La Satyre Ménippée/Harangue de Monsieur le Cardinal de Pelvé

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Satyre Menippee
Garnier frères (p. 86-103).

HARANGUE DE MONSIEUR LE CARDINAL DE PELVÉ[modifier]

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Monsieur le Lieutenant, vous m’excuserez si pour contenter ceste docte Assemblée et garder le decorum et la dignite du rang que je tiens en l’Église par la volonté de vous et des vostres, je fay quelque discours en langage latin, auquel vous sçavez qu’il y a long-temps que j’estudie, et en sçay presque autant que mon grand père, qui fut un bon gendarme et un bon fermier[2] quant et quant soubs le roy Charles huictiesme. Mais quand j’en auray dit trois mots, je reviendray à vous et à vos affaires. Je m’adresserai donc à vous, Hommes illustres, atque ex tota Galliarum colluvie electissimi, ut vobis intelligere faciam multa quæ Gallica lingua satis non possunt exprimari ; est enim operæ pretium ut nos præcipue qui studuimus in celeberrima Academia Parisius, et sapimus magis quam fex populi, habeamus aliquid secreti quod mulieres non intelligant. Volo igitur vos scire (et haec dicantur tantum piis auribus) quod exivit edictum, sive mavultis rescriptum per breve a domino nostro Papa, per quod nobis permittitur eligere, creare, sacrare et ungere Regem novum, talem qualem vobis placuerit, modo, sit de stirpe vel Austriaca vel Guysiaca. Habetis igi

Traduction[3].

. . . . et choisis dans tout ce ramas du pays de France, pour vous faire entendre bien des choses qui ne sauraient s’exprimer assez bien en langue française. C’est notre récompense, à nous qui avons principalement étudié en la célèbre Académie de Paris, et qui en savons plus long que la lie du peuple, d’avoir quelque chose de secret qui ne soit point compris des femmes. Je veux donc que vous sachiez (et que ceci soit dit seulement pour les aureilles pieuses) qu’un décret, ou, si vous l’aimez mieux, un rescrit, un bref, a été rendu par le Pape, notre maître, par lequel il nous est permis d’élire, créer, sacrer, et oindre un nouveau roi selon votre bon plaisir, pourvu qu’il soit de la maison d’Autriche ou Guisarde. A vous donc de voir en tur ad providendum ex utra gente mavultis, Principem. Nam de istis Borboniis non sunt loquelæ neque sermones, quanto minus de isto Hæretico relapso, quem idem Dominus noster Papa, per idem rescriptum adfirmat esse jam damnatum apud inferos, et animam ejus propediem servituram Lucifero pro merenda pomeridiana. Sane ego sum Gallus, nec renegabo meam patriam. Sed si ista electio vaderet ad libitum meum, profecto pro bono meo et meorum, atque etiam vestro, libenter vos precarer ut daretis vestras voces alicui ex familia Lotharena, quam scitis tam bene fecisse in Republica Catholica et Ecclesia Romana. Fortasse vero Dominus Legatus habet aliud intentum, ad placendum Hispanis ; sed non dicit omnia quæ habet in scrinio pectoris. Vos interea hoc tenete firmum : nullo modo esse loquendum aut

