Aller au contenu

La Température et la Vie

La bibliothèque libre.
La Température et la Vie
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 93 (p. 176-201).
LA
TEMPÉRATURE ET LA VIE

Tout être vivant produit de la chaleur ; partout où il y a de la vie, il y a simultanément production et dégagement de calorique. D’autre part, il existe pour tout organisme, animal ou végétal, des limites thermiques en-deçà et au-delà desquelles il ne saurait exister, et dans l’intervalle desquelles seules il atteint son développement. C’est dire que la température est un facteur important dans la vie des organismes, et il nous paraît y avoir quelque intérêt à exposer, avec les détails nécessaires, les faits sur lesquels repose la conclusion précédente. Il nous faut aborder successivement deux questions : celle de la production de chaleur par les êtres vivans, et celle de l’influence qu’exercent sur ceux-ci les variations thermométriques du milieu qu’ils habitent, variations qui réagissent nécessairement sur leur température interne, mais avec une intensité variable.


I.

Tout animal est une source de chaleur. Nettement appréciable pour l’homme, l’oiseau, et les organismes supérieurs en général, la température propre de l’aristocratie animale présente des différences peu considérables, mais néanmoins intéressantes. Ce sont les oiseaux qui produisent certainement le plus de chaleur : du moins ce sont eux qui présentent la température propre la plus élevée ; car, d’après les différens observateurs, elle oscille entre 39 et 44 degrés centigrades. Chez l’homme et les mammifères, elle varie entre 37 et 39 degrés. On a qualifié l’homme, les mammifères et les oiseaux, d’êtres à température constante, d’animaux à sang chaud. L’on a voulu indiquer par là que ce sont des organismes à température propre assez élevée, qui ne varie que faiblement et ne suit point les oscillations de la température ambiante. Pour abréger, nous les désignerons sous le nom d’animaux homéothermes, c’est-à-dire doués d’une température sensiblement constante. Les autres organismes, qui ne rentrent point dans la classe des oiseaux ou des mammifères, ont été appelés animaux à sang froid, à température variable, animaux hétérothermes, parce que, à l’état physiologique normal, leur température propre suit toujours, d’assez près, les oscillations de la température du milieu qu’ils occupent. Le reptile, le batracien, le poisson, le mollusque, le crustacé, l’insecte, etc., ont à peu près la température de l’eau ou de l’air qui les entoure. Sont donc hétérothermes tous les animaux qui ne sont ni mammifères ni oiseaux. Il est à noter cependant que certains mammifères, de l’ordre des rongeurs en particulier, sont tour à tour homéothermes et hétérothermes : ce sont les animaux hibernans, qui, dès la chute de la température extérieure au-dessous d’un certain degré, s’engourdissent et s’endorment, présentant une température propre peu supérieure à celle de l’extérieur. Nous en reparlerons plus loin.

A la vérité, sans le secours de certains instrumens, l’on croirait que les animaux hétérothermes ne produisent aucune chaleur, tant, aux sens, leur température semble identique à celle du milieu où ils se trouvent. Pourtant, chez les reptiles, l’excès de la température de l’animal sur le milieu extérieur (excès noté pendant que ce dernier est à une température moyenne, naturellement, entre 5 et 15 degrés centigrades par exemple) atteint parfois 6, 7 ou 8 degrés : le plus souvent il varie entre 1 et 4 degrés. Chez les batraciens, il est moindre, et ne dépasse guère 2 ou 3 degrés dans les mêmes conditions. La différence s’atténue encore chez les poissons, et surtout chez les invertébrés, où l’on ne trouve parfois qu’un excès de ¼ ou 1/2 degré centigrade. Pourtant les insectes, et surtout ceux qui vivent en communauté, dégagent parfois beaucoup de chaleur. C’est ainsi que Réaumur a relevé, dans une ruche d’abeilles, la température de 12°5, alors que l’air extérieur était à — 3° 7. En résumé, les animaux hétérothermes produisent peu de chaleur; mais en fin ils en produisent toujours.

Quelle est la cause de la calorification? Tel est le point qu’il nous faut maintenant examiner. Les idées les plus bizarres ont été émises tour à loin-sur cette question. Les uns faisaient de la chaleur animale un principe mystérieux, siégeant dans le cœur, et y développant une température telle que si, par imprudence, l’on touchait à cet organe, la main ressentait une brûlure pénible. Ces auteurs n’avaient évidemment jamais pratiqué de vivisections : bien que le cœur soit un des points les plus chauds de l’organisme, sa température ne dépasse guère 39 ou 40 degrés chez les mammifères. Pour J. Hunter, le célèbre chirurgien et anatomiste, ce principe mystérieux siège dans l’estomac. Barthez et ses disciples attribuèrent la chaleur animale à une cause toute différente, plus raisonnable en ce qu’elle exclut le surnaturel et le mystère, mais non moins erronée : ils la croyaient due au frottement des diverses parties solides et liquides de l’organisme. C’est Lavoisier qui a posé les bases véritables de la théorie de la calorification. Après s’être rendu un compte exact de la nature et des propriétés des élémens constituans de l’air normal, il démontra d’une façon irréfutable que l’air expiré par un animal est plus riche en acide carbonique que ne l’est l’air inspiré. Il y a eu combinaison entre l’oxygène de l’air et le carbone appartenant à l’organisme. « L’air pur, en passant par le poumon, éprouve donc une décomposition analogue à celle qui a lieu dans la combustion du charbon. Or, dans la combustion du charbon, il y a dégagement de la matière du feu; donc il doit y avoir également dégagement de la matière du feu dans le poumon. » Autrement dit, puisque le poumon dégage de l’acide carbonique, il doit s’y produire de la chaleur, de même, qu’il s’en produit lors de la combustion d’un corps quelconque; l’organisme produit de la chaleur parce qu’il brûle. Tous les travaux exécutés depuis un siècle ont démontré la justesse de cette conclusion.

D’après Lavoisier, le poumon paraît être le siège de la combustion respiratoire et de la calorification. Sur ce point, cependant, il s’exprime avec réserve, et cette réserve est pleinement justifiée. Le poumon n’est pas le siège des combustions calorigènes, son rôle est tout autre. Lagrange, peu de temps après Lavoisier, avait combattu l’hypothèse de ce dernier, et avait dit que, si le poumon était réellement le siège de ces combustions, la chaleur qui s’y produirait serait telle que cet organe devrait subir de graves lésions incompatibles avec la vie. Ceci est exagéré, car l’on a calculé la production de calorique, et même en supposant que le poumon fut le siège exclusif de cette production, la température de cet organe ne serait point encore suffisante pour le léser. Des recherches fort exactes ont montré quel est au juste le rôle du poumon dans la calorification. Cet organe qui, grâce à ses alvéoles nombreuses, représente une surface de 150 ou 200 mètres carrés (ce chiffre, bien que surprenant, est indiscutable), ne sert qu’à mettre en contact le sang et l’air. Le réseau des capillaires, séparé de l’air par une mince couche cellulaire, représente une nappe équivalant aux trois quarts environ de la surface pulmonaire totale, soit une couche sanguine de 100 ou 150 mètres carrés. Cette nappe est très mince, il est vrai, puisque 2 litres de sang suffisent à la constituer; mais ceci importe peu : pour que l’absorption se fasse, il faut surtout une surface étendue; la profondeur importe peu. D’ailleurs s’il n’y a, à un moment donné, que 2 litres de sang dans le poumon, il ne faut pas l’oublier, un calcul très simple établit que la quantité totale de sang passant par le poumon en vingt-quatre heures est de 20,000 litres environ. C’est dire qu’anatomiquement le poumon est admirablement disposé pour absorber, et d’ailleurs l’expérience démontre que son rôle est bien ce qu’indique son organisation. Le sang qui le parcourt absorbe l’oxygène de l’air inspiré, en raison des affinités chimiques de l’hémoglobine des globules rouges pour ce gaz, et va le porter dans tout le corps. C’est dans l’intimité des tissus, dans toutes les pai-ties de l’organisme, que cet oxygène, se séparant de l’hémoglobine, va se combiner avec le carbone des tissus, va se brûler, pour donner naissance à de la chaleur, et à de l’acide carbonique, résultat nécessaire de toute combustion, acide qui est repris par le sang pour être exhalé par le poumon.

