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La Vie de saint Paul-Aurélien

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Extrait de la « Vie des saints de la Bretagne armoricaine »
1636

LA VIE DE SAINT PAUL,

Evesque et Patron de Leon, le 12 Mars.


Saint Paul, surnommé Aurelian, nâquit en l’Isle de Bretagne, jadis nommée Albion & à present Angleterre. Son Pere s’apelloit Porphius Aurelianus, Gentil-homme riche & moyenné, de la Province de Penohen, qui en Breton, signifie teste de Bœuf[1]. Il nâquit l’an de grâce 492[2], seant à Rome le Pape S. Gelase I du nom ; le 14.e an de l’Empereur Zénon ; regnant en Bretagne Insulaire, Constantin ; en l’Armorique Hoël II du nom, dit le Faineant, & en France Clovis Ier, premier Roy Chrétien des François. Ayant passé les années de son enfance chez ses Parens, donnant, en ce bas âge, des signes évidens de sa future Sainteté, il fut envoyé aux écolles, où il fit un notable progrés en peu de temps, non à l’étude des lettres seulement, mais encore plus à la vertu ; car il s’enflamma tellement en l’Amour de Dieu & de la perfection, qu’il se resolut de quitter le monde & se retirer en quelque Monastere pour y servir Dieu tout le temps de sa vie. Son Pere, s’estant apperçu de son dessein, le retira des écolles & le voulut envoyer aux Academies & exercices militaires ; mais l’enfant n’y voulut entendre, & enfin sa perseverance l’emporta ; car son pere, le voyant si ferme en sa résolution, craignant de s’opposer à la volonté de Dieu, le laissa faire &, à sa requeste, le mist en pension au Monastere de Saint Hydultus, ou Helcules, Disciple de S. Germain d’Auxerre, personnage de grand sçavoir & signalé en Sainteté[3].

II. En cette écolle, il eut pour condisciples trois jeunes hommes, qui depuis furent grands personnages, Daniël surnommé Aquarius, ou Boy-l’eau, à cause qu’il s’abstint de vin ; Samson, depuis Archevesque d’Eborac en l’Isle[4], &, depuis, de Dol en Bretagne Armorique, & Gildas, surnommé le Sage, depuis Abbé de Rhuys an Vennetois. Il demeura en ce Monastere jusques à l’âge de quinze ans, y fit son cours en Philosophie & Theologie, observant ponctuellement la Regle, bien qu’il ne portast encore l’habit Monastique. La Classe où S. Hydultus faisoit ses leçons estoit si proche du rivage de la Mer, qu’aux hautes marées l’eau y entroit, qui contraignoit le Maistre & les Disciples de luy ceder ; ce que voyant saint Paul & ses condisciples, prierent leur Maistre qu’il fit en sorte, par ses Oraisons, que Dieu les délivrast de l’importunité de cet Element. Saint Hydultus les mena à l’Eglise, & tous ensemble, ayans fait Oraison, marcherent contre la Mer (le saint Abbé tenant un bâton en sa main) laquelle, comme si elle eust redouté le coup, à mesure qu’ils avançoient, s’enfuyoit devant eux, jusqu’à ce qu’ayant laissé à sec une grande campagne, le S. Abbé luy deffendit, de la part de son Createur, de s’épandre plus avant, crainte d’infecter le lieu destiné pour l’instruction de ces saints Enfans ; ce que la Mer a depuis inviolablement observé.

III. En cette campagne que la Mer avoit laissée à sec, l’Abbé S. Hydultus sema du bled, lequel estant parvenu à maturité, il fallut le faire garder, à cause que les oyseaux maritimes le gastoient ; saint Hydultus en commit la garde à ses écolliers, lesquels alternativement le gardoient. Une nuit que S. Paul estoit en faction, il s’endormit &, pendant son sommeil, les oyseaux gasterent tout le bled, dequoy s’estant apperceu le matin, il fut si honteux que, de deux jours, il n’osa se présenter devant son Maistre. Le troisième jour, devisant avec ses condisciples dans le champ, voilà venir les mesmes oyseaux à leur picorée ordinaire ; S. Paul, les voyant fondre dans le champ, dit à ses condisciples : « Mes freres, prions Nostre Seigneur qu’il nous fasse raison de ces oyseaux, qui nous ont porté si grand dommage. » Les enfans se mirent à genoux & firent leur priere ; puis, environnans le champ, les amasserent en une bande & les menerent au Monastere, comme un troupeau de brebis, &, entrans dans la cour du Monastere où l’Abbé saint Hydultus se promenoit, saint Paul luy dit : « Mon Maistre, voicy les larrons qui ont gasté votre bled ; j’ay prié Dieu qu’il m’en fist raison, & voicy que je vous les presente, afin que vous les punissiez comme bon vous semblera. » Le S. Abbé, tout estonné de ce miracle, leur donna sa benediction & ainsi s’envoleront vers la Mer, & commença à regarder S. Paul, non plus comme son disciple, mais comme un saint & amy de Dieu.

