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Isaac Laquedem/Vol. 2/Première partie/Malheur à Jérusalem !

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Librairie théâtrale (volume 2p. 265-297).


CHAPITRE VI.

malheur à jérusalem !


Le bruit du miracle s’était répandu non-seulement à Jérusalem, mais encore dans les environs, et l’on accourait de tous côtés, — de Gethsemani, d’Anathot, de Béthel, de Silo, de Gabaon, d’Emmaüs, de Bethléem, d’Hebron et même de la Samarie, — pour voir, pour toucher Lazare ; et, quand ils l’avaient vu et touché, beaucoup doutaient encore de leurs yeux et de leurs mains, surtout ceux qui lui avaient rendu les derniers devoirs, et qui ne cessaient de répéter :

— Nous l’avons vu mourir ! nous l’avons vu ensevelir ! nous l’avons vu enterrer !

Mais, autant la joie de ce miracle était grande parmi le pauvre peuple, autant la consternation était suprême parmi les pharisiens, qui étaient particulièrement ceux contre lesquels Jésus prêchait, et parmi les hérodiens, qui, devant tout au tétrarque Hérode, lequel devait tout aux Romains, craignaient sans cesse qu’un nouveau Judas Macchabée n’affranchît les Juifs du joug des étrangers.

C’est que le joug était honteux, mais doré !

Les pharisiens disaient :

— Défions-nous de cet homme, qui fait des miracles que nul de nous ne peut faire !

Les hérodiens disaient :

— Si l’on n’arrête pas cet homme, il se fera quelque nouvelle révolte en Judée, et les Romains viendront et ruineront la ville !

Mais les riches seulement craignaient ; — ainsi que l’avait dit Jésus : ils n’avaient pas la richesse, la richesse les avait.

À partir de ce moment, pharisiens et hérodiens ne songèrent plus qu’à une chose : faire mourir celui qu’ils appelaient, les pharisiens, un blasphémateur ; les hérodiens, un rebelle.

Ils avaient pour eux le grand prêtre Caïphe, qui leur promettait la mort du coupable.

Mais en vain cherchaient-ils Jésus dans Jérusalem et dans les environs. Jésus, comme nous l’avons dit, était à Ephrem, sur la limite du désert, où il attendait l’heure de sa mort.

L’heure sonna ; la Pâque était proche, Jésus dit :

— Allons à Jérusalem !

Il lui fallait repasser par la Samarie.

Or, aller à Jérusalem pour y faire la pâque, c’était plus que jamais se déclarer Juif et anti-Samaritain.

Aussi, la première ville où Jésus et ses disciples se présentèrent leur refusa l’hospitalité.

Ce que voyant deux des apôtres :

— Seigneur, dirent-ils, ne pouvant souffrir l’affront qui était fait au maître, voulez-vous que nous disions au feu du ciel de descendre et de consumer cette ville ?

Jésus sourit, car il vit que les apôtres commençaient à connaître sa puissance, et à mesurer la leur ; mais les réprimandant presque aussitôt de s’être laissé aller à la colère :

— Ce n’est point mon esprit qui vous anime, leur dit-il : le fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les hommes, il est venu pour les sauver !

Ils continuèrent leur chemin vers Jérusalem.

À une lieue de la ville, Jésus s’arrêta.

— Cette fois, dit-il, toutes les choses prédites par les prophètes vont s’accomplir. Écoutez ceci, afin que chacun de vous sache bien où il va. Le fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres, aux scribes, aux anciens ; ils le condamneront à la mort, et le livreront aux gentils ; ils le railleront, ils lui cracheront au visage, ils le flagelleront ; mais, le troisième jour, il ressuscitera !

Et la foi dans cette résurrection était si grande parmi certains apôtres, que deux des douze s’approchèrent de Jésus, et lui dirent :

— Maître, nous souhaitons que vous nous accordiez ce que nous avons à vous demander.

C’étaient Jacques et Jean.

