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La Belgique/03

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LA BELGIQUE,
SA RÉVOLUTION ET SA NATIONALITÉ.

DERNIÈRE PARTIE.

Une opinion universellement répandue en Europe nuira, plus que toute autre cause, à la consolidation de l’indépendance belge. On ne croit guère à une nationalité qui a protesté trois siècles contre chaque domination étrangère, sans avoir la force de s’élever d’une émeute à une révolution, et l’on semble envisager comme provisoire un établissement que les combinaisons de la politique générale briseraient sans scrupule comme sans résistance. Ainsi qu’au dernier siècle les îles à sucre et à girofle passaient de main en main, cédées, échangées ou vendues, selon le sort des combats ou les convenances financières, la Belgique paraît destinée à voir son sort se régler sans elle par une bataille ou par un congrès.

Ce pays a beaucoup à faire pour se relever aux yeux du monde de sa longue déchéance intellectuelle et politique. Le pourra-t-il ? nous le croyons. Le voudra-t-il ? nous l’espérons ; car c’est toujours chose heureuse que de voir s’épanouir la nature, long-temps étiolée sous la politique ; et l’intérêt bien compris de la France, que nous ne sommes pas assez philosophe pour ne pas faire passer avant tous les autres, ne nous paraît pas devoir contrarier ces vœux de durée et d’avenir. Que ce pays prenne foi et confiance, que son gouvernement sache tirer parti d’une situation analogue à celle qui fut pour la maison de Savoie, toujours menacée et toujours debout, le principe de ses développemens successifs. Le lion belge garde quelque chose de plus précieux encore que l’entrée de l’Italie, et son alliance sera recherchée au même titre que le fut si long-temps celle du geôlier des Alpes. Une monarchie établie dans une position semblable n’est pas, autant qu’on le croit, à la merci des évènemens extérieurs. Si elle doit mourir, ce sera faute d’habileté plutôt que faute de ressources. Il faut de spécieux prétextes pour rayer de la liste des nations un peuple qui veut vivre. On n’en manqua pas contre la Pologne, abîmée dans l’anarchie ; et quand Napoléon acheva Venise, elle n’avait conservé de son antique grandeur que la mascarade du Bucentaure.

Il peut se faire que la Belgique se laisse envahir elle-même par des doutes et des arrière-pensées qui lui seraient mortels ; on pourrait craindre surtout pour elle qu’elle se laissât traîner à la remorque des idées françaises, au point d’avoir tous les inconvéniens de nos institutions sans aucun de leurs avantages, et qu’en négligeant de développer les élémens de sa vitalité propre, elle n’avançât elle-même le jour de son absorption au sein d’une puissante unité. Ce que ses hommes d’état doivent donc demander aux institutions politiques, c’est moins la perfection du mécanisme des nôtres, qu’un moyen de développement pour le génie belge dans ce qu’il a de natif. Il importe moins à ce pays d’avoir d’excellentes lois et une administration habile, que des lois et une administration nationales. Se distinguer de la France par une large extension des libertés provinciales et communales, si long-temps pratiquées dans les Pays-Bas, par des applications nombreuses et fécondes du principe d’association, étranger à nos habitudes, et que les Belges manient mieux que nous ; fonder un régime simple et modeste, qui ne donne pas de prime aux hautes ambitions politiques, instrumens nécessaires de la gloire des grands états, dangereuses et mal à l’aise sur un étroit théâtre ; appeler au gouvernement les influences naturelles en les douant graduellement de l’aptitude qui leur manque ; combiner enfin l’esprit agricole et local de la Suisse avec le génie commercial et entreprenant de la Hollande et des villes anséatiques : telle devrait être la constante préoccupation des hommes appelés à préparer les destinées de la Belgique.

C’est en partant de cette idée que nous jetterons un rapide coup d’œil sur la constitution politique que ce pays s’est donnée, au sortir de sa révolution, et sur l’ensemble de son régime administratif, cette seconde constitution des nations modernes, plus importante encore que la première.

Ces institutions peuvent être envisagées sous trois rapports divers :

1o Le droit public qu’elles consacrent ;

2o Les formes du gouvernement qu’elles établissent ;

3o Le régime local, que des mesures plus récentes ont complété.

Les lois conçues au sein d’une révolution, et après une longue résistance à des tentatives d’arbitraire, sont toujours palpitantes des passions du moment, et semblent dirigées contre le passé, beaucoup plus qu’elles ne sont propres à garantir l’avenir. Alors les principes dont il a été fait abus sont solennellement révoqués, les intérêts menacés sont rassurés par des dispositions largement protectrices, dont le moindre inconvénient est d’être inutiles du moment où la position est changée. On se défend contre un ennemi qui n’est plus ; sans se mettre en garde contre l’ennemi nouveau auquel il va falloir faire face. La Belgique venait de se soulever contre les tentatives de la maison de Nassau ; elle avait combattu long-temps pour la liberté de sa foi, de sa pensée et même de sa langue aussi s’attacha-t-elle à donner à ces grands intérêts des garanties fort convenables sans doute sous le roi Guillaume, mais qui perdaient une grande partie de leur importance sous un gouvernement national. La liberté des cultes, et de l’enseignement surtout, fut assise sur des bases tellement hardies et tellement nouvelles dans le droit constitutionnel, que la position du gouvernement belge est, sous ce rapport, unique en Europe.

« La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toutes matières, sont garanties.

« Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et cérémonies d’un culte, ni d’en observer les jours de repos.

« L’état n’a le droit d’intervenir ni dans la nomination, ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.

« L’enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite ; la répression des délits n’est réglée que par la loi[1]. »

Ainsi s’exprime la constitution ; ainsi sont résumées les idées dont l’union catholico-libérale avait amené le triomphe.

On comprend que les Irlandais catholiques, soumis au régime anglican, réclament tout cela ; rien ne serait plus naturel que d’entendre les malheureux Polonais, si leurs plaintes pouvaient trouver quelque organe et quelque écho, exiger des garanties analogues pour leur foi corrompue dans son enseignement, pour leur clergé menacé dans sa hiérarchie et son indépendance. Mais une position défensive peut-elle se changer en une situation normale et permanente ? N’y a-t-il pas une contradiction manifeste entre le maintien du traitement ecclésiastique, annuellement voté par les chambres[2], et cette indépendance absolue, qui ne s’étend pas seulement aux doctrines où elle devrait être de droit commun, mais au choix même des personnes ? L’épiscopat et les chapitres belges se recruteront souverainement dans leurs propres rangs, à la manière de ces vieilles corporations municipales que la réforme vient de briser en Angleterre. Un gouvernement national s’exerçant, non pas dans un pays divisé de sectes et de croyances comme l’Amérique du Nord, mais au sein d’une population dont les dix-neuf vingtièmes sont ardemment catholiques, peut-il sans inconvénient pour la religion, sans quelque danger pour lui-même et pour la minorité dissidente, renoncer à tout contrôle sur le personnel du clergé et celui de l’instruction publique ? question immense que l’avenir du peuple belge décidera, et dont la solution ne sera pas sans influence sur nos propres destinées.