La calorification est donc le résultat de combustions qui se passent dans tous les points de l’économie. Elle est dans une dépendance complète par rapport à deux autres fonctions : la respiration, c’est-à-dire l’apport d’oxygène, de comburant, et l’alimentation, l’apport de carbone ou de combustible. Nous aurons plus loin à rappeler ce fait. La calorification se produit donc non dans le poumon, comme le croyait Lavoisier jusqu’à un certain point, mais dans tous les tissus de l’organisme, et la preuve en est que tous les tissus respirent à l’état de vie, à l’exception des productions cutanées, comme les poils et les ongles, qui sont des parties mortes. S’ils respirent, c’est qu’il y a combinaison d’oxygène et de carbone, donc combustion, donc chaleur. La démonstration de la respiration des tissus est aisément fournie par l’expérience. On tue un animal et on isole des fragmens de muscle, de foie, de cervelle, d’os, etc., que l’on place dans des éprouvettes contenant de l’oxygène et renversées sur le mercure; au bout d’un temps variable, et dans des proportions différentes selon les tissus, on trouve dans les éprouvettes de l’acide carbonique qui a remplacé une partie de l’oxygène, et qui témoigne d’une façon irrécusable de la respiration qui s’est produite.

En résumé, la chaleur animale résulte de la combustion du carbone des tissus par l’oxygène de l’air introduit dans le sang par les poumons, et porté par ce liquide jusqu’au sein des élémens anatomiques les plus petits. Cette combustion s’opère dans tous les tissus (et dans le sang lui-même, bien que faiblement) avec une importance fort inégale, étant plus considérable pour les muscles, le cerveau et les glandes, et plus faible pour les os et divers autres élémens anatomiques.

La calorification est-elle le résultat de combustions, d’oxydations seulement? On l’a cru pendant un temps assez long, mais en réalité d’autres influences interviennent dans cette fonction. En effet, l’organisme est le théâtre de phénomènes chimiques infiniment variés. Les matériaux empruntés aux alimens sont assimilés à la suite d’actions chimiques très diverses, et la désassimilation s’accompagne de phénomènes non moins variés; et toutes les combinaisons, dissociations, réductions, etc., dont les différentes matières sont l’objet dans l’organisme, donnent invariablement naissance à un dégagement ou à une absorption de chaleur. En langage vulgaire, toute réaction chimique produit de la chaleur ou du froid, selon les cas, et d’après des lois chimiques maintenant bien élucidées.

Parmi les phénomènes chimiques de ce genre, et dont les exemples sont fréquens dans l’organisme, phénomènes qui ont été admirablement étudiés par M. Berthelot, nous citerons en particulier les hydratations, les dédoublemens, les réductions, les synthèses, les fermentations. Tous ces phénomènes se présentent dans le corps de l’animal vivant, et tous jouent un rôle dans la calorification. Celle-ci est donc le résultat d’actions chimiques multiples qui se passent dans tous les points de l’organisme, actions dont les unes produisent et les autres absorbent de la chaleur, mais parmi lesquelles les premières sont évidemment prédominantes. Parmi les phénomènes thermogènes, les oxydations demeurent les plus importans, assurément; mais il est bon de savoir qu’elles ne sont pas seules calorigènes, comme le pensait Lavoisier.

Le simple fait que la respiration ne présente pas la même activité dans tous les tissus indique a priori qu’il doit y avoir dans la température de ceux-ci des différences appréciables. Tel est le cas, en effet, bien que dans l’organisme vivant l’égale répartition de la température soit favorisée par le contact des parties très calorifiques avec celles qui le sont moins, soit directement, soit indirectement, par la circulation du sang. Malgré cette tendance à l’établissement de l’équilibre thermique, l’on distingue aisément les parties les plus calorifiques. Ce sont naturellement les plus actives au point de vue chimique, et celles qui respirent le plus : ce sont le foie, le cerveau, les glandes, le cœur, les muscles, et la chaleur dégagée par ces organes est d’autant plus considérable que leur activité chimique est plus grande, et qu’ils fonctionnent davantage. Tout organe est, en effet, plus chaud à l’état d’activité qu’à l’état de repos. La calorification est donc le résultat de phénomènes chimiques qui se passent dans l’intimité des tissus. Ces phénomènes, très actifs et nombreux chez les animaux supérieurs, homéothermes, le sont beaucoup moins chez les animaux à sang froid ; mais cela importe peu : la différence est de degré et non de nature.

Mais ici, une question se pose : Pourquoi l’homme, par exemple, présente-t-il une température propre, sensiblement constante, au pôle, par 30 degrés au-dessous de zéro, et au Sahara, par 40 degrés de chaleur? Comment les animaux homéothermes et l’homme ne prennent-ils pas la température du milieu où ils se trouvent, et comment luttent-ils contre ces températures extrêmes?

De plusieurs façons, semble-t-il, au point de vue physiologique, car nous n’avons pas à nous occuper ici des moyens que l’homme a su inventer pour se défendre. Pour lutter contre la chaleur, il a l’appareil sudoral qui agit dès que sa température interne tend à s’élever; par le fait de la chaleur extérieure, les glandes sudoripares entrent en jeu, et l’évaporation de la sueur produit une réfrigération notable. Notons en passant que cette évaporation n’est possible que dans un milieu relativement sec, et présente d’autant plus de difficulté à se produire, que l’humidité est plus abondante autour du corps. Aussi souffre-t-on beaucoup plus de la chaleur quand l’air est humide que lorsqu’il est sec : l’humidité empêche ou ralentit l’évaporation, et par conséquent la réfrigération.

Chez certains animaux, l’appareil sudoral existe et joue le même rôle que chez l’homme ; mais il manque à nombre d’entre eux, aux oiseaux, aux chiens, aux lapins, etc. Comment se fait chez ceux-ci la lutte contre la chaleur? Il n’a pas été fait de recherches sur ce point, en ce qui concerne les oiseaux, à notre connaissance ; mais pour le chien, M. Ch. Richet est arrivé à de très intéressans résultats. Chez cet animal, la réfrigération s’opère par l’appareil respiratoire, car c’est par cet appareil seul que peut s’opérer une évaporation suffisamment active. Le chien transpire par le poumon. Tous les animaux pulmonés d’ailleurs, et l’homme même, en l’ont autant; mais, comme chez le chien c’est la seule transpiration possible, elle acquiert une intensité toute particulière. Le chien qui a chaud, tire la langue, pour mieux laisser passer l’air par la bouche, et il respire rapidement, parfois avec une vitesse extrême, pour que l’exhalation de vapeur d’eau se fasse plus vite. Il est à souhaiter que l’étude des mécanismes réfrigérateurs soit poursuivie chez les êtres non susceptibles de transpirer, car elle sera certainement féconde en résultats intéressans.

Quand l’élévation de la température interne chez l’homme demeure faible, il s’opère une réfrigération suffisante par le simple afflux sanguin qui s’opère vers la peau en pareil cas. Sous l’influence de la chaleur extérieure, les vaisseaux cutanés se dilatent, ils renferment une plus grande quantité de sang, et le rayonnement de la peau étant ainsi accru, il se fait un certain refroidissement qui tend à envahir l’organisme entier, en raison de la circulation du sang, qui du reste s’accélère et facilite aussi la réfrigération.

Pour lutter contre le froid, l’organisme est moins bien armé au Point de vue physiologique : du reste, il faut dire dès maintenant que le refroidissement est moins dangereux que l’échauffement, et l’on conçoit assez bien que l’organisme soit mieux doué pour la lutte contre ce dernier. La sensation du froid stimule l’animal au mouvement, et, par conséquent, l’oblige à se réchauffer; en outre, les habitans des climats froids prennent toujours une fourrure plus épaisse en hiver et qui les protège mieux. En dehors de ces ressources, nous signalerons le fait que le froid contracte les vaisseaux de la peau, ce qui diminue la réfrigération ; la respiration s’accélère, et, avec elle, les combustions organiques, le besoin d’alimens est plus grand, l’on mange plus, ce qui introduit dans l’organisme une quantité plus grande de combustible. Notons en passant l’importance considérable du rôle joué par le système nerveux dans cette régulation de la chaleur, rôle nettement mis en évidence par de nombreuses expériences de physiologie, et de non moins nombreuses observations cliniques.

En résumé, la chaleur des animaux est le résultat des phénomènes chimiques dont ils sont le siège. Chez les uns ces phénomènes sont très actifs, et la température est élevée : en outre, il existe un appareil régulateur tel que, dans des limites assez étendues, les oscillations de la température extérieure ne modifient que médiocrement où insensiblement leur température propre : ce sont les animaux homéothermes. Chez d’autres, et l’on devine qu’il s’agit des hétérothermes, les phénomènes chimiques sont faibles, peu actifs. De là une température propre peu élevée. En outre, ils n’ont point d’armes sérieuses à opposer à l’action de la température extérieure : ils en suivent donc les oscillations, et leur température propre est en somme le résultat de l’action du milieu, aussi bien et plus encore que de celle des phénomènes chimiques qu’ils présentent. Cette différence entre les animaux à sang chaud et les animaux à sang froid est considérable, car chez les premiers, dans les conditions normales moyennes, la température extérieure n’a aucune ou presque aucune action sur la température propre.