IV. Ayant demeuré dix ans au Monastere de saint Hydultus, il se sentit puissamment touché du desir de vivre solitairement ; il en confera avec son Maistre, lequel, reconnoissant que ce desir venoit de Dieu, luy conseilla de poursuivre son dessein. Ainsi Paul prit congé de son Maistre & de ses condisciples, &, le quinziéme an de son âge, se retira en un lieu desert & écart, prés d’une métairie qui appartenoit à son Pere, &, s’estant associé douze personnages portez de mesme desir & intention, y édifia une petite Chappelle & treize petites Cellules, éloignées quelque peu l’une de l’autre ; ce fut le premier Monastere qu’il bastit, l’an 507, auquel il mena une vie si austere & sainte, que, dans peu de temps, tout le pays circonvoisin y affluoit pour le consulter & se recommander à ses saintes prieres. Il estoit simplement vestu & ne beuvoit ny vin ny biere, ny autre boisson que de l’eau ; sa nourriture ordinaire estoit du pain sec & un peu de sel ; les Dimanches & festes solemnelles, il prenoit sa réfection avec ses douze Confreres & lors, par compagnie, il mangeoit quelque peu de legumes & de poisson ; mais de chair jamais il n’en mangea, depuis qu’il fut au Monastere. Ayant atteint l’âge de vingt & deux ans, il fust consacré Prestre (ayant préalablement receu les autres Ordres), par l’Evesque de Guic-Kastel (les Anglois l’appellent à present Winchester) son Diocesain, & chanta Messe, l’an 514, & ses douze compagnons aussi.


V. En ce temps, le Roy Marc, l’un des plus puissans Roys de l’Isle, inspiré de Dieu, se voulut convertir à la Foy de JESUS-CHRIST, lequel, informé de l’admirable Sainteté de Paul, l’envoya querir, avec ses douze confreres, pour le Catechiser & toute sa Cour. S. Paul fut bien mary de quitter sa chere solitude ; mais l’importance d’une si notable conversion fist qu’il postposa sa consolation particuliere à la Gloire de Dieu & augmentation de la Religion Chrestienne[5]. Le Roy le receut fort gracieusement & fut par luy instruit & Baptizé, comme aussi les Seigneurs & Princes de sa Cour, & travaillerent si bien, que, dans deux ans, toutes les quatre Provinces du Royaume furent entièrement converties & les affaires de la Religion bien établies par tout. Le Roy le voulut faire sacrer Evesque de la Ville Capitale ; mais il n’y voulut consentir & commença à penser à sa retraitte, &, en ayant conferé avec Dieu par l’Oraison, un Ange luy apparut & commanda de s’embarquer avec ses Confreres, & qu’il seroit guidé de Dieu en un pays, où il feroit un grand fruit aux Ames. Le Saint en confera avec ses douze Prestres, ayant pris congé du Roy (qui, à toute force, le vouloit retenir & le refusa d’une clochette qu’il luy demandoit) il s’embarqua au port de la Ville & vint surgir auprès d’un Monastere de filles, où sa sœur estoit Abbesse, laquelle fut extrémement aise de voir son frere, & passerent trois jours en ce lieu, au bout desquels, saint Paul fit reculer la Mer quatre mille pas loin dudit Monastere (dans lequel elle entroit auparavant aux grandes marées) & commanda à sa sœur & à ses filles de borner la liziere & extrémité de petits cailloux, lesquels, tout à l’instant (chose étrange !) creurent en grands et hauts rochers, pour servir de bornes à la Mer & comme de fortes digues pour brider sa furie, demeurant seulement une petite voye entre ces horribles écueils au lieu où le Saint & sa compagnie avoient passé, & s’appelloit Hent-Sant-Paul, c’est-à-dire, le chemin de saint Paul[6].