Nous étions, en 1830, du nombre de ceux qui réclamaient le plus vivement la séparation de l’état et de l’église ; nous la demandâmes d’abord à la restauration, pour arracher nos croyances à une protection aussi dangereuse pour elles-mêmes que pour le trône qui l’octroyait ; nous la réclamâmes, avec plus d’insistance encore, de la révolution de juillet ; car un parti qui fut alors bien près du triomphe, eût infligé au catholicisme, accablé sous une impopularité passagère, une de ces positions auxquelles on n’échappe que par la liberté.

Sans avoir jamais eu aucune solidarité avec un journal qui a profondément remué le sol de la Belgique, et dont le souvenir est vivant encore en ce pays, nous avions des doctrines religieuses communes, et quelques sympathies politiques analogues, quoique moins ardentes. Nous pouvons donc comprendre mieux que d’autres le mouvement d’idées qui a présidé à l’œuvre du 7 février 1831.

L’Avenir est fondé à réclamer une grande part dans ce travail. C’était merveille, en effet, de voir ce clergé et ces honnêtes catholiques belges, qui, quelques années auparavant, se signaient d’horreur à l’idée de la liberté des cultes et de la presse, et repoussaient la loi fondamentale de 1815, parce qu’elle contenait des dispositions trop libérales, réclamer avec véhémence toutes les conséquences du principe de liberté, auquel les évènemens les avaient récemment convertis. C’est le propre de l’esprit clérical d’être éminemment logique. Le tour habituel de la pensée, la séquestration du monde, l’exaltation qu’elle engendre, expliquent et justifient cette disposition, plus favorable aux spéculations métaphysiques qu’aux applications, si souples et si variées, de la vie sociale.

Le clergé belge, celui des Flandres surtout, appartient presque tout entier aux idées démocratiques et aux théories libérales que l’école de M. de La Mennais n’eût réussi à propager en France qu’autant que le libre exercice du culte catholique y eût été menacé par le pouvoir. Ce clergé déduit mathématiquement la conséquence du principe électif, comme le célèbre écrivain déduisit imperturbablement, pendant dix années, celle du principe contraire, avec une inflexibilité qui ne reculait pas plus devant les objections de l’histoire que devant les résistances du temps. Dans la discussion de la constitution, dans celle de ses lois complémentaires, le parti catholique a été et continue d’être le plus puissant auxiliaire des théoriciens de l’école de gauche ; lui seul est aujourd’hui en mesure d’imposer des conditions au pouvoir, et de réclamer avec succès en faveur des principes libéraux contre la tendance centralisante du parti des hommes politiques ; car le libéralisme à la française compte à peine quelques voix dans la chambre des représentans, et il est tout-à-fait nul dans le sénat.

La constitution belge est donc, à double titre, l’œuvre du parti catholique. Il l’a d’abord combinée en s’appuyant sur l’autre nuance de l’Union, puis il l’a fait accepter par les populations dont il dispose. Rien de si piquant que la physionomie de ses principaux organes parlementaires, esprits bornés et nobles cœurs, où les vertus privées ne suppléent pas le manque d’expérience, braves gens sortis de leurs châteaux et de leurs fabriques, pétris de bonnes intentions et tout hérissés de préjugés, de la même pâte que ces tories de vieille roche, dont sir Walter Scott a crayonné tant et de si vivans portraits.

Il ne faut pas se faire illusion néanmoins sur cette rigueur puritaine ; en même temps qu’on la professe avec une entière bonne foi, il se trouve qu’elle sert au mieux les intérêts qu’on a le plus à cœur de protéger, et qu’elle permet de concilier tous les avantages du pouvoir avec ceux de la popularité, ou plutôt de conquérir les uns par les autres. La liberté n’est pas une abstraction plus que la foi ; elle doit se résoudre en actes positifs du moment où, dans l’exercice des fonctions publiques, on est appelé à en appliquer les formules. C’est ainsi que, lorsqu’il s’est agi d’organiser l’enseignement public, la majorité législative et le ministère qui en émane, ont habilement combiné les dispositions de la loi, de manière à garantir, ainsi qu’on le montrera plus tard, une haute prépondérance à l’enseignement catholique, et qu’en toute circonstance l’intérêt religieux trouve au sein des chambres un concours actif et dévoué. Pourrait-il en être autrement ? qui s’étonnera que, dans l’exercice d’un ministère libre et consciencieux, la conscience individuelle soit consultée, et que la liberté, greffée sur un tronc religieux, porte des fruits parfumés de la saveur de son origine ?

Ce qui se passe au sein des pouvoirs parlementaires, en face de la tribune et de la presse, doit arriver plus fréquemment encore dans l’administration locale. Quel régime assurerait aussi bien que celui des colléges administratifs la prépondérance du clergé dans les religieuses provinces des Flandres ou de la Campine ? Quand le curé sera-t-il plus en mesure de disposer des ressources communales, pour rehausser la splendeur du culte divin ou assurer son existence, que lorsqu’il dictera souverainement leurs choix à ses ouailles, et que l’administration sera commise à deux échevins et à un bourgmestre désignés par lui ? Que l’intérêt général ou celui d’une minorité dissidente se trouve en lutte, nous ne disons pas avec l’intérêt religieux, mais seulement avec un intérêt de sacristie, lequel pense-t-on qui reculera devant l’autre ?

S’il s’agissait d’opter entre l’ouverture d’une route vicinale ou la création d’une caisse d’épargne utile à tous, dans un avenir éloigné, et l’irrésistible plaisir de faire à la fois preuve de goût, de piété et de richesse, en bariolant et dorant de gothiques statues, peut-on douter de la puissance et du résultat de la tentation ? À en juger par l’irritation très vive qui déjà se développe au sein du parti catholique, parmi les hommes les plus ardemment dévoués à leurs croyances, dès qu’ils mettent la main à la pratique des affaires, contre l’action exercée par le clergé de quelques provinces dans la gestion des affaires locales, cette situation créerait au gouvernement et au catholicisme lui-même des obstacles de nature à faire peut-être redouter pour l’avenir une réaction dangereuse.

Le clergé gouverne la Belgique ; il la gouverne au nom de la liberté et par une application large et complète de ses principes. Jamais les idées de M. de Lafayette ne furent plus franchement pratiquées même en Amérique. Les théoriciens n’ont donc mot à dire contre une domination chaque jour légitimée par l’assentiment et le scrutin populaire. Il n’en est peut-être pas de même des hommes de pratique et d’expérience qui savent que la liberté est moins encore le terme que le moyen dans la grande œuvre sociale.

En étudiant l’histoire et en suivant les luttes intestines des peuples, on serait parfois tenté de se demander si la première condition de la liberté pratique ne serait pas la prépondérance incontestée d’une opinion ou d’un intérêt. Des écoles ou des partis égaux en force sont plus enclins à combattre qu’à traiter, à désirer la victoire qu’à se contenter de la liberté. Au contraire, lorsqu’une situation est solidement prise et que le parti dominant n’en peut plus être délogé, il répand la liberté dont il ne redoute plus l’usage, et qui, après tout, le sert plus spécialement lui-même. Ce qui rendit la liberté impossible en France en 89, c’est que le parti qui la voulait selon certaines conditions et dans certaines limites, était trop faible pour résister à celui qui n’en voulait pas et à ceux qui la comprenaient autrement que lui. Aujourd’hui la suprématie, chaque jour plus manifeste, de la classe et des intérêts bourgeois prépare un avenir dont la classe moyenne peut n’avoir pas le goût, mais où elle sera comme entraînée par sa force même. Le parti catholique est chez nos voisins ce qu’est le juste-milieu chez nous ; seulement comme il est encore plus fort, il n’a eu à faire ni état de siége, ni lois de septembre.