La calorification est un phénomène général chez les animaux, du protozoaire à l’homme : elle offre des différences de degré, mais c’est une fonction partout présente. Il nous faut montrer maintenant qu’elle ne leur est pas spéciale, mais existe chez les végétaux aussi, et constitue de la sorte une fonction inhérente à toute matière vivante.

Les plantes respirent, donc elles produisent de la chaleur; c’est là un fait bien avéré. La respiration des plantes a été mise en lumière par de nombreuses expériences, bien que la fonction chlorophyllienne qui détermine une décomposition d’acide carbonique en oxygène qui est exhalé, et en carbone qui se fixe dans les tissus, ait, pendant un temps fort long, masqué la respiration véritable, et fait considérer les végétaux comme respirant d’une façon différente de celle des animaux. En réalité, la respiration est la même pour ces deux catégories d’organismes : pour s’en assurer, il faut toutefois éliminer la fonction chlorophyllienne en ayant recours à un dispositif particulier, en opérant sur des plantes sans chlorophylle, ou sur des plantes chlorophyllées maintenues à l’obscurité, la fonction chlorophyllienne ne s’exerçant qu’à la lumière. En prenant les précautions voulues, on constate que la respiration existe chez toutes les plantes, plus vive, plus énergique, il est vrai, dans les plantes jeunes que dans les autres, dans les plantes en voie de développement que dans celles qui ont atteint leur pleine croissance. Cette respiration, comme celle des animaux, consiste en un phénomène chimique; il y a absorption d’oxygène et combinaison de celui-ci avec les tissus de la plante; il doit donc se développer de la chaleur. C’est bien en effet ce que nous démontre l’observation : tout ce qui vit dégage de la chaleur, en raison des phénomènes chimiques qui accompagnent la vie. La germination des graines, par exemple, ne se produit pas sans un dégagement de chaleur. Il suffit, pour s’en assurer, de placer un thermomètre dans le milieu d’un tas de graines en voie de germination, en ayant soin d’assurer l’élimination de l’acide carbonique à mesure qu’il se produit, — car il arrêterait la respiration et la calorification, — Et l’on voit le thermomètre, pour une température ambiante moyenne, s’élever à 5, 10, 15 ou 20 degrés au-dessus de celle-ci. Le dégagement de chaleur est donc considérable. Ces expériences, faites sur des graines très variées, ont toujours fourni le même résultat. Les fleurs dégagent aussi une quantité notable de chaleur, ainsi que Lamarck l’aie premier constaté. C’est avec les fleurs de certaines aroïdées que l’expérience réussit le mieux et fournit les données les plus nettes. La température propre de la spathe de ces plantes, à l’époque de la pleine floraison, mesurée au thermomètre, indique une production de chaleur considérable, et celle-ci peut présenter un excès de 5, 10 ou 15 degrés sur la température de l’air ambiant. Et, ce qui prouve bien que cette calorification est un résultat de la respiration, si l’on enduit la fleur d’huile, pour rendre impossible l’accès de l’oxygène de l’air, ou si on la place dans un gaz inerte, privé d’oxygène, comme l’azote, l’excès de chaleur devient tout à fait minime, les combustions étant très réduites, ou même supprimées. Grâce à des expériences plus délicates, on a du reste pu établir d’une façon incontestable une corrélation étroite entre l’apport d’oxygène et la quantité de chaleur produite, celle-ci étant d’autant plus grande que la quantité d’oxygène absorbée est plus considérable.

On est donc en droit d’admettre que toutes les fleurs dégagent une certaine quantité de chaleur, quantité variable, il est vrai, car elle diffère d’une fleur à l’autre, mais toujours nettement appréciable. Pareil dégagement s’observe chez les organes moteurs des plantes, quand ils sont excités au mouvement : on l’a encore constaté dans les jeunes pousses, au moyen d’aiguilles thermo-électriques : il est beaucoup plus sensible chez elles que chez les plantes adultes, où la vie est certainement moins intense, moins active.

On voit, sans qu’il y ait lieu d’insister plus longtemps, qu’à l’exemple des animaux, les végétaux dégagent de la chaleur, et que leur calorification est due en grande partie aux oxydations dont ils sont le siège. Il est donc permis d’établir entre ces deux catégories d’organismes une assimilation complète, et ce n’est pas un des moindres résultats de la science moderne, que cette démonstration, qui va se complétant chaque jour, de l’identité et de l’unité des lois fondamentales de la vie, malgré les différences de forme et d’extérieur.

Du moment où la calorification résulte des phénomènes chimiques qui accompagnent la nutrition et la respiration, il doit y avoir une dépendance étroite entre ceux-ci et l’alimentation. Cette dépendance existe nettement. Les phénomènes nutritifs sont la conséquence de l’introduction des alimens dans l’organisme de telle façon que celui-ci puisse se les assimiler, les uns, directement, les autres, après leur avoir fait subir des modifications chimiques ; à la première catégorie se rattachent divers sels, et l’eau ; à la deuxième, les composés organiques, chair, fruits, légumes, lait, etc. Si l’alimentation est nulle ou insuffisante, l’animal dépérit, surtout s’il n’est pourvu d’une réserve alimentaire, sous la forme de graisse. En même temps sa température baisse. Le fait a été établi d’une façon très nette par Chossat surtout, qui a fait de l’inanition une étude excellente. Les animaux privés de nourriture produisent moins de chaleur : leur température s’abaisse chaque jour, et à la fin, au moment où l’animal succombe, elle est tombée de 10, 15 ou 20 degrés au-dessous de la moyenne normale. Des pigeons, par exemple, présentent 20 ou 18 degrés au lieu de 40 ou 42 degrés : mêmes phénomènes chez les mammifères et l’homme. Il se passe chez eux ce qui arrive à la chaudière dont le foyer n’est pas alimenté : l’extinction du feu se produit, et la chaleur disparaît. Chez les végétaux, les choses ne se passent pas autrement selon toute vraisemblance, bien que la preuve expérimentale n’en ait pas été donnée, à notre connaissance. L’expérience est d’ailleurs délicate, mais la preuve indirecte est fournie par le fait, bien connu des agronomes et des botanistes, que la suppression ou diminution de tels ou tels sels minéraux nécessaires à la vie végétale détermine la dégénérescence, le nanisme, et la stérilité relative des plantes. Ce qui diminue la vitalité et les proportions de celles-ci diminue certainement leur nutrition, et naturellement aussi, leur production calorifique.

Il y a donc entre l’alimentation et la calorification une relation certaine, et l’on a pu déterminer quels sont, parmi les alimens multiples de l’homme ceux qui contribuent le plus à la calorification. La chimie nous montre, par des analyses précises, que les différens corps, en s’oxydant, donnent naissance à un dégagement thermique très différent. Soit un volume d’oxygène donné, introduit dans le sang, pour servir aux oxydations, source principale, mais non exclusive, de la chaleur animale. La quantité de chaleur que produira la combustion de ce volume d’oxygène, avec les matières existant dans les tissus, variera beaucoup selon la nature de celles-ci : employé à se combiner avec telle substance, le même volume d’oxygène produira dix fois plus de chaleur que s’il se combine avec telle autre. Ce qui est vrai des oxydations l’est encore des autres phénomènes chimiques concourant à la calorification, c’est-à-dire des hydratations, des déshydratations, des dédoublemens, des synthèses, etc. Selon la nature chimique des substances sur lesquelles portent ces modifications, la production thermique varie considérablement. C’est assez dire que tels alimens doivent être de meilleurs calorificateurs que d’autres. Tel est le cas en effet. L’observation a depuis longtemps démontré l’utilité d’une alimentation riche en graisse et en sucre sous les climats froids, et l’expérimentation établit que ces substances donnent lieu à une production de chaleur plus considérable que les albuminoïdes. D’autre part, chacun sait combien l’alimentation des habitans des climats chauds est moins abondante, et combien leur sobriété est grande : le besoin de calorification est peu prononcé chez eux, en raison de la température du milieu où ils vivent, et dans lequel la réfrigération est médiocre ou presque nulle.

