La Cité de Dieu (Augustin)/Livre VII/Chapitre IX
Je voudrais encore savoir quel est ce Jovis qu’ils nomment aussi Jupiter. C’est, disent-ils, le dieu de qui dépendent les causes de tout ce qui se fait dans le monde. Voilà une fonction admirable et dont Virgile exprime fort bien la grandeur dans ce vers célèbre :
« Heureux qui a pu connaître les causes des choses[1] ! »
Je demanderai ensuite, en supposant que Janus soit le monde, quel sera le rôle de Jupiter parmi les dieux ? Varron n’a-t-il pas déclaré que les vrais dieux sont l’âme du monde et ses parties ? par conséquent tout ce qui n’est pas cela n’est pas vraiment dieu. Dira-t-on que Jupiter est l’âme du monde et que Janus en est le corps, c’est-à-dire qu’il est le monde visible ? Mais à ce compte Janus n’est pas vraiment dieu, puisqu’il est accordé par nos adversaires que la divinité consiste, non dans le corps du monde, mais dans l’âme du monde et dans ses parties ; et c’est ce qui a fait dire nettement à Varron que Dieu, pour lui, n’est autre chose que l’âme du monde, et que si le monde lui-même est appelé Dieu, c’est au même sens où un homme est appelé sage à cause de son âme, bien qu’il soit composé d’une âme et d’un corps ; ainsi le monde, quoique formé d’une âme et d’un corps, doit à son âme seule d’être appelé dieu. D’où il suit que le corps du monde, pris isolément, n’est pas dieu ; il n’y a de divin que l’âme toute seule, ou la réunion de l’âme et du corps, de telle façon pourtant que dans cette réunion même, la divinité vienne de l’âme et non pas du corps. Si donc Janus est le monde, et si Janus est dieu, comment Jupiter sera-t-il dieu, à moins d’être une partie de Janus ? Or, on a coutume, au contraire, d’attribuer l’univers entier à Jupiter, d’où vient ce mot du poëte :
« …Tout est plein de Jupiter[3] ».
« Jupiter tout-puissant, père et mère des rois, des choses et des dieux, dieu unique, embrassant tous les dieux ».
- ↑ Géorg. liv. ii, v. 490.
- ↑ Voyez plus haut le chap. vii.
- ↑ Virgile, Églogues, iii, v. 60
- ↑ Valérius, de Sora, ville du Latium, est ce savant homme dont parle Cicéron dans le De orat., lib. iii, cap. 11. Pline lui attribue (Hist. nat., Præfat., et lib. iii, cap. 5-9) un ouvrage intitulé Έποπτίδων, d’où sont peut-être tirés les deux vers que citent Varron et saint Augustin.
- ↑ Jupiter est également appelé mâle et femelle dans un vers orphique cité par l’auteur du De mundo (cap. 7) et par Eusèbe (Præpar. Evang., lib. iii, cap. 9.)