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Jean Ziska (Hetzel, illustré 1854)/Chapitre 12

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Jean Ziska (Hetzel, illustré 1854)
Jean ZiskaJ. HetzelŒuvres illustrées de George Sand, volume 7 (p. 32-36).
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XII.

La nouvelle de l’exécution de Martin Loquis alluma la sédition dans Prague. Tous les Picards de la nouvelle ville coururent trouver le Prémontré. Il s’assemblèrent, la nuit, dans un cimetière. Là, on se plaignit de la tyrannie de Ziska et de celle du sénat calixtin. Le Prémontré, après avoir longtemps délibéré avec eux, prit sa résolution au premier coup de la cloche du matin. Il se met aussitôt à leur tête, et les conduit à la maison de ville de la vieille Prague. Là il reproche aux sénateurs leurs trahisons et leurs lâchetés, leur déclare qu’ils sont cassés et annulés, et sur-le-champ procède à l’élection d’un nouveau sénat et de quatre consuls picards. Il décrète que la vieille et la nouvelle ville n’en feront plus qu’une et obéiront à des magistrats de son choix. À peine a-t-il formé ce nouveau gouvernement qu’il assemble la communauté, et lui déclare qu’il faut chasser un curé qu’il désigne, parce qu’il retient les momeries du culte romain ; que le temps est venu d’en finir avec les prêtres calixtins et d’en établir de vraiment évangéliques, « parce que les séculiers et le clergé ne doivent plus faire qu’un corps et un même peuple. » Le peuple, la populace, pour parler comme mon auteur (ce qui ne me fâche point, parce que je vois bien que c’étaient les pauvres et les opprimés qui étaient les plus éclairés et les plus sincères en fait de religion), la populace courut aux églises, chassa les prêtres calixtins, en institua de nouveaux, et donna ses lois à toute la ville, sans que les anciens consuls ni personne osât s’y opposer.



Et firent brûler leur commandant… (Page 33.)

Pendant ce temps, les Taborites et les Orébites marchaient à la rencontre de l’Empereur, qui entrait en Bohême par Cuttemberg. Malgré la clémence de Ziska, les mineurs revenaient à Sigismond, et, commandés par le brigand Miesteczki, celui qui avait pillé les moines d’Opatowitz pour son compte et qui ensuite s’était uni à Ziska, ils reprirent Przelautzi, jetèrent cent vingt-cinq Taborites dans les minières, en tuèrent mille à Chutibor, et firent brûler leur commandant et deux de leurs prêtres.

Pendant ce temps, l’aristocratie négociait avec le roi de Pologne. Sur son refus d’accepter la couronne, les seigneurs catholiques devenus calixtins pour voir venir, et les vrais calixtins, avaient demandé à Wladislas de leur envoyer son parent Coribut. Wladislas jouait tous les partis tour à tour. L’année précédente, il avait négocié avec Sigismond la réconciliation des Bohémiens, en s’engageant toutefois à marcher contre eux avec lui, dans le cas où Sigismond consentirait à marcher avec lui contre les chevaliers teutoniques. La conclusion de ces pourparlers avait été un accord de mariage entre le roi de Pologne et la veuve de Wenceslas. L’Empereur avait offert Sophie ou sa propre fille au choix de ce nouvel allié ; le Polonais avait préféré la plus mûre des deux, parce qu’elle était la plus riche. Mais les ambassadeurs de Sigismond, qui portaient son adhésion en Pologne, avaient été saisis et enlevés par les Hussites ; de sorte que le mariage fut suspendu, et les deux monarques eurent le temps de se brouiller encore une fois. Alors Wladislas envoya une ambassade à Prague pour proposer Coribut, lequel gouvernerait la Bohême au nom du roi de Pologne. Coribut était déjà aux frontières, et ne demandait que des troupes pour entrer en Bohême. On ne put lui en envoyer, parce que l’Empereur débusquait par la frontière opposée, et qu’on n’avait pas trop de monde pour lui tenir tête.

À peine Sigismond fut-il entré en Bohême que les seigneurs catholiques, qui avaient si bien protesté contre lui, répondirent à son appel, et allèrent lui prêter foi et hommage. Le juste-milieu, épouvanté de cette défection, appela Ziska à son secours. Ziska accourut à Prague pour la mettre en état de défense. Il y fut reçu comme un héros, comme le sauveur de la patrie, on sonna toutes les cloches, les prêtres et la jeunesse allèrent au-devant de lui, et il n’y eut régal qu’on ne fit à son monde. Les pâles Taborites, si affreux en temps de paix, étaient beaux comme des anges quand on avait peur.