Les relations de la calorification avec la respiration ne sont pas moins évidentes. Tout ce qui entrave la respiration entrave la production de chaleur, et cela, d’autant plus qu’il s’agit d’êtres chez lesquels les oxydations jouent un rôle plus important dans la production de la chaleur. La privation ou la diminution de l’air respirable ne tarde pas à provoquer des troubles graves dus à la perturbation apportée dans les fonctions vitales par l’insuffisance des échanges entre le sang et l’atmosphère. A supposer que la vie fût possible, en l’absence temporaire, mais un peu prolongée, de la respiration. L’on verrait la température propre s’abaisser beaucoup. La preuve directe de ce fait ne peut être fournie pour les animaux supérieurs, trop sensibles à la privation d’air respirable; mais elle peut l’être, et d’une façon très nette, pour les organismes intérieurs. Nous l’avons vu, en supprimant l’apport d’oxygène d’une fleur d’arum ou de colocasia, en la plongeant soit dans l’huile, soit dans de l’azote, l’on diminue considérablement les phénomènes de thermogenèse.

Enfin, les relations de la calorification avec l’activité de l’organisme sont tout aussi nettes que celles dont il vient d’être parlé : elles sont évidentes chez les végétaux comme chez les animaux. Chez les premiers, en effet, c’est pendant le mouvement, ou chez les parties les plus actives au point de vue de la vitalité, de la croissance, et de l’organisation des tissus, que la production de chaleur est la plus grande : chez les jeunes pousses, dans lesquelles les échanges chimiques sont rapides, nombreux, intenses, chez les fleurs encore, durant l’œuvre de la fécondation.

Chez l’animal, toute activité s’accompagne d’une production thermique plus grande, locale ou générale, selon l’intensité et la durée de cette activité. C’est ainsi que le muscle en voie de contraction dégage plus de chaleur qu’à l’état de repos, et cette production est telle qu’elle augmente aisément la température propre du corps de 2, 3, 5 degrés. Pareillement encore, l’effort mental ou intellectuel donne lieu à un dégagement de chaleur plus considérable. Enfin les glandes, à l’état actif, produisent beaucoup de chaleur, comme on le peut voir par la température de leur sécrétion, ou du sang veineux qui a servi à l’élaboration de celle-ci. C’est ainsi que le sang veineux du rein est plus chaud que son sang artériel, et d’après Claude Bernard, la température du sang de la veine hépatique, qui ramène le sang du foie vers le cœur, est la plus élevée de l’organisme, surtout pendant le travail de la digestion : à ce moment, en effet, le foie est en pleine activité, et les élaborations chimiques qui s’y exécutent sont aussi nombreuses qu’intenses. C’en est assez pour montrer la dépendance de la production thermique à l’égard de l’activité chimique du corps.

En raison des intermittences naturelles, normales, des phénomènes susceptibles de produire un dégagement de chaleur, on pressent que la température d’un être ne saurait être absolument constante. En effet, même chez les animaux les plus homéothermes, il y a des oscillations normales assez considérables. Chez l’homme sain, normal, elles sont d’un degré environ par vingt-quatre heures, la température étant maxima de dix heures ou midi, jusqu’à six ou sept heures du soir, pour atteindre un minimum entre minuit et six heures du matin. Un exercice violent peut la faire monter de quelques degrés, la digestion procure une légère fièvre ; en un mot, une foule de circonstances surviennent à chaque heure, qui font varier, dans des limites restreintes, il est vrai, la production thermique.

En outre, et cela est naturel, après les explications que nous avons fournies plus haut, la température n’est pas la même dans les différentes parties de l’organisme. Cela tient à deux raisons : telles parties sont plus thermogènes que d’autres ; et telles sont plus exposées à la déperdition de calorique. La topographie calorifique de l’organisme est assez bien connue actuellement. L’on sait que la veine hépatique est l’endroit le plus chaud de l’organisme, ce qui tient à la fois à la position de cette veine, bien protégée contre le refroidissement, et renfermant du sang échauffé par les actions chimiques intenses qui se passent dans le foie : le cerveau a probablement la même température que cette veine. Par contre, la peau présente toujours une température notablement inférieure (de 3, 5 ou 6 degrés) à celle du reste de l’organisme, ce qui tient à la déperdition par rayonnement, qui est considérable.

En résumé, si nous laissons de côté le rôle de la chaleur extérieure, la température propre de chaque être est la résultante de deux facteurs : de la production et de la déperdition thermiques. La chaleur produite est le résultat des actions chimiques infiniment variées dont l’organisme est le théâtre, actions parmi lesquelles les oxydations tiennent une place prépondérante. Dès que les oxydations sont ralenties, par suite d’un trouble respiratoire quelconque, la température baisse : la cause en est dans ce ralentissement même et dans le contre-coup qu’il exerce probablement sur d’autres actions chimiques thermogènes. Pour la déperdition, elle se fait en vertu de lois physiques bien connues, et chez les animaux homéothermes elle est tantôt facilitée, tantôt entravée par le jeu d’un mécanisme régulateur placé sous la dépendance du système nerveux, mécanisme qui, à l’état normal, tend à conserver à l’organisme une température à peu près constante, diminuant les pertes quand la production est faible ou insuffisante, eu égard à la température du milieu extérieur, les augmentant au contraire, quand celle-ci est trop élevée, ou quand la production est considérable et serait de nature à trop échauffer l’organisme.

La seule différence, au point de vue de la physiologie de la calorification, qui existe entre les animaux homéothermes et hétérothermes, c’est que chez ces derniers la calorification est faible, et le mécanisme régulateur absent. Ils engendrent peu de chaleur et ne peuvent en régler la déperdition. Aussi suivent-ils aisément les oscillations de la température extérieure, à peu près comme le font les corps inertes, tandis que les premiers les suivent beaucoup plus difficilement, et de beaucoup plus loin, mais avec moins d’impunité, il est vrai.


II.

Il nous faut voir maintenant dans quelles limites doit être maintenue la température des êtres pour que la vie s’y conserve. En effet, les êtres les plus élevés, si bien armés soient-ils contre les variations thermiques extérieures, voient arriver des circonstances où leurs armes deviennent insuffisantes, et cela à l’état même de nature, et en dehors de toute expérimentation.

Un mot d’abord sur les variations thermiques qui surviennent dans la zone habitée de notre planète, zone restreinte en somme, comprenant en moyenne de 8 à 10 kilomètres de hauteur, à peu près également répartie au-dessus et au-dessous du niveau de la mer, zone infiniment petite, comparée au diamètre de la terre. En dehors de cette région, la vie n’existe guère ou n’existe plus; seule, donc, elle nous intéresse au point de vue spécial qui nous occupe. Les températures extrêmes observées dans l’air sont — 70 degrés et + 56 degrés centigrades. C’est à Iakoutsk que la première a été relevée ; la dernière l’a été à Mourzouk. On peut admettre que ces chiffres représentent à peu près les limites extrêmes : cela fait un écart de 125 ou 130 degrés centigrades, et à ces températures si distantes la vie de l’homme est possible, de même que celle de certains animaux. Dans les océans, les écarts thermométriques sont moins considérables. D’après Wyville Thompson, la température du fond des mers n’atteint zéro degré qu’à 4,200 mètres de profondeur, dans l’Atlantique : à 600 mètres elle est de 5 degrés; à 800, de 4 degrés ; à 2,000, de 3 degrés. Il en est à peu près de même dans le Pacifique. D’ailleurs, ni à la surface, ni au fond des mers la température ne saurait descendre au-dessous de — 1 ou — 2 degrés, sans congélation de l’eau, et nous n’avons pas à considérer ici ce cas où le problème est compliqué d’un facteur nouveau, de l’asphyxie qui résulte pour les habitans des eaux, du fait de la congélation. Dans la Méditerranée, le froid est moins considérable : la température du fond est d’environ 12 ou 13 degrés. Dans la Mer-Rouge, elle peut monter jusqu’à 21 degrés, et à la surface jusqu’à 32 degrés. Les oscillations sont donc peu considérables dans le milieu liquide et ne dépassent pas 34 degrés centigrades. C’est donc sur la terre ferme et dans l’air que s’observent les extrêmes de la température. Il faut noter cependant que les rayons du soleil peuvent produire à des températures notablement supérieures à celles qu’indique le thermomètre à l’ombre. Le thermomètre qui marque 27 degrés à l’ombre en marque 31 degrés au soleil, et lorsqu’il repose sur un morceau d’étoffe noire, il peut s’élever à 80. Dans un casque de cuirassier, au soleil, l’on relève de 60 à 70 degrés; dans les chambres de chauffe, l’on voit parfois le thermomètre monter à 75 degrés centigrades. D’autre part, il ne faut pas oublier qu’il y a des êtres vivans dans des sources thermales présentant 90 et 98 degrés centigrades (Hooker, Flourens, etc.). Il en résulte qu’en somme, l’on a vu des êtres terrestres résister à +100 degrés et d’autres à — 60 ou — 70 degrés. Ces chiffres indiquent les températures extrêmes auxquelles des êtres vivans se trouvent exposés en l’état actuel de la terre, mais ils n’indiquent pas celles auxquelles certains de ces êtres peuvent résister, car certaines spores de bactéries résistent à plus de + 100 degrés et à plus de — 100 degrés centigrades, d’après des expériences récentes. Admettons toutefois, pour simplifier, qu’il existe des êtres résistant à — 150 degrés et à + 150 degrés. Tous les êtres sont-ils susceptibles de subir impunément, même pendant un temps assez court, des températures extrêmes ? Peut-être bien : à la condition d’un séjour court et d’un milieu peu conducteur. Mais cela ne prouve rien. Il n’y a d’intéressant, dans l’étude de cette question, que les faits ou expériences qui se rapportent aux résultats d’une action prolongée que l’organisme subit, tantôt en y cédant, c’est-à-dire en s’échauffant ou se refroidissant, tantôt en y résistant, c’est-à-dire en conservant sa température normale. Nous ne nous occuperons donc pas des cas, nombreux d’ailleurs, et assez intéressans, où l’on a vu l’homme et les animaux résister pendant quelques minutes ou quelques secondes à des températures extrêmes, et nous ne considérerons que le cas où l’expérience est prolongée de telle façon que la température ait réellement le temps d’agir.