— Que souhaitez-vous que vous accorde celui qui va mourir ? demanda Jésus.

— Accordez-nous, lui répondirent-ils, que, dans notre gloire, nous soyons assis, l’un à votre droite et l’autre à votre gauche.

— Votre demande vous est accordée, parce que vous avez la foi, dit Jésus.

Le vendredi, — huit jours avant celui dont la mort du Christ devait faire le vendredi saint, — on arriva à Béthanie.

Les disciples avaient précédé Jésus, et le souper l’attendait chez ce même Simon où déjà une fois il avait soupé.

Chacun se mit à table en arrivant ; mais, comme les femmes ne pouvaient manger avec les hommes, tandis que Marthe vaquait aux soins du service, Madeleine alla s’asseoir à terre sur le plancher, aux pieds du Seigneur, dévorant chaque parole qui sortait de sa bouche.

Si bien que Marthe lui demanda :

— Que fais-tu là, à perdre ton temps, Madeleine, au lieu de venir m’aider ?

— J’écoute, dit Madeleine.

Et, comme elle consultait des yeux Jésus pour savoir si elle devait se lever et aller aider sa sœur, ou rester près de Jésus, assise et écoutant :

— Reste, mon enfant, dit Jésus, tu as pris, toi, la meilleure part.

Madeleine continua donc d’écouter.

Puis, à la fin du repas, elle se leva, sortit, mais rentra presque aussitôt, portant dans un vase d’albâtre une livre de nard dont elle arrosa les pieds de Jésus, qu’elle essuya, comme la première fois, avec ses cheveux.

Après quoi, elle cassa le vase, qui valait le double de ce que valait le parfum, et elle répandit le reste de la liqueur sur la tête du Christ.

Alors, Judas, l’un des apôtres, ne pouvant retenir un mouvement d’envie, s’écria :

— C’est un péché que de perdre ainsi une pareille liqueur et de briser un pareil vase ; on eût pu vendre cela trois cents deniers, et donner ces trois cents deniers aux pauvres !

Jésus regarda tristement Judas, car il voyait ce qui se passait dans son cœur, et que c’était, non point en faveur des pauvres qu’il plaidait, mais en faveur de son orgueil.

Alors, d’une voix dont l’accent était si mélancolique, que les larmes en vinrent aux yeux de quelques-uns :

— Judas, dit-il, pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? C’est une bonne pensée qui la guide. Vous aurez toujours des pauvres parmi vous, et vous pourrez toujours les soulager ; mais, moi, vous ne m’aurez pas toujours… Elle avait gardé ce parfum pour ma sépulture, et elle a embaumé mon corps par avance. — Merci Madeleine !

Ceux auxquels Jésus avait prédit sa mort comprirent seuls ; mais Madeleine ne comprit pas, et, regardant Jésus avec crainte :

— Que dites-vous, Seigneur Jésus ? demanda-t-elle.

— Attends, tu verras, dit tristement Jésus ; et c’est à toi, je te le promets, pauvre pécheresse, que j’apparaîtrai d’abord, en compensation de la grande douleur que je vais te faire souffrir.

— Je ne comprends pas, dit Madeleine ; mais je n’ai pas besoin de comprendre, puisque j’ai foi en vous, Seigneur.

Jésus passa la journée du sabbat avec Marthe, Madeleine et Lazare ; mais, le dimanche matin, il se mit en marche. Le grand nombre d’étrangers qui venaient incessamment à Béthanie avaient répandu le bruit de son entrée dans Jérusalem, et avaient poussé hors des portes toute la foule populaire.

Lazare avait offert un cheval à Jésus ; mais Jésus avait répondu :

— Le cheval est le symbole de la guerre, et je viens apporter, non pas la guerre, mais la paix ; d’ailleurs, ma monture m’attend au village de Bethphagé.

Et il s’était mis en chemin.