laquelle des deux vous préférez choisir un Prince. Car de ceux qu’on appelle Bourbons il ne saurait être question, encore bien moins de cet Hérétique relaps, que le Pape, notre maître, déclare, en ce même rescrit, être d’ores et déjà damné aux enfers, et dont l’âme servira avant qu’il soit peu au souper de Lucifer. Certes, je suis Français, et je ne renierai ma patrie ! Mais, si cette élection marchait à mon gré, je n’hésiterais pas, dans l’intérêt de moi et des miens, et aussi dans le vôtre, à vous prier de donner vos voix à quelqu’un de la maison de Lorraine, que vous savez avoir si bien mérité de la République Catholique et de l’Église Romaine. Peut-être Monsieur le Légat a-t-il une autre visée, afin de plaire aux Espagnols ; mais il ne dit pas tout ce qu’il a au fin fond du cœur. Tenez toujours pour certain audiendum de pace facienda cum istis damnatis Politicis ; quin potius armate et parate vos ad patiendum omnes extremitates, vel etiam mortem, famem, ignem et ruinam totius urbis vel regni : nihil enim potestis facere gratius et acceptabilius Deo et Regi nostro Philippo Catholicissimo. Non ignoro Luxemburgum et Cardinalem Gondium et Marchionem Pisanum Romam profectos, ut praeparent animum domini nostri Papae, ad audiendum Legationem Biarnezi, tractaturam de conversione sua. Sed quantum tuta est luna a lupis, tantum aversum est cor Domini nostri a talibus negotiis. Estote fortes et securi sicut et ego : modo sim intra muros Parisius. Sane paraveram aliquid boni ad dicendum vobis

qu’il ne faut aucunement parler, ni rien écouter d’une paix à faire avec ces damnés Politiques. Armez-vous bien plutôt de courage, et préparez-vous à endurer toutes les extrémités, la mort même, la faim, le feu et la ruine de cette ville ou du royaume, car vous ne pouvez rien faire qui soit plus méritoire et plus agréable à Dieu et à notre roi Philippe le Très-Catholique. Je n’ignore pas que le duc de Luxembourg, le cardinal de Gondi et le marquis Pisani sont partis pour Rome afin de disposer le Pape, notre Maître, à recevoir une ambassade du Biarnais, chargée de traiter de sa conversion. Mais, autant la lune est hors de l’atteinte des loups, autant le cœur de notre Maître est éloigné de telles négociations. Soyez assurés et tranquilles comme moi, tant que je me sens dans les murs de Paris.

La vérité est que j’avais préparé un bon discours à vous faire de beato Paulo, cujus conversio heri celebrabatur, quia sperabam quod heri in ordine meo me contingebat loqui. Sed me fefelli longa nimis oratio Domini de Mania, et ideo cogor remittere in vaginam gladium latinitatis meae, quem volebam stringere in conversionem istam, de qua Politici nonnulli nescio qui disseminant in vulgum, quam tamen neque credo neque cupio, quoniam beatus Paulus multum distabat ab isto Navarra. Erat enim nobilis, et civis Romanus : et quod nobilis fuerit, et stirpe nobilis editus, apparet ex eo quod Romae fuit illi amputatum caput. Iste vero est infamis propter haeresim, et tota familia Borboniorum descendit de becario, sive ma