Hâtons-nous du reste de le dire : ce n’est pas d’après les idées parisiennes que l’état de la Belgique doit être apprécié. En France, la Bretagne seule pourrait faire comprendre ce pays ; mais en France, qui comprend la Bretagne ? Si la Belgique avait une nationalité forte et robuste, et que son avenir de peuple fût assuré, on pourrait conseiller à ses hommes d’état de modifier ce qu’il y a d’étrange et d’anormal dans ces influences dont l’imprudente action peut susciter des dangers aux intérêts sacrés qu’ils défendent : on pourrait alors songer à perfectionner les détails de l’administration, à la rendre plus active et plus simple. Mais la Belgique doit avoir de tout autres soucis ; il faut constituer sa nationalité, cultiver avec soin cette plante encore débile. Gardez-vous d’élaguer ses branches pendantes à l’aventure, laissez sa sève s’éparpiller en boutons et s’étendre en rameaux épais. Le moment de faire filer la tige n’est pas venu ; il faut que l’arbre prenne du corps ; ce serait plus qu’une imprudence de l’attaquer dans sa maîtresse racine, dans la seule qui la fasse vivre.

Si nous passons aux formes constitutives du gouvernement, on verra qu’elles ont été combinées sous des influences analogues, et que c’est à un tout autre point de vue qu’à celui où l’on se place d’ordinaire chez nous, qu’il convient de s’établir pour les apprécier.

La monarchie fut décrétée par le congrès belge à une majorité de cent soixante-quatorze voix contre treize, qui votèrent pour la république. Mais qu’on ne s’y trompe pas : quoique la presque unanimité de ce corps se prononçât pour l’érection d’un trône constitutionnel, un très grand nombre de ses membres, d’entre ceux appartenant au parti catholique surtout, firent, dans cette circonstance, un véritable sacrifice aux terreurs que le mot de république éveillait dans tous les esprits. S’ils n’avaient consulté que l’entraînement de leurs idées théoriques et de leurs antipathies prononcées, ils auraient proclamé la forme républicaine. Ils reculèrent devant des souvenirs hideux, rajeunis par l’admiration d’un parti fanatique qui ne peut imputer qu’à lui-même ses humiliations et ses défaites. Dans les circonstances les plus favorables, ce parti a succombé en Belgique comme en France sous le sceau d’impiété qu’il porte au front ; c’est la civilisation chrétienne qui s’est levée contre lui, et l’a enchaîné comme l’ange de l’abîme.

Mais si le congrès belge proclama la royauté, ce fut en ne lui donnant qu’une part fort exiguë dans les affaires du pays ; il ne lui réserva guère qu’un rôle négatif, se préoccupant plus de la nécessité d’échapper à la république que du soin de constituer la monarchie.

Le pouvoir judiciaire, qui, en France, émane du roi, fut enlevé au monarque en Belgique, ainsi que la nomination des fonctionnaires de cet ordre, laquelle ne s’opère que sur présentation faite par les chambres législatives, par les conseils provinciaux, ou par les cours et tribunaux eux-mêmes[3]. Il ne nomme aux emplois d’administration que sous les exceptions déterminées par la loi et que celle-ci peut étendre (art. 66). Les chambres s’assemblent de droit et sans convocation royale à une époque déterminée (70). La durée de leur session obligatoire est également déterminée par la loi (ibid., § 2). Le roi est sans action, même indirecte, sur le choix des membres du sénat, nommés par les mêmes électeurs que les représentans, et selon le même mode que ceux-ci (83). Enfin l’inviolabilité de la personne royale semble même n’avoir été consacrée qu’avec certaines réserves[4].

On doit savoir gré à un prince d’avoir accepté une telle situation, alors entourée de tant de périls. La Belgique a fait un choix heureux et sage. Elle-même et son monarque ont lieu d’être satisfaits l’un de l’autre. À peine assis sur le fauteuil drapé en trône, Léopold se vit soumis à la plus cruelle des épreuves ; et au milieu des désastres de son avènement, il ne désespéra pas de l’avenir. Son sens droit et la considération personnelle que lui accorde l’Europe contribueront à garantir cet avenir à sa patrie adoptive. Ce prince a bien compris ce pays de mœurs simples et jalouses, et au préjudice peut-être de ses inclinations personnelles, il a su appeler et maintenir aux affaires le parti qui y apporte, après tout, le plus de puissance morale et de popularité.

Il ne s’agit pas d’élever dans une contrée sans imagination et sans souvenirs monarchiques un trône entouré de pompes et de prestiges ; une telle tentative serait mortelle à la royauté en même temps qu’à la nationalité belge. Il s’agit moins encore de créer là de ces grandes existences politiques qui font aspirer à la vie parlementaire comme au premier degré d’une haute fortune et d’une illustre renommée. Des ministres à 24,000 francs de traitement, qui, après plusieurs années de fonctions remplies d’une manière plus consciencieuse qu’éclatante, auront pour perspective de descendre au rang modeste de gouverneur de leur ville natale ou de rentrer dans l’obscurité avec des témoignages de l’estime publique ; un sénat électif composé de gros propriétaires et d’industriels ; des représentans salariés pour faire temporairement les affaires publiques sans y voir un moyen de faire les leurs : ce sont là des chimères dans un pays constitué comme le nôtre, et des réalités dans les chambres de la Belgique et les diètes de la Suisse. Les grands états ont des conditions d’existence auxquelles on essaierait en vain de les contraindre à manquer. C’est dans leur sein, et par l’importance même des résultats qui sont à la fois son but et sa récompense, que l’esprit humain se développe ; si les sociétés d’un autre ordre gagnent souvent en bonheur et en moralité ce qu’elles perdent en éclat et en influence, c’est là une compensation que la sagesse devrait accepter sans doute, mais qui pourtant ne satisfait guère aux instincts des peuples modernes.

Les chambres ont dû hériter des attributions enlevées au roi. Elles en ont, en effet, d’importantes que notre Charte ne garantit pas, quoique l’usage les consacre pour la plupart. Tels sont, par exemple, le droit d’enquête avec toutes ses conséquences (40), la faculté d’exiger des ministres des explications sur toutes les pétitions (43) et sur l’état des relations diplomatiques (68).

Le droit de se réunir chaque année sans convocation préalable le deuxième mardi de novembre, la suppression des scrutins secrets, et l’obligation de voter à haute voix sur toutes les questions (39), l’indemnité mensuelle de 200 florins qui garantit l’indépendance des représentans (52), choisis sans aucune condition d’éligibilité, la grande fortune territoriale que suppose le cens d’éligibilité au sénat, l’impossibilité d’offrir une amorce aux ambitions par des fonctions publiques largement rétribuées : tout concourt enfin à annuler avec l’influence ministérielle l’importance même des fonctions de ministre, et à consacrer l’omnipotence parlementaire en pratique aussi bien qu’en théorie.

Le sénat belge est élu pour huit ans, l’autre chambre pour quatre années seulement (51). L’un et l’autre se renouvellent ensemble en deux séries, mais peuvent être dissous séparément (51, 55).