Ziska passa huit jours à mettre Prague en état de siège et à la munir de tout ce qui était nécessaire. De là, il courut munir d’autres places importantes, entre autres Cuttemberg que l’Empereur avait abandonné. Mais ne se fiant plus à des alliés si perfides, Ziska ne s’y installa pas, et se fortifia avec son armée sur une haute montagne voisine, d’où il observait tous les mouvements des impériaux. Sigismond reprit aisément Cuttemberg, en effet, et vint assiéger Ziska sur sa montagne ; mais dès la seconde nuit, le redoutable aveugle et ses Taborites tuèrent les sentinelles avancées du camp impérial, se frayèrent un passage au beau milieu de l’armée ennemie, et allèrent tranquillement s’établir à Kolin. On était au mois de décembre. Le froid chassa l’Empereur. Pendant qu’il se reposait en Bavière, l’infatigable aveugle ne perdit pas de temps pour lever de nouvelles troupes jusque sur les frontières de la Silésie, et, sentant le froid s’adoucir, il revint à Noël vers la frontière opposée, pensant que les Impériaux allaient bientôt reparaître. Ils n’y manquèrent pas. Sigismond arriva sur Cuttemberg, et, pour marquer sa protection à cette ville, il la fit brûler et passa tous les habitants au fil de l’épée (sans épargner les enfants au berceau), afin que Ziska ne trouvât plus là de poste pour lui fermer la retraite. Sa prévoyance ne le préserva pas des armes invincibles des Taborites. Ziska l’atteignit dès le lendemain, tailla son armée en pièces, et le poursuivit trois lieues durant ; on lui enleva cent cinquante chariots, remplis d’effets précieux, qui furent partagés également entre les Taborites. Le jour suivant, Ziska alla assiéger Broda l’allemande, et y perdit trois mille hommes. Le lendemain il la prit et la brûla si bien que pendant quatorze ans il n’y habita âme qui vive. Après cette victoire, Ziska, assis sur les drapeaux impériaux, créa quelques chevaliers parmi les Taborites. On voit en lui de ces velléités de grandeur extérieure qui furent si funestes à Napoléon.

L’Empereur se retira en grande hâte en Hongrie. Le Florentin Pippo, aventurier intrépide qui le suivait, se noya sous la glace avec quinze cents de ses mercenaires, au passage d’une rivière.

Il est temps de faire entrer en scène un nouveau personnage, un des hommes les plus fortement trempés de cette époque, et le seul adversaire solide que Sigismond pût opposer à Ziska. C’était un prêtre qui s’appelait Jean comme tant d’autres, et qu’on appelait Jean de Prague, parfois Jean de fer (ferreus), à cause de son caractère guerrier, ou enfin l’évêque de fer, car il était évêque d’Olmutz et fervent catholique. Il avait autrefois dénoncé Jacobel au concile de Constance, et, comme il avait toujours eu son franc parler avec tout le monde, il avait irrité violemment l’ivrogne Wenceslas par ses remontrances. Depuis que Conrad avait embrassé le Hussitisme, le pape avait nommé Jean de fer à l’archevêché de Prague, à la place de l’apostat ; mais c’était un siége in partibus. À tout prendre, le prélat catholique valait beaucoup mieux que le politique Conrad. Il n’était ni moins intolérant, ni moins cruel, mais il était brave et sincère, et montrait les talents d’un grand capitaine. « Quand il avait dit sa messe, il quittait ses habits sacerdotaux, montait à cheval, armé de toutes pièces, le casque en tête, l’épée au poing, et la cuirasse sur le dos. Il faisait gloire de n’épargner aucun hérétique. Il en périt plusieurs milliers par ses soins et par ses armes, et il tua deux cents Hussites de sa propre main. Il mourut cardinal en 1430. » Il fut secondé en mainte rencontre par l’abbé de Trebitz, homme de qualité, plus propre à la guerre qu’au bréviaire.

La première expédition de l’évêque de fer fut contre un parti de Taborites, que deux prêtres de Tabor étaient venus rallier en Moravie, et qui s’étaient fortifiés si bien sur une montagne boisée, qu’on ne put les forcer. Ils se défendaient en jetant sur les assiégeants de gros éclats de roche ; et malgré l’ardeur des troupes de l’évêque formées de ses vassaux, d’auxiliaires hongrois et de troupes impériales autrichiennes, ils décampèrent la nuit et se sauvèrent en Bohême où ils se réunirent aux Orébites. Plusieurs seigneurs bohémiens du parti calixtin, et entre autres Victorin de Podiebrad (père du roi Georges), apprenant cette affaire, songèrent alors à occuper le belliqueux évêque pour l’empêcher de faire irruption en Bohême. Il en résulta une guerre assez acharnée en Moravie, où, parmi plusieurs défaites et plusieurs victoires, Jean de fer donna de grandes preuves d’activité, de courage et de talent militaire. Nous n’entrerons pas dans le détail de ces campagnes, afin de ne pas perdre de vue la scène principale.