sur saint Paul, dont la conversion se célébrait hier, parce que je comptais vous haranguer hier, arrivant, mon tour de parole. Mais j’ai été trompé dans mon attente par la longueur du discours du seigneur du Maine, et il me faut rengainer mon éloquence latine que je comptais brandir contre cette conversion, à propos de laquelle quelques Politiques répandent dans le public je ne sais quel bruit, que je ne crois ni n’espère être fondé. Car saint Paul était bien différent de ce Navarrois. Il était noble et citoyen Romain ; et ce qui prouve qu’il était noble et de noble maison, c’est qu’on lui trancha la tête à Rome[4]. Celui-ci est infâme à cause de son hérésie, et toute la famille des Bourbons est issue d’un boucher, ou, si mieux vultis de lanio, qui carnem vendebat in laniena Parisina, ut asserit quidam poeta valde amicus Sanctae Sedis Apostolicae, et ideo qui noluisset mentiri. Paulus etiam conversus est cum miraculo ; iste non, nisi forte dicat, obsidione se cinxisse hanc urbem menses circiter quatuor, cum sex millibus hominum, dum intus essent plus quam centum millia : et hoc esse miraculum, et cepisse tot urbes et arces fortissimas, sine murorum subversione, sed per invia foramina et arctos cavos vix uni soli militi penetrandos. Addite quod Paulus timuit, et magno terrore est affectus ex fulgure cœli. At iste est imperterritus, nec timet quidquam, nec fulmen, nec fulgura, nec imbres, nec hyemem et glaciem, aut aestum, imo nec acies nostras et exercitus nostros tam bene instructos, quos cum vous aimez, d’un abatteur qui vendait de la viande à la boucherie de Paris, comme l’a dit un poëte, grand ami du Saint Siége Apostolique, et parlant incapable de mentir. De plus, saint Paul s’est converti par un miracle. On ne peut en dire autant de celui-ci, à moins qu’il ne se vaille comme d’un miracle d’avoir investi cette ville durant environ quatre mois avec six mille hommes, quand elle en renfermait plus de cent mille ; et d’avoir pris tant de villes et de citadelles très-fortes sans détruire leurs murailles, mais en y pénétrant par des ouvertures inaccessibles et d’étroits souterrains où pouvait à peine passer un soldat. Ajoutez que saint Paul eut peur et fut frappe de terreur aux éclats de la foudre, tandis que celui-ci se montre imperturbable et ne redoute rien, ni les foudres, ni les éclairs, ni les pluies, ni les froids, ni les glaces de l’hiver, ni les ardeurs de l’été, ni même nos troupes et nos armées si bien ordonnées. pauca manu audet expectare et ante venire, et debellare aut fugare. Pereat male diabolus iste velox et insomnis, qui nos tam laboriose fatigat et impedit dormire ad nostrum libitum ! Sed hactenus de Paulo, ne Polycarpus, cujus hodie festum agitur, fortasse invideat, quem tamen praetermittam, quia de eo nihil praevidi aut praemeditavi. Memini, quidem cum essem Romae, in tempore Gregorii Papae, me proposuisse in Consistorio quinque protesta, sive problemata disputanda, quae tota respiciebant sanctissimam istam congregationem de eligendo rege Francise. Nam ab eo tempore quo me Henricus defunctus, iste fautor Haereticorum, spoliavit meo episcopatu Senonensi, et in sua manu posuit meos reditus et beneficia quae habebam in suo regno, Que dis-je ? il ose les attendre avec une poignée de ses soldats, il ose les affronter et les mettre en pièces ou en fuite. La peste soit de ce diable, toujours mouvant, toujours éveillé, qui nous accable de fatigues et nous empêche de dormir à notre gré ! Mais je ne vous ai jusqu’ici parlé que de saint Paul, et je devrais vous parler de saint Polycarpe, dont c’est aujourd’hui la fête, pour qu’il ne soit pas jaloux. Je ne le ferai pourtant pas, par la raison que je n’ai pas prévu le cas et n’ai rien de préparé. Je me souviens que, lorsque j’étais à Rome du temps du Pape Grégoire, je proposai en Consistoire cinq protestations, ou problèmes à discuter, qui tous avaient charmé cette très-sainte Assemblée, réunie pour élire un Roi de France. Car, dès le temps où feu le roi Henri, ce fauteur d’hérétiques, me dépouilla de mon archevêché de Sens, et saisit mes revenus et semper habui animam et intentionem me vindicandi, et feci omnia quae potui, et faciam in aeternum, quando deberem animam meam tradere diabolo, ut ista insignis injuria cadat in caput Gallorum omnium qui passi sunt, nec se opposuerunt opprobrio meo. Quod cum essem saepius pretestatus, tandem effeci ut vos sciretis bene quid dicere. Sed alio me vocant Principes isti, et istae totius orbis insignes uniones et gemmae mirabiles, quos et quas alloqui nunc res postulat, caeteramque turbam deputatorum et deputantium, quorum interest ut intelligant me disserentem lingua Gallica, quam pene dedidici loqui, adeo patriam meam sum oblitus.