Le cens de 1,000 florins imposé aux sénateurs, et l’obligation de résider à Bruxelles sans indemnité, ont, selon l’esprit et le vœu de la constitution, appelé au sénat toutes les notabilités territoriales des provinces. On dirait un conseil général discutant autour d’un tapis vert et sans l’appareil de la tribune, qui est à la pensée politique ce qu’était le masque dramatique à la parole des anciens, et réglant les affaires publiques avec la confiance et l’aplomb de gens qui n’ont pas mal fait les leurs. Pas de phrases, point ou peu d’esprit, une élaboration lente et difficile qui fait deviner la traduction française d’idées conçues en flamand ; mais en revanche une absence complète de prétention, des allures libres et fermes qui nous sont trop étrangères, et qu’on ne trouve pas là sans étonnement et sans plaisir. Si la Belgique est originale par quelques-unes de ses institutions politiques, c’est sans contredit par son sénat. La France donnerait mieux sous d’autres rapports, mais elle ne donnerait pas cela. C’est un fruit indigène qui doit mûrir et qu’il faut cultiver avec grand soin.

Notre pairie est, quoi qu’on puisse dire, une belle chose : il n’est pas de nation en Europe, sans excepter l’Angleterre, qui puisse présenter plus de lumières réunies à plus d’expérience. Tous les régimes et tous les systèmes ont jeté leurs débris sur ce rivage avant de disparaître sous les flots : on dirait l’histoire contemporaine personnifiée et toute vivante. Mais cette pairie n’est quelque chose que par l’éclat qui s’attache au rôle historique et aux antécédens personnels de ses membres. C’est pour cela que l’idée d’en fonder la grandeur et l’avenir sur l’hérédité nous parut toujours stérile et fausse, même sous la restauration, dont le principe lui prêtait une force factice ; c’est pour cela, sans donner bien d’autres raisons plus péremptoires encore, que l’espoir entretenu par quelques hommes de revenir un jour à cette institution sous le régime actuel, nous semble aussi dangereux que chimérique. L’hérédité ne représente rien dans un temps où l’on ne tire son autorité que de soi-même ; comme tous les ressorts portant à faux, elle serait un point d’arrêt pour le pouvoir beaucoup plutôt qu’un point d’appui. Une chambre des pairs dont les membres n’auraient plus, dès la seconde génération, cette auréole que l’homme n’emprunte aujourd’hui qu’aux grandes circonstances qu’il a traversées, serait repoussée par les mœurs autant que par les idées. À cet égard, la monomanie de la France est universelle, et dès-lors ce n’est plus une monomanie.

En Belgique, au contraire, les positions natives ont encore quelque valeur par elles-mêmes ; la fortune est un principe positif et pas seulement comme chez nous un moyen très éventuel d’influence. Aussi, ce pays, dont l’aristocratie a eu le bonheur d’échapper aux carrosses du roi et aux petits soupers, bonne vieille noblesse flamande restée attablée à la tabagie pour boire le faro et fumer le cigarre ; ce pays qui n’a connu ni les échafauds de Richelieu, ni les salons ambrés de la Pompadour, ni les folies de Coblentz, aurait pu tenter peut-être avec quelque succès la création d’une pairie héréditaire.

Fidèle à la rigueur du principe électif, il n’a pas même osé aller jusqu’à l’inamovibilité. Nous sommes tenté de l’en blâmer : remarquons cependant que l’inamovibilité aurait eu pour résultat nécessaire de créer de grandes positions politiques, d’en faire un besoin et un but pour la vie, et qu’il est fort douteux, ainsi que nous avons déjà eu occasion de le dire, que cette excitation continue soit de mise sur un théâtre aussi circonscrit. Beaucoup de liberté sans éclat, du bien-être sans illustration, moins d’hommes politiques que d’honorables citoyens : voilà, ce semble, la destinée naturelle de cette contrée. Lui suffira-t-elle ? je l’ignore ; mais ce que j’affirme, c’est que si ses vœux dépassent ce but, dans peu d’années la Belgique ne s’appartiendra plus à elle-même.

La loi électorale corrobore par son mécanisme l’action des influences territoriales et religieuses qui dominent les deux chambres, et dont le ministère actuel est l’expression la plus modérée et la plus habile. Le législateur a pris la population pour base unique du droit électoral[5]. Pour rendre ce système possible dans l’application, une sorte d’égalité relative a été établie entre les campagnes et les villes, d’après un cens variable qui s’abaisse jusqu’à 20 florins pour les premières, et peut monter jusqu’à 80 pour les secondes. Cette disposition de la loi, qui donne aux populations rurales environ trente-trois mille dix-huit électeurs, et aux populations urbaines quatorze mille huit cent trente-cinq seulement, est vivement attaquée aujourd’hui par le parti qui l’adopta d’enthousiasme aux premiers temps de la révolution, comme l’une de ses plus belles conquêtes.

Il est difficile de ne pas prévoir une modification plus ou moins éloignée à un pareil état de choses. On ne saurait se dissimuler, en effet, que les villes, grands centres d’industrie et de population, tenteront tous leurs efforts pour se faire relever du quasi-ilotisme qui pèse sur elles. Mais cette révolution parlementaire, que le parti des hommes politiques provoquerait peut-être en la réglant, ne sera pas de nature à changer d’une manière notable l’esprit du gouvernement. La bourgeoisie des villes n’est pas là comme en France en hostilité de mœurs, d’idées et de croyances avec l’aristocratie terrienne ; il n’est pas de couche sociale qui puisse y donner une majorité analogue aux nôtres.

Si nous passons maintenant à l’administration locale, nous aurons quelque lieu de nous étonner qu’un système si malheureusement essayé chez nous au début de notre révolution, et d’une application si visiblement impossible aujourd’hui même, marche depuis long-temps en ce pays et y reçoive chaque jour de plus complets développemens.

On sait que la Belgique est divisée en huit provinces ou départemens, subdivisés en districts ou arrondissemens, et en communes. Toutes ces divisions territoriales s’administrent d’une manière indépendante pour leurs intérêts locaux par des colléges d’administrateurs élus par elles. Les conseils provinciaux sont nommés par les mêmes électeurs qui concourent à la formation des chambres[6]. Ces conseils, composés de soixante-treize à quarante-cinq conseillers, selon l’importance respective des provinces, se réunissent de plein droit chaque année, comme les chambres elles-mêmes, le premier mardi de juillet (44). Les séances en sont publiques (51) ; on y vote aussi par appel nominal et à haute voix sur toutes les questions discutées (52). Ces corps prononcent sur toutes les affaires d’intérêt provincial (62) ; ils arrêtent chaque année les comptes des recettes et dépenses de l’exercice précédent, et votent le budget de l’exercice suivant avec les moyens d’y faire face (63). Ces budgets sont imprimés et déposés au greffe à l’inspection du public, qui en est informé par la voie du journal de la province (63).

Les dépenses sont classées, comme dans notre comptabilité départementale et municipale, en obligatoires et facultatives. L’approbation royale, et en certains cas, celle du corps législatif, sont exigées dans les limites et selon le mode usité chez nous. Mais ce qui sépare radicalement l’administration belge de la nôtre, c’est l’existence d’une députation permanente nommée par le conseil et prise dans son sein pour exécuter toutes les mesures arrêtées par lui, et vider le contentieux administratif.

