapport. Je pris des informations et je me suis convaincu qu’il en est à peu près de même sur la plupart des bâtiments marchands.

Il vaudrait donc mieux, dans l’état actuel des choses, qu’il n’y eût pas de paratonnerre sur le plus grand nombre de ces navires, à moins que l’on n’adopte le système de M. Harris : le conducteur étant fixé constamment à travers le mât, on n’a plus rien à craindre de l’ignorance ou de l’incurie.


Le palais impérial à Yédo.
  1. Les Mondes scientifiques, 19 avril 1875.
  2. Comptes rendus de l’Académie des sciences, novembre 1875.