Je retourneray donc à vous, Monsieur le Lieutenant, et vous diray que, si j’eusse trouvé en France bénéfices dont je jouissais, j’ai toujours eu l’intention et la volonté de me venger, et j’ai fait tout mon possible (et je le ferai à toujours, quand je devrais donner mon âme au Diable) pour que cet insigne outrage retombe sur la tête de tous les Français, qui ont souffert pareille chose et ne se sont point opposés à mon opprobre. Je l’avais souvent annoncé : je l’ai enfin exécuté, et vous en savez quelque chose. Mais revenons à ces Princes ici présents, perles rares et merveilleux diamants de l’univers entier, auxquels il faut maintenant que je m’adresse, ainsi qu’au reste des députés et des députans, qui ont intérêt à m’entendre parler en français ; malheureusement j’ai presque oublié cette langue, tant j’ai oublié mon pays. les affaires avoir reussy selon les pratiques et intelligences que j’ay menées depuis vingt-cinq ans[5] avec les Espagnols à Rome, je verrroy maintenant feu Monsieur vostre frere en ce throsne royal, et aurions occasions de chanter avec ce bon patriarche : Nunc dimittis, etc. Mais, puisque ce n’a pas esté la volonté de Dieu qu’ainsi fust, patience : assez va qui fortune passe. Si vous diray-je en passant que, fide mea, il vous faict fort bon veoir[6] assis là où vous estes, et avez fort bonne mine, et remplissez bien vostre place, et ne vous advient point mal à faire le roy. Vous n’avez faulte que d’une bonne cheville pour vous y bien tenir. Vous avez toute pareille façon, sauf l’honneur que je dois à l’Eglise, qu’ung Sainct Nicolas de village, a fè di Dio. Il me semble que nous celebrons icy la feste des Innocents[7] ou le jour des Roys. Si vous aviez maintenant un plein verre de bon vin, et qu’il pleust à la majesté de vostre Lieutenance boire à la compagnie, nous cririons tous : le Roy boit ! Aussi bien n’y a-il gueres que les Roys sont passez, où nous empeschasmes bien qu’on ne fist de Roy de la Febve de peur d’inconvenient et de mauvais presage. Mais, si vous estes icy à ceste my-Karesme prochaine, nous chevaucherons tous avecques vous par les rues, et ferons la my-Karesme à cheval[8], si nous pouvons retenir jusques alors toute ceste Catholigue Assemblée, à laquelle je veux maintenant adresser mon propos en general : et que tout le monde m’entende.

Messieurs, ne me tenez pas pour homme de bien et bon Catholique si la maladie de France (je n’entends parler del male Francioso)[9], je veux dire vos miseres et pauvretez, ne. m’ont faict venir par deça, où je me suis comporté en vray hypocrite : (je vouloy dire Hipocrate, mais la langue m’a fourché). Ce grand medecin, voyant son pays affligé d’une maladie epidémique et peste cruelle qui exterminoit tout le peuple, s’advisa de faire allumer force feux par toutes les contrées pour purger et chasser le mauvais air : et moy tout, de mesme, pour venir à bout de mes desseins Catholigues, et pour antidote à nostre saincte Union, qui est frappée de peste, j’ai esté un des principaux auteurs (je le dy sans vanterie) de tous ces feux et embrasements qui bruslent et ardent maintenant toute la France, et qui ont tantost mis et consommé en cendres le plus beau qui y fust de reste des Goths et Visigoths. Si le feu Cardinal de Lorraine, mon bon maistre, vivoit, il vous en rendroit bon tesmoignage, car m’ayant tiré de la marmitte des Capettes[10] de Montagu, puis mis en la Cour de Parlement[11], où je descouvry bien l’eschole, quand il me feit Evesque, puis Archevesque, et enfin Cardinal, ce fut tousjours à condition expresse d’acheminer ceste affaire à sa perfection, et obliger ma vie et mon ame à l’avancement de la grandeur de Lorraine et detriement de la maison des Valois et des Bourbons. A quoy je n’ay pas failly en tout ce qui possible m’a esté et que ma cervelle s’est peu estendre ; et en ces jours derniers les presidents Vétus et Janin[12] m’ont assisté de memoire et pratiques, et ont quasi empieté mon credit, et devant eux encore mes collègues David et Piles[13] n’eussent pas fait grand chose sans moy, ny moy sans eux. Le pauvre Salcede sçavoit bien un tantinet du secret, mais non pas tout, et n’eut pas bon bec, car il descouvrit le pot aux roses, dont il faillit à nous perdre avec luy[14]. Toutesfois nous avons bien eu la raison de tous ces Valesiens, et l’aurons, Dieu aidant, de ces Bourbonistes, si chacun de vous y veut faire di galante uomo.