Le gouverneur de la province, seul fonctionnaire nommé par le roi, préside la députation permanente où il a voix délibérative. L’autorité administrative est en entier dévolue à cette commission (106). En même temps qu’elle représente le conseil de la province lorsqu’il n’est pas assemblé, et qu’elle exerce collectivement les fonctions attribuées aux préfets par la loi française, elle a toutes les attributions de nos conseils de préfecture siégeant comme tribunaux administratifs (109). Elle mandate toutes les dépenses (112), soumet au conseil provincial les comptes et projets de budgets, provoque et éclaire ses délibérations (119).

Le gouverneur n’a mission que de veiller à l’instruction préalable des affaires soumises à la députation permanente (124) ; il n’est chargé que de l’exécution des délibérations prises par elle. Les actions de la province, en demandant et en défendant, sont exercées au nom de la députation, à la poursuite et à la diligence du gouverneur (124). Le seul droit de celui-ci, lorsque la députation a pris une résolution qui dépasse le cercle de ses attributions provinciales, est de prendre son recours dans les trois jours auprès du gouvernement, qui doit annuler la décision dans les quarante jours du recours, sans quoi elle est exécutoire de plein droit (125).

Cette faculté unie aux attributions de police générale forme toute la puissance du gouverneur de la province. Sans action sur les intérêts, sans action sur les opinions, chargé de la direction des bureaux sans pouvoir leur imprimer une impulsion personnelle, ce haut fonctionnaire joue un rôle qu’il serait assez difficile de caractériser, et à bien dire de comprendre dans des idées françaises.

Le commissaire d’arrondissement, aussi nommé par le roi, agit également sous la direction de la députation permanente (133) ; il veille, dans l’étendue de sa circonscription, à l’exécution des résolutions prises par elle ; mais pour ne pas blesser sans doute l’indépendance des régences urbaines, ses attributions ne s’étendent que sur les communes rurales et sur les villes d’une population inférieure à 5,000 ames (132).

Enfin, pour compléter ce système, la loi a doté ces grands corps provinciaux d’une prérogative qu’elle a refusée aux chambres législatives elles-mêmes. Le droit pour la couronne de dissoudre les conseils provinciaux, demandé par le ministère, fut rejeté dans la discussion sans avoir été vivement défendu par lui. On ne saurait s’expliquer une telle anomalie, un tel bouleversement des idées reçues en France, qu’en se reportant à l’antique importance des conseils locaux dans les provinces belgiques. Au sein de ces vieilles corporations politiques résidait, en effet, la souveraineté des Pays-Bas. L’autorité de l’empereur, duc de Brabant, marquis d’Anvers et comte de Flandre, ne descendait jusqu’au peuple que par l’intermédiaire des états, indissolubles de leur nature, comme gardiens des franchises populaires et du contrat qui unissait le prince à la nation.

Le gouvernement hollandais lui-même, malgré sa tendance centralisante, avait respecté ces vivans souvenirs et doté l’administration locale de larges et hautes prérogatives. Les états provinciaux, jusqu’en 1830, étaient composés de députés des villes, de représentans des campagnes et de membres de l’ordre équestre ou de la noblesse. Ces états jouissaient des attributions que la loi actuelle confère aux conseils provinciaux, et de leur sein sortaient en outre les membres de la seconde chambre des états-généraux. On voit qu’ils étaient à la fois corps administratif et politique.

L’administration collective a donc dans ces contrées des racines antiques et profondes. Si l’on en jugeait d’après les injures prodiguées dans les discussions parlementaires à « la domination à jamais abhorrée des maires et des préfets, » et en général au régime français, que ce pays n’a pu connaître, à la vérité, qu’à une époque de violence et d’arbitraire, il n’y aurait certainement pas à attendre de réaction vers nos formes administratives. Une tendance à l’unité du personnel, si jamais elle s’y manifestait, serait le signe le plus certain de la chute de la nationalité belge.

La loi communale, votée le 30 mars de cette année, a complété ce système en appliquant les infimes principes à l’organisation municipale. Les conseils communaux jouissent d’attributions analogues à celles qui sont conférées aux conseils provinciaux (131) ; mais leurs délibérations ne sont exécutives que sous l’approbation de la députation permanente de ces conseils (241 suiv.). Au sein du conseil municipal surgit un pouvoir nouveau pour nous : le collége d’échevinage, dont le bourgmestre est président[7]. Ce conseil administre à la pluralité des voix et dans les mêmes formes que la députation provinciale. Le bourgmestre et les échevins, sont nommés par le roi dans le sein du conseil (art. 2).

Ce mode, emprunté à la législation française et introduit pendant le cours des débats sur la loi communale, qui se sont prolongés deux sessions, est un terme de conciliation entre des doctrines absolues également repoussées par la chambre des représentans. On demandait, d’une part, que le roi pût nommer le bourgmestre sans condition, en tant que ce magistrat est chargé de l’exécution des lois générales, et on lui refusait alors voix délibérative au conseil communal ; de l’autre, on contestait à la couronne le droit d’influer en rien sur cette nomination, qui devait être laissée au choix libre du peuple, puisque la tâche spéciale du bourgmestre était de régler les intérêts locaux.

Ce système était celui de la vieille gauche et d’une portion véhémente de la majorité catholique, qui y trouvait à la fois satisfaction pour ses théories et garantie pour son influence. Cependant, par une de ces contradictions qui jaillissent d’une situation fausse, les mêmes membres catholiques réclamaient avec violence, pour l’autorité municipale, la police des lieux publics et la censure théâtrale, afin de résister aux essais de corruption populaire dont le théâtre en langue flamande est l’instrument le plus abject et le plus actif.

Il n’échappera sans doute à personne que l’ensemble de cette organisation est non-seulement analogue à celle que l’assemblée constituante décréta en 1789, mais, sous plusieurs rapports, identique avec elle. On sait que la loi du 22 décembre 1789, qui organisa les différentes subdivisions de notre territoire, créa un corps d’administrateurs, au nombre de trente-six par département, et que ceux-ci déléguaient huit d’entre eux pour composer l’administration journalière exécutive. Les autres membres formaient le conseil départemental, qui s’assemblait un mois chaque année pour recevoir les comptes des administrateurs exécutifs et régler les opérations de l’année suivante. L’administration des districts fut établie sur le même pied. Cet état de choses dura jusqu’à la proclamation du gouvernement révolutionnaire. Le 28 germinal an iii, lors de la réaction thermidorienne, un décret rétablit dans leurs attributions les administrations collectives ; et, malgré des modifications importantes, ce principe prévalut jusqu’à la promulgation de la constitution de l’an viii, laquelle assit l’administration française sur les bases qu’elle a conservées depuis.

L’administration collective a laissé parmi nous des souvenirs analogues à ceux que la Belgique a gardés des préfets de l’empire, et peut-être ces sentimens tiennent-ils à la même cause. Dans les temps où le bien est impossible, on accuse les lois, au lieu de s’en prendre à la situation elle-même. Un pays où le pouvoir absolu s’était attaché, depuis plusieurs siècles, à étouffer l’habitude de faire ses affaires soi-même, devait manquer d’expérience et de modération dans l’exercice du pouvoir qui lui était si soudainement déféré. Les libertés locales sont d’ailleurs celles dont l’usage présuppose au plus haut degré un état calme et paisible ; elles réclament l’action combinée de toutes les influences et de tous les dévouemens ; et ce n’était pas au moment où la révolution bouleversait le sol, où les temples étaient fermés et la propriété chancelante, que la vie municipale pouvait se développer et fleurir.