Jean le Prémontré exerçait toujours sur le peuple de Prague une influence effrayante pour les Calixtins. Un nouveau sénat, calixtin sans aucun doute, avait remplacé le sénat picard institué par le moine. On l’y déféra comme Picard, titre qui, à lui seul, constituait le crime d’État ; on l’accusa de s’être trop ingéré dans les affaires publiques, d’avoir banni Jean Przibam et décapité Jean Sadlo sans motifs suffisants ; et le sénat entra en délibération pour aviser aux moyens de se défaire d’un homme si énergique et si populaire. Quoique cette délibération eût été tenue fort secrète, le Prémontré en fut bientôt instruit, et, n’écoutant que son audace accoutumée, il s’alla jeter dans le danger. Il pénètre dans le sénat, accompagné seulement de dix de ses partisans, et déclare aux sénateurs qu’il va appeler de leur sentence aux citoyens. À peine a-t-il achevé de parler qu’on ferme les portes, et que le bourreau, qu’on avait mandé en toute hâte, s’empare de lui, et lui tranche la tête ainsi qu’à ses compagnons. Mais comme les licteurs s’empressaient de faire disparaître les traces de cette affreuse exécution, et lavaient précipitamment la salle, ils laissèrent couler du sang dans la rue. Le peuple, averti par cet indice, se précipite dans la maison de ville. On enfonce les portes du conseil, et le premier objet qui se présente aux regards est la tête du Prémontré séparée de son corps. En un instant, le juge, les consuls et tous leurs acolytes sont mis en pièces. Jacobel[1] ramasse la tête de Jean, la met sur un plat, et s’élance dans la rue, exhortant le peuple à venger la mort d’un martyr. Les maisons des consuls sont aussitôt envahies et dévastées. On court au collége de Charles iv, que jusqu’alors on avait respecté, et on emmène prisonniers tous les moines. On brûle la bibliothèque, et on exécute publiquement sept personnes qui avaient été ennemies de Jean le Prémontré. Jacobel fit porter la tête du moine et celles de ses compagnons pendant quinze jours dans la ville, exposées sur un cercueil, et le peuple chantait avec lui l’hymne à la mémoire des martyrs : Isti sunt sancti qui, etc. Enfin, ces têtes furent ensevelies avec leurs corps en grande solennité dans une église, et un prédicateur fit leur oraison funèbre sur ce texte tiré des Actes des Apôtres : Des hommes pieux ensevelirent Étienne. Ensuite il exhorta le peuple à rester fidèle à la doctrine que le Prémontré lui avait enseignée, et l’assemblée se sépara, le prédicateur et les assistants fondant en larmes. Le peuple sentait bien qu’il perdait un de ses plus vigoureux athlètes.

Au commencement de l’année 1422, les Taborites firent la conquête importante de Sobieslaw, d’où dépendaient dix-huit autres villes ou villages, et un territoire rempli d’étangs poissonneux. Ensuite Ziska fit une course en Autriche, porta la terreur chez les habitants, qui fuyaient à son approche dans les bois et dans les déserts, et s’empara d’une grande provision de bétail. Un autre corps de Taborites entra dans la Marche de Brandebourg, y mit tout à feu et à sang, et alla assiéger Francfort sur l’Oder, dont il brûla les faubourgs et la chartreuse. Ceux de Prague prirent et dévastèrent la ville de Luditz.

Sur ces entrefaites, Sigismond Coribut arriva à Prague avec cinq mille personnes. Il y fut fort bien reçu par les Calixtins, qui voulaient absolument un roi. Ziska était occupé ailleurs avec les Taborites. Les grands, qui étaient retournés au parti de Sigismond, se tenaient retranchés le mieux qu’ils pouvaient dans leurs châteaux. Cependant ils protestèrent contre l’élection de Coribut, et s’étant rassemblés avec ceux des gentilshommes qui étaient de leur parti, il déclarèrent que, bien qu’ils eussent toléré la première ambassade des Bohémiens en Pologne, ils n’avaient eu part ni à la seconde, ni à la troisième ; qu’ils ne se croyaient point déliés de leur serment envers Sigismond, seul souverain légitime ; et enfin que Coribut n’avait point été baptisé au nom de la sainte Trinité, étant né Russe et ennemi du nom chrétien. Coribut était Lithuanien et chrétien grec.

