La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IV/Chapitre XX

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 82).
CHAPITRE XX.
DE LA VERTU ET DE LA FOI, QUE LES PAÏENS ONT HONORÉES COMME DES DÉESSES PAR DES TEMPLES ET DES AUTELS, OUBLIANT QU’IL Y A BEAUCOUP D’AUTRES VERTUS QUI ONT LE MÊME DROIT À ÊTRE TENUES POUR DES DIVINITÉS.

Ils ont fait une déesse de la Vertu, et certes, s’il existait une telle divinité, je conviens qu’elle serait préférable à beaucoup d’autres ; mais comme la vertu est un don de Dieu, et non une déesse, ne la demandons qu’à Celui qui seul peut la donner, et toute la tourbe des faux dieux s’évanouira. Pourquoi aussi ont-ils fait de la Foi une déesse, et lui ont-ils consacré un temple et un autel[1] ? L’autel de la Foi est dans le cœur de quiconque est assez éclairé pour la posséder. D’où savent-ils d’ailleurs ce que c’est que la Foi, dont le meilleur et le principal ouvrage est de faire croire au vrai Dieu ? Et puis le culte de la Vertu ne suffisait-il pas ? La Foi n’est-elle pas où est la Vertu ? Eux-mêmes n’ont-ils pas divisé la Vertu en quatre espèces : la prudence, la justice, la force et la tempérance[2] ? Or, la foi fait partie de la justice, surtout parmi nous qui savons que « le juste vit de la foi[3] ». Mais je m’étonne que des gens si disposés à multiplier les dieux, et qui faisaient une déesse de la Foi, aient cruellement offensé plusieurs déesses en négligeant de diviniser toutes les autres vertus. La Tempérance, par exemple, n’a-t-elle pas mérité d’être une déesse, ayant procuré tant de gloire à quelques-uns des plus illustres Romains ? Pourquoi la Force n’a-t-elle pas des autels, elle qui assura la main de Mucius Scévola[4] sur le brasier ardent, elle qui précipita Curtius[5] dans un gouffre pour le bien de la patrie, elle enfin qui inspira aux deux Décius[6] de dévouer leur vie au salut de l’armée, si toutefois il est vrai que ces Romains eussent la force véritable, ce que nous n’avons pas à examiner présentement. Qui empêche aussi que la Sagesse et la Prudence ne figurent au rang des déesses ? Dira-t-on qu’en honorant la Vertu en général, on honore toutes ces vertus ? À ce compte, on pourrait donc aussi n’adorer qu’un seul Dieu, si on croit que tous les dieux ne sont que des parties du Dieu suprême. Enfin la Vertu comprend aussi la Foi et la Chasteté, qui ont été jugées dignes d’avoir leurs autels propres dans des temples séparés.

  1. Ce temple était l’ouvrage du roi Numa, selon Tite-Live, lib. i, cap. 21.
  2. Cette classification des vertus est de Platon. Voyez la République, livre iv et ailleurs. Voyez aussi Cicéron, De offic., lib. i.
  3. Habac. ii, 4.
  4. Voyez Tite-Live, lib. ii, cap. 12.
  5. Voyez Tite-Live, lib. vii, cap. 6.
  6. Voyez Tite-Live, lib. viii, cap. 9, et lib. x, cap. 28.