Une première épreuve, opérée en de telles circonstances, ne prouverait donc rien contre la valeur intrinsèque du système et ses chances éventuelles. Une plus longue habitude de la vie politique, une connaissance plus générale de l’administration, les années plus calmes qui semblent s’étendre devant nous comme le prix des souffrances de nos pères et de nos propres efforts ; enfin, le développement du principe électif, se combinant avec celui des lumières et de la richesse publique, fera-t-il jamais remettre aux corps délibérans des attributions administratives qu’ils sont aujourd’hui aussi incapables que peu jaloux d’exercer ? Question grave, qui ne saurait être incidemment traitée. Nous devons confesser seulement que si le pays paraît attacher un grand prix à surveiller le pouvoir et à contrôler ses actes, il en met peu à l’exercer par lui-même ; et sans nier que des idées analogues à celles de nos voisins ne prévalent un jour parmi nous, il faut reconnaître que ce jour est au moins fort éloigné, et que de tels besoins ne se manifestent pas encore.

Néanmoins, de tous les textes auxquels pourrait se rattacher l’opposition systématique de l’extrême gauche, condamnée à parler sans rien dire, en appuyant des hommes qui la repoussent, celui-là serait, je crois, le plus habile à prendre, le plus facile et le plus abondant à développer. L’organisation provinciale et communale de la Belgique est un thème que nous recommandons à M. Barrot.

Quand les questions constitutionnelles sont fixées et que le pays semble vouloir enfin s’asseoir dans la position qu’il s’est faite, il faut, à moins de se condamner à une éternelle impuissance, quitter le champ appauvri des débats politiques pour explorer un terrain plus neuf ; se donner la peine d’approfondir les questions extérieures préparées par l’état de l’Europe ; s’attacher à concilier les théories de l’économie sociale avec l’autorité des faits ; susciter graduellement dans le pays des instincts d’activité administrative et d’association ; introduire la morale dans la politique, en faisant de son estime la mesure de son concours : ce programme, sans doute, en vaudrait un autre, et pourrait n’être pas toujours repoussé par la France.

C’est un grand bonheur pour un peuple que de n’avoir pas à faire en un jour l’apprentissage de la liberté. Les Pays-Bas autrichiens se sont élevés de leurs vieilles franchises administratives jusqu’à la liberté politique ; la Prusse poursuit la même carrière, qui fut fermée devant la France par les aveugles préoccupations du pouvoir. L’habitude de faire ses propres affaires sans l’intervention de fonctionnaires étrangers, le gouvernement local par les hommes de la localité, tel est donc le principe de la nationalité belge, son moyen le plus fécond de développement. Il faut que ce pays se prépare une génération d’administrateurs intègres, de propriétaires capables, qui deviennent dans l’occasion hommes parlementaires, sans se laisser envahir par ce cosmopolitisme d’idées que la haute ambition inspire et que la vie publique surexcite : œuvre difficile, où la modération des goûts doit s’associer au développement des lumières, les croyances religieuses à une philantropie pratique, le génie catholique, enfin, à l’esprit du xixe siècle.

Là repose le seul espoir de cet avenir indépendant, que des passions ignorantes et brutales voudraient appuyer sur la haine de l’étranger, et qu’elles affectent de préparer en prêchant l’ingratitude au peuple que nos armes ont sauvé. Si l’imitation de la France, relativement à ses institutions intérieures, est un principe de mort pour la Belgique, l’influence française, dans ses relations politiques, est la première condition de son existence et de ses développemens. La France a créé son armée ; et pour mener à bien cette œuvre, nos dignes officiers essuient des épreuves plus difficiles à supporter que les périls du champ de bataille ; elle a envoyé à sa jeunesse des professeurs, qui, dans leur noble mission, ont à lutter contre des jalousies de bas étage et contre une presse dont la nôtre n’approcha jamais dans ses plus audacieuses libertés. Enfin, la Belgique subit l’action incessante de nos idées, de notre littérature, de notre langue, de tout ce qui constitue notre puissance intellectuelle. Dans une telle situation, l’exciter à répudier ce qui fait sa force, c’est laisser croire qu’on songe bien plutôt à frayer la voix à l’orangisme, qu’à développer la nationalité belge ; et, pour nous, ce soupçon approche fort de la certitude.

L’instruction publique, telle qu’elle est organisée, est-elle de nature à imprimer une heureuse impulsion à l’esprit public ? Que sortira-t-il du chaos où les incertitudes législatives ont engagé cette partie principale des institutions ? Dernier problème que nous ayons à aborder, et dont la solution résumera toute notre pensée.

La constitution belge proclama le principe de la liberté d’enseignement, d’une manière aussi absolue que celui de la liberté religieuse ; mais de même qu’elle maintint le budget du clergé en face de son indépendance, elle décida qu’il y aurait des universités où l’instruction donnée aux frais de l’état serait réglée par la loi[8].

Si cette constitution avait reconnu, ainsi que le fait la loi française, ne fût-ce que comme donnée statistique, car une telle énonciation ne saurait avoir une autre valeur, que le culte catholique est celui de la majorité des citoyens, on eût pu tirer de ce fait des inductions naturelles et légitimes sur la direction à imprimer à l’instruction religieuse et aux doctrines philosophiques dans les établissemens de l’état ; on aurait eu une sorte de présomption légale, à moins de manifestations contraires de la part des parens directement intéressés. Mais le gouvernement hollandais avait pesé sur l’enseignement et sur l’église d’une manière redoutable aux consciences, et l’on prit de telles réserves contre des dangers désormais impossibles, qu’on se prépara d’inextricables difficultés pour le moment où il faudrait discuter la loi organique et les matières de l’enseignement.

Les uns, s’appuyant sur l’incompétence absolue de l’état en matière religieuse, déclarèrent ne pas comprendre comment un gouvernement, qui ne peut avoir légalement ni croyances ni doctrines, pourrait diriger un enseignement sans prendre parti pour l’une d’entre elles, à moins de fonder autant de chaires qu’il y avait d’opinions dans le pays. On faisait remarquer avec raison qu’il n’est pas une des branches des connaissances humaines, depuis la métaphysique et l’histoire jusqu’aux sciences naturelles et médicales, qui ne touche aux bases même de l’esprit humain et aux problèmes les plus vivement controversés. L’on concluait que, pour être conséquente au principe, aussi bien que dans l’intérêt du pouvoir et de l’instruction elle-même, la législature devait placer l’enseignement sur le pied où il est établi dans les états de l’Union américaine.

Le gouvernement des États-Unis n’entretient en effet que des écoles militaires ; il n’exerce aucune juridiction sur les établissemens d’instruction publique, et ne leur accorde des subsides qu’à titre d’encouragement ou pour fondation de bibliothèques et de collections scientifiques.

À ces observations sans réplique on ne répondait rien, sinon que les deux tentatives qui s’étaient produites jusqu’alors, la création de l’université catholique et celle de l’université libre, n’étaient pas de nature à répondre à tous les besoins du pays, et que d’ailleurs le texte de la constitution supposait un enseignement gouvernemental.