Il existe pour chaque espèce animale ou végétale, voire même pour chaque variété, dans certains cas, un optimum thermique, c’est-à-dire une moyenne de température qui est la plus favorable à sa croissance et à son développement. Il ne fait pas oublier, cependant, que, pour toute espèce, une certaine accommodation est possible, dont les limites sont plus ou moins restreintes. Dans bien des cas, l’on arrive aisément à faire vivre des êtres dans un milieu qui leur eût été fatal si on les y avait introduits d’emblée, à la condition de leur ménager les transitions. Le fait est surtout connu pour les milieux chimiques, et j’en ai observé de très nombreux exemples ; mais il est permis de l’admettre aussi pour les conditions thermiques. Toutefois, même quand l’accommodation se produit, le milieu nouveau agit sur l’organisme auquel il impose toujours quelques modifications de structure ou de fonctions, et l’on peut dire que pour tout être vivant il existe une température plus favorable que toute autre à son développement. L’étroitesse des limites thermiques les plus favorables à la vie d’un être donné est chose parfois étonnante, surtout si l’on considère les microbes. Le bacille de la fermentation butyrique est le plus actif à 40 degrés. A 42 degrés, il se multiplie encore, mais son activité diminue : à 45 degrés, il n’opère plus de fermentation. Pour le ferment alcoolique, l’optimum est entre 25 et 30 degrés, bien qu’il résiste à 0 degré comme à 100 degrés après dessiccation. Le microbe de la maladie charbonneuse est prospère de 37 à 39 degrés : à 41 degrés, il meurt, et la démonstration la plus éloquente de ce fait a été donnée par Pasteur, qui a montré qu’une poule normale ne peut devenir charbonneuse, sa température étant de 41 ou 42 degrés. Mais si l’on refroidit artificiellement la poule en la mouillant, de façon à ce que sa température interne s’abaisse de 2 ou 3 degrés, elle devient aussitôt apte à prendre le charbon : le microbe pullule dans son sang et tue la poule, à moins que l’on ne cesse la réfrigération : dans ce cas, le retour à la température normale suffit pour dissiper tout le mal. Le ferment lactique préfère la température de 35 degrés, mais celui de la fermentation putride est moins sensible : il agit de 0° à 40 degrés, mais préfère les températures entre 15 et 35 degrés. Des exemples de ce genre pourraient être cités en grand nombre. Ce qui est plus intéressant que cette énumération, c’est l’étude des effets que l’on observe lorsqu’on soumet un microbe donné à l’action d’une température supérieure à celle qui lui convient le mieux, sans cependant lui être mortelle. Il se produit, en effet, dans sa physiologie des modifications très sensibles, et sa vitalité subit un amoindrissement marqué : elle est atténuée, et cette atténuation est la base du procédé si intéressant des vaccinations préventives dont Pasteur a donné de si retentissans et utiles exemples. Il suffit parfois d’une très médiocre élévation de température pour obtenir cette transformation d’un microbe dangereux en un auxiliaire incomparable pour l’art de guérir ou prévenir les maladies infectieuses. Par contre, on peut faire subir des variations thermiques considérables à des spores de bactéries, l’on n’opère aucune modification des bactéries qui en naîtront. Ces spores résistent admirablement à des températures extrêmes comme — 100 degrés et + 100 degrés, et les bactéries qui en proviennent n’ont rien perdu de leur virulence. Du reste, diverses bactéries peuvent être congelées, et pendant un temps fort long (plusieurs mois) sans être tuées : tel est le cas pour le bacille de la fièvre typhoïde, d’après Frænkel et Prudden ; contrairement à l’opinion vulgaire, la congélation ne purifie nullement les eaux contaminées.

Mais revenons à notre sujet. Il est intéressant de noter en passant que la sensibilité des fermens figurés aux variations thermiques se retrouve chez les fermens solubles, c’est-à-dire chez les produits de l’activité de certaines cellules, produits doués de quelques-unes des propriétés des fermens figurés. C’est ainsi que la pepsine agit surtout entre 37 et 40 degrés : à 50 degrés, elle agit moins, pour devenir presque inactive à 90 degrés. Le suc pancréatique exerce le mieux son action chimique à 40 degrés : à 20 degrés, il agit peu ; à 60 degrés, pas du tout. Si nous considérons les tissus des êtres complexes, nous constatons des phénomènes analogues. Les cils vibratiles qui garnissent différentes muqueuses se meuvent avec le plus de rapidité à une température donnée, à 35 degrés environ : à 45 degrés, ils s’arrêtent, comme aussi à 0 degré. Le protoplasma des différens êtres, bien qu’on le considère souvent comme partout identique à lui-même, présente aux variations thermiques une résistance fort inégale : ici il meurt à 30 ou 20 degrés alors qu’ailleurs il vit à 0 degré, à — 5 degrés, à — 10 degrés (Nordenskiöld). Nous savons encore que les œufs des oiseaux exigent, pour se développer, une température donnée, à limites très étroites, et qu’on ne saurait franchir sans tuer les embryons ou produire des monstres. Les œufs des invertébrés sont un peu dans le même cas, mais leurs exigences sont moindres et ils s’accommodent de différences thermiques beaucoup plus grandes.

En un mot, chaque être, pour vivre et agir, a besoin de se trouver dans un certain milieu thermique. Les uns sont peu exigeans et s’arrangent de variations considérables ; d’autres, au contraire, ne peuvent résister qu’à de très faibles variations. Enfin, les uns recherchent le froid, et d’autres la chaleur, et cela d’une façon très marquée, comme on le sait, d’après les difficultés qu’on éprouve le plus souvent à acclimater les espèces dans des climats différens. Quelques exemples ne seront pas déplacés ici. La région polaire, avec ses froids prolongés et rigoureux, et nos hautes cimes, toujours revêtues d’un manteau de glace, présentent une faune qui leur est spéciale, une flore qui leur est propre. Mammifères ou insectes, plantes de toute sorte, les êtres qui habitent ces régions où l’homme n’arrive à subsister qu’au prix d’efforts considérables dans la lutte contre le froid ne mènent une vie réellement active que dans les conditions où ils se trouvent : dans un climat tempéré ou chaud, ils dépérissent ou perdent de leur vitalité, et ne s’acclimatent pas véritablement. Les animaux homéothermes qui vivent dans ces régions ont la même température que leurs congénères des climats chauds. Celle-ci ne se maintient évidemment qu’au prix d’une alimentation appropriée et d’une épaisse fourrure, l’écart entre elle et la température extérieure étant parfois considérable. Le capitaine Black, en effet, a noté la température de 41 degrés centigrades chez un renard, par un froid sibérien de — 35 degrés. Cela fait un écart de 76 degrés! A l’opposé des régions polaires ou des glaciers, voici les sources thermales. Ici encore, nous trouvons une faune et une flore spéciales. De nombreux observateurs ont dressé la liste des algues, infusoires et champignons qui habitent les eaux à 50, 60 et même 90 degrés centigrades, qui y sont prospères et s’y reproduisent : il serait inutile d’y revenir. Entre les êtres qui se plaisent dans les régions les plus froides et ceux qui habitent les sources thermales, ou les tropiques, viennent se placer tous les organismes dont la résistance aux températures extrêmes est moindre, et qui préfèrent les milieux plus tempérés, tout en manifestant une prédilection marquée pour tel ou tel degré de l’échelle thermométrique. Il suffit, pour s’assurer de ces préférences, de consulter les documens concernant la distribution des organismes et leur acclimatation. Le fait le plus curieux qui découle des données précédentes est, à notre avis, la grande résistance du protoplasma de certains êtres à des températures qui semblent devoir être mortelles, à en juger par ce qui se passe chez d’autres. Le protoplasma peut, chez certains, prendre la température de 0 degré, ou moins encore, et chez d’autres, celle de 90 degrés ou plus, sans périr. C’est là un fait singulier, parfaitement avéré, et que la physiologie ne peut expliquer, non plus que la chimie.