Lorsque l’on fut en vue de Bethphagé, il appela deux de ses disciples, et leur dit :

— Allez à ce village qui est devant vous ; vous y trouverez une ânesse et un ânon : vous me les amènerez.

— Mais, si le propriétaire s’oppose à ce que nous les emmenions ? demanda l’un de ceux que Jésus envoyait.

— Vous répondrez que le Seigneur en a besoin, dit Jésus, et on les laissera venir.

Les deux disciples prirent les devants, et, un instant après, amenèrent l’ânesse et l’ânon.

Les apôtres couvrirent l’ânon de leurs vêtements, et Jésus monta dessus, tandis que le reste du peuple glorifiait le Messie, chacun à sa façon, les uns étendant leurs manteaux sous ses pieds, les autres arrachant des palmes, les autres cueillant des fleurs et les jetant par jonchées sur son passage, tous criant : « Hosannah ! »

Arrivé près d’un rocher qui dominait la ville, il s’arrêta, et, regardant Jérusalem :

— Ô Jérusalem ! dit-il en versant des larmes, si tu reconnaissais au moins, en ce jour de grâce qui t’est donné, celui qui t’apporte la paix ! Mais non, tu as un voile sur les yeux, ô Jérusalem ! aveugle cité à laquelle je ne saurais rendre la lumière ! Aussi, verras-tu ces jours malheureux où les ennemis t’environneront de tranchées, t’enfermeront de toutes parts, te prendront, et, après t’avoir prise, te raseront et te détruiront, toi et tes enfants. Et, ces jours venus, il ne restera pas de toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas connu, ô Jérusalem, le temps où Dieu t’a visitée !

Et, depuis ce jour, on appela rocher de la Prédiction, le rocher où Jésus avait prononcé ces paroles.

Jésus continua son chemin, traversa le pont de Cedron ; mais, alors, quelques-uns de ceux qui l’attendaient vinrent au-devant de lui, disant :

— Comment ferez-vous pour entrer, Seigneur ? Voilà qu’on a fermé les portes derrière nous.

Et Jésus dit :

— Marchons toujours ! L’homme peut m’ignorer, mais le bois, le feu me connaissent : la porte où je me présenterai s’ouvrira devant moi.

Alors, il s’avança droit vers la porte Dorée, au milieu de plus de dix mille personnes qui lui faisaient cortége.

Et à peine en fut-il à vingt pas, que les quatre battants s’ouvrirent d’eux-mêmes, car la porte était double, et, de ce côté, on entrait dans la ville en passant sous deux voûtes séparées par un seul pilier.

Lorsque le peuple vit les portes s’ouvrir d’elles-mêmes, il jeta de grands cris de joie et de victoire, — car le peuple triomphait dans la personne de ce vainqueur qui avait pris pour monture le symbole de la sobriété et de la patience populaire.

Alors, plus que jamais les palmes s’agitèrent, les fleurs jonchèrent la route, les manteaux couvrirent le chemin ; alors, plus que jamais les cris retentirent :

— Gloire au plus haut des cieux ! béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !

Et, par la double ouverture, Jésus marchant en tête, la foule se répandit dans la ville. Le Christ fit le tour du temple, sortit par la porte occidentale, passa entre le théâtre et le palais des Macchabées, longea le mont Acra, évita Sion, où étaient les palais d’Anne et de Caïphe, et où sa présence eût pu exciter des troubles, passa de la ville inférieure dans la seconde ville, de la seconde ville dans Bezetha, et revint au temple par le palais de Pilate et la piscine Probatique.

Ceux qui ignoraient encore ce qu’était Jésus, — et c’étaient, pour la plupart, des gens étrangers à Jérusalem, — demandaient avec étonnement :

— Quel est donc cet homme que tout le peuple suit et acclame ?

Et ceux qui accompagnaient Jésus répondaient :

— C’est Jésus, c’est le prophète de Nazareth en Galilée.