Les Praguois ayant répondu qu’il fallait accepter Coribut bon gré mal gré, les grands du royaume firent transporter la couronne royale et les ornements de la chapelle de Saint-Wenceslas à la forteresse de Carlstein, qui tenait pour l’empereur Sigismond avec une forte garnison ; et Coribut qui apparemment faisait constituer toute la validité de son élection dans ces ornements, alla assiéger Carlstein sans être couronné. On a conservé beaucoup de détails sur ce formidable siége, qui dura six mois, et qui échoua. Le parti calixtin, avec son roi, ne pouvait rien ou presque rien, tandis que les Taborites, avec leur invincible aveugle, ne connaissaient rien ou presque rien d’impossible. La place de Carlstein fut pourtant battue par des catapultes d’une si belle invention, que jamais depuis, dit l’historien Théobald, aucun ouvrier n’a pu en faire de semblables : « Les forêts voisines retentissaient du bruit des coups. » On arracha même les colonnes d’une église de Prague pour en faire des boulets. Mais les fortifications étaient si solides qu’on ne put les endommager. La garnison avait été choisie parmi des guerriers d’élite. Elle se défendit opiniâtrement à grands coups de pierre, en faisant pleuvoir les tuiles des toits. Avec des nattes et des fascines de branches de chêne, elle amortissait l’effet des frondes. Les Calixtins imaginèrent de lancer dans la place, avec leurs machines, deux mille tonneaux remplis d’ordures et de cadavres en putréfaction. L’infection causa une terrible épidémie aux assiégés. Les cheveux leur tombaient, et toutes leurs dents étaient ébranlées. Ils réussirent pourtant à faire consumer toutes ces immondices par la chaux vive et l’arsenic. Un habitant de la vieille Prague ayant été pris par eux, ils le mirent sur une tour avec une queue de renard au bout d’un bâton, en lui recommandant, par dérision, de chasser les mouches. Les assiégeants ne tinrent compte de la présence de ce malheureux, et n’en battirent la tour qu’avec plus de fureur. Mais aucun de leurs coups n’atteignit la victime, et les assiégés, frappés de superstition en voyant cette rare fortune, la délièrent et lui rendirent la liberté. En automne on fit une trêve de quelques jours, et les assiégés, ayant invité quelques-uns des assiégeants à leur rendre visite, ils les régalèrent splendidement, pour leur faire croire qu’ils avaient des vivres en abondance, bien qu’ils fussent au bout de leurs provisions. Ceux de Prague s’imaginèrent qu’ils en recevaient par des conduits souterrains. Un jour les assiégés feignirent de célébrer une noce. « On n’entendait que flûtes et bruits de gens qui sautaient et dansaient, quoiqu’il n’y eut ni époux ni épouse, et qu’ils n’eussent pas même du pain noir à manger. « Enfin il leur arriva de n’avoir plus qu’un pauvre bouc, qu’on laissait grimper sur les murailles pour faire croire qu’on avait du bétail. Il fallut pourtant le tuer, et quand on l’eut mangé, sa peau fut envoyée en présent au capitaine de ceux de Prague, qui était tailleur, pour le remercier de sa trêve. Il faisait très-froid, et les Praguois avaient grand désir de retourner à leurs foyers. Ils vouèrent les assiégés au diable, seul capable d’en venir à bout, et abandonnèrent l’entreprise, ce dont Coribut fut fort mortifié. La garnison stoïque et facétieuse de Carlstein fit plusieurs décharges de ses machines, en l’honneur du bouc qui l’avait sauvée.

Pendant ce siège, une grosse armée allemande, commandée par des archevêques, des électeurs et des princes du saint-empire, avait voulu pénétrer en Bohême pour délivrer ceux de Carlstein. Il lui fallut d’abord assiéger Plawen, où on lança quantité de pigeons et de moineaux enduits de poix embrasée ; mais ce stratagème échoua. Des paysans, qui s’étaient réfugiés dans cette ville contre les brigandages des Impériaux, firent une vigoureuse sortie, et, passant à travers l’armée ennemie, tuèrent cinquante hommes et emmenèrent encore des prisonniers. Un des moineaux embrasés alla tomber sur une tente de paille, et mit le feu au camp. L’armée impériale s’agitant pour éteindre l’incendie, le reste des assiégés de Plawen sortit, se jeta sur l’ennemi éperdu, et le mit en déroute. Sur la nouvelle que Ziska s’approchait, les Allemands abandonnèrent complètement l’entreprise et quittèrent la province.