En somme, il existe, parmi les êtres, un certain nombre d’espèces, végétales ou animales, susceptibles de résister à des températures extrêmes, et vivant normalement à ces températures, alors que la plupart ne peuvent vivre que dans des milieux thermiques plus uniformes, plus modérés. Il nous faut voir maintenant comment les différens êtres résistent ou succombent aux températures qui ne sont point celles dont ils s’accommodent normalement, et quelle action celles-ci exercent sur eux.

Considérons d’abord les organismes hétérothermes, qui suivent les oscillations de la température ambiante, et dont la température propre s’élève et s’abaisse avec celle-ci, et dans les mêmes proportions, en raison de l’absence de tout mécanisme régulateur de la production et de la déperdition de calorique. Ces organismes sont certainement d’une sensibilité absolue moindre aux variations de leur température propre; seuls ils peuvent impunément subir des oscillations considérables de celle-ci, oscillations qui ne pourraient se produire chez les animaux homéothermes sans mettre leur vie en danger, ou la détruire sans retour. Tandis que ces derniers (l’homme compris) ne sauraient vivre une fois que leur température interne s’est élevée au-dessus de 45 degrés (50 degrés chez les oiseaux) ou abaissée au-dessous de 20 degrés environ, les organismes hétérothermes peuvent varier de température dans des limites bien autrement considérables. L’énumération de celles-ci n’aurait pas grand intérêt ; il nous suffira de faire remarquer que la température des animaux hétérothermes de nos contrées oscille, selon les circonstances, entre 0 et 35 ou 40 degrés. Ce qui devra nous arrêter, c’est l’étude sommaire de l’influence des différences de température sur les fonctions de ces animaux. Il s’agit ici, cela va sans dire, des températures non mortelles, qui demeurent compatibles avec la vie de ces êtres ; nous verrons ensuite comment agissent les températures extrêmes.

C’est un fait bien avéré, grâce à des expériences encore peu nombreuses, mais dont la précision ne laisse rien à désirer, qu’il existe, pour chaque être vivant, une somme de chaleur qui lui est absolument indispensable pour que son développement soit le plus complet possible, et qu’il ne parvient point à atteindre celui-ci, tant que cette quantité ne lui a pas été fournie. Sur ce point, l’on possède depuis quelques années déjà, grâce aux beaux travaux de Boussingault, des données des plus intéressantes à l’égard des plantes. Étant donné un végétal quelconque, l’on sait que le temps qui s’écoule entre le début de sa végétation et sa maturité complète est d’autant plus court que la température à laquelle il végète est plus élevée, et d’autant plus long que celle-ci est plus basse, exclusion faite, bien entendu, des conditions thermiques mortelles ou simplement dangereuses. Autrement dit, étant donnée une plante qui vit entre 15 et 30 degrés, et dont l’optimum thermique est 25 degrés, son développement sera plus lent dans un milieu où la température constante est de 15 degrés que dans un milieu où la température sera de 20 ou 25 degrés, et le retard est proportionnel à la différence thermique. Il semble que la plante considérée, sous quelque latitude ou quelque climat qu’elle croisse, exige pour se développer une quantité identique de chaleur. Il est aisé de prouver que cette hypothèse est exacte et conforme à la réalité. Voici comment l’on s’y prend. À partir du jour où la graine a germé, jusqu’au moment où la plante a atteint sa maturité, l’on prend la moyenne de la température pour chaque cycle de vingt-quatre heures. L’on fait ensuite la moyenne de ces moyennes pour toute la période qui s’est écoulée entre les deux momens ci-dessus indiqués, et cette moyenne, on la multiplie par le nombre de joins écoulés. Supposons qu’il s’agisse d’une plante ayant mis quatre-vingt-dix jours à atteindre sa maturité, et que la moyenne des moyennes soit 17 : l’on obtient le chiffre 1530, qui représente la quantité de degrés de chaleur fournis en quatre-vingt-dix jours, le jour étant pris comme unité de temps. Fait très intéressant, si l’on fait les mêmes recherches, pour la même espèce de plante, dans des conditions thermiques ou dans un climat très différens, l’on obtient sensiblement le même chiffre sous tous les climats, quand bien même le nombre de jours nécessaire au développement peut varier du simple au triple selon les climats. L’étude de la physiologie végétale est d’ailleurs riche en faits intéressans au point de vue qui nous occupe. C’est ainsi que les graines différentes sont très diversement influencées par le froid : telle ne germera plus au-dessous de 15 degrés, au lieu que telle germe encore à 4 degrés, voire à degré. Telle plante se développe le mieux à la température qui est fatale à telle autre.

Dans le règne animal, des faits analogues ont été notés d’une façon très précise. Un petit mollusque d’eau douce (la lymnée) a fourni à Carl Semper, le savant zoologiste de Würtzbourg, les très intéressans faits que voici. Au-dessous de 12 degrés, cet animal, tout en menant une vie active et prenant ses alimens comme d’habitude, ne subit aucune croissance : pourtant il peut se reproduire et ses œufs se développent bien. A partir de 12 degrés et jusqu’à 25 degrés qui est la température optima, l’assimilation est parfaite, au contraire, et l’animal grandit et s’accroît. Semper fait remarquer avec juste raison que des lymnées soumises d’une façon permanente à une température de 10 ou 12 degrés, — ce qui, d’ailleurs, serait très réalisable à l’état de nature, — demeureraient donc petites et ne se développeraient pas. Il pourrait se créer ainsi une race naine qui se reproduirait normalement, mais demeurerait toujours beaucoup plus petite que les autres lymnées. D’autre part, l’on pourrait peut-être créer une race géante, en maintenant artificiellement de ces mollusques à la température optima. Voici un autre fait, et qui concorde bien avec celui dont il vient d’être parlé. Un naturaliste bien connu, Mobius, a remarqué que la même espèce de mollusques marins, commune à la Baltique et aux côtes du Groenland, possède des dimensions très différentes, étant petite et pourvue d’une coquille mince dans la Baltique, alors qu’elle est plus grosse et munie d’une coquille plus épaisse au Groënland. Il explique ceci par le fait que dans la Baltique les variations de température et les froids sont plus fréquens et considérables qu’au Groënland et qu’en conséquence le développement y doit être plus difficile et plus intermittent.

Les températures inférieures à l’optiumum, mais non mortelles, oui donc sur les animaux et les plantes une influence bien marquée qui se traduit chez ceux-ci par un ralentissement du développement qui, en même temps qu’il est plus lent, devient moins complet. Inversement, les températures, non mortelles, mais relativement élevées eu égard aux conditions normales, favorisent la croissance et le développement qui deviennent ainsi plus rapides et plus complets. C’est ainsi que les œufs de certains crustacés, comme l’apus et le branchipus, qui se développent entre 0 degré et + 30 degrés, accomplissent leur évolution en vingt-quatre heures à 30 degrés, tandis qu’entre 16 et 20 degrés il leur faut des semaines pour arriver au même résultat. Les têtards de grenouille éclosent en dix jours à la température de 15°, 5 ; à 10°, 5, il leur faut quinze jours. Notons en passant, pour montrer une fois de plus combien sont différens les besoins des animaux, en fait de température, que la température de 36 degrés, si favorable aux branchipus est mortelle pour la plupart, si ce n’est la totalité des hôtes des mers arctiques, et même, d’après ce que j’en ai pu voir, pour nombre d’espèces de la Méditerranée, surtout pour celles qui n’habitent point le rivage et n’ont pu s’accoutumer à des températures analogues, dans les mares chauffées par le soleil de l’été.

Il existe donc pour chaque espèce une certaine température optima à laquelle le développement et la vie sont le plus aisés et le plus rapides, et les limites de cet état thermique varient considérablement selon les espèces, voire même selon les variétés. Soumis à l’influence d’une température non mortelle inférieure à celle qui lui est le plus favorable, chaque animal voit, à des degrés différens, se ralentir son développement qui souvent aussi devient moins complet. Si on l’expose à une température supérieure à celle qui lui convient le mieux, des troubles se produisent aussi, la nutrition est mauvaise, l’animal — ou le végétal, — devient languissant, atone, comme l’homme même dans les climats trop chauds.