Alors redoublaient les cris et les acclamations : les jeunes gens couraient, les vieillards se traînaient, et les enfants, même les plus petits, — ces enfants que Jésus avait toujours laissés venir jusqu’à lui, — se joignant aux hommes, aux femmes, aux vieillards, criaient :

— Gloire au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! béni soit le roi d’Israël !

Et si, dans la foule qui accourait sur les pas de Jésus, se trouvait un aveugle, l’aveugle voyait ; si un boiteux avait peine à le suivre, le boiteux était guéri ; si un paralytique était apporté devant sa porte, le paralytique se levait ; si un muet se rencontrait sur le chemin du Christ et l’acclamait d’intention, sa langue se déliait, et, à l’étonnement de ceux qui ne lui avaient jamais entendu prononcer une seule parole, il criait aussi haut que les autres :

— Gloire au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! béni soit le roi d’Israël !

Et l’on voyait se tirer avec peine de la foule les princes des prêtres, les scribes et les pharisiens qui s’éloignaient consternés, se voilant le visage de leurs manteaux, et disant :

— Oh ! nous ne gagnerons rien contre cet homme, car le voilà qui fait tant de miracles, que tout le monde court après lui.

Et quelques-uns eurent l’audace de s’avancer jusqu’à Jésus, et de lui dire :

— Faites donc taire ces enfants qui vous louent comme si vous étiez un Dieu.

Mais Jésus leur répondit :

— N’avez-vous pas lu dans le roi-prophète : « Il tirera la louange de la bouche des petits enfants et des nourrices ; et, si les enfants se taisent, les pierres mêmes trouveront une voix, et se feront entendre à leur place ! »

On reconduisit Jésus au temple, et lorsqu’il fut entré dans le second parvis, chacun se groupa autour de lui, en criant :

— Parlez, parlez, maître ! enseignez-nous ; dites-nous ce qu’il faut penser des scribes et des pharisiens.

Et Jésus, qui avait hésité jusqu’alors à attaquer ses ennemis, et même à se défendre lorsqu’ils l’attaquaient, répondit :

— En effet, le temps est venu : écoutez donc, puisque vous voulez entendre ! voyez donc, puisque vous voulez voir !

Alors, donnant à sa voix cette puissante intonation qu’il savait lui faire prendre lorsqu’il passait de la caresse à la menace, et de la menace au maudissement :

— Vous voulez savoir ce que je pense des scribes et des pharisiens ? continua-t-il, eh bien ! je vais vous le dire.

Il se fit un grand silence dans le peuple ; on allait lui parler de ses ennemis.

— Les scribes et les pharisiens, reprit Jésus, ils sont assis dans la chaire de Moïse : observez donc leurs préceptes, suivez donc leurs enseignements ; mais faites ce qu’ils vous disent de faire, et non pas ce qu’ils font ; car eux disent et ne font pas, ou, s’ils font, font le contraire de ce qu’ils disent… Ils lient de lourds fardeaux, des fardeaux qui ne peuvent se soulever, et, au lieu d’en porter leur part, ils les chargent sur les épaules de leurs frères, et, une fois qu’ils sont chargés, ne les touchent plus, même du bout du doigt ; ils font chaque chose pour être regardés des hommes, et non pas pour être regardés de Dieu ; ils prennent la première place dans les repas ; ils s’assoient au premier rang dans les synagogues, et n’attendent pas qu’on leur dise : « Placez-vous ou asseyez-vous là ; » ils aiment à être salués dans les rues, et à se faire appeler maîtres par des gens qui ne sont pas leurs serviteurs. — Ô mes frères ! continua Jésus en s’adressant à ses disciples, fuyez cet exemple ! ne prenez pas le nom de maîtres ! car vous n’avez qu’un maître, et vous êtes tous frères ; n’appelez pas non plus votre père qui que ce soit ici-bas, car vous n’avez qu’un père qui est au ciel ! Que celui, au contraire, qui se croira le plus grand parmi vous, se fasse le serviteur des autres : quiconque s’élèvera sera humilié, et quiconque s’abaissera sera élevé !

