La Disette des fourrages et les moyens d’y remédier

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La Disette des fourrages et les moyens d’y remédier
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 88 (p. 914-935).


LA
DISETTE DES FOURRAGES
ET
LES MOYENS D’Y REMÉDIER


Séparateur


I.

En France, les bonnes années pour les biens de la terre sont les années de sécheresse. Les grandes pluies font verser les céréales et pousser les mauvaises herbes ; elles empêchent la dessiccation des javelles, rendent la rentrée des récoltes difficile et provoquent même la germination du grain dans l’épi. Sous leur influence, les fleurs, — celles de la vigne notamment, — coulent, et les fruits mûrissent mal. Les pluies abondantes délavent les terres, et les eaux entraînent à la mer les principes fertilisans. Les pâturages sont à la vérité plantureux, et les prés donnent de fortes coupes ; mais les herbes sont peu nutritives, et les fourrages, mal récoltés, se conservent difficilement ; ils sont souvent insalubres. La sécheresse est plus favorable à nos principales récoltes que la grande humidité, et cette année, malgré une chaleur continue dont on a vu peu d’exemples et une absence complète de pluie pendant les mois où elle est le plus nécessaire, le rendement des principaux produits de notre agriculture sera encore passable dans la plupart des localités. Celui des récoltes d’hiver, du seigle, du blé, sera généralement peu inférieur à celui d’une récolte moyenne ; les plantes ligneuses, la vigne, l’olivier, le châtaignier, n’ont pas encore souffert. Quand nous obtenons de ces végétaux une bonne récolte, notre subsistance est assurée. À la vérité, les produits du jardinage sont très rares et très chers en raison de la main-d’œuvre qu’exigent les arrosages indispensables pour les faire prospérer ; les plantes d’été de grande culture, les pommes de terre, les légumes secs, feront en partie défaut. On peut donc s’attendre à une année difficile, mais qui le sera moins cependant que les années de pénurie et de disette qui ont été la conséquence de pluies très abondantes.

C’est surtout la récolte des fourrages qui est atteinte ; elle est presque nulle dans la plupart de nos départemens. Jusqu’à ce jour, les marchés de bestiaux sont largement approvisionnés. Les cultivateurs vendent les animaux qu’ils ne peuvent pas nourrir, et cela donne de la viande sur pied à bon marché, sinon de première qualité ; mais il faut prévoir les conséquences du dépeuplement de nos étables, et c’est avec raison que l’on se préoccupe des moyens de nourrir les animaux. On peut remédier à la pénurie des fourrages de deux manières : d’abord en augmentant par la culture les ressources alimentaires, ensuite en utilisant le mieux possible celles dont on peut disposer, et en introduisant même dans le régime des animaux des produits qui n’y entrent pas en temps normal.

Ce qui rend la position des agriculteurs difficile, c’est surtout la presque impossibilité de faire des cultures dérobées, d’intercaler entre les cultures principales des fourrages d’été, qui remplacent si avantageusement le foin lorsque, comme cette année, le rendement des prairies artificielles et naturelles est inférieur à ce qu’il est ordinairement. Ainsi le maïs, qui, semé à la volée, donne une si abondante récolte de fourrage vert, le sarrasin ordinaire et le sarrasin de Tartarie, qui réussissent dans les sols les plus maigres, le millet d’Italie (panicum italicum), le millet ordinaire (panicum milliaceum), le moha (panicum germanicum), n’ont pas pu être semés à cause de la sécheresse, ou n’ont pas levé là où on les a ensemencés. A plus forte raison, il a fallu renoncer aux produits que donnent dans les années normales l’avoine, les pois gris, la gesse d’été, les vesces, ces plantes étant plus encore que les précédentes atteintes par la sécheresse.

Toutefois les cultivateurs ne doivent pas se décourager. Il importe de profiter des pluies, même peu abondantes et passagères, pour semer quelques plantes robustes et d’une végétation rapide. Nous leur recommandons surtout le maïs, les millets, les sorgho, le sarrasin, la moutarde blanche, la navette d’été. Toutes ces plantes peuvent être semées jusqu’en septembre, surtout quand on ne veut les utiliser que comme fourrage. Le maïs, les millets cultivés, les sorgho, sont des plantes des pays chauds ; elles peuvent résister à la sécheresse. Le sarrasin, qui peut être semé sur les plus mauvaises terres, permet de rendre productives les bonnes terres qui, cette aimée, sont comparables aux mauvaises en temps normal. En semant ces plantes seules ou en mélange, les cultivateurs se procureraient de précieuses ressources pour l’automne ; les pluies peuvent être insuffisantes pour pénétrer la terre des prairies, pour faire pousser les regains, et cependant humecter assez les terres meubles pour favoriser la pousse de plantes annuelles. Il importe aussi qu’ils ne laissent aucun coin de terre improductif. Le nom de récoltes dérobées donné à la culture des plantes annuelles indique assez leur place en dehors de l’assolement ; mais on n’en tirerait pas tout le profit qu’elles peuvent donner, si on se contentait de les semer sur une pièce de terre où la récolte n’a pas réussi : il faut les semer partout où un espace de terre reste libre. Les plus productives, les millets, le mais, le sorgho, sont surtout utiles ; quelques pieds de ces plantes donnent une assez grande quantité de fourrage pour qu’il soit avantageux d’aller le récolter.

Les crucifères en général, les choux en particulier, sont des plantes des terres siliceuses, des terres tourbeuses. Pourquoi ne les placerait-on pas dans des marais qui d’ordinaire restent improductifs ? Si l’on prend la précaution d’arroser le chou deux ou trois fois quand il est transplanté, il s’enracine facilement, résiste à la sécheresse, et reprend quand arrivent les pluies de l’automne et les fraîcheurs des longues nuits. Les fourrages aqueux fournis par les crucifères entrent avec profit pour la santé des animaux dans les rations composées avec des fourrages secs, durs, avec des pailles, des feuilles sèches, ainsi qu’on sera obligé de les composer cette année dans un grand nombre de fermes. Les haricots peuvent encore être semés. S’ils mûrissent, on aura, outre le grain, les fanes, qui peuvent rendre des services pour la nourriture des bestiaux ; si l’on s’aperçoit que les froids approchent avant la maturité, on les cueillera verts, et on obtiendra un excellent légume et un bon fourrage.

Chacun connaît les ressources que peuvent fournir d’autres plantes potagères : les laitues, les endives, la chicorée, les carottes, les betteraves, ces dernières si utilement répandues aujourd’hui dans la grande culture et si précieuses au point de vue industriel comme au point de vue de l’hygiène vétérinaire. A l’école d’Alfort, nous avons toujours fait semer les betteraves plus rapprochées qu’il ne convient de le faire pour le développement de la plante, et, en faisant éclaircir dans le courant de l’été, nous nous procurions un bon supplément de nourriture pour les moutons et pour les porcs. Il n’est plus temps d’avoir recours à cette pratique, et, malgré la rareté du fourrage, nous ne conseillerons pas d’effeuiller complètement, comme on le fait trop souvent dans les campagnes, les plantes d’été et d’automne, en particulier les betteraves, tout en ajoutant cependant qu’on aurait grand tort de ne pas utiliser les feuilles inférieures à mesure qu’elles se flétrissent, qu’elles jaunissent. On peut ainsi, sans nuire à la récolte principale, avoir une nourriture salubre, rafraîchissante, propre à maintenir en santé les animaux qui vivent dans les pâturages desséchés en grande partie, qui broutent les arbustes des haies, et ceux qui sont conduits dans les forêts.

