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La Cité de Dieu (Augustin)/Livre VII/Chapitre XV

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 142-143).
CHAPITRE XV.
DE QUELQUES ÉTOILES QUE LES PAÏENS ONT DÉSIGNÉES PAR LES NOMS DE LEURS DIEUX.

On dira peut-être que ces dieux ne sont autre chose que les étoiles auxquelles les païens ont donné leurs noms ; et, en effet, il y a une étoile qu’on appelle Mercure et une autre qu’on appelle Mars ; mais il y en a une aussi qu’on appelle Jupiter, et cependant les païens soutiennent que Jupiter est le monde. Ce n’est pas tout, il y en a une qu’on appelle Saturne, et cependant Saturne est déjà pourvu d’une fonction considérable, celle de présider à toutes les semences ; il y en a une enfin, et la plus éclatante de toutes, qu’on appelle Vénus, et cependant on veut que Vénus soit aussi la lune, bien qu’au surplus les païens ne tombent pas plus d’accord au sujet de cet astre que ne firent Vénus et Junon au sujet de la pomme d’or. Les uns, en effet, donnent l’étoile du matin à Vénus, les autres à Junon ; mais, ici comme toujours, c’est Vénus qui l’emporte, et presque toutes les voix sont en sa faveur. Or, qui ne rirait d’entendre appeler Jupiter le roi des dieux, quand on voit son étoile si pâle à côté de celle de Vénus ? L’étoile de ce dieu souverain ne devrait-elle pas être d’autant plus brillante qu’il est lui-même plus puissant ? On répond qu’elle paraît moins lumineuse parce qu’elle est plus haute et plus éloignée de la terre ; mais si elle est plus haute parce qu’elle appartient à un plus grand dieu, pourquoi l’étoile de Saturne est-elle placée plus haut que Jupiter ? Est-ce donc que le mensonge de la fable, qui a fait roi Jupiter, n’a pu monter jusqu’aux astres, et que Saturne a obtenu dans le ciel ce qu’il n’a pu obtenir ni dans son royaume ni dans le Capitole[1] ? Et puis, pourquoi Janus n’a-t-il pas son étoile ? Est-ce parce qu’il est le monde et qu’à ce titre il embrasse toutes les étoiles ? mais Jupiter est le monde aussi, et cependant il y a une étoile qui porte son nom. Janus se serait-il arrangé de son mieux, et, au lieu d’une étoile qu’il devait avoir dans le ciel, se serait-il contenté d’avoir plusieurs visages sur la terre ? Enfin, si c’est seulement à cause de leurs étoiles qu’on regarde Mercure et Mars comme des parties du monde, afin d’en pouvoir faire des dieux, le langage et la guerre n’étant point des parties du monde, mais des actes de l’humanité, pourquoi n’a-t-on pas dressé des temples et des autels au Bélier, au Taureau, au Cancer, au Scorpion et autres signes célestes, lesquels ne sont pas composés d’une seule étoile, mais de plusieurs, et sont placés au plus haut des cieux avec des mouvements si justes et si réglés ? Pourquoi ne pas les mettre, sinon au rang des dieux choisis, au moins parmi les dieux de l’ordre plébéien[2] ?

  1. Il faut rappeler ici deux choses ; d’abord, que, selon la mythologie païenne, Saturne fut chassé de son royaume de Crète par Jupiter, son fils, puis, que la colline du Capitole était consacrée à Saturne, avant de l’être à Jupiter.
  2. Cette argumentation rappelle trait pour trait celle de Cotta contre le stoïcien Balbus, dans le De natura deorum de Cicéron (livre iii, chap. 20.)