Puis, revenant à ceux qu’il avait attaqués d’abord :

— Mais malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui n’entrez pas dans le royaume des cieux, et qui en fermez la porte à ceux qui veulent y entrer ! Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui dévorez jusqu’aux maisons des veuves, sous le prétexte de faire de longues prières, et qui, pour le prétexte que vous prenez, serez punis plus rigoureusement ! Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui courez la terre et la mer pour vous faire un prosélyte, et qui, une fois que vous avez ce prosélyte, le rendez digne de l’enfer deux fois plus que vous ! Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, conducteurs aveugles qui dites : « Si un homme jure par le temple, cela n’est rien ; mais s’il jure par l’or du temple, il est obligé à son serment ! » comme si l’on devait plus estimer l’or que le temple qui sanctifie l’or. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui dites : « Si un homme jure par l’autel, cela n’est rien ; mais, s’il jure par le don qui est sur l’autel, il est obligé à son serment ! » comme si l’on devait plus estimer le don que l’autel sur lequel il est déposé ! Non ! celui qui jure par le temple, jure par le temple et par celui qui l’habite ; celui qui jure par l’autel, jure par l’autel et par ce qui est dessus ; et celui qui jure par le ciel, jure par le ciel et par celui qui y est assis !

Et, comme Jésus s’arrêtait un instant :

— Continuez, maître ! continuez ! crièrent toutes les voix.

Et Jésus reprit :

— Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et qui avez abandonné ce qu’il y a de plus important dans la loi c’est-à-dire la justice, la miséricorde et la foi ! Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et qui laissez le dedans plein de méchancetés et d’intempérances, tandis que vous devriez nettoyer, au contraire, le dedans du plat et de la coupe, et laisser le dehors se nettoyer de lui-même ! Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui êtes semblables à des sépulcres blanchis, lesquels, vus au dehors, paraissent beaux aux yeux des hommes, mais, vus au dedans, sont remplis d’ossements et de pourriture ! Oh ! malheur à vous ! malheur à vous, qui bâtissez des tombeaux pour tous les prophètes, et qui faites des monuments à tous les justes ; à vous qui dites : « Si nous eussions vécu du temps de nos pères, nous n’eussions pas mis à mort les justes, nous n’eussions pas tué les prophètes, » et qui avouez par là que vous êtes les fils des meurtriers des prophètes, les descendants des assassins des justes ! Malheur à vous, race de vipères, famille de serpents ! achevez, achevez de combler la mesure de vos pères ! Et, moi, je vous le dis, je vous amène un prophète, et vais vous envoyer des sages, et vous crucifierez l’un, et vous fouetterez, persécuterez, martyriserez les autres, ceux-ci dans vos synagogues, ceux-là dans vos villes ; aussi tout le sang versé retombera sur vous, depuis le sang d’Abel le juste, jusqu’à celui de Zacharie, que vous avez tué entre le temple et l’autel !

Puis, s’avançant vers la porte occidentale du temple, et étendant ses deux mains sur la ville :

— Jérusalem ! Jérusalem ! dit Jésus d’une voix profondément triste, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui sont envoyés vers toi, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants sous mon manteau comme un oiseau rassemble ses petits sous ses ailes ! et c’est toi, ô Jérusalem ! qui ne l’as pas voulu ! Aussi, tes enfants seront dispersés sur la surface du monde, et, de tous ces bâtiments, de tous ces édifices, de tous ces palais que j’ai sous mes pieds et que j’embrasse de mon regard, je te le dis, ô Jérusalem ! il ne restera pas pierre sur pierre !…

Alors, comme s’il eût éprouvé une trop grande fatigue à maudire si longtemps, Jésus s’arrêta et se laissa tomber sur un banc.