Les cultivateurs devront aussi en automne se préoccuper du printemps 1871. La nourriture sera rare cet hiver. Les choux, le colza, sont les fourrages les plus précoces ; mais ces plantes ne sauraient former la base de l’alimentation des animaux d’une ferme. Il faut compter principalement sur le seigle d’abord, sur un mélange de vesces et d’une céréale, sur le trèfle farouch, dont l’utilité est bien connue. Semé à la fin de l’été, le seigle peut fournir une coupe avant l’hiver et donner encore une très abondante récolte dans le mois d’avril suivant. Généralement on sème la vesce avec le seigle, ce dernier devant servir de rame à la plante légumineuse. Il est très convenable pour cette destination ; mais, en raison de sa précocité, il est épié et déjà dur quand la vesce est bonne à faucher, et il ne peut pas être consommé par les animaux. Le blé présente à cet égard un grand avantage. Il sert également de soutien à la vesce, est assez rustique pour résister au froid de l’hiver, et il fournit par lui-même, quand on fauche le mélange, un excellent aliment pour tous les animaux. Le prix plus élevé de la semence ne doit pas le faire exclure ; la dépense est largement compensée par le produit que l’on obtient.

Le cultivateur sait quelles sont les plantes qui réussissent le mieux dans chacune des parties du sol qu’il cultive ; nous n’avons rien à lui apprendre sur ce point. Nous tenons seulement à lui donner la volonté d’essayer encore, au lieu de se laisser aller au découragement, comme semblent le faire quelques écrivains agricoles. Il est encore temps, nous le répétons, de faire des semailles dans la plupart des terres ; quelques orages peuvent nous faire espérer un temps plus favorable, et ce serait une très grande faute, dans les conditions où nous sommes, de négliger d’ensemencer, de ne pas compter sur l’automne pour obtenir quelques produits fourragers. Si la terre, échauffée par cet été tropical, vient à être un peu humectée, elle sera en excellente condition pour produire vite et bon. Du resté, pour la plupart des plantes que nous conseillons, maïs, millet, sorgho, le prix de la semence est insignifiant : une graine produit une tige haute et très feuillée qui, même en supposant une réussite moyenne, paie largement l’avance faite à la terre.


II

Nous avons dit qu’il faut en second lieu utiliser le mieux possible les alimens que l’on a l’habitude de faire consommer, et introduire même dans l’alimentation du bétail des plantes et des résidus qu’en temps ordinaire on néglige d’employer. Presque toutes les plantes et leurs principaux produits ont été analysés par les chimistes, et nous savons aujourd’hui que beaucoup de matières végétales qui vont à la fosse au fumier pourraient contribuer aussi avantageusement à la nourriture des animaux que la plupart de celles que l’on utilise pour leur alimentation. Il s’agit donc d’en essayer l’emploi, de s’ingénier à les faire accepter par le bétail. Un cultivateur intelligent peut ne rien laisser perdre dans sa ferme ; en mélangeant les alimens durs, peu sapides, avec de l’herbe, des résidus frais, en faisant cuire ou fermenter le mélange, il formera une nourriture qui lui rendra de grands services pendant la disette des fourrages.

Les pailles des céréales ont toujours été données au bétail ; mais dans beaucoup de fermes on n’en tire pas tout le parti qu’on pourrait en tirer, si on les soumettait à l’action du hache-paille pour les faire entrer dans les mélanges alimentaires. Les pailles dures de plusieurs plantes de la famille des crucifères et des légumineuses, les siliques et les gousses de ces mêmes plantes, hachées ou écrasées, et mêlées à des alimens pulpeux soumis au besoin à la fermentation ou à une simple macération, peuvent donner une grande quantité de bonne nourriture. La paille du sarrasin est surtout mal utilisée, même dans les pays pauvres ; elle ne forme le plus souvent qu’un mauvais engrais, car on la laisse se perdre en partie dans les cours et les fossés. C’est le cas de l’employer cette année pour nourrir les bestiaux ; en la récoltant avec soin et en la stratifiant avec le peu d’herbe que donneront dans l’arrière-saison les prairies basses, on peut se procurer une ressource utile pour l’hiver.

Ce n’est pas le moment de recommander la culture du topinambour, — on plante les tubercules au printemps ; — mais c’est le moment d’insister sur l’emploi que l’on peut faire de cette précieuse plante, qui donne de si abondans produits dans des sols où la plupart des végétaux utiles meurent de misère. Le topinambour n’est jamais assez cultivé ; les tubercules, après avoir fourni de l’eau-de-vie par la distillation, donnent un bon résidu : tous les animaux les recherchent, surtout quand ils sont crus ; mais ce qui est important cette année, c’est le service que peuvent rendre les feuilles et les tiges du topinambour pour nourrir les animaux. Les premières, quoique minces, donnent, en raison de leur ampleur, beaucoup de produits ; tous les animaux les mangent fraîches ou sèches. De très judicieux agronomes ont conseillé de faire des champs de topinambours, afin d’avoir des pâturages frais pour les moutons en août et septembre. Si on coupe la tige avant la chute des feuilles, on obtient des feuillards qui peuvent être consommés en totalité par les bestiaux, car les tiges, quoique hautes de 1 à 2 mètres, sont moelleuses, tendres ; elles sont surtout précieuses, si on les hache, si on les écrase, si on les mêle à des produits herbacés, aqueux, pulpeux. Elles dessèchent ces produits, et deviennent elles-mêmes aqueuses et tendres. — N’oublions pas de mentionner le dahlia. Les amateurs lui reprochent de prendre trop de développement ; pour eux, les variétés naines sont les plus estimées. Celles-ci ne conservent pas longtemps leur caractère, et ce défaut de grandir trop facilement, qui semble propre à la plante, est une précieuse qualité au point de vue qui nous occupe. Toutes les parties du dahlia sont alimentaires. Les porcs surtout en mangent avec avidité les fleurs et les tubercules ou bourgeons souterrains. Nous les avons utilisés à l’école d’Alfort, et nous les avons vu utiliser en Angleterre, où ils contribuent partout à embellir le petit jardin que chaque habitant des villages et des petites villes a devant sa maison.

Les vignes, les treilles, fournissent des pampres, que l’on enlève en ébourgeonnant, et que l’on utilise avec grand avantage au printemps et en été pour la nourriture des animaux. Les cultivateurs du Mont-d’Or lyonnais ramassent les feuilles de vigne avec soin après les vendanges ; ils les tassent fortement dans des fosses en bétons en planches ou en maçonnerie, les y disposent par couches à mesure qu’ils les ramassent, et répandent sur chaque couche du sel, quelquefois des baies de genièvre. Quand la fosse est pleine, ils couvrent les feuilles de planches sur lesquelles ils mettent de grosses pierres pour qu’elles soient fortement pressées. Cette nourriture sert à alimenter en partie, les chèvres qui donnent l’excellent fromage du Mont-d’Or jusqu’au mois de mars ou d’avril. Les feuilles de vigne sont très riches en azote ; on les donne avec profit aux vaches laitières. Le bois de la vigne, les sarmens, peuvent même être utilisés comme aliment ; depuis un demi-siècle, toutes les fois qu’il y a eu disette de fourrages, on en fait consommer par les animaux, et dernièrement un industriel nous en a présenté des échantillons qui avaient été réduits à l’état presque pulvérulent. Il suffit du reste de les hacher, de les écraser, et de les faire macérer vingt-quatre heures avant de les administrer, surtout si on les mêle à d’autres alimens. Pourquoi ne couperait-on pas après les vendanges, avant la maturité du bois, le sommet des sarmens, pendant que les feuilles y adhèrent encore ? On obtiendrait ainsi, sans nuire à la vigne, un fourrage que tous les animaux prendraient avec plaisir. La taille définitive se ferait après l’hiver, comme à l’ordinaire. Cette pratique rapporterait plus que celle que l’on met en usage dans le Mont-d’Or lyonnais. Mentionnons encore le marc de raisin, qui, même après avoir été distillé, peut être avantageusement mêlé à d’autres alimens : les pépins sont riches en corps gras et en albuminoïde. En partant de ce qu’un hectare de vigne peut fournir en pampres et en marc, M. Jules Guyot, qui a si bien étudié nos vignobles et les ressources qu’ils peuvent offrir, estime que nos 2,500,000 hectares de vigne pourraient fournir 5 milliards de kilogrammes d’excellens alimens qui, à 20 kilogrammes par jour et par tête, nourriraient 2,500,000 têtes de gros bétail pendant 100 jours.