VI. Lequel ayant dit adieu à sa sœur & donné sa benediction à ses filles, remonta sur mer, &, ayant traversé l’Occean Britannique ou Manche d’Angleterre, aborda à l’Isle de Heussa ditte en François Oùessant, éloignée de la coste du bas Leon de sept lieuës de Bretagne, où ils prirent terre, l’an 517, grayerent leur vaisseau & le tirerent à sec trouvant le lieu solitaire & propre à leur dessein, y édifierent un petit Monastere, consistant en une Chappelle & treize petites Cellules de gazons, couvertes de glays, où ayans vescu six mois, Dieu leur commanda, par un Ange, de s’embarquer de rechef, parce que ce n’estoit pas là le lieu où il devoit s’arrester ; à quoy il obeït, & se mit en mer, rengeant la coste de Leon, de l’Oüest à l’Est, sans perdre la terre de veuë, jusqu’au Havre du Kernic en la Paroisse de Plounevez, où ils se desembarquerent & voulurent de rechef bastir leur Monastere ; mais S. Paul eut revelation d’avancer encore en pays ; ce qu’il fit, tirant vers la Ville d’Occismor[7]. Proche d’icelle il fit rencontre d’un Maistre Berger du Comte Guythure, Gouverneur du Comté de Leon, duquel il s’enquist à qui appartenoit le pays où il estoit, &, ayant appris que c’estoit audit Comte Guythure, qui demeurait en l’Isle de Baaz, vis à vis du Bourg de Roscow, il s’y fit conduire, &, par le chemin, rendit la veuë à trois aveugles, leur touchant les yeux de son baston, lequel miracle fust suivi de la guerison de deux muets, ausquels, par sa seule benediction, il rendit l’office de la langue. Les Saints passerent en l’Isle &, entrans dans le Bourg de Baaz, S. Paul rendit la santé à un Paralytique, puis se fit conduire droit au Palais du Comte.


VII. Le Comte le receut amiablement & devisa long-temps avec luy de ses voyages ; &, comme ils tomberent sur le propos du refus que le Roy Marc luy avoit fait d’une clochette qu’il luy avoit demandée, voicy entrer les pescheurs du Comte, qui luy aportoient la teste d’un gros poisson qui avoit esté pris au rivage de l’Isle, dans la gueulle duquel on trouva la clochette dont estoit question, laquelle Guythurus donna à S. Paul ; cette Cloche se garde encore au Thresor de la Cathedrale de Leon, au son de laquelle on tient que plusieurs malades ont esté gueris & un mort ressuscité. Le Comte, voyant les miracles que Dieu faisoit par les merites de S. Paul, le supplia de délivrer ceste Isle de l’importunité d’un horrible Dragon, long de soixante pieds, couvert de dures écailles, lequel sortoit souvent de sa caverne, &, se ruant sur les prochains villages, devoroit hommes, femmes & bestiaux indifféremment. S. Paul consola le Comte & passa la nuit en prieres avec ses Prestres, &, le matin, dist la Messe & se mist en chemin vers la caverne du Dragon, avec ses Ornemens Sacerdotaux ; le Comte & le peuple le suivirent jusqu’à un endroit d’où ils luy monstrerent la caverne du Dragon & n’oserent passer outre. Il se trouva un jeune Gentil-homme de la Paroisse de Cleder, lequel s’offrit d’accompagner S. Paul & jamais ne le quitter ; le Saint accepta son offre, &, ayant beny son épée, marcherent contre le Dragon, auquel le Saint commanda de sortir de sa taniere ; ce qu’il fit, roulant les yeux, en sa teste, froissant la terre de ses écailles & sifflant si horriblement, qu’il faisoit retentir les rivages circonvoisins. Le saint s’approcha de luy, &, luy ayant jetté & lié son Estolle au col, le bailla à conduire à son Gentil-homme, qui le mena comme un chien en lesse, saint Paul le frappant de son bâton ; &, arrivez en l’extremité de l’Isle vers le Nord, il luy osta son Estolle & luy commanda de se précipiter dans la mer ; ce qu’il fit, & s’apelle encore à présent le lieu d’où il se jetta Toull-ar-Sarpant, c’est-à-dire, l’abysme du Serpent, où la mer fait un croulement & bruit étrange en tout temps, sans aucune cause aparente.