Et, comme il était placé devant le tronc du temple où chacun venait déposer son aumône, après des gens riches qui y avaient fastueusement jeté de l’argent et de l’or, une pauvre femme s’avança pour y glisser humblement deux petites pièces de cuivre.

Jésus, qui faisait de toutes choses un enseignement, appela les disciples :

— Venez ici, leur dit-il, et voyez cette pauvre veuve ; elle a plus donné que tous ceux qui, jusqu’à présent, ont mis dans ce tronc, car tous ceux qui ont donné, ont, pour donner, pris sur leur superflu, tandis qu’elle a pris sur son indigence.

Alors, un homme s’approcha de Jésus, et lui dit :

— Maître, vous qui nous avez appris tant de choses, apprenez-nous encore celle-ci : Faut-il payer ou ne pas payer le tribut à César ?

Jésus comprit à l’instant que cet homme ne lui faisait pas la question de lui-même, mais lui était envoyé par ses adversaires et ses persécuteurs.

Car, si, en effet, Jésus disait : « Payez le tribut, » il était l’ennemi du peuple, que ce tribut ruinait ; si, au contraire, il conseillait de ne pas payer le tribut, Jésus se déclarait l’ennemi de César, contre lequel il entrait en rébellion.

Mais Jésus répondit :

— Mon ami, montrez-moi une pièce de monnaie.

Et l’homme tira de sa bourse une pièce de monnaie, et la montra à Jésus.

Alors, Jésus lui demanda :

Quelle est l’effigie empreinte sur cette pièce de monnaie ?

— C’est celle de César.

— Eh bien, dit le Christ, rendez à César ce qui appartient à César, et donnez à Dieu ce qui est dû à Dieu.

Et, se levant, il s’en retourna vers Béthanie.

Et il en descendait ainsi tous les matins, après avoir passé la nuit sur la montagne des Oliviers, au milieu des tombeaux du peuple, où, disait-on, les anges du Seigneur venaient lui apporter les paroles de son père.

Et, chaque matin, tout ce qu’il y avait de pauvres gens à Jérusalem, s’augmentant du peuple des environs et des étrangers qui affluaient dans la ville, venait le visiter.

Il descendit ainsi de Béthanie le lundi, le mardi et le mercredi.

Ce dernier jour, l’affluence fut si grande, les cris de « Vive Jésus, roi des Juifs ! » furent poussés si haut, que les pharisiens, épouvantés, coururent chez Caïphe, et que Caïphe convoqua chez lui les princes des prêtres et les anciens du peuple, afin de tenir conseil.

Le conseil finit à onze heures du soir.

Le lendemain jeudi, Jésus ne descendit point à Jérusalem, mais dit seulement à ses deux disciples Pierre et Jean :

— Entrez ce soir dans la ville par la porte des Eaux, prenez la montée de Sion, marchez tout droit devant vous jusqu’à ce que vous ayez rencontré un homme portant une cruche remplie d’eau sur son épaule ; alors, suivez cet homme, entrez avec lui où il entrera, et dites au maître de cette maison que Jésus de Nazareth lui adresse ces paroles : « Mon temps est proche ; en quel endroit mangerai-je la pâque, cette année, avec mes disciples ? »

Comme nous l’avons vu, les instructions de Jésus avaient été ponctuellement suivies : Pierre et Jean étaient entrés à Jérusalem ; ils avaient trouvé près de la piscine de Sion l’homme à la cruche d’eau ; ils l’avaient suivi jusque chez son maître Heli ; Heli avait montré aux disciples la chambre préparée pour la cène, et, afin d’avertir Jésus que ses commandements étaient remplis, il était monté sur la terrasse de sa maison, avait élevé dans l’air la flamme d’une torche, et Jésus, qui était assis sous les palmiers de Bethphagé, ayant vu cette flamme, avait dit : « L’heure est venue… Allons ! » Et, s’étant levé, il avait, avec ceux qui l’entouraient, pris le chemin de la ville.


fin du deuxième volume.