De tout temps, les feuilles des arbres ont été employées à la nourriture du bétail, dans les contrées méridionales surtout, où la sécheresse arrête si souvent la pousse des plantes herbacées, et où il faut utiliser toutes les ressources alimentaires dont on peut disposer. Les cultivateurs de nos départemens du midi, quand vers la fin de l’été l’herbe est rare dans les pâturages, élaguent les arbres qui se trouvent sur les lisières des chaumes, des landes, et les branches abattues, dispersées par le berger, sont mises à la portée de toutes les bêtes du troupeau. Nous n’oserions pas conseiller cette pratique aux cultivateurs de nos pays à riches pâturages dans une année ordinaire, mais cette année il faut faire flèche de tout bois. La plupart des arbres de nos pays ont des feuilles alimentaires. Nous citerons l’orme, le frêne, le cerisier, le chêne, le charme, les érables, les peupliers, le tilleul, le bouleau, le marronnier d’Inde, le hêtre, l’aulne, l’olivier, etc. L’acacia, qu’on a préconisé comme propre à former des prairies aériennes, qui est si répandu en France et qui prospère si bien sur les mauvais sols, sur les talus des chemins de fer, fournit de très bonnes feuilles que l’on utilise, vertes le plus souvent, malgré les épines que portent les branches. Dans les années où les fourrages d’été sont abondans, c’est pour augmenter les provisions d’hiver que l’on a recours aux feuilles des arbres. On les récolte en branches pour en former des fagots appelés feuillards, qu’il est facile de faire sécher. Ainsi conservées, elles conviennent surtout pour les moutons. Avec un peu de paille et quelques heures de pâturage dans les genestières ou dans les bruyères, les feuillards forment dans plusieurs de nos provinces l’unique nourriture des troupeaux. — On récolte aussi les feuilles à la main, particulièrement celles des jeunes branches que l’on ne veut pas couper pour en faire des feuillards et celles de quelques arbrisseaux : le noisetier, le mûrier multicaule, le lierre grimpant, qui ont des propriétés toniques très marquées. On peut les conserver dans des fosses, comme on le fait pour les feuilles de vigne dans le Lyonnais et pour les feuilles de betterave dans le nord. Les feuilles détachées, fraîches ou conservées en silos, entreraient très bien dans tous les mélanges alimentaires, et contribueraient ainsi à la nourriture même des bêtes de rente. Ajoutées aux pulpes, aux résidus aqueux, mélangées avec des feuilles plus aqueuses et plus succulentes, arrosées avec de l’eau mélassée ou de l’eau tenant en suspension des tourteaux, elles servent à former de bonnes provendes, très convenables pour les vaches laitières ; mêlées à des racines coupées, à quelques grains concassés, elles peuvent avantageusement être administrées aux attelages. Les feuilles vertes sont moins aqueuses que l’herbe des prés et plus riches en azote ; d’après quelques auteurs, les feuilles sèches auraient une valeur à peu près équivalente à celle du foin. Celles de plusieurs arbres ont été analysées par M. Isidore Pierre ; elles pourraient être classées comme il suit, d’après la quantité d’azote qu’elles contiennent : feuilles de tilleul 1,45 pour 100, d’orme 1,01, de mûrier noir 1, de peuplier 0,81, de lierre grimpant 0,54.

Rappelons que la dépaissance dans les bois, dont on a parlé beaucoup dans ces derniers temps, n’est point sans inconvéniens. Les feuilles d’arbre mangées en grande quantité, surtout les bourgeons et les jeunes branches, occasionnent une maladie des organes digestifs et des voies urinaires appelée mal de brou. On prévient ce dérangement dans la santé des animaux en leur donnant par jour un repas avec de l’herbe des prés, des racines ou des feuilles de plantes herbacées, et en leur procurant de la bonne eau pour boisson. Il faut peu compter sur l’herbe qui pousse dans les bois pour produire les effets d’un bon pâturage : elle est peu sapide, et les animaux la dédaignent. Les feuilles des arbres verts peuvent être une ressource pour la mauvaise saison ; dans le Tyrol, la ramée du pin rend de bons services. On les considère cependant comme pouvant produire l’hématurie, et, quand on en fait consommer, il est essentiel de prendre les précautions que nous venons de recommander. Il est toujours facile, par des soins, de profiter de l’avantage de cette nourriture en se préservant des inconvéniens. On voit qu’à la rigueur ce ne sont pas les ressources alimentaires qui nous manquent ; nous ne savons pas assez les utiliser : en temps ordinaire, on ne peut couper qu’exceptionnellement en été les taillis et les arbres plantés sur les bords des routes pour faire des feuillards ; mais il n’y aurait aucun inconvénient à en profiter dans une année de disette de fourrages comme celle-ci. Ce qu’on perdrait en matière ligneuse en élaguant les arbres et en coupant les taillis pendant qu’ils sont en feuilles, on le regagnerait amplement en substances fourragères.

Faut-il rappeler l’ajonc épineux, ulex europœus ? Calloet imprimait, il y a deux siècles, en 1666, que l’ajonc vaut mieux pour nourrir les poulains que le foin, qu’il est favorable aux chevaux qui travaillent, qu’il prévient le développement de la pousse. Anderson a dit depuis que l’ajonc est très bon pour l’engraissement du bœuf et pour l’entretien des vaches laitières et des brebis. Tous les auteurs modernes répètent qu’il donne aux chevaux autant de feu et d’ardeur au travail que l’avoine, et cependant l’usage de l’ajonc ne s’étend pas au-delà des climats maritimes. Il lui faut, pour acquérir toutes ses propriétés alimentaires, un climat doux et un air humide. C’est seulement en Bretagne, où il est employé depuis lin temps immémorial, qu’il produit ces jets longs et touffus, presque inermes, qui ont fait donner à la variété qui les présente le nom d’ajonc queue de renard. Sous le climat continental, il est rabougri et épineux. Les propriétaires qui essaient de le faire consommer dans le centre de la France ne persévèrent jamais, à cause des embarras qu’entraîne l’administration de ce fourrage. Cette année cependant ne devrait-on pas essayer et persévérer ? On distribue l’ajonc après l’avoir haché et écrasé. Avec la meule à huile, on l’écrase facilement en l’arrosant pendant l’opération. Tous les herbivores le mangent ainsi préparé, et se trouvent très bien de son usage.

