L’Homœopathie, épître aux allopathes

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L’HOMOEOPATHIE
ÉPÎTRE AUX ALLOPATHES
À L’OCCASION DU CONGRÈS SPÉCIAL TENU À BORDEAUX EN 1854




HOMMAGE RESPECTUEUX
adressé à la veuve hahnemann par un admirateur de son zélé dévouement

en faveur des affligés


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I.


Veuve de l’astre éteint qui nous fit la lumière,
Gardienne des flots purs de la clarté première,
Permets que, sous tes yeux, humble et digne à la fois,
Stimulant d’un défi les tenants d’autrefois,
Paré pour le champ clos d’une armure élégante,
J’enseigne aux plus hautains comme un preux se dégante.

Sans doute la plupart, dès longtemps convaincus,
D’avance au fond du cœur se déclarent vaincus,

En voyant autour d’eux quels débris s’amoncellent
Et tressaillir le sol sous leurs pieds qui chancellent,
Partageant nos dédains contre un art dépassé,
Retombé lourdement dans la nuit du passé,
Sûrs de céder la place au droit qui la dispute,
Ils ne déclinent rien des torts qu’on leur impute.
Nous le savons. Ceux-là, parmi nous bien venus,
Sont absous des griefs dont ils sont convenus.
Mais quant aux obstinés de la marche vulgaire,
À défaut de merci, qu’ils acceptent la guerre ;
La guerre — sans repos, et courtoise d’ailleurs. —
Donc, la bannière au vent, viennent les batailleurs !


II.


Le monde en a fini de la méthode ancienne,
Battue et mise à mort par le récent congrès.
D’un grand homme, toujours, Dieu date le progrès
Hippocrate eut son ère, Hahnemann a la sienne.
Vainement le génie aspire aux droits du temps :
À cet ambitieux le ciel répond : attends !
Comme aussi, malgré tous, rayonne, triomphante,
La vérité promise au siècle qui l’enfante.
Qu’on n’espère donc plus désormais étouffer
L’arbre que trois mille ans ont pris soin de greffer.

Les fruits prodigieux que l’art nouveau renferme
Ont, aux mains d’Hippocrate, avorté dans leur germe :
N’ayant pu qu’entrevoir ce qui pour nous est clair,
Il fut, au sein de l’ombre, aveuglé par l’éclair ;
Les temps n’étaient point mûrs ; l’immense découverte
Eût expiré plus tôt sur sa tige trop verte :
La science, les mœurs, l’être, tout dut changer,
Pour qu’un bienfait si grand arrivât sans danger.
Bien loin de notre esprit la mauvaise pensée
De discuter la gloire au sage dispensée !
Ses titres glorieux, s’il le fallait, par nous,
Scellés de notre sang, le seraient à genoux ;
Nul n’a mieux connu l’homme ; et ce guide fidèle
Des plus sûrs diagnostics offre encor le modèle.
Mais là se borne enfin son magique pouvoir :
L’œil humain se clôt vite et ne peut pas tout voir.


III.


Pour l’éternel souci des races moutonnières
Les sentiers trop battus s’effondrent en ornières ;
Il fallait donc un bras fait de muscles d’airain
Pour frayer une voie hors du banal terrain.
Hahnemann le sentait ; sa nature géante

Osa tirer le char de la route béante ;
Et, dégageant l’essieu par la fange épaissi,
— Nous voilà de niveau, dit-il, marchons ici !
Et la science alors apparut sans mystère.


