L’Église (Halévy)

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L’Église.

C’était un jour de fête, et l’église était belle ;
Un linge blanc brillait dans la sainte chapelle ;
Un soleil caressant
Glissait avec amour au fond du sanctuaire ;
Mais seul il animait l’église solitaire :
Le peuple était absent.

C’est un triste tableau qu’une église déserte,
Quand le peuple surtout, par la porte entr’ouverte,
Voit, passe et n’entre pas.
Un homme entra pourtant, mais courbé vers la terre,
Pâle, humble et tout craintif… On lisait sa misère
À chacun de ses pas.

C’était un vieux maçon, vieux de peine et non d’âge ;
Il entra lentement, et fit, sur mon passage,
Le signe de la croix ;
Puis ploya le genou sur la dalle luisante,
Et je vis tous ses maux, de sa lèvre tremblante,
S’échapper à la fois.

Oh ! qu’ils étaient pesans ! Que sa tête vieillie
Tombait avec douleur sous le poids de la vie !…
Venez, accourez tous !

Que d’éloquence, ô ciel, dans ces pleurs solitaires !
Je voyais devant moi des milliers de nos frères
Dans cet homme à genoux.

« Exaucez-le, me dis-je, ô Dieu plein de clémence !
Qu’il porte sur son front de peine et de souffrance !
Lorsqu’il prie en ce lieu,
Peut-être il a chez lui des enfans qui se meurent !
Peut-être ils ont tous faim, et l’attendant, ils pleurent !
Exaucez-le, grand Dieu ! »

Et j’entendais rouler le brillant équipage,
Et de la ville en fête après ses jours d’ouvrage,
Le murmure lointain ;
Puis mon œil retombait sur cet homme en prière ;
Et je priais pour lui, pour sa femme et son père,
Et ses enfans sans pain !

Il partit consolé ; du moins sur son visage,
Je vis du désespoir s’éclaircir le nuage ;
D’un pas plus assuré
Il regagna le seuil où la douleur s’arrête,
Et je vis à la place où s’inclinait sa tête,
Qu’un homme avait pleuré !

Ah ! laissez-les debout, ces pieux édifices,
Où le cœur vient fermer ses vieilles cicatrices,
Et parle à Dieu tout bas !
La foule n’y vient plus ; mais aux jours de souffrance,
Puisqu’un seul homme encore y trouve l’espérance,
Ne les abattez pas.


Léon Halevy.