On a rarement essayé de faire consommer au râtelier la bruyère et le genêt à balai. Les troupeaux cependant s’en nourrissent en partie pendant l’hiver dans tout le midi, et le genêt surtout pourrait être heureusement utilisé, entrer dans la composition de provendes, de mélanges. Il est très nutritif, échauffant même ; au printemps, il détermine chez les moutons la génestade, mais cette maladie ne se déclare que lorsque le genêt est pris en grande quantité. S’il n’entre que pour une partie dans la nourriture des animaux, si, le jour qu’ils en mangent, les troupeaux vont sur un bon pâturage, ils conservent une parfaite santé. En raison du principe amer qu’il contient, le genêt contribue même à prévenir la pourriture, et, mêlé en justes proportions dans les provendes aqueuses, douceâtres, qui produiraient l’anémie, la cachexie, il agit comme médicament alimentaire ; il combat l’atonie. — Plusieurs espèces de fougères, en particulier la grande fougère, fougère proprement dite (pleris aquilina), peuvent être utilisées en ce moment ; les bœufs et les vaches les mangent au râtelier, quoiqu’ils les dédaignent sur pied. Les plantes aquatiques, les carex (laiches), les scirpes, les joncs, le poa aquatique, le roseau, sont peu sapides, dures, et généralement délaissées par les bêtes qui pâturent ; mais, coupées, hachées et macérées dans un liquide contenant des farines, des tourteaux, des résidus de distillerie, ou bien mêlées à des marcs de raisin, elles pourraient très bien être données aux bestiaux.

Nous ne connaissons pas la composition des plantes marines au point de vue de l’alimentation ; on les a surtout étudiées au point de vue des services qu’elles rendent à l’industrie. Cependant nous savons qu’elles sont salubres, qu’elles contiennent d’assez fortes proportions de matières azotées, et qu’elles sont très riches en principes minéraux, si bienfaisans pour la santé et si nécessaires pour favoriser le développement des animaux. Même dans les temps ordinaires, elles seraient fructueusement employées à la nourriture du bétail. Les vaches et les moutons recherchent beaucoup les varechs lorsqu’ils sont frais, disent les auteurs qui ont été à même de faire des observations à ce sujet ; mais ils les délaissent quand ils commencent à s’altérer. Plusieurs espèces sont propres à la nourriture de l’homme et des animaux. Les Russes, qui font usage de ces plantes, les appellent beurre aquatique à cause de leur consistance gélatineuse, onctueuse. Quelques espèces se réduisent en gelée par l’ébullition, et toutes seraient propres à ramollir les plantes dures. Convenablement mélangées, elles pourraient servir comme fourrage ; on peut croire même qu’une fois adoptées, on ne les abandonnerait plus.

La rareté des légumes donnera aux châtaignes une grande valeur comme comestible pour l’homme ; mais le gland, si abondant dans nos forêts, le marron d’Inde, peuvent contribuer à remplacer le fourrage et les grains. Tous les animaux recherchent le gland, tous s’habituent facilement à manger le marron d’Inde et s’en trouvent bien. Toutefois on tire un parti plus avantageux de ces alimens en les écrasant et les mêlant aux végétaux fibreux, durs, que nous venons d’énumérer. Comme ils sont riches en fécule, ils entrent facilement en fermentation, et donnent de la saveur au mélange, qu’ils améliorent en outre par les matières albuminoïdes qu’ils contiennent, et par leur principe amer, leur tanin, qui les rend toniques. On ne distribue pas au bétail la faîne de hêtre qu’on s’est donné la peine de récolter ; on en retire une huile excellente. Nous dirons pourtant qu’il faut cette année en ramasser le plus possible, afin d’augmenter la quantité de tourteau qu’elle produit.

Nous n’avons pas encore parlé de l’utilisation des tourteaux pour la nourriture du bétail. C’est l’aliment le plus riche en azote qu’on puisse lui faire consommer, et celui qui revient au plus bas prix comparativement à sa valeur nutritive. Tous les tourteaux ne conviennent pas également pour nourrir le bétail, c’est-à-dire que tous ne sont pas également appétés et nutritifs ; mais les plus mauvais, ceux du chènevis, du colza, de la cameline, du chou, de la navette, délayés dans l’eau, sont excellens pour composer des mélanges. Le liquide qui les contient, versé sur des alimens fibreux, durs, comme les pailles, les végétaux ligneux, plus riches en principes carbonés qu’en azote, contribue à donner une excellente nourriture. Ces tourteaux sont un assaisonnement, un aliment complémentaire très utile ; on peut les ajouter aussi, après les avoir préalablement écrasés, à tous les résidus aqueux, pulpes, marcs de cidre, etc. Quant aux tourteaux de noix, de lin, d’œillette, de faîne, ils peuvent avec grand profit être employés de la même manière ; mais on les fait plus souvent consommer seuls et sans aucune préparation.

On répète souvent que l’agriculture est une industrie, ce qui est incontestable ; mais remarque-t-on assez combien la conduite de la plupart des cultivateurs diffère de celle des industriels ? Les premiers cherchent à réaliser des bénéfices en se privant, en économisant, les autres cherchent sans relâche à innover, à perfectionner leurs procédés, à tirer parti de toutes les matières dont ils peuvent disposer, à les revivifier, quand elles ont été altérées, pour les employer de nouveau, à remplacer, quand ils le peuvent, les matières premières dont ils se servent par des matières d’un plus grand rendement ou d’un prix moins élevé. Si les possesseurs de bestiaux, les cultivateurs, avaient cet esprit d’innovation qui est la source de tout progrès, verrions-nous tous les ans 40, 50 millions de kilogr. de résidus des huileries exportés de nos ports de mer et de nos villes frontières pour aller engraisser les animaux et améliorer les terres des cultivateurs allemands ou anglais ? N’est-ce pas déplorable de voir que non-seulement nous ne conservons pas les tourteaux de sésame, d’arachide, de cotonnier, etc., provenant de graines exotiques, mais que nous laissons même exporter ceux qui proviennent de nos récoltes, que nous appauvrissons ainsi le domaine qui produit les plantes industrielles au lieu de tirer parti des résidus de ces plantes pour l’améliorer ?

Il serait trop long d’énumérer tous les végétaux qui peuvent être utilisés et qui doivent l’être. Toutes les plantes vulgairement appelées sauvages, c’est-à-dire qui ne sont pas cultivées, mais que les animaux mangent, peuvent entrer dans la composition des provendes. Nous citerons les consoudes, abondantes dans les lieux humides, la grande patience des jardins, la patience des près, la patience des Alpes, utilisées sur les montagnes pour nourrir les porcs que l’on engraisse avec le petit lait, la berce des prés, les orties, et en particulier l’ortie commune, l’orpin blanc, orpin des vignes, etc. Une plante malheureusement trop commune parce qu’elle nuit aux arbres fruitiers sur lesquels elle vit en parasite, le gui (viscum album), est très nutritive. Les chèvres la recherchent, la mangent avec avidité. Les petits cultivateurs du midi, qui en connaissent la valeur, la récoltent. Le gui est très commun dans nos pays à riches herbages où les pommiers sont si nombreux. Il y aurait un double profit à l’enlever pour les bestiaux. En raison de sa nature succulente, il peut être mêlé avec avantage aux matières fibreuses.

Avant de quitter ce sujet, disons qu’on peut employer à la nourriture du bétail le ramassis des granges et des greniers, les graines de foin, les criblures, etc. Vannés et débarrassés de la poussière, ces produits sont très propres à nourrir les bestiaux. Ils sont composés de débris de tiges et de feuilles, de petites fleurs desséchées et de graines. À cause de ces dernières, toujours riches en albuminoïdes, en phosphates, et souvent en principes gras, les balayures des granges conviennent surtout pour être ajoutées à la drêche, aux pulpes, aux cossettes de betteraves traitées par le procédé Champonnois, aux résidus des distilleries de grains et aux marcs de pomme et de raisin, que l’on ne cherche pas assez à utiliser. Un simple mélange suffit pour composer une bonne nourriture : dans leur état naturel, les petites graines traversent le tube digestif sans produire d’effet nutritif ; mais elles sont digérées quand elles sont administrées après avoir été pendant quelque temps en contact avec des corps humides.