Ainsi donc, en pitié des malheurs de la terre,
Et, peut-être, à dessein d’en terminer le cours,
Le ciel à nos besoins mesurait le secours.
Niera t-on les faveurs que sa main nous destine ?
Déjà, de tous côtés, rampe et meurt la routine ;
Des moyens que jadis l’homme n’eût point rêvés
Nous viennent si complets, qu’on les dirait trouvés.
D’un bout de l’univers, la moindre capitale,
Lançant à l’autre bout sa foudre horizontale,
Le temps d’écrire un mot et de frapper un coup,
Nous savons à Paris ce qu’on fait à Moscou.
La vapeur, déployant ses forces titanesques,
Donne à la Vérité des semblants romanesques.
La distance est un jeu ; nous fuyons sur le sol
Plus vite que l’oiseau dans l’air ne passe au vol ;
Et quand tout, à l’envi, se meut en concurrence,
Nous moisirions ancrés dans la vieille ignorance !
Tantales du progrès oubliés par le ciel,
Nous n’aurions point nos parts du luxe officiel !
C’est calomnier Dieu, dont la bonté prodigue
Jamais au genre humain n’ouvrit plus large digue.

Si nous marchions d’accord sur les chemins tracés,
Quels peuples, quels travaux ne seraient distancés !



En avant donc, traînards ! la marâtre Coutume
N’a qu’un lait sans vigueur saturé d’amertume ;
Plus vous épuiseriez ses mamelons flétris,
Plus s’aigrirait le fiel dont ils furent pétris.
La nature est féconde en puissantes ressources ;
Il en est temps encor, vivez des fortes sources,
Et ne figurez plus, loin du fleuve divin,
L’arbuste étiolé que l’onde appelle en vain.


IV.


Quel champ vous est ouvert par la loi des semblables
Qui ne laisse à la mort que des troncs incurables !
Une fois constaté l’incident anormal,
Le remède est connu, le doigt est sur le mal.
Il ne s’agit plus là de lueurs indécises :
Où le trouble est flagrant, les clartés sont précises.
Le secours au hasard ne peut être donné ;
Par les maux ressentis lui-même est ordonné,
Et l’effet est si prompt qu’on en doute peut-être.



Dans un poste d’honneur figurez-vous un traître

Qui, pendant que chacun parait s’être endormi,
Cherche à livrer la place au fer de l’ennemi ;
Un chef silencieux, que le soupçon éveille,
Voit l’infâme en travail, le suit et le surveille ;
Puis, dès qu’il a jugé son criminel dessein,
Le désigne du geste, aux coups d’un assassin ;
Si bien que tout le corps, sauvé de la détresse,
D’un traître est délivré par la forme traîtresse



C’est ainsi qu’Hahnemann aux agents destructeurs
Selon qu’ils vont agir suscite des lutteurs.
Et comment combat-il les plus graves symptômes ?
Là gît le point sacré ; par des riens, des atomes.
D’impondérables sels, des suints de liqueurs.
Si légers, si subtils qu’on les croirait moqueurs ;
Quintessence d’éther, au fond des cieux ravie,
Car elle porte en soi l’étincelle de vie !
L’ignorant, en secret, sourit à ce propos ;
La santé, selon lui, ne se boit qu’à pleins pots.
De l’acide effrayant nommé cyanhydrique
Mouillez une lancette, et sitôt qu’on l’en pique,
Un bœuf à l’instant même expire foudroyé :
L’ignorant, de cela, voudrait être noyé.
En raison de la dose, il juge qu’elle opère ;
Et tel qui pense ainsi fuit devant la vipère.
Laissons donc du danger son instinct l’avertir :

La seule clairvoyance importe à convertir.
Eussions-nous à montrer les preuves les plus nettes,
Sous les yeux d’un aveugle à quoi bon des lunettes ?


V.