La majorité s’engagea donc fort au hasard dans l’organisation universitaire, en laissant aux principes le soin de se concilier entre eux comme ils pourraient ; bien décidée, du reste, à exercer son influence sur le personnel, comme sur les matières et la direction de l’enseignement, quoique cette influence ne pût être légalement avouée.

On décréta donc le plan d’un vaste enseignement encyclopédique, copié sur les programmes indigestes des universités allemandes. La loi établit qu’il y aurait deux universités entretenues aux frais de l’état, l’une à Gand, l’autre à Liège[9].

Cette disposition par laquelle on parut vouloir satisfaire aux exigences de deux importantes cités, avait pourtant une portée toute différente. Il s’agissait de contraindre par voie indirecte la ville de Louvain, à laquelle on enlevait un établissement en pleine prospérité, à livrer à l’université fondée par les évêques, et provisoirement établie à Malines, ses magnifiques colléges, son immense bibliothèque, enfin tout ce qui s’attache de prestige à son vieux nom et à ses glorieux souvenirs. Ce plan, conçu avec plus d’habileté que de franchise, fut couronné d’un plein succès. Les offres de la régence furent acceptées avec empressement. Au bruit du canon de la garde civique et du bourdon de la vieille cathédrale dont les hautes tours tombèrent le jour même où mourut Juste-Lipse[10], sous ces gothiques arceaux où le moyen-âge sembla pour un jour secouer son sommeil, les prudhommes de la cité, traitant librement avec les délégués des évêques, leur remirent, par un contrat solennel, ces bâtiments grandioses où tout respire la méditation et l’étude, cette vaste halle aux draps que, selon la chronique brabançonne, cent cinquante mille ouvriers remplirent de leurs ouvrages, avant que de nombreux auditeurs ne s’y pressassent autour des doctes chaires.

Pendant que le parti catholique élevait ainsi, avec les modestes mais innombrables offrandes versées à la porte de chaque église, un établissement déjà imposant, l’école rationaliste, à l’aide de souscriptions recueillies par les journaux, formait une université libre. Cette tentative fut applaudie par tous les partis comme un hommage rendu à la liberté, et ces applaudissemens furent d’autant plus unanimes, qu’il était difficile de prévoir pour cet établissement un avenir durable et une influence sérieuse.

Quatre universités se partagent donc le royaume. L’une s’appuie sur le vieux dogme, immuable comme la vérité mathématique et l’humanité dans ses conditions essentielles ; l’autre essaie de formuler cette loi du progrès plus facile à proclamer qu’à définir ; enfin les deux universités ministérielles, composées de professeurs de toutes les écoles, de croyans de toutes les sectes, hommes individuellement honorables, mais choisis pour satisfaire aux exigences les plus contradictoires, les deux universités de Gand et de Liège, dont la presse recueille toutes les paroles pour les faire remonter jusqu’au pouvoir comme à leur source, sont réduites à faire ce qu’on appelle la science pour la science, c’est-à-dire à disserter sans conclure.

Aussi peut-on penser que nonobstant la valeur personnelle des professeurs, et quoique la France ait prêté à la Belgique des hommes[11] dont l’une et l’autre doivent être fières, les deux universités officielles, épiées à la fois par l’orthodoxie catholique et l’opposition libérale, ne sont guère appelées à exercer d’action philosophique sur le pays[12]. Les études spéciales, telles que le droit et la médecine, fleuriront seules à Gand et à Liège, et si l’on en juge par le petit nombre d’élèves que l’université libre de Bruxelles a reçus jusqu’à ce jour, cette institution ne serait pas de nature à créer à l’université catholique une bien longue ni bien redoutable concurrence.

Il est donc évident que de Louvain sortira surtout la génération appelée à fixer l’avenir de la Belgique. Si les jeunes gens qui demandent à l’enseignement public une carrière et des moyens de fortune et de travail, se préparent à la profession d’avocat ou de médecin à Gand, à Bruxelles et à Liége, ceux pour lesquels les études universitaires ne sont qu’une initiation à la vie publique, aux loisirs d’une existence déjà faite, iront à l’université catholique pour y rencontrer des habitudes et des idées analogues à celles qu’ils auront emportées de leur famille, et qu’ils sont destinés à y retrouver bientôt. Or, il n’y a pas à démontrer, à qui connaît la Belgique, que dans cette classe, la plus importante et peut-être la plus nombreuse, puisqu’elle comprend la noblesse territoriale et la haute industrie, repose la principale influence sociale. Hors de là il n’y a guère que des unités sans puissance, que des chiffres sans zéros derrière pour faire nombre.

Le catholicisme a donc en Belgique une haute et patriotique mission c’est en ses mains qu’est commis l’avenir d’un peuple libre ; à lui de développer des intelligences lentes et paresseuses, de fixer des imaginations mobiles ; à lui le soin d’inspirer à la génération qui s’élève le tact délicat de l’honneur et de créer une armée nationale, de suggérer le goût de la vie publique sans la fiévreuse ambition qui la suit, de moraliser l’industrie dont il activera l’essor et saluera les conquêtes ; à lui enfin de prouver que les nationalités circonscrites ne sont pas déshéritées des principaux bienfaits de la civilisation humaine.

Cette tâche sans doute est ardue dans un siècle où l’entraînement des choses, autant que celui des idées, semble tendre à réunir les nations, et à la porte d’un peuple qui a consacré par l’apothéose d’un grand homme la monomanie des conquêtes. Tous les obstacles, d’ailleurs, ne sont pas au dehors ; le clergé belge en rencontrera de non moins graves dans son propre sein ; il lui faudra travailler sur lui-même en même temps que sur le pays, et se rendre digne de l’œuvre patriotique que les évènemens ont placée en ses mains.

Le plus grand danger pour un corps religieux, c’est l’autorité même qu’il exerce quand elle est aussi universellement acceptée que dans ces provinces. Alors la vérité ne monte plus jusqu’à lui, et la flatterie le circonvient comme un roi sur son trône. Pour nous, qui adhérons, comme au principe même de notre vie intellectuelle, au dogme éternel dont il est dépositaire, et qui confessons cette intime solidarité dans un recueil où ce dogme rencontre souvent des adversaires, nous devons à ce nom même de chrétien de faire entendre des paroles qui n’étonneront personne en France, et qu’on trouvera peut-être hardies en Belgique.

Lorsque la Providence ajoute une mission patriotique à sa mission religieuse, le clergé doit comprendre qu’il contracte de nouveaux devoirs dans l’exercice desquels il cessera d’être protégé par le respect qu’il inspire à ses fidèles ; il doit exercer sa légitime influence avec la prudence et la modération qui seules peuvent la faire accepter, et se résigner quelquefois à la calomnie pour profiter souvent de la vérité. Il importe qu’il rejette surtout cette falsification hypocrite de l’histoire qui dissimule d’une part tous les abus, afin d’exagérer de l’autre tous les torts. Chargé de l’éducation de la jeunesse, que ses investigations soient larges et sincères, que rien ne signale un parti pris et un thème fait d’avance. Qu’il secoue la poussière des formules pédantesques et dégage l’immuable vérité du vêtement scolastique sous lequel elle étouffe, pour l’orner de l’éclatante couronne que lui préparent les longs travaux de la science humaine ; qu’en ces temps d’action et de lutte incessante, aux vertus naïves qui se développent à l’ombre du cloître, il sache substituer des vertus fortes et libres, ayant conscience d’elles-mêmes, et supérieures aux dangers du monde, non parce qu’elles les ignorent, mais parce qu’elles les méprisent. On devra modifier bien des traditions routinières, résister à bien des influences qu’on s’est accoutumé à considérer comme puissantes et qui trouvent fort doux de se croire telles ; il faudra dépenser de la patience et du courage dans ces luttes obscures et ignorées ; mais le but est grand devant les hommes et devant Dieu.