Il y a plus d’un quart de siècle qu’un industriel de Lyon employait la mélasse répandue sur des fourrages pour nourrir ses chevaux. Les cultivateurs du nord s’en servent aujourd’hui avec avantage pour engraisser les bestiaux et nourrir les vaches laitières. On arrose avec de l’eau mélassée, à la dose de 1 kilogramme mélasse pour 100 litres d’eau, un mélange de paille hachée et de légumineuses : vesce, gesse, lentillon. On emploie à cet effet des caisses dans lesquelles on tasse les matières sèches, et on les dispose de manière qu’on puisse recueillir le liquide qui s’écoule après avoir traversé la masse solide. On le rejette sur le tas. On peut faire consommer ainsi même les pailles les plus dures ; elles sont ramollies et contractent un goût qui plaît aux animaux habitués à cette nourriture.

Nous avons dit que le cultivateur doit prévoir les besoins de la mauvaise saison et ensemencer le plus possible en vue du printemps prochain. Celui qui peut disposer d’une grande quantité de résidus de fabrique, ou qui se trouve avoir plus de nourriture verte qu’il ne peut en faire consommer, doit chercher à s’approvisionner pour l’hiver. Les produits qui ne peuvent pas être desséchés sont économiquement conservés dans des fosses ou dans des silos. Nous avons décrit le procédé employé depuis un temps immémorial dans le Lyonnais ; les nourrisseurs de Paris l’ont adopté pour conserver la drêche. Ils établissent à côté de la vacherie une fosse et la disposent, ainsi que le local où elle se trouve, de manière qu’on peut faire reculer la voiture chargée jusque sur le bord de la fosse ; à chaque décharge, on tasse la drêche, la fosse est ainsi remplie régulièrement. C’est aussi dans des fosses que l’on conserve la pulpe de la betterave et les feuilles de cette plante, que l’on faisait autrefois consommer sur place au moment de la récolte. Les feuilles étaient perdues en grande partie à cause de la quantité qui était mise à la fois à la disposition des animaux. D’après une communication récemment faite à la Société centrale d’agriculture, ce moyen de conservation se généralise dans le nord de la France. On fait d’ordinaire des fosses de 7 mètres de longueur sur 3 mètres de largeur et 4 mètres de profondeur, construites à angles arrondis et abritées par des hangars ou des toits en chaume. On les emplit avec des couches alternatives de paille hachée (10 centimètres) et de feuilles de betteraves (15 centimètres). Le tout est exactement pressé et assaisonné par à ou 5 kilogrammes de sel pour 100 kilogrammes de feuilles. On n’y met les feuilles que lorsqu’elles sont bien égouttées, qu’elles ne sont mouillées ni par la pluie ni par la rosée. On ferme le tout exactement avec du mortier. S’il se produit des crevasses, on les bouche avec soin. En hiver, on prend le mélange par tranches verticales pour ne pas laisser de larges surfaces exposées à l’air. Ce procédé de conservation, cet ensillage, s’appliquerait à tous les végétaux verts, aux feuilles d’arbres que l’on a cueillies à la main ou en brindilles, lesquelles sont moins faciles à dessécher et à conserver que celles qui adhèrent à de fortes branches et qui constituent des feuillards ; on peut surtout l’employer en automne, si le temps est pluvieux, pour conserver des produits qu’il ne serait pas possible de faire faner. Ainsi, lorsqu’on sème des fourrages d’été jusqu’en septembre, il peut arriver, et cela est surtout à désirer cette année, qu’on en ait un excès, excès qui rendrait les plus grands services en hiver, si on prenait soin de le conserver.

Nous avons conseillé de faire consommer par le bétail beaucoup de produits que l’on emploie ordinairement pour faire la litière. Il faut cependant songer au bien-être des animaux et à la production des engrais. Pour remplacer les pailles que nous ferons entrer dans les rations, nous aurons les gazons et les bruyères des terres vagues et des landes, le buis, le myrtille et autres arbustes, la terre même desséchée, le sable ramassé sur les routes, la sciure de bois ; nous aurons surtout les feuilles qui tombent naturellement des arbres. Généralement elles sont perdues. Le vent les pousse dans les ravins, et l’eau les entraîne. Mêlées aux éteules ramassés après le déchaumage, au chiendent que la herse enlève après les labours, elles forment une litière qui sans doute conviendrait peu aux bêtes à laine et aux chevaux de luxe, mais qui est excellente pour les porcs, pour les vaches à lait et les bœufs à l’engrais, comme pour les attelages de labour et pour les élèves.

Parmi les produits que l’on a nouvellement introduits dans l’alimentation des animaux, nous rappellerons les cosses des graines de cacao et les radicelles de l’orge germée. Les cosses de cacao sont dures, cassantes, et ont une odeur suave qui rappelle le produit dont elles proviennent. Elles sont assez riches en azote, et contiennent très peu d’eau, mais beaucoup de ligneux et de matières minérales. Jusqu’ici, elles ont été utilisées le plus souvent comme combustible dans les usines ou l’on prépare le chocolat. Cependant depuis longtemps les pauvres gens des Pays-Bas, de l’Irlande, etc., les traitent par l’eau ou par le lait, et en prennent l’extrait sucré en guise de chocolat. Les essais qu’on a faits pour en nourrir les animaux ont eu peu de succès. Dans ce moment, la question est à l’étude. Un habile cultivateur, M. Ménard, en a acheté une très forte quantité aux fabricans de chocolat de la capitale ; il espère bien pouvoir les employer à la nourriture de ses bestiaux.

Il y a peu d’années, on ne tirait aucun parti des résidus de la fabrication de la bière quand on ne pouvait pas en faire des engrais. Nous avons vu à Lyon les brasseurs du faubourg de Vaise se débarrasser de la drêche en la jetant dans la Saône. Aujourd’hui les nourrisseurs de vaches laitières la donnent à leurs vaches. Il est un autre résidu de la même fabrication qui’ jusqu’à ce jour n’a guère été utilisé en France que comme engrais ; nous voulons parler des radicelles de l’orge germée. Depuis longtemps cependant les Allemands s’en servent pour engraisser les bœufs et même pour nourrir les chevaux. Dernièrement un vétérinaire d’Arras, M. Lenglen, nous a appris que depuis quelque temps on les donne aux bœufs et aux chevaux dans le Pas-de-Calais. D’après les détails qu’il a communiqués à la Société centrale d’agriculture, le département du Pas-de-Calais possède cinq cent trente-quatre brasseries, qui en 1868 ont utilisé 2 millions de kilogrammes de malt, et ce malt a dû produire 600,000 kilogrammes de radicelles. On donne ces 600,000 kilogrammes comme formant l’équivalent nutritif d’une quantité égale de foin. C’est donc un produit assez important.

Il est une recommandation qu’il peut être utile de faire, et qui concerne le nombre de têtes de bétail que l’on a intérêt à conserver proportionnellement à la nourriture dont on dispose. L’industrie zootechnique comprend deux opérations bien distinctes, qui n’exigent pas la même ligne de conduite. Le cultivateur dont l’industrie principale est la production, qui fait des élèves, peut en temps de disette restreindre un peu les rations et conserver autant de vaches et de brebis qu’il peut en entretenir, même en les nourrissant maigrement. Les femelles ainsi arriveront à l’époque du part sans grand préjudice pour elles et pour leur propriétaire. Il n’en est pas de même si l’on entretient un bétail de rente pour obtenir de la viande ou du lait. Dans ce cas, le produit des animaux est en raison directe du fourrage consommé et en raison inverse du nombre d’animaux consommateurs, de sorte que d’une quantité donnée d’alimens on obtient d’autant plus de produits utiles que le nombre d’animaux qui la consomment dans un temps donné est moins considérable. On a moins de rations d’entretien à fournir. Il vaut donc infiniment mieux, au point de vue de l’intérêt public et de l’intérêt personnel du cultivateur, restreindre le cheptel et nourrir abondamment les animaux, afin d’obtenir d’eux l’utilisation d’une forte ration de production, que de perdre des rations d’entretien en conservant des animaux dont, faute de nourriture, on ne pourrait pas utiliser toute la puissance productrice.