Sigismond désespéré jura d’abandonner la Bohême à ses propres déchirements ; et, voyant que les Moraves s’étaient joints aux Bohémiens contre lui, il fit don de leur province à l’archiduc Albert, son gendre, sous la condition de la réduire. Les Hussites de Moravie écrivirent aussitôt à Ziska de venir les secourir ; mais Ziska sentait que la royauté de Coribut était le plus pressant danger, et qu’il fallait le combattre au cœur de la Bohême. Il envoya aux Moraves celui de ses capitaines qu’il estimait le plus, Procope le Rasé, qui avait été ordonné prêtre contre son gré dans sa jeunesse, et qui fut depuis surnommé le Grand, à cause de ses exploits militaires. Nous consacrerons une nouvelle série d’épisodes à ce grand homme, qui fut le successeur de Jean Ziska dans le commandement des Taborites, et le continuateur de son œuvre politique. Nous nous bornerons ici à dire qu’il se comporta en Moravie avec une science militaire digne des leçons de Ziska, et une valeur digne de l’élan des Taborites, dont il partageait les principes les plus ardents.

Cependant Ziska marchait vers Prague. Après avoir veillé à tout et balayé la frontière, il revenait se prendre corps à corps avec le fantôme de la royauté. Il y fut devancé par un corps de ses Taborites qui, plus indignés et plus impatients que lui, pénétrèrent de nuit dans la vieille ville, s’emparèrent de trois maisons, et commencèrent la guerre intestine. Mais ils étaient trop peu nombreux pour avoir le dessus. Ils furent repoussés, tués en partie, et plusieurs, en se retirant, se noyèrent dans la Moldaw.

Ziska, en apprenant cette nouvelle, en fut consterné un instant. Il avait espéré dominer Prague sans coup férir, par sa seule présence, et la désabuser par ses conseils de son rêve de monarchie. Le mauvais accueil fait à ses imprudents avant-coureurs lui donnait à réfléchir. Entre les grands de Bohême qui voulaient Sigismond et le juste-milieu qui voulait Coribut, il se voyait seul avec ses Taborites ; et lui, qui avait conçu que sa mission se bornerait à défendre la patrie contre l’étranger, il se voyait aux prises au dedans avec deux partis contraires. Sa situation devenait terrible, et il approchait lentement de la capitale, perdu dans ses pensées, frappé peut-être de l’idée que sa mission était finie, et qu’il n’était plus l’homme de ce troisième parti qu’il fallait constituer politiquement et dessiner hardiment au milieu des deux autres. Si Ziska eut cette angoisse, que les historiens lui attribuent sans l’expliquer, ce fut une révélation de son destin. Cet homme, qui devait retremper le courage populaire et donner un nouvel élan à l’invincible taborisme, cet homme était debout. Il était déjà à l’œuvre. De vagues prophéties taborites portaient que Ziska rendrait la Bohême glorieuse pendant sept ans, et qu’il mourrait pour revivre dans un autre héros qui, pendant sept ans encore, continuerait son œuvre. Ce héros était Procope le Rasé, Procope le Grand, Procope le Picard[2], c’est-à-dire le vrai Taborite. Ziska le Calixtin, le médiateur impossible entre ces partis arrivés à l’heure d’explosion, devait jeter quelque éclat et mourir à temps, car il ne lui restait plus qu’à choisir entre l’abandon des siens ou celui de sa propre gloire.

Hésitant à jeter la torche au sein du Hussitisme, il envoya des députés à Prague d’abord, pour désavouer l’équipée que ses gens venaient d’y faire ; ensuite pour exhorter le parti calixtin à ne point élire Coribut. Il se faisait fort, disait-il, de défendre la Bohême contre l’Empereur et contre les grands, sans qu’il fût besoin qu’un peuple libre s’assujettît à un roi. « Ceux de Prague répondirent qu’ils étaient bien aises qu’il n’eût point de part à la dernière irruption des Taborites ; mais qu’ils étaient fort étonnés qu’il leur déconseillât Coribut, puisqu’il n’ignorait pas que toute république a besoin d’un chef. » À cette réponse, Ziska comprit qu’on ne voulait plus qu’il fût ce chef nécessaire ; et, blessé de voir préféré un étranger au bouclier éprouvé de la patrie, il s’écria en levant son bâton de commandement : J’ai par deux fois délivré ceux de Prague ; mais je suis résolu de les perdre, et je ferai voir que je puis également et sauver et opprimer ma patrie.

  1. Ou Jacques de Mise, celui qui avait été disciple et ami de Jean Huss et qui, apparemment, était dans les mêmes sentiments que les Picards.
  2. Il avait été compromis et arrêté dans l’affaire de Martin Loquis, et il avait sans doute dû son statut au moine Prémontré.