Cette influence de la température sur la vie ne se manifeste pas seulement dans le degré et la rapidité du développement, elle s’exerce encore sur d’autres phénomènes, sur la coloration par exemple. C’est ainsi que Weissmann a établi que deux papillons, la Vanessa levana et la Vanessa prorsolevana, à tel point différens par la coloration qu’on en a fait deux espèces distinctes, représentent en réalité une seule espèce. La différence est uniquement une question de température : l’un vient de la ponte d’été, et l’autre de la ponte d’hiver; mais il est aisé d’obtenir à volonté l’une ou l’autre variété des mêmes œufs, en réchauffant ou refroidissant artificiellement ces derniers, selon le cas. Une influence plus importante est celle qu’exerce la température sur le développement sexuel. Le froid le ralentit et parfois l’entrave totalement. Un certain degré de température le favorise et l’accélère, et l’on sait de tout temps que l’homme même subit cette influence, la précocité sexuelle étant beaucoup plus grande dans les pays chauds. Une fille de douze ans est nubile à Cuba et dans d’autres climats chauds. Mais il ne faut pas que la température s’élève trop non plus. Un crustacé, le chirocéphale, maintenu pendant des semaines à 19 degrés, n’acquiert pas d’activité sexuelle, tandis que vers 9 ou 10 degrés, il l’acquiert en deux jours.

La température exerce donc une influence considérable sur l’organisme tout entier. Une preuve intéressante de ses effets sur le métabolisme général, sur l’intensité de la vie, s’il est permis de parler ainsi, est fournie par l’étude de l’influence exercée par ce facteur sur l’action des poisons ou médicamens. Alexandre de Humboldt, et après lui un grand nombre d’observateurs, ont remarqué que cette action est plus vive et plus rapide à une température élevée (mais non mortelle ni dangereuse en elle-même) qu’à une température plus basse. Parfois même, dans ce dernier cas, un poison sera tout à fait inactif et inoffensif, alors qu’il tuera assez rapidement si la la température monte de quelques degrés. C’est là un fait très bien connu maintenant, et dont l’on tient toujours compte dans les expériences toxicologiques. Il explique les contradictions si fréquentes entre les divers observateurs, car ceux-ci n’ont pas tous opéré dans de mêmes conditions thermiques, et la plupart ont oublié de noter ces dernières. — Autre preuve non moins intéressante de l’influence exercée par celles-ci sur le fonctionnement général de l’organisme, preuve fournie par l’étude comparée de la résistance de différens êtres à l’asphyxie. Quand la température est basse, l’asphyxie est plus lente, plus difficile. Une grenouille plongée dans de l’eau, sans pouvoir mettre la tête à l’air pour respirer, et obligée de se contenter de la respiration cutanée, résistera pendant six ou huit heures si l’eau est à degré ; si elle est à 15 ou 16 degrés, la résistance ne durera que le quart de ce temps. C’est ainsi encore, dans un autre ordre d’idées, que les plantes vénéneuses sont plus toxiques lorsqu’elles ont rencontré les conditions thermiques les plus favorables, que dans le cas où elles ont dû vivre dans un milieu plus chaud ou plus froid que celui qui leur convient ; la différence est très marquée.

Nous avons considéré jusqu’ici l’influence des variations thermométriques peu considérables, non mortelles. Il nous faut maintenant aborder l’étude des effets des températures mortelles. Tout d’abord, notons que celles-ci varient considérablement selon le espèces, et aussi selon certaines conditions, les unes intrinsèques, inhérentes aux organismes, les autres extrinsèques, et se rapportant aux conditions dans lesquelles se présentent ces extrêmes thermiques. Chacun sait, par exemple, combien est inégale la résistance des végétaux et des graines aux grands froids et à la grande chaleur. Tels gèlent aisément, tels difficilement : cela dépend beaucoup de leur volume et de la proportion d’eau qu’ils renferment dans leurs tissus. Tels ne meurent point à la suite de la gelée, même si le dégel est rapide ; tels ne résistent que si le dégel est lent, graduel. Une condition intrinsèque fort importante, c’est l’état de vitalité. L’on sait que les spores des bactéries et les graines des plantes supportent des températures auxquelles ni les bactéries ni les plantes ne sauraient résister; c’est là un fait bien connu et qu’il suffit de signaler en passant.

Il peut sembler étrange qu’un organisme peu vivant soit plus résistant que d’autres à des causes de destruction. Mais il faut considérer que moins la vie est active, et moins elle est vulnérable, moins les agens extérieurs peuvent troubler des fonctions déjà réduites à leur minimum ou presque dormantes et engourdies. Le froid tue la plupart des organismes inférieurs en raison de la désorganisation que subissent les tissus sous l’influence de la gelée, et cette désorganisation est d’autant plus profonde que la proportion d’eau contenue dans les tissus est plus grande. Il y a cependant bien des êtres qui meurent avant la congélation, parmi les organismes hétérothermes. Les invertébrés et les plantes des climats chauds, ainsi que nombre de microbes, meurent alors que la température ne s’est pas encore abaissée jusqu’à 0 degré. Ici le mécanisme de la mort est différent : celle-ci se produit en vertu d’un ralentissement de toutes les fonctions. La chaleur extrême tue plantes et animaux hétérothermes à des degrés très différens, mais supérieurs à celui où elle tue les organismes homéothermes : ces derniers sont moins résistans. Les uns meurent desséchés, la chaleur les privant de l’eau nécessaire à leurs tissus et au fonctionnement de ceux-ci; chez d’autres, le protoplasma se coagule et est frappé de mort, c’est là la cause la plus générale. Il est à noter que la congélation n’est point invariablement mortelle, même pour des animaux déjà élevés en organisation. L’on sait depuis longtemps que dans les régions septentrionales de l’Amérique et de la Russie, des voyageurs ont vu transporter des poissons entièrement congelés, raides, cassans, lesquels, étant remis dans de l’eau à une température de 8 à 10 degrés, reprennent toute leur activité, alors même que la congélation a duré dix ou quinze jours. La science a d’abord refusé de prêter foi à ces récits, mais des expériences précises n’ont pas tardé à en faire reconnaître l’exactitude. Gaymard, en 1828 et 1829, a congelé des crapauds de la façon la plus complète, qui ont repris leur vie normale et leur activité dès qu’ils ont été dégelés. Il faut avoir soin de congeler et dégeler graduellement : c’est la principale précaution à prendre pour faire réussir les expériences de ce genre. Le grand naturaliste anglais Hunter a cru que l’on pourrait prolonger fort longtemps la vie des hommes si on les soumettait de temps à autre à la congélation. Il pensait que, si l’on les congelait pendant quelques années à plusieurs reprises, le terme moyen de la vie pourrait être beaucoup reculé ; mais par malheur l’opération dont il s’agit amène la mort au lieu de prolonger l’existence.

Considérons maintenant les organismes homéothermes, les êtres dont la température à peu près fixe ne suit guère les oscillations thermiques du milieu extérieur. Un mammifère ou un oiseau résiste à des froids considérables. Si c’est un indigène des régions froides, muni d’une épaisse fourrure ou d’un plumage chaud, et en situation de se procurer la nourriture dont il a besoin, il peut vivre dans un milieu à 50 degrés au-dessous de zéro, sa température restant fixe et normale. Il en est de même pour l’homme, qui, en se garantissant bien par des vêtemens appropriés, résiste aisément à d’aussi basses températures, surtout s’il n’y a pas de vent. Chacun sait, en effet, et par expérience, combien un froid léger avec vent est plus pénible à supporter qu’un froid intense sans vent. L’explication de ce fait est très simple : le vent a pour effet de dépouiller sans cesse le corps de la couche d’air tiède qui se forme entre lui et les vêtemens, et de faciliter considérablement la radiation, la déperdition de calorique, en substituant à celle-ci de l’air froid.