Sauf erreur, jusqu’ici, mes vers substantiels
Ont traité bien ou mal des points essentiels ;
Tout d’abord qu’Hippocrate, ou l’art à sa naissance,
Au temps où nous vivons se mourait d’impuissance ;
Puis, que nous progressions vers un large avenir
Où Dieu, dans sa bonté, nous pressait de venir ;
Puis, enfin, du moment où son nom se révèle,
Qu’Hahnemann surgissait, créant la loi nouvelle,
Et que, seul entre tous, aux maux du genre humain
Il trouvait l’antidote, un compas à la main,
Sans jamais s’entourer d’appareils illusoires,
Trop souvent à la fois cruels et dérisoires.
Il me reste à prouver quels titres sont les siens
À triompher surtout des arcanes anciens.
La vieille Faculté, par bonheur incapable,
S’il n’en était ainsi, serait bien plus coupable.
En effet, elle abonde eu funestes détails
Qui font de ses moyens autant d’épouvantails.

Exemple : elle signale un cas de pleurésie.
Vite, des tourmenteurs la sombre frénésie,
Appelant ciel et terre en aide à leurs efforts,
Pour extirper le mal tapi sous ses renforts,
L’investira soudain comme une citadelle.
S’agit-il d’une femme, on s’empresse autour d’elle ;
Aux reptiles hideux que des marchands rivaux
Gorgent dans les marais du farcin des chevaux,
La douce patiente, à peine prévenue,
Aussitôt livrera des trésors de chair nue.
La sangsue alourdie et le mal persistant,
Sur les points suspectés la lancette hésitant,
Ici, plus loin, partout, l’acier plonge et s’abreuve.
Supposé qu’on résiste à cette rude épreuve,
Vous n’êtes point au bout, l’allopathe sait ça :
Reste la cantharide annonçant le moxa ;
D’où suit qu’en peu de temps, une atteinte légère
A fait déchoir Vénus du niveau de Mégère ;
Tandis que sans douleur, pour que le mal finit,
Peut-être il suffisait d’un soupçon d’aconit !


VI.


Quels faits passés d’hier, et dont l’orgueil se joue,
L’ont souffleté pourtant à plat sur chaque joue !

Paris, Londres, Marseille, Aix, Gênes et Varna
Vous ont dit quel fléau contre elles s’acharna :
Des nids les plus moelleux, des plus vertes charmilles
S’exhalait le poison qui tuait des familles ;
Achevant le travail qu’il venait d’ébaucher,
L’insatiable Mort se lassait de faucher.
Un air contagieux, rempli de clameurs vaines,
Du tissu des poumons s’infiltrant dans les veines,
De l’humble toit du pauvre aux somptueux manoirs,
Des époux, niant Dieu, tordaient leurs crêpes noirs ;
Point de maison sans deuil, de paupières sans larmes ;
Le soldat invaincu, tout couvert de ses armes,
Convié vainement aux fêtes du canon,
S’indignait d’un trépas sans échos pour son nom.


Qu’ont fait alors les chefs de la saine doctrine ?
Ont-ils su maîtriser le mal dans la poitrine ?
Et quand il sévissait de toute sa fureur,
Ne les a-t-on point vus stupéfiés d’horreur ?
C’était là le moment pour la caste savante
D’épuiser l’arsenal que sa morgue nous vante.
Mais non ; pour l’excuser pas le moindre succès :
Appel, visite, soins, agonie et décès,
En six mots, en un vers, on résume l’histoire
Des résultats permis au docte consistoire.
Et, pendant ce temps-là, nous, humbles dissidents,

Constatant nos pouvoirs par des traits évidents,
Comme eût fait un démon frappé des saintes bulles
Nous voyions le fléau fuir devant nos globules ;
Partout où nos amis avaient pu pénétrer,
Le monstre menaçait, mais n’osait pas entrer.
Parcourant les cités qu’on peuplait d’hétacombes,
Nous sauvions les mourants dont se creusaient les tombes ;
Les soldats, en secret, n’enterraient plus leurs morts,
Et sûrs d’être bénis, nous étions sans remords.



Puissent nos opposants, pleins d’une foi pareille,
Dormir ainsi que nous sur l’une et l’autre oreille !
Au jour de la justice et de la vérité
On saura qui de nous a le mieux mérités.


Hippolyte RAYNAL.


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