III

Les observations précédentes se rapportent principalement aux animaux entretenus par les cultivateurs, aux bœufs et aux chevaux de labour, aux bêtes à l’engrais, aux vaches laitières et aux moutons ; mais il faut songer aussi aux chevaux employés par le commerce, l’industrie, le luxe, la guerre. C’est surtout pour ces animaux qu’il faut chercher à utiliser mieux qu’on ne l’a fait les produits alimentaires dont nous disposons. Jusqu’à ces dernières années, on a été persuadé en France comme à l’étranger, — et le plus grand nombre de personnes occupées à soigner les chevaux le croient encore, — qu’on ne peut nourrir convenablement ces animaux qu’avec du foin et de l’avoine. Or nous aurons à peine le quart de la récolte ordinaire du foin des prairies naturelles. La récolte de l’avoine nous fera également défaut en grande partie. En temps de paix, nous pourrions compter sur les importations. La Hollande, la Suède, la Hongrie, le Tyrol, quelques parties de l’Allemagne, l’Amérique même, malgré son éloignement, nous avaient offert du foin à d’assez bonnes conditions. D’un autre côté, la facilité de comprimer ce fourrage à l’aide de presses aujourd’hui fort répandues permet de le transporter à de grandes distances à peu de frais ; mais la guerre empêchera une partie des arrivages, et rendra plus dispendieux ceux qui pourront s’effectuer. D’ailleurs, en augmentant la consommation, elle fera élever les prix. Il faut donc ne compter que sur nos propres ressources, et, dans tous les cas, chercher à les bien utiliser. Le meilleur moyen, c’est la substitution au foin et à l’avoine de fourrages et de grains plus communs et moins chers relativement à leur valeur alimentaire. Cette substitution a été souvent essayée, et elle n’a jamais bien réussi. En quoi ces deux alimens, que nous appelons alimens-types, diffèrent-ils du foin de trèfle, du foin de luzerne, de l’orge, du seigle, c’est-à-dire des fourrages et des grains par lesquels on a toujours essayé de les remplacer ? On ne peut répondre à cette question qu’en étudiant les diverses substances végétales alimentaires au point de vue de la composition chimique et des besoins que les alimens sont appelés à satisfaire, des produits dont ils doivent fournir les matériaux.

Les principes immédiats alimentaires peuvent se réduire à deux corps principaux, carbone et azote. Pendant longtemps, on a même évalué la valeur nutritive des alimens d’après leur richesse en azote ; mais les alimens n’ont pas une valeur nutritive absolue, leur valeur est subordonnée aux effets qu’ils ont à produire. Tantôt la substance alimentaire doit être assimilée par les organes et former de la chair musculaire ou de la graisse, comme chez les jeunes sujets et les bêtes à l’engrais ; tantôt on veut en obtenir un produit spécial qui sort de l’économie, comme le fait chez les vaches laitières et toutes les femelles qui allaitent ; tantôt enfin elle sert à produire la force mécanique qui fuit agir les muscles. Il n’est donc pas rationnel de nourrir avec des alimens de même composition, de même nature, le cheval que l’on élève et celui que l’on fait travailler, ni la vache laitière et celle que l’on veut engraisser. De même que les muscles, le fait est un produit essentiellement azoté. Aussi tous les alimens riches en principes albuminoïdes, les foins des légumineuses, les farines de fèves, d’orge, sont les alimens types pour les vaches laitières et pour les élèves de toutes les espèces. Les animaux qui travaillent usent surtout du carbone, et ne peuvent suffire à leur service que s’ils sont nourris avec des alimens riches en principes immédiats hydro-carbonés.

La pratique, l’observation, ont fait choisir pour la nourriture du cheval et ont rendu d’un usage général trois alimens : le foin des prés naturels, l’avoine et la paille. Sans se rendre compte du pourquoi de leurs bons effets, on les emploie presque exclusivement, et les animaux s’en trouvent très bien. À quoi doivent-ils leurs qualités ? Notons d’abord que le foin et l’avoine sont très riches en carbone proportionnellement à leur azote, ensuite qu’ils contiennent dans la même proportion les principes albuminoïdes, les principes saccharoïdes et les corps gras, en troisième lieu que l’on s’expose aux plus graves mécomptes quand on les remplace, pour la nourriture du cheval qui travaille, par d’autres alimens plus riches en principes azotés. Nous demanderons après s’il n’est pas logique d’admettre qu’ils contiennent les principaux élémens nutritifs en quantités convenables pour satisfaire aux besoins de l’économie, et engendrer la force mécanique qui est le produit utile du cheval, si enfin on ne peut pas les considérer comme les alimens types pour le cheval qui travaille ? Toutefois le foin et l’avoine, en raison même de leur usage presque universel, sont de tous les alimens ceux qui font payer l’azote et le carbone au plus haut prix, même dans les années normales, à plus forte raison cette année, pendant laquelle ils ont été si impressionnés par la sécheresse du printemps. En général, le foin fait payer l’azote qu’il fournit 7 ou 8 francs le kilogramme, et l’avoine 12 ou 13 francs ; tandis que le foin des légumineuses fournit ce corps à 4 ou 5 francs, la féverole à 5 francs, le maïs et le sarrasin à 7 francs, le seigle et l’orge à 10 ou 11 francs. Le carbone, qui est payé 64 centimes le kilogramme quand il est fourni par l’avoine, revient à 36 centimes seulement quand on le donne par le maïs[1]. On peut donc chercher l’économie, pour la nourriture des chevaux qui travaillent beaucoup, dans l’emploi de grains et de fourrages d’un prix moins élevé que l’avoine et le foin des prairies naturelles ; mais on ne peut arriver à bien entretenir ces animaux qu’en formant une nourriture semblable par sa composition chimique à ces deux alimens. Avec cette condition, toutes les substitutions d’alimens peuvent réussir, car on change les fourrages sans changer pour ainsi dire la nourriture. Le sucre, la glucose, la fécule, sont identiques dans tous les végétaux ; il en est à peu près de même des albuminoïdes et des corps gras. Il faut par conséquent se préoccuper surtout de la composition des alimens qu’on associe, et a cet égard il y a beaucoup de choix sans sortir des denrées très répandues dans le commerce[2]. Les graines des légumineuses et la paille sont les deux alimens extrêmes, les premières par leur richesse en azote, et l’autre par sa richesse en carbone proportionnellement à son azote ; en les mélangeant, on peut constituer une bonne nourriture. Cependant toutes les fois que la paille entre pour une forte proportion dans une ration, elle la rend trop volumineuse, et on ne peut pas la distribuer à des chevaux qui, en raison de leur travail, ont besoin d’être fortement nourris. On remédie à cet inconvénient en remplaçant une certaine quantité de la paille qui serait nécessaire, si on voulait la mêler à la féverole par exemple, par un poids donné d’une graine oléagineuse, soit de chènevis, dont les bons effets pour remettre les chevaux affaiblis sont connus de tous. C’est surtout en réunissant la paille et une petite quantité de graine oléagineuse à de l’orge, à du seigle ou à la féverole, qu’on peut former des mélanges qui, sans être trop volumineux, constituent d’excellentes rations. On peut ainsi nourrir les chevaux avec des grains qu’il est avantageux de faire consommer alors que l’avoine est à un prix très élevé[3].

C’est par l’influence du climat que l’on cherche à expliquer en France pourquoi l’orge suffit aux chevaux d’Orient, tandis qu’elle rend fourbus les chevaux de nos contrées. Si le climat agit dans cette circonstance, son action est bien secondaire. L’orge ou quelquefois la fève remplace l’avoine en Afrique, parce qu’elle est associée à de la paille, aliment très riche en principes carbonés relativement à ses principes azotés. « J’ai voulu savoir, disait un voyageur qui avait été frappé de la vigueur des chevaux et même des ânes égyptiens, comment sont nourris ces ânes du Caire qui font dans la journée quinze heures de marche sans s’être mis le plus petit bout de chardon ou le moindre grain d’avoine sous la dent… J’ai reconnu que leur nourriture est la même que celle des excellens petits chevaux de Constantinople, c’est-à-dire de la paille hachée très menu et mélangée avec des fèves. Il faut croire que cette provende a des qualités nutritives extraordinaires, car aucune monture de notre pays, si bonne qu’elle soit, ne saurait lutter avec le dernier cheval de Stamboul ou avec le dernier âne du Caire. » Ces qualités nutritives extraordinaires résultent de la juste proportion des divers principes immédiats qui se trouvent dans la ration. Le mélange, — paille foulée ou hachée et orge, — que les Arabes de l’Algérie donnent à leurs chevaux représente très approximativement la ration, foin et avoine, que nous distribuons en Europe. En effet, 3 kilogrammes de paille et 4 kilogrammes d’orge contiennent à peu près autant de principes plastiques et plus de principes respiratoires que 2 kilogrammes de foin et 4 kilogrammes d’avoine. Sans carbone et sans hydrogène, les chevaux ne marcheraient pas mieux en Afrique qu’en France.

Pendant la campagne du Mexique, nos chevaux ont été presque exclusivement nourris de mais. M. Liguistin, vétérinaire en chef de l’expédition, a constaté les bons effets de cette alimentation sur la force, l’énergie, la santé de nos chevaux. Par sa composition chimique, ce grain se rapproche beaucoup des alimens types. Il contient même un peu plus de carbone que le foin et que l’avoine, et surtout beaucoup plus de corps gras, ce qui permet de lui adjoindre des alimens fortement azotés, et de constituer des rations vraiment économiques ; Ainsi 3 kilogrammes de mais et 1 kilogramme d’orge, de seigle ou de sarrasin représentent à peu près 5 kilogrammes d’avoine et coûtent beaucoup moins cher. Quand le maïs forme la base d’une ration, on peut y introduire des féveroles, et l’on a un mélange dans lequel tous les élémens nutritifs sont fournis au plus bas prix : 4 kilogrammes maïs, 500 grammes féveroles et 1 kilogramme de paille hachée représentent plus de 6 kilogrammes d’avoine. Enfin un mélange des plus avantageux est celui du mais avec une petite quantité de foin des légumineuses : 2 kilogrammes de luzerne et 8 kilogrammes de mais donnent les mêmes élémens nutritifs que 11k,500 d’avoine. Un mélange de mais et d’orge, remarque M. Liguistin, qui en a bien étudié les résultats en Amérique, constitue une nourriture qui participe des propriétés nutritives de l’un et de l’autre de ces alimens. Les chevaux de l’état-major général de l’armée, qui appartenaient à différentes races et étaient tous d’un grand prix, n’ont pas reçu d’autre nourriture. Ils ont conservé une énergie, une force, une vigueur et une santé qui leur ont permis de supporter les plus rudes fatigues. Antérieurement Humboldt et M. Boussingault avaient constaté qu’au Mexique des mulets et des chevaux nourris au mais et à la paille pouvaient suffire à un travail au trot que nous considérons comme excessif. Ce mélange contient une quantité de carbone plus considérable que celle fournie par le foin et par l’avoine. Or un excès de ce corps n’a jamais des inconvéniens pour la santé, tandis qu’un mélange qui contiendrait un excès d’azote peut déterminer de graves accidens.

Les principes plastiques ou principes azotés sont surtout des matériaux de construction. Une fois que la croissance de l’animal est terminée, et quand ils ne servent pas à créer des produits spéciaux, lait, fœtus, etc., ils n’ont qu’un emploi limité à l’entretien des organes, et, s’ils sont pris en excès, ils restent en circulation dans le sang, dont ils doivent modifier les propriétés, tandis que les principes respiratoires ou hydrocarbonés sont des produits de consommation : ils sont constamment employés, usés, en grande quantité. S’ils sont pris au-delà de ce que les besoins des animaux exigent, ils se déposent dans un tissu destiné à les recevoir, et, sans qu’il en résulte aucun dérangement fonctionnel, ils restent comme en réserve entre les organes. Il y a incontestablement profit à faire dépenser en travail tout le carbone et l’hydrogène disponibles de la nourriture ; mais, si ces deux corps ne sont pas immédiatement brûlés, ils restent en dépôt sous forme de graisse, ils sont en disponibilité pour fournir à la respiration dans le cas où une nourriture insuffisante en rendrait l’utilisation nécessaire.

Depuis que la compagnie des omnibus de Londres compose les rations de ses chevaux avec un mélange d’alimens riches en azote et d’alimens riches en carbone, avec des légumineuses, du mais et de l’avoine, elle obtient des résultats excellens. « Dès le commencement de l’été, est-il dit dans un compte-rendu de cette compagnie pour 1868, il devint évident que, si le système de nourriture adopté par la commission et en général par les propriétaires d’omnibus à Londres était continué, une grande augmentation dans les dépenses de fourrages était inévitable. Une enquête minutieuse et des expériences furent faites pour constater la possibilité d’un plus grand usage de mais sans dommage pour la santé des chevaux. » Cette expérience a parfaitement réussi. Une économie de 131,987 fr. 90 centimes en a été le résultat. L’excellent état de la cavalerie et la diminution de la mortalité ont prouvé que les chevaux n’ont pas souffert de cette nourriture. — Les résultats très encourageans obtenus pendant, le dernier semestre 1868 ont engagé les directeurs de la compagnie à augmenter la proportion du mais pendant une partie du premier semestre 1869, et ensuite à le substituer entièrement, à l’avoine. Pendant l’été, aucune autre espèce de grain n’a été donnée aux équipages. La substitution du maïs à l’avoine, alors qu’il n’entrait encore que pour une part dans la ration de grains, a produit pendant le semestre une économie sur l’ensemble de la nourriture de 354,310 fr. 80 centimes, et cependant le prix du foin avait été bien au-dessus de la moyenne des semestres précédens. Cette substitution a été aussi avantageuse au point de vue sanitaire qu’au point de vue économique, « car dans aucun semestre, depuis que la compagnie existe, disaient les directeurs aux actionnaires (rapport, premier semestre 1869), les dépenses d’entretien et de renouvellement de la cavalerie n’ont été aussi modérées ; les chevaux continuent à être en excellent état de travail. Il n’y a que très peu de maladies. »

En France, quand on a voulu essayer des rations économiques, on a fait usage du hache-paille et du concasseur, et on a diminué les rations en se fondant sur ce que la division des foins et des grains en augmentait les effets nutritifs, ou bien on a remplacé en partie le foin des prairies naturelles par la luzerne, et l’avoine par l’orge ou le seigle, que l’on considère comme très nutritifs parce qu’ils sont fortement azotés. On a même cru pouvoir diminuer la quantité de grain qui entrait dans la ration, de sorte que l’élément respiratoire se trouvait réduit et par la substitution d’un aliment azoté à un aliment plus riche en carbone, et par la diminution du poids de la nourriture distribuée. On a obtenu de mauvais résultats, et on ne s’en étonnera pas, si on réfléchit aux conséquences que peut entraîner chez un cheval qui travaille l’insuffisance de nourriture, ou, ce qui est la même chose, la distribution d’une nourriture non appropriée. Ces mauvais résultats ont découragé les innovateurs, et retardé pour longtemps peut-être l’adoption des moyens les plus économiques de nourrir les chevaux. Les faits sont là pourtant, et il est impossible de les méconnaître. En Angleterre, on hache, on écrase aujourd’hui les fourrages, mais c’est pour faire entrer dans les rations des alimens divers. On associe les alimens (les féveroles avec le maïs et l’avoine, le foin des prairies naturelles et la paille avec le foin des légumineuses), de manière que le mélange représente la composition chimique la plus avantageuse, celle que nous préconisons comme seule convenable pour entretenir en bon état des chevaux qui travaillent. Si on remplace l’avoine, devenue d’un prix trop élevé, c’est par un grain plus riche qu’elle en carbone et surtout en corps gras. Ajoutons, pour terminer sur ce sujet, que deux conditions sont nécessaires pour qu’un cheval soit bien nourri. Il faut d’abord que sa ration contienne une suffisante quantité de carbone : si ce corps combustible ne lui est pas fourni par les alimens, il use la graisse que ses muscles contiennent, car, sans le calorique qui est produit par la combustion intérieure du carbone et de l’hydrogène, il lui serait aussi difficile de marcher qu’à une locomotive, si le fourneau n’était pas alimenté. Il faut ensuite, pour éviter tout ce qui peut surcharger ses organes digestifs, lui donner de préférence les alimens les plus riches en corps gras : les corps gras ont sur les autres principes immédiats respiratoires ou thermogènes, sur les corps neutres, une supériorité qui s’explique par leur richesse en carbone et en hydrogène.

En substituant à l’avoine et au foin des prairies naturelles d’autres alimens, on peut donc nourrir plus économiquement les chevaux ; mais, nous le répétons, on ne doit donner au cheval l’orge, le seigle, le blé ou une légumineuse, graine ou foin, que si on lui fait consommer en même temps une certaine quantité de paille, de graines oléagineuses ou de mais. Le maïs est le seul grain qui puisse, étant administré seul, remplacer l’avoine, dont il se rapproche beaucoup par la composition. Comme d’ailleurs, à cause du prix peu élevé et de la richesse en principes nutritifs du mais, c’est de tous les grains celui qui fournit l’azote et le carbone au plus bas prix, comme la plante qui le produit donne une très grande quantité de matières alimentaires, et qu’elle prospère sur une grande partie de notre territoire, nous en considérerions l’introduction dans la nourriture normale de nos chevaux comme un grand bienfait.

En résumé, à défaut d’expériences directes, l’observation de tous les jours confirme la nécessité d’étudier les besoins des animaux et de composer les rations de manière à satisfaire ces besoins et à constituer les produits, — lait, viande ou travail, — que nous avons intérêt à obtenir. Donner un excès d’azote à un animal qui est entièrement formé, et qui n’a besoin de sa nourriture que pour s’entretenir et produire de la force motrice, c’est d’abord perdre une substance d’une grande valeur qui pourrait être utilement employée à produire de la viande ou du lait, et en outre c’est surcharger l’économie animale de principes immédiats (albuminoïdes) qui, n’ayant pas comme la graisse un réceptacle pour les recevoir, peuvent entraîner par leur excès les plus graves maladies. Les chimistes modernes, en soumettant à l’analyse les principales substances alimentaires et les produits animaux, ont fait entrer la science zootechnique dans une voie de progrès. L’observation raisonnée de faits que tous les jours on peut étudier fera fructifier leurs travaux. On a beaucoup insisté sur les avantages qu’on trouverait dans l’acclimatation des espèces exotiques d’animaux domestiques comme moyen d’augmenter la production des matières alimentaires. Il fallait une année comme l’année 1870 pour éclairer la question. Ce ne sont pas les machines à faire de la viande et du fait qui nous manquent, c’est le principe moteur de ces machines et les matières premières qui devraient leur fournir les élémens de la production. Si on introduisait le yack, la vigogne, le lama et le zèbre sur nos Alpes et nos Pyrénées, il faudrait cesser d’y conduire les moutons, les vaches et les chevaux de la Provence, du Languedoc et du Roussillon. Quant à entretenir dans nos fermes des animaux autres que ceux entretenus et perfectionnés depuis un temps immémorial et préférés par tous les peuples de la terre à ceux qu’on voudrait y introduire, il ne peut pas en être question. Il ne faut pas songer davantage à les y élever simultanément. Pour les opérations zootechniques comme pour les opérations industrielles, le progrès consiste à simplifier les machines à production, à se servir des instrumens les plus appropriés aux milieux dans lesquels on les fait agir. Aussi avons-nous vu l’industrie zootechnique, sous la seule suggestion de l’intérêt du producteur, se diviser, et chacune de ses branches être exercée dans des fermes et même dans des provinces différentes. Ici, on s’occupe de multiplication, on n’entretient que des jumens poulinières et on fait naître les poulains ; ailleurs, on s’adonne à l’élevage des jeunes chevaux ; sur les hautes montagnes, on fait naître les bêtes à cornes ; dans les plaines fertiles, on les engraisse, etc.

Au point de vue de l’agriculture proprement dite, de la culture des plantes, les conditions sont différentes. Le progrès consiste, à l’inverse de ce qui a lieu pour la production des matières animales, à multiplier le nombre des espèces utiles. Plus nous possédons d’espèces susceptibles d’être cultivées, plus ces espèces diffèrent les unes des autres par la longueur et la direction de leurs racines, par l’ampleur de leurs feuilles, par le terrain et les engrais qu’elles réclament et les matériaux qu’elles absorbent, par l’époque de l’ensemencement et de Ta maturité, par le genre de denrées qu’elles fournissent, plus la culture est riche et productive, plus la moyenne du rendement de la ferme est assurée, et plus sûrement nous sommes garantis contre les effets désastreux d’une grande humidité et de sécheresses extrêmes comme celle de 1870.


J.-H. MAGNE.

  1. Ces prix ont été établis en prenant pour base une même mercuriale. Il est évident qu’ils varient. Nous n’avons voulu qu’établir une comparaison, qui serait plus encore au désavantage de l’avoine, si nous faisions les calculs d’après la mercuriale de ce jour.
  2. 5 kilogrammes de foin des prairies naturelles, qui contiennent 57g 5 d’azote et 1,161 grammes de carbone dans les élémens respiratoires, pourraient, dans plusieurs circonstances, être avantageusement remplacés par 2 kilogrammes de foin de luzerne et 4 kilogrammes de paille. Ce mélange contiendrait 58 grammes d’azote et 1,221 grammes de carbone dans les élémens respiratoires ; 6 kilogrammes de paille et 600 grammes de féveroles renfermeraient aussi la même quantité d’élémens nutritifs que 5 kilogrammes de foin.
  3. Seigle 3 kilogrammes, chènevis 0k50Q et paille hachée 1 kilogramme, ou orge 3k500, chènevis 0k500 et paille hachée 0k500, donnent la même quantité d’élémens nutritifs que 4k 500 d’avoine.