Nous n’entendons hasarder en terminant nulle conjecture sur l’avenir d’une nationalité faible encore et mal assise dans ses frontières. Il est évident que si les évènemens européens entraînaient la France hors de ses limites avant que la Belgique n’eût acquis ce qui lui manque en esprit militaire et politique, la conquête de ce pays serait facile à faire, peut-être facile à conserver. Mais il faut peu d’années pour qu’un germe que nous croyons vivace jette des racines, s’il est habilement cultivé. Alors la question changerait de face, et la Belgique existerait par un droit supérieur à celui des protocoles.

Toute nationalité à l’ombre de laquelle grandissent des intérêts vraiment distincts, toute société qui n’est pas un obstacle au développement de la civilisation dont les nations chrétiennes ont le dépôt, doit être inviolablement respectée. C’est à la France qu’il appartient de faire consacrer ce principe, bien loin qu’elle ait intérêt à le violer pour son propre compte. Après avoir imposé aux nations le droit sauvage que l’empire couvrit des plis de son glorieux drapeau, le moment est venu pour elle d’essayer d’un autre prestige et de reprendre à la tête des peuples la place que la destinée lui assigne. Conquérante en Afrique, modératrice en Europe, civilisatrice partout, elle doit réclamer avec énergie et prudence contre des attentats pour lesquels il n’est pas de prescription, et pour prix de la rançon d’un peuple martyr dont le rétablissement importe à la sécurité de l’Europe, ouvrir à l’Orient devant une grande nation une voie large et naturelle cependant. Que la Belgique poursuive sans inquiétude une tentative digne d’intérêt : les circonstances décideront de la nature et de l’intimité de nos relations à venir. Qu’elle nous donne l’exemple d’une liberté pratique trop étrangère à nos habitudes ; et que nos espérances, au lieu de se fixer sur ces ex-départemens de la France impériale, s’étendent sur le monde dont nous pourrions fixer les destinées.


Louis de Carné.
  1. Constitution belge, art. 14-17.
  2. La subvention du culte catholique est fixée par le budget courant de 1836, pour le traitement de l’archevêque de Malines, des cinq évêques de Bruges, Gand, Liége, Namur et Tournay, celui des curés, desservans, vicaires, etc., les bourses affectées aux séminaires, le subside pour construction et entretien des églises, etc., à la somme de 3,392,900 francs.
  3. Constitution belge, art. 99.
  4. Voyez la constitution belge commentée par M. Plaisant, procureur-général près la cour de cassation. La rédaction de la section centrale portait : le roi est inviolable. On proposa d’y substituer ces mots : la personne du roi, parce que, dit M. Deleeuw, auteur de la proposition, il est important de distinguer entre la personne du chef de l’état et le chef de l’état ; « car, si vous adoptez la rédaction de l’article en disant le chef de l’état inviolable, vous vous liez irrévocablement, et quoi qu’il arrive, vous ne pouvez plus prononcer la déchéance : il serait peut-être dangereux de se lier ainsi. »

    Une autre proposition tendait à faire décider par une cour d’équité, quand il y aurait lieu à la déchéance. Cette proposition fut rejetée, et la première adoptée, avec la réserve et la modification proposée par M. Deleeuw.

  5. Loi du 3 mars 1831.
  6. Loi d’organisation provinciale, 5 juin 1834, art. 5.
  7. Il y a deux échevins dans les communes de vingt mille habitans et au dessous, quatre dans celles dont la population excède ce nombre. (Loi communale, art. 3.) La députation provinciale est composée de six membres dans chaque province. (Loi provinciale, art. 96.) Le bourgmestre et les échevins sont salariés par la commune, et la loi provinciale fixe à 1,500 florins le traitement du membre de la députation permanente.

    On voit que la Belgique n’a pas plus reculé que les États-Unis devant l’universalité du salaire des administrateurs locaux. C’est la première conséquence du régime électif, et la France elle-même devra l’appliquer avant peu de temps.

  8. Constitution belge, art. 17, § ii.
  9. Loi du 27 septembre 1835.

    Le mode étrange de nomination consacré par la commission d’examen chargée d’accorder les grades, par l’art. 41 de cette même loi, est un nouveau témoignage de l’embarras qu’éprouvent les chambres belges pour concilier les faits avec la rigueur des théories qu’elles ont proclamées.

    Comme il est de dogme que le gouvernement ne peut professer aucune doctrine, ne doit exercer aucune action morale sur l’enseignement, et qu’à ses yeux les théories de Broussais, d’Hegel, de Fichte et de Bossuet ont une valeur égale ; comme, d’un autre côté, il était impossible de permettre à chaque université libre de conférer sans contrôle le grade de licencié en droit, et surtout celui de docteur en médecine, on a été conduit à une singulière disposition. Chaque année les deux chambres dressent respectivement une liste de jurisconsultes, médecins, littérateurs, savans ou autres, pour former le jury d’examen. Le nombre est complété par un dernier tiers choisi par le roi.

    Comme on devait s’y attendre, la majorité catholique des deux chambres n’a nommé que des hommes en sympathie religieuse avec elle, et plus spécialement des professeurs de l’université de Louvain. Mais le meilleur de l’affaire, c’est que la chambre des représentans a pensé ne pouvoir mieux commencer sa liste qu’en inscrivant en tête le nom de son honorable président. Le sénat, pour ne pas rester en arrière, a vite nommé le sien. Le roi des Belges lui-même ne l’a peut-être échappé que de peu.

  10. On rapporte que le savant commentateur de Tacite et de Sénèque était au lit de mort lorsqu’un grand bruit se fit entendre : c’était la haute tour de Saint-Pierre qui tombait avec fracas. Le roi d’Espagne venait de mourir, le pape l’avait suivi dans la tombe, le flambeau de la science s’éteignait, et la colère divine frappait en même temps le plus bel édifice des Pays-Bas. Associant tous ces grands désastres dans sa pensée, le moribond s’écria en poussant un long et dernier soupir : Omnia cadunt.
  11. MM. Gibon et Lacordaire, professeurs à Liège ; Margerin et Huet, professeurs à Gand. MM. de Coux et de Cazalès se sont associés à l’œuvre fondée par l’épiscopat belge. L’Allemagne catholique et savante est représentée, à Louvain, par MM. Moëder et Arandt, l’Italie par M. Pagani.
  12. Si l’on en jugeait par divers passages du rapport présenté à la chambre des représentans par M. Dechamp sur la loi organique de l’enseignement, ces deux universités pourraient, même dans la pensée du législateur, n’avoir qu’une existence provisoire ; elles ne seraient maintenues que jusqu’au jour où la liberté de l’enseignement aurait porté des fruits assez nombreux pour qu’on renonçât à un mode aussi onéreux pour l’état qu’incompatible avec l’esprit de sa constitution.