La Cité de Dieu (Augustin)/Livre X/Chapitre VIII

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 200-201).
CHAPITRE VIII.
DES MIRACLES QUE DIEU A DAIGNÉ OPÉRER PAR LE MINISTÈRE DES ANGES A L’APPUI DE SES PROMESSES, POUR CORROBORER LA FOI DES JUSTES.

Si je ne craignais de remonter trop haut, je rapporterais tous les anciens miracles qui furent accomplis pour attester la vérité de cette promesse faite à Abraham tant de milliers d’années avant son accomplissement, que toutes les nations seraient bénies dans sa race[1]. En effet, qui n’admirerait qu’une femme stérile ait donné un fils à Abraham[2], lorsqu’elle avait passé l’âge de la fécondité ? que, dans le sacrifice de ce même Abraham, une flamme descendue du ciel ait couru au milieu des victimes divisées[3] ? que les anges, à qui il donna l’hospitalité comme à des voyageurs, lui aient prédit l’embrasement de Sodome et la naissance d’un fils[4] ? qu’au moment où Sodome allait être consommée par le feu du ciel, ces mêmes anges aient délivré miraculeusement de cette ruine Loth, son neveu[5] ? que la femme de Loth, ayant eu la curiosité de regarder derrière elle pendant sa fuite, ait été transformée en statue de sel, pour nous apprendre qu’une fois rentrés dans la voie du salut, nous ne devons rien regretter de ce que nous laissons derrière nous ? Mais combien furent plus grands encore les miracles que Dieu accomplit par Moïse pour délivrer son peuple de la captivité, puisqu’il ne fut permis aux mages du Pharaon, c’est-à-dire du roi d’Egypte, de faire quelques prodiges que pour rendre la victoire de Moïse plus glorieuse[6] ! Ils n’opéraient, en effet, que par les charmes et les enchantements de la magie, c’est-à-dire par l’entremise des démons ; aussi furent-ils aisément vaincus par Moïse, qui opérait au nom du Seigneur, créateur du ciel et de la terre, et avec l’assistance des bons anges ; de sorte que les mages se trouvant sans pouvoir à la troisième plaie, Moïse en porta le nombre jusqu’à dix (figures de grands mystères) qui fléchirent enfin le cœur du Pharaon et des Egyptiens et les décidèrent à rendre aux Hébreux la liberté. Ils s’en repentirent aussitôt, et, comme ils poursuivaient les fugitifs, la mer s’ouvrit pour les Hébreux qui la passèrent à pied sec, tandis que les Egyptiens furent tous submergés par le retour des eaux[7]. Que dirai-je de ces autres miracles du désert où éclata la puissance divine ? de ces eaux dont on ne pouvait boire et qui perdirent leur amertume au contact du bois qu’on y jeta par l’ordre de Dieu[8] ; de la manne tombant du ciel pour rassasier ce peuple affamé[9], avec cette circonstance que ce que l’on en ramassait par jour au-delà de la mesure prescrite se corrompait, excepté la veille du sabbat, où la double mesure résistait à la corruption, à cause qu’il n’était pas permis d’en recueillir le jour du sabbat ; du camp Israélite couvert de cailles venues en troupe pour satisfaire ce peuple qui voulait manger de la chair et qui en mangea jusqu’au dégoût[10] ; des ennemis qui s’opposaient au passage de la mer Rouge défaits et taillés en pièces à la prière de Moïse, qui, tenant ses bras étendus en forme de croix, sauva tous les Hébreux jusqu’au dernier[11] ; de la terre entr’ouverte pour engloutir tout vivants des séditieux et des transfuges, et pour les faire servir d’exemple visible d’une peine invisible[12] ; du rocher frappé de la verge et fournissant assez d’eau pour désaltérer une si grande multitude[13] ; du serpent d’airain élevé sur un mât et dont l’aspect guérissait les blessures mortelles que les serpents avaient faites aux Hébreux en punition de leurs péchés[14], afin que la mort fût détruite par la figure de la mort crucifiée ? c’est ce serpent qui, après avoir été conservé longtemps en mémoire d’un événement si merveilleux, fut depuis brisé avec raison par le roi Ezéchias[15], parce que le peuple commençait à l’adorer comme une idole.

  1. Gen. xviii, 18.
  2. Ibid. xxi, 2.
  3. Au sujet de ce miracle, saint Augustin s’exprime ainsi dans ses Rétractations (livre ii, ch. 43, n. 2) : « Il ne fallait pas comprendre dans le sacrifice d’Abraham, ni citer comme un miracle, la flamme descendue du ciel entre les victimes diverses, puisque cette flamme fut simplement montrée en vision à Abraham ». Voyez la Genèse, xv, 17.
  4. Gen. xviii, 10 et 20.
  5. Ibid. xix, 17.
  6. Exod. vii, 11 et seq.
  7. Exod. vii, viii-xii, xiv.
  8. Ibid. xv, 25.
  9. Ibid. xvi, 14.
  10. Num. xi, 31, 32 et 33.
  11. Exod. xvii, 11.
  12. Num. xvi, 32.
  13. Exod. xvii, 6.
  14. Num. xxi, 6-9.
  15. IV Reg. xviii, 4.