Mais que se passe-t-il, dans les conditions expérimentales ou naturelles, quand l’animal ou l’homme est soumis à l’action d’un froid intense? L’organisme résiste pendant un certain temps, mais la résistance a ses limites, variables, il est vrai, selon l’espèce et selon les conditions. Il vient forcément un moment, si le froid s’accentue ou se prolonge, où l’organisme n’est plus en état de produire assez de chaleur pour résister au froid, ou, ce qui revient au même en pratique, où la déperdition est par trop considérable, la production demeurant suffisante. Dès ce moment la température propre de l’animal s’abaisse. Cet abaissement demeure compatible avec la vie, jusqu’à un certain point qui varie selon les espèces. Tel animal peut voir sa température baisser de 15 ou 20 degrés : le lapin, par exemple, peut passer de 38 ou 40 degrés à 20 degrés ; l’homme peut descendre à 26, à 25 degrés et même à 24 degrés, d’après les observations authentiques de Reinke et Nicolayssen sur des ivrognes, sans mourir nécessairement de cet abaissement considérable de température. Il ne semble pas toutefois, d’après les expériences de Claude Bernard, de Magendie et d’autres physiologistes, que l’on puisse impunément abaisser la température d’un animal homéotherme au-dessous de 20 degrés centigrades. A 20 degrés, il meurt presque sûrement : au-dessous, la mort est inévitable : le système nerveux périt et entraîne avec lui le reste de l’organisme : le sang s’altère et devient impropre à ses fonctions.

En ce qui concerne l’action des grands froids sur l’homme, les chirurgiens de la grande armée nous ont laissé des observations précieuses. Tantôt le froid foudroie, et c’est le cas pour les sujets fatigués, surmenés, surtout quand c’est au froid de l’eau qu’ils sont exposés, car dans cette situation, la déperdition de chaleur est infiniment plus considérable. Larrey a vu, au passage de la Bérésina, des soldats tomber foudroyés en entrant à l’eau, et Virey et Desgenettes ont observé des cas analogues. D’après eux, la mort a pour cause une congestion cérébrale ; pour d’autres, il y aurait anémie du cerveau. Quand l’action du froid est plus lente, mais prolongée, les résultats sont autres. Il se produit un engourdissement général du corps, des sens, du cerveau, de l’intelligence, une torpeur graduelle, un sommeil invincible d’où nul ne revient. « Quiconque s’assied s’endort, et quiconque s’endort ne se réveille plus, » disait Solander. Ici la mort se produit par une lente paralysie du système nerveux, d’où asphyxie.

Les organismes à sang chaud présentent, en somme, une grande résistance au froid, en raison de leur thermogenèse très active qui leur permet de ne point se refroidir. Mais une fois leur résistance vaincue, ils succombent à des températures de beaucoup supérieures à celles où périssent les organismes hétéro thermes. Beaucoup de ces derniers peuvent s’abaisser jusqu’à 10 degrés, 5 degrés, ou degré sans périr : les premiers meurent une fois que leur température interne s’est abaissée au-dessous de 18 ou 20 degrés. A plus forte raison ceux-ci ne peuvent-ils résister à la congélation : partielle, elle tue la partie congelée, et parfois aussi l’organisme; générale, elle le fait invariablement périr.

Aux élévations de température leur résistance est faible. L’homme et quelques animaux peuvent bien, il est vrai, demeurer pendant quelques minutes dans des étuves à température très élevée, supérieure à 100 degrés et allant jusqu’à 120 ou 130 degrés (Tillet et Duhamel, Delaroche et Berger, etc.). Mais dans ces conditions la durée du séjour est toujours très courte, — si elle se prolongeait au-delà de 10 ou 15 minutes environ, l’expérience deviendrait fatale, — et la transpiration suffit à produire la déperdition de chaleur nécessaire pour contre-balancer l’augmentation de température que le milieu tend à faire subir à l’organisme. Il est encore un point à noter. L’air est un mauvais conducteur, et l’air chaud échauffe le corps incomparablement moins que ne le fait l’eau soumise à l’influence de la chaleur : l’eau, au contraire, est un excellent conducteur, si bien qu’il est impossible de supporter pendant quelque temps le contact de l’eau à 50 ou 60 degrés. L’air humide est meilleur conducteur que l’air sec : il l’est d’autant plus qu’il est plus chargé de vapeur d’eau. Ainsi l’homme résiste aisément à un séjour de 10 minutes dans une étuve d’air sec à 90 ou 100 degrés, et ne résistera que difficilement à un séjour de même durée dans une étuve à air humide, de température inférieure : il succomberait rapidement si la température de celle-ci était de 90 ou 100 degrés. Ce qui est vrai pour les températures élevées l’est naturellement aussi pour les températures basses : l’air sec conduit moins bien que l’air humide, et celui-ci moins bien que l’eau. Aussi résiste-t-on, dans l’air, à des froids qui seraient rapidement et sûrement mortels si le milieu ambiant était liquide. Nous avons dit plus haut qu’en somme la résistance des organismes homéothermes aux températures élevées est faible. En effet, malgré la transpiration et l’exhalation de vapeur d’eau par les poumons, il est souvent impossible à l’équilibre de se maintenir, et l’animal s’échauffe. Sa température ne peut guère s’élever sans devenir mortelle. Il tolère une réfrigération de 15 ou 20 degrés, mais ne peut supporter une élévation de température interne de plus de 5 ou 6 degrés. L’homme ou le mammifère dont la température interne atteint 44 ou 46 degrés est sûrement perdu : les oiseaux tolèrent encore une élévation un peu supérieure. La mort survient après une période de vive excitation et de convulsions, dans un état comateux. La cause de ce dénoûment n’est pas encore élucidée avec toute la précision désirable : elle est d’ailleurs assez complexe, mais varie dans sa complexité même selon les conditions. Il y a des troubles dans la chimie des muscles dont une partie s’altère; il y en a dans le sang, qui est pauvre en oxygène, mais ne semble pas présenter des produits toxiques particuliers, comme l’ont prétendu quelques observateurs. Pour Claude Bernard, ce sont la rigidité thermique et les lésions musculaires qui priment tout : elles sont suffisantes d’ailleurs, car le résultat de ces lésions est l’arrêt de la respiration et de la circulation.

En résumé, grande tolérance des organismes hétérothermes pour la réfrigération, et, dans une certaine mesure pour l’échauffement, malgré l’action très nette des variations thermiques sur leur physiologie; moyenne tolérance des animaux homéothermes pour l’abaissement, et faible résistance à l’élévation de leur température interne, voilà ce qui résulte des faits précédens. L’abaissement de température est, pour ces derniers, moins dangereux que l’hyperthermie : il faut qu’il soit assez prononcé pour provoquer à coup sûr la mort, alors qu’une hyperthermie faible suffit à l’entraîner à bref délai.

Entre les deux catégories d’organismes dont il vient d’être parlé, vient se ranger le groupe des animaux hibernans. Ce sont généralement des rongeurs qui, à l’approche des froids, après s’être construit sous terre un nid bien garni de mousse et d’autres substances, s’y pelotonnent et y demeurent immobiles durant toute la mauvaise saison, dormant tout le temps, engourdis, ne mangeant ni ne buvant, immobiles. Chez ces animaux, la température interne baisse beaucoup, suivant à quelque distance les oscillations thermiques extérieures : ils respirent à peine, leurs combustions respiratoires sont très diminuées, et leur température descend à 20, à 15, à 10 degrés et plus bas encore. Horwath a constaté la température de 2 degrés seulement chez une marmotte en hibernation. Dès que revient la chaleur, ils redeviennent actifs, se réveillent, fort amaigris d’ailleurs, puisqu’ils ont vécu des mois sur leur graisse accumulée, et leur température redevient normale. Voilà donc des animaux alternativement homéothermes et hétérothermes en été et en hiver. La cause de cette étrange alternance n’a pas été élucidée encore et doit être assez complexe. Chez eux, la production thermique est relativement faible. C’est bien le froid qui détermine le sommeil hibernal, car il est aisé de produire celui-ci en plein été, en soumettant l’animal au séjour dans un milieu artificiellement refroidi. Il n’a pas été fait, à ma connaissance, de recherches sur la résistance de cette catégorie d’animaux à la chaleur, je veux dire à l’élévation de la température interne au-dessus du niveau normal de l’été ; mais il n’est pas à présumer qu’elle soit aussi grande qu’au refroidissement : l’exemple des animaux homéothermes le montre assez.

La catégorie des hibernans relie nettement les animaux hétérothermes aux homéothermes, et sert à démontrer une fois de plus, si besoin en était, que tout s’enchaîne dans la nature. Les sauts brusques n’existent pas plus dans la physiologie des êtres qu’ils ne se présentent dans leur structure organique : partout la science trouve des formes de passage.

En somme, donc, tous les êtres vivans produisent de la chaleur, plus ou moins, il est vrai, selon leur activité et leur structure; mais tous en produisent. Pareillement tous les organismes subissent l’influence de la température ambiante, même ceux qui n’en suivent point les variations : pour chacun il est un degré de chaleur qui lui convient le mieux ; tous meurent dès que la température extérieure réagit sur leur température propre, pour amener celle-ci au-dessus ou au-dessous d’un certain niveau. Seule varie la facilité avec laquelle s’opère cette action du milieu sur la température propre des êtres.


HENRI DE VARIGNY.