Quant à moy, Messieurs, me voicy à vostre commandement à vendre et à despendre, pourveu que comme bons Catholiques zelez, vous vous soubmetiez aux archicatholiques Princes Lorrains, et supercatholiques Espagnols, qui ayment tant la France, et qui desirent tant le salut de vos ames qu’ils en perdent la leur par charité catholique : dont c’est grand pitié. Et vous prie d’y adviser de bonne heure de peur que ce Biarnois ne nous joue quelque tour de son mestier ; car, s’il alloyt se convertir et ouyr une meschante messe seulement, cancaro ! nous se rions affolez, et aurions perdu tout à un coup nos doublons et nos peines. Mais, encore que ces bonnes gens de Luxembourg[15] et Pisani[16] le promettent à nostre Sainct Pere, il n’en sera peut estre rien. C’est pourquoy, in dubio, vous vous devez haster de vous mettre entre les mains des medecins, ces bons chrestiens de Castille, qui sçavent vostre maladie et en connoissent la cause, et par conséquent sont plus propres à la guérir si les voulez croire. Car ceux qui disent que les Espagnols sont dangereux empiriques, et font comme le loup qui promettoit à la brebis de la guerir de sa toux ; cela est faux : ce sont tous heretiques qui le disent, et tout bon catholique doit croire, sur peine d’excommunication et de censure ecclésiastique, que le preux[17] Roy d’Espagne voudroit avoir perdu ses Royaumes de Naples, Portugal et Navarre, voire son Duché de Milan, et le Comté de Roussillon, et tous les droits qu’il a aux Pays-Bas que les Estats lui gardent, et que tous les François fussent bons Catholiques et voulussent volontairement et de fait recevoir ses garnisons avec la saincte Inquisition, qui est la vraye et unique touche pour connoistre les bons chrestiens et catholiques zelez, enfants d’humilité et obéissance.

Ne croyez donc pas que ce bon Roy vous envoye tant d’ambassadeurs, et vous fasse envoyer ces bons personnages Legats du Sainct Pere à autre intention que pour vous faire croire qu’il vous aime sur toutes riens[18]. Penseriez-vous que luy, qui est Seigneur de tant de Royaumes qu’il ne les peut compter que par les lettres de l’alphabet[19], et si riche qu’il ne sçait que faire de ses tresors, voulust se mettre seulement en peine de souhaiter si petite chose que la seigneurie de France ? Toute l’Europe, par maniere de dire, ne luy est pas une contrée de ces nouvelles Isles conquises sur les Sauvages. Quand il sue, ce sont des Diadesmes ; quand il se mousche, ce sont des Couronnes ; quand il rote, ce sont des Sceptres ; quand il va à ses affaires, ce ne sont que Corntez et Duchez qui luy sortent du corps[20], tant il en est farcy et remply [21]. Ce seroit donc bien à propos de soupçonner qu’il voulust estre Roy de France : ma de si ! Je ne dy pas que, pour guarir des escrouelles, dont les pays meridionaux sont fort infestez, il ne fist quelque chose, à la priere des devots habitans de sa bonne ville de Paris, qui l’ont supplié par lettres expresses signées de leurs mains[22], de les recevoir comme ses bons subjects et serviteurs et d’accepter le pesant fardeau de la Couronne de France ; ou, si son dos estoit si courbé et chargé d’autres couronnes plus precieuses que celle de France n’y peust trouver place, pour le moins il en recompensast quelqu’un de ses hidalgos, qui luy en feroyt foy, hommage et reverence. Mais autrement, je vous prie pour l’honneur de Dieu, ne pensez pas qu’il y pense. Ses comportements aux Pays Bas et aux Terres Neufves vous doivent asseurer qu’il ne pense à nul mai, non plus qu’un vieil singe.

Et, quand ainsi seroit qu’il vous auroit tous faict entretuer et perir par feu, fer et famine, ne seriez vous pas bienheureux d’estre assis là-haut, en Para dis, au dessus des Confesseurs et Patriarches, et vous moquer des maheutres’ que vous verrez dessous vous, rostir et bouillir aux chaudieres de Lucifer ? Mourez quand il vous plaira : nous avons assez de Mores, Africains, Wallons et Foruscits[23] pour mettre en vostre place. Tuez, massacrez et bruslez hardiment tout : Monsieur le Legat pardonnera tout ; Monsieur le Lieutenant avouera tout ; Monsieur d’Aumale vous adjugera tout ; Monsieur de Lyon scellera tout ; et monsieur Marteau signera tout. Je vous serviray de Pere Confesseur, et à la France aussi, si elle a l’esprit de se laisser mourir bonne Catholique, et faire les Lorrains et Espagnols ses héritiers, comme je vous en prie tous en general et particulier ; vous asseurant, aprés Monsieur le Legat, que vos ames ne passeront point par le feu de Purgatoire, estants assez purgées par les feux que nous avons allumez aux quatre coings et au milieu de ce Royaume pour la saincte Ligue, et par la penitence, jeusnes et abstinence, que nous vous faisons faire en devotion. Quant à l’élection d’un Roy, je donne ma voix au marquis des Chaussons[24] : il n’est lipu

</ref> Fuorusciti, sortis de leur pays, bannis, c’est-à-dire des bandits. Ici ce mot doit désigner les troupes napolitaines qui composaient une partie do la garnison espagnole. ny camus[25], ains bon Catholique, Apostolique et Romain ; je le vous recommande, et moy de mesme. In nomine Patris, et Filii, et spiritus Sancti. Amen.

Ces mots finis, tous les Docteurs de Sorbonne et Maistres ès-Arts là presents fraperent en paulme, et crierent Vivat ! par plusieurs fois, si fort que toute la sale en retentissoit. Et, apres que le bruit fut un peu cessé, se leva le Prieur des Carmes[26] hors de sa place, et monta sur son banc, où il prononça tout haut de fort bonne grace ce petit quatrain, comme s’il l’eust composé sur le champ : Son éloquence il n’a peu faire veoir, Faute d’un livre où est tout son sçavoir. Seigneurs Estats, excusez ce bon homme : Il a laissé son calepin à Rome[27].

Et tout à l’instant, un petit maistre ès-arts saillit marquis de Chaussins, en Bourgogne, frère du duc de Mercœur. aussi en piedz, et tournant le visage vers mondit sieur le Cardinal de Pelvé, repliqua de mesme en autant de carmes :

Les Frères Ignorants[28] ont eu grande raison De vous faire leur chef, Monsieur l’Illustrissime[29] : Car ceux qui ont ouy vostre belle oraison Vous ont bien reconneu pour ignorantissime. Tout le monde trouva ceste rime fort plaisante, et aprés avoir faict un second battement de mains, non toutesfois si long que le precedent, Monsieur de Lyon se leva et fit signe de la main qu’il vouloit parler. Parquoy, aprés que tout le monde eust sonorement et theologalement toussy, craché et recraché, pour l’ouyr plus attentivement a cause de la reputation de son eloquence, il discourut ainsi, ou environ.

  1. Florent Chrestien est l’auteur de cette harangue.
  2. Cette assertion n’est qu’une méchanceté de l’auteur qui, peut-être, veut se moquer des manières peu distinguées du cardinal. Son grand-père, dont il parle ici, Thomas de Pellevé, de bonne noblesse Normande, était, en 1428, écuyer, seigneur de Valogne en Cotentin.
  3. Nous donnons ici la traduction de M. Ch. Read, à laquelle nous n’avons fait que de légères corrections.
  4. Autrefois on ne tranchait la tête qu’aux gentilshommes, et les roturiers étaient seuls pendus. Le cardinal de Pellevé attribue naïvement à l’antiquité les coutumes de son temps, et il estime que saint Paul était de bonne noblesse puisqu’il fut décapité et non pendu.
  5. Dès 1565, étant au Concile de Trente, il s’était montré hostile à la Franco.
  6. Addit. postérieure : « Oui, monsieur le Lieutenant, il vous faict fort bon veoir. . . s
  7. Au moyen âge la fête des Saints Innocents servait de prétexte à des parodies des cérémonies sacrées et à des saturnales auxquelles les clercs se livraient dans les églises. Cette coutume scandaleuse fut abolie au XVe siècle.
  8. Pellevé fait sérieusement, et à son insu, une dure satire de la Ligue et des Etats-Généraux, qu’il assimile tour à tour aux folies du jour des Innocents, aux bombances du festin des Rois et aux travestissements de la mi-careme.
  9. On appelait en Italie mal français la même maladie qu’en France on nommait mal de Naples.
  10. s boursiers du collège de Montaigu portaient do petites capes, d’où leur vint ce surnom. Ils vivaient fort misérablement.
  11. llevé avait commencé par être solliciteur au Palais pour les affaires du cardinal de Lorraine, son protecteur.
  12. premier remplit à Rome une mission pour le compte de la Ligue ; le second était membre du Conseil des Quarante.
  13. vid était avocat ligueur, ayant très mauvais renom au Palais. Nicolas Piles, abbé d’Orbais, était secrétaire du clergé aux États-Généraux.
  14. colas de Salcède, écartelé en Grève au mois d’octobre 1582, comme complice d’une conjuration au profit de l’Espagne. Il avait compromis le cardinal de Pellevé dans ses aveux.
  15. François de Luxembourg, duc de Piney, reconnut un des premiers Henri IV et lui déclara le désir qu’avait la noblesse de le voir abjurer le protestantisme.
  16. Le marquis de Pisani, envoyé à Rome par les catholiques français en octobre 1592, pour disposer le pape Clément VIII à reconnaître Henri IV.
  17. Il y a ici une sorte de jeu de mots : le preux mis pour lépreux, parce que le roi d’Espagne, Philippe II, était atteint d’une sorte de gale ou de lèpre.
  18. r. « Qu’il vous aime sur toutes gens. »
  19. dit. « Comme Charles Magne faisoit ses monastères. »
  20. itation de la longue énumération des qualités de Quaresmeprenant. (V. Rabelais. Pantagruel, livre IV. C. XXXII. )
  21. édition datée de 1594 ajoute ici : Non eripit mortalia, qui regna dat cœlestia. Vers tiré d’un hymne des vespres de l’office du jour des Rois.
  22. tte lettre, datée du 20 septembre 1591, fut portée en Espagne par le jésuite Claude Mathieu ; mais le gouverneur du Bourbonnais l’intercepta et l’envoya au roi.
  23. ef>s hérétiques, les soldats de Henri IV.
  24. pellation grotesque qui désigne François de Lorraine,
  25. s membres de la famille d’Autriche avaient presque tous les lèvres grosses. Quant au jeune duc de Guise, prétendant au trône, il avait le nez camard.
  26. mon Filleul.
  27. lusion à la politique du cardinal de Pellevé, plus romaine que française, et à son attitude au Concile de Trente, où, envoyé pour soutenir les intérêts de l’Église Gallicane, il oublia son calepin, c’est-à-dire ses instructions, et soutint les intérêts de Rome.
  28. s Capucins, dont le cardinal de Pellevé se déclarait le protecteur, et que l’on nommait en Italie fratelli ignoranti.
  29. XVIe siècle, le titre d’Illustrissime, n’appartenait qu’aux Cardinaux-Princes.