VIII. S. Paul, ayant exterminé le Monstre, fut accompagné du Comte & de tout le Peuple, qui luy rendirent mille remerciemens & luy soûhaitterent mille bénédictions ; &, en reconnoissance de la valeur, courage & magnanimité de ce jeune Gentil-homme qui avoit accompagné saint Paul, le Comte le nomma de Ker-gour-na-dec’h, c’est-à-dire, en Breton, qui ne sçait fuïr, & luy donna plusieurs beaux privileges ; même de là les Seigneurs de cette Maison disent avoir le privilège d’aller seuls à l’Offrande, avec l’épée au costé & les éprons dorez, le Dimanche après les Octaves, de saint Pierre & S. Paul, qui est le jour de la Dédicace de l’Église de Leon. Le Comte Guythure, desirant retenir saint Paul prés de soy, luy fit present de son Palais, avec toutes ses apartenances, & se retira en la ville d’Occismor, où il transfera sa Cour & ceda au Saint tous les revenus qu’il possedoit en l’Isle de Baaz, luy fit, de plus, présent d’un Livre d’Evangiles, qu’il avoit écrit de sa propre main, lequel se garde encore à présent au Thresor de l’Église Cathédrale de Leon, & Guillaume de Rochefort, Evesque de Leon, le fit couvrir d’argent doré, l’an 1352, avec apposition des Armes de Leon & de Rochefort. Saint Paul remercia le Comte, &, à sa requeste, de ce Palais fist un Monastere, pour la construction & accommodation duquel, il obtint miraculeusement une fontaine, posant son baston en terre. Le bastiment achevé, le Saint s’y logea, avec ses douze Prestres & nombre de jeunes hommes qui, quittans le monde, s’y rendirent Religieux.


IX. Les Leonnois, destituez de Pasteur, voyans la Sainteté admirable de Paul, le desirerent avoir pour leur Evesque & le voulurent enlever de son Monastere pour cet effet ; mais le Comte Guythure les avisa d’y procéder d’une autre méthode & dit qu’il falloit le prier d’aller jusques à Paris porter des Lettres de consequence au Roy Juduval, (lors réfugié en la Cour de Childebert Roy de Paris) & obtenir de Sa Majesté la confirmation des Lettres & Possessions que le Comte & les autres Seigneurs avoient donné de son nouveau Monastere, & que, par les lettres, on supplioit instamment le Roy de le faire sacrer Evesque de Leon. La chose fut faite tout ainsi que le Comte l’avoit conseillé, & le Saint alla à Paris, accompagné de deux de ses Confreres, ayant laissé le Gouvernement de son Monastere à S. Jaoua. Les Roys Childebert & Juduval furent fort aises de son arrivée ; car ils avoient esté déjà informez de sa sainteté & des merveilles qu’il avoit opéré en Bretagne. S. Paul salua humblement leurs Majestez, &, ayant fait sa harangue & rendu raison de sa legation, presenta au Roy Juduval les lettres du Comte Guythure & des Leonnois, tous lesquels le supplioient instamment de faire sacrer saint Paul Evesque de Leon. Le Roy Juduval, ayant leu la lettre, la communique au Roy Childebert, lequel fut d’avis qu’on donnast contentement aux Leonnois ; & le Roy Juduval dit au Saint que tres volontiers il accordoit aux Leonnois, ses sujets, leur requeste & le nommoit pour Evesque de Leon (luy mettant en main une Crosse d’Yvoire) ; & de plus confirmoit toutes les lettres, héritages & revenus qui luy avoient esté donnez, & luy donnoit sa Ville d’Occismor, l’Isle d’Heussa & tout le territoire d’Ackh au Leon, avec tout le revenu qui luy estoit deu esdites terres. Saint Paul, qui n’avoit encore rien sceu de l’intention des Leonnois, ny du contenu de leurs lettres, fut bien estonné de ces paroles, &, se jettant à genoux, la larme à l’œil, supplia le Roy Juduval de ne luy mettre sus une telle charge trop pesante pour ses foibles epaules ; mais il ne peut divertir le Roy de son dessein, de sorte qu’il luy fallut consentir, & fut, le Dimanche suivant, sacré à Paris &, deux jours après, prit congé des Roys Childebert & Juduval & s’en retourna en Bretagne.

X. Le Comte Guythure, averty que le Saint s’en retournoit, se rendit, avec toute sa Noblesse, en la Ville de Morlaix (laquelle en ce temps-là, tant de çà que de là la riviere de Keuleut, estoit membre du Comté de Leon, & ne fut incorporé au Duché qu’en l’an 1177), où il luy disposa une magnifique reception, & de là le conduirent à Occismor, où il fut receu de tout le Clergé & du peuple, puis conduit dans l’Église Cathedrale (fondée jadis par le Roy Conan Meriadech) où il fut sis en son Siege Episcopal, & donna sa benediction à tout le peuple. Incontinent, il se mit à establir l’ordre & police requis pour le gouvernement de son Diocese, lequel il divisa en trois Archidiaconez : Leon, Ackh & Kimilidili, fit le département des Paroisses ; rebastit les Eglises & Monasteres que le Saxon Corsolde avoit rasez ; fonda deux autres Monasteres, outre celuy de Baaz, l’un en la Paroisse de Kerloüan, nommé Kerpaul, & l’autre en la Paroisse de Plougar, appelé Mouster-Paul, & celuy de Land-Paul, à present Paroisse, (lesquels furent ruïnez par les Normands l’an 878), desquels, comme de pepinieres & séminaires de Sainteté & Doctrine, il tiroit des gens doctes & pieux, pour en faire des Recteurs & Curez par son Diocese. Il fit Grand Vicaire S. Guevrock & pourveut ses douze Prestres des principales dignitez & canonicats de sa Cathedrale[8]. Il alla au Faou, en Cornoüaille, & y extermina un pernicieux Dragon, qui infectoit toute la contrée & délivra le Seigneur du Faou du malin esprit ; lequel, à sa persuasion, fonda le Monastere de Daougloas, en Cornoüaille, puis s’en retourna en son Evesché.

XI. Quelque temps après, redoutant la pesanteur de sa charge Pastorale & épris du desir de la retraitte & solitude, il se resolut de se demettre de son Evesché & le resigner à son Neveu S. Jaoua, lequel, d’Abbé de Baaz, estoit devenu Abbé de Daougloas & Recteur de Brazpars, en Cornoüaille. À cette occasion, il assembla tous ses Chanoines en la Salle de son Manoir, &, en leur presence, resigna son Evesché à S. Jaoua ; &, l’ayant envoyé à Dol, pour estre sacré par S. Samson, Archevesque du lieu, lors Metropolitain de Bretagne, se retira en son Monastere de Baaz, au grand contentement de ses Religieux & des Insulaires, & ce l’an 553. Saint Jaoua n’ayant vescu qu’un an, deceda le 2 jour de Mars 554, à Brazpars ; cela fut cause que S. Paul vint à Occismor & présida à l’élection qui fust faite de Tiernomallus, Chanoine de Leon, lequel, estant decedé peu de temps aprés son sacre, fit que S. Paul quitta encore une fois son Monastere & vint à Occismor, Officia aux obseques du defunt Evesque & puis assista à l’assemblée de l’élection, où il fut instamment supplié de reprendre le gouvernement de l’Evesché ; à quoy il condescendit, vaincu des importunitez de son Clergé. Il receut à penitence le Seigneur Gurguidus, de la Noble & ancienne Maison de Tremazan-le-Chastel, pour avoir inopinement tué sa sœur sainte Haude, laquelle ayant dévotement accomplie, il vint trouver S. Paul, lequel vid un brandon de feu, comme un globe, sur sa teste, d’où il prit occasion de changer son nom & l’appella Tanguidus, du mot breton Tan, qui signifie feu ; il le fit vétir & instruire en son Monastere de Baaz, & puis il le fit Prieur du Monastere du Relecq, & enfin premier Abbé du Monastere de Loc-Mazé Traoun, en bas Leon. Enfin, S. Paul, sentant ses forces diminuer de jour à autre, se demist pour la seconde fois, de sa charge Pastorale, & fit élire en son lieu Cetomerinus, un de ses douze Prestres & disciples & Chanoine de sa Cathedrale, homme pieux & sçavant, lequel fut solemnellement sacré, l’an 566. Incontinent aprés ce Sacre, S. Paul se retira en son Monastere de Baaz, où il demeura, y vacquant en continuelles Oraisons, Jeusnes, Veilles & autres austeritez, jusqu’à l’âge decrepit de cent deux ans, qui fut l’an de grâce 594 que Nostre Seigneur le voulut récompenser de ses travaux. Il estoit si attenué, sec & décharné, pour les rigueurs & austeritez dont il mattoit son corps, nonobstant son grand âge, qu’il n’avoit plus que la peau simplement étenduë sur les os.

XII. Une nuit, aprés Matines, comme il se fut jetté sur son pauvre grabat pour prendre quelque repos, un Ange entra dans sa Cellule, laquelle fut incontinent remplie d’une grande clarté, & luy dist : « O Paul ! tu as puissamment combattu & as heureusement courru la carriere de cette vie mortelle ; reste à present que le Seigneur, auquel tu as si fidellement servy, te donne le loyer & recompense que tu as meritez ; c’est pourquoy tiens toy prest & appareillé à Dimanche prochain, que tu entreras en la Gloire de ton Seigneur. » Cela dit, l’Ange disparut, mais non la clarté qui remplissoit la chambre. Le Saint, bien aise de si bonnes nouvelles, rendit grâce à Dieu &, le matin venu, celebra la Sainte Messe avec une devotion extraordinaire ; puis, ayant convocqué tous ses Moynes, leur fit une belle Predication, les exhortans à la charité, humilité, patience & toutes autres sortes de vertus & sur tout à l’Observance de leur vœu & de la Regle, leur manifestant que sa derniere heure approchoit, leur predisant le jour & l’heure qu’il devoit passer de ce monde. Il donna ordre au gouvernement de tous ses Monasteres & envoya prier l’Evesque Cetomerinus de le venir voir ; ce qu’il fit, accompagné des principaux de ses Chanoines & de nombre de Noblesse & habitans de Leon. Il se mit au lict, se sentant saisi d’une violente fievre, & fit ses dernieres ordonnances ; &, sur ce que le bon Prelat Cetomerinus luy recommandoit son Eglise Leonnoise, faisant un sousris, luy dist, d’un esprit prophétique : « Ne vous mettez pas en peine, Dieu en aura soin & y pourvoira d’un Prelat qui vous succedera & sera tres saint ; il se nommera Goulven, & achevera ce que j’avois bien avancé dans mon Diocese ; » puis se tournant vers ses Moynes, qui estoient tous agenoüillez autour de sa couche, pleurans à chaudes larmes le decés de leur S. Pere, leur predit le different qui se devoit élever entre les Chanoines de l’Eglise Cathedrale & eux, touchant le lieu de sa sépulture & les pria de consentir qu’il fust enterré dans sa Cathedrale, parce qu’il avoit sceu par revelation que son Corps devoit estre visité par les Pelerins, ausquels seroit chose incommode & dangereuse de passer & repasser si souvent le courant de mer qui est entre le Bourg & l’Isle de Baaz ; après, il leur donna sa benediction, leur demanda pardon, &, les entendant sanglotter, leur dist : « Que veut dire cecy ? (mes chers Freres) portez-vous envie à mon bon-heur ? Ne vous affligez pas de mon depart, vivez selon la Regle & l’exemple que je vous ay monstré & Dieu demeurera avec vous. »


XIII. Ayant dit ces paroles, le mal le pressant, il pria l’Evesque Cetomerinus de luy administrer le Viatique & le Saint Sacrement d’Extreme-Onction, lequel il receut avec une grande reverence & devotion, aidant luy-mesme & respondant à l’Evesque. Cette Ceremonie achevée, il se tourna encore une fois vers ses Freres, &, levant la main, leur donna de rechef sa benediction, disant « La Benediction de Dieu Tout-Puissant, Pere, Fils & Saint-Esprit, demeure toûjours avec vous ; » &, puis ayant les yeux collez sur l’Image du Crucifix, sans démonstration de douleur quelconque, il rendit sa sainte Ame entre les mains de son Createur, le Dimanche, douzieme jour de Mars, l’an de grâce cinq cens nonante-quatre, le cent deuxième de son âge, seant à Rome saint Gregoire le Grand, le dixième de l’Empire de Maurice, la premiere du regne de Hoël troisième du nom, Roy de Bretagne Armorique, Juhaël, fils de Juduval, regnant en basse Bretagne, & en France Chilperic second du nom. Le corps fut lavé & revétu de ses Ornemens Pontificaux, posé sur un lict honorable dans la Nef de l’Eglise du Monastere de Baaz, où il se rendit si grande affluence de peuple pour reverer & toucher par devotion ce saint Corps, que le courant de Mer, qui est entre le Bourg de Roscow & l’Isle de Baaz, estoit couvert de Batteaux, Cocquereaux, Chalouppes & Gondoles, qui passoient & repassoient le peuple.

XIV. Tout l’appareil des obseques estant prest, Cetomerinus, revetu Pontificalement, accompagné de ses Chanoines & du Clergé Leonnois, se presenta pour lever le saint Corps & le conduire à la Barque qu’on avoit équippée pour le passer en terre ferme mais les Moynes de Baaz s’y opposerent, ne se voulans, pour rien, dessaisir de ce saint Corps ; les Insulaires Leonnois en dirent de mesme, &, de parole en parole, en vinrent aux menaces. Les Insulaires disoient pour leur raison qu’il estoit mort chez eux, là où il avoit premièrement residé ; les Chanoines & habitans d’Occismor répondoient qu’il y avoit esté leur Evesque, &, partant, estoit seant qu’il fut inhumé en sa Cathedrale ; que les dernières volontés, lors qu’elles sont justes, doivent estre inviolablement exécutées ; que le Saint, au lict de la mort, avoit declaré vouloir que son Corps fust enterré en sa Cathedrale. Enfin, aprés plusieurs répliques, l’Evesque Cetomerinus, certain de ce que S. Paul luy avoit ordonné en ce cas, fit faire deux chariots couvert, & à chacun fit joindre un couple de bœufs, les disposant tellement au milieu de la plaine, que l’un regardoit vers Occismor, l’autre vers le Monastere de Baaz ; puis, ayant fait apporter le S. Corps, on le mist également sur ces chariots ; de sorte que la moitié estoit sur l’un & l’autre moitié sur l’autre, laissant en l’option du saint Corps d’aller où bon luy sembleroit. Chose merveilleuse ! si tost qu’on eût levé le saint Corps sur les chariots, il disparut si soudainement, qu’encore bien que tout le peuple le regardast aucun ne pût scavoir ce qu’il devint, &, les bœufs commançans à marcher, traînerent leurs chariots, l’un vers la barque des Leonnois, l’autre vers le Monastere de Baaz.

XV. Les Moynes & les Insulaires suivirent leur chariot, &, estans arrivez au Monastere, leverent le couvercle & ne trouverent rien dedans. Le Clergé & le peuple de Leon, ayant passé la mer, firent de même & trouverent le Corps en leur chariot, lequel ils conduîrent en grande joye & solemnité en l’Eglise Cathedrale, où, l’Office de ses obseques solemnellement celebré, il fut inhumé en un sepulchre au milieu du chœur ; mais ce saint Thresor ne fut pas long-temps caché sous terre, que Dieu ne le manifestast par grands miracles, si frequens, que saint Goulven, successeur de Cetomerinus, le levan de terre & colloqua ses saints Ossemens, richement enchâssés, parmy les autres Reliques de son Eglise de Leon, où ils ont esté reveremment gardez & religieusement visitez par les Bretons & estrangers jusques à l’an de grâce 878, que les Danois, estans descendus en Bretagne Armorique, ravagerent le pays, renversans les Eglises, brûlans les saintes Reliques & mettans tout à feu & à sang par tout où ils passoient. Liberal, pour lors Evesque de Leon, enleva les Reliques de S. Paul & les porta au Monastere de S. Florent là où elles ont demeuré jusques à l’an 1567, que les Huguenots, s’estans rendus maistres de ce celebre Monastere, brûlerent ou jetterent les saintes Reliques et butinerent les riches Chasses où elles estoient encloses.


XVI. Le Bien-heureux Pere Felix, natif du Diocese de Cornoüaille, s’estant retiré en l’Isle d’Ouessant, ayant entendu que le Corps de S. Paul avoit esté transporté à S. Florent, se resolut d’y aller visiter ses sacrées cendres ; il voulut premièrement en conferer avec l’Evesque de Leon ; il vint à Occismor, (qui s’apelloit Kastel-Paul), où il visita le sepulchre du Saint puis, estant monté sur Mer pour poursuivre son voyage il fut délivré d’un inévitable naufrage, ayant reclamé les glorieux saints Paul & Benoist à son secours[9]. La memoire de ce glorieux Prélat a esté si douce aux Leonnois, qu’ils ont donné son Nom à la Ville principale, Siege des Evesques, Seigneurs & Comtes de Leon[10], luy faisant quitter son ancien nom d’Occismor, pour estre nommée la Ville de Saint Paul.

Cette Vie a esté par nous recueillie de Pierre de Natalibus, liv. 3, chap. 195 ; Molanus, és Additions sur Usward, le 12 Mars ; F. Vincent de Beauvais, en son Miroir historial, liv. 21, chap. 22 ; S. Antonin, en ses Histoires, partie 2, chap. 8, § 12 ; Thritemius, des Hommes Illustres de l’Ordre de Saint Benoist, liv. 3, chap. 48, et liv, 4, chap. 134 ; Robert Coenalis, de re Gallica, liv. 2, perioche 6 ; Jean du Bois, qui l’a tirée ex Bibliotheca Floriacens. ; Benoist Gononus, és vies des Peres d’Occident, liv. 2. pag. 136, et en la vie de Saint Felix, liv. 3 ; Alain Bouchard, en ses Annales de Bretagne, et le Sr. d’Argentré, en son Histoire ; Antoine de Yepes, en sa Cronique generale de l’Ordre de S. Benoist, sur l’an 562, pag. 579 ; Jean Rioche, Provincial des Cordeliers de la Province de Bretagne, en son Compendium temporum, liv. 2, chap. 78, en la Colomne des Docteurs ; René Benoist, en son Legendaire qu’il a prise des Archives de la Cathedrale de Leon ; Friard en ses Additions Legendari de Ribadeneira ; tous les anciens Breviaires des neuf Eveschez de Bretagne ; les Legendaires M SS. de Leon, Treguier et Nantes, et les M SS. des Vies des Saints Jaoua, Goulven et Tanguy.

  1. M. de la Borderie précise bien où se trouve ce lieu : « en Cambrie, dans cette sorte de péninsule du Clamorgan formant la partie méridionale de ce comté, compris entre la rivière du Taf (vers Cardiff) et celle de Neath, péninsule où existait une ville romaine appelée Bovium (aujourd’hui Boverton). » — A.-M. T.
  2. En 480 d’après M. de la Borderie.
  3. Le même historien dit que le monastère de saint Iltud était « au bord du bras de mer qui sert d’embouchure à la Saverne, juste à la pointe Sud-Ouest du Glamorgan. » A.-M. T.
  4. Eborac c’est la ville métropolitaine d’York, mais quand nous en viendrons à la vie de saint Samson nous verrons que ce saint n’occupa point de siège épiscopal en Grande-Bretagne.
  5. La religion chrétienne n’avait point à bénéficier d’une augmentation en cette circonstance ; Albert Le Grand n’a point saisi qu’il s’agissait ici d’une conversion de la vie trop naturelle à une vie plus parfaite, car il est certain que le roi Marc était déjà chrétien ainsi que tout son entourage. À M. T.
  6. La pieuse abesse s’appelait Sicofolla ; Albert Le Grand n’insiste pas suffisamment sur la vive affection qui existait entre le frère et la sœur et dont le récit de Wrmonoc offre le plus touchant tableau. — A.-M. T.
  7. Wrmonoc ne donne nullement ce nom au Castellum abandonné dont saint Paul devait faire sa ville Épiscopale. A.-M. T.
  8. Albert vient de nous dire que des établissements religieux créés par lui il tirait d’excellents prêtres pour desservir les églises secondaires ; en effet l’Église de Bretagne était alors essentiellement monastique ; les prêtres que le Saint avait amenés de l’Ile étaient aussi des moines et demeurèrent tels jusqu’à la fin. Je donne ici leurs noms d’après l’Histoire de Bretagne, tom. I, p. 342 : 1 Wocdnovius-Towocdocus, 2 Toetheus-Tochicus, 3 Hercanus-Herculanus, 4 Toseocus surnommé Siteredus, 5 Jahoevius (saint Jaoua ou Joévin), 6 Tigernmaglus, 7 Gellocus, 8 Bretowennus, 9 Boius, 10 Winniavus, 11 Lowenanus, 12 Chielus. — Dans cette pieuse colonie il y avait en outre le diacre Decanus et le maître des moines Quonocus-Toquonocus. M. de la Borderie me semble dans le vrai en traduisant ce dernier nom par Tégonec (Saint-Thégonnec). — A.-M. T.
  9. Voy. sa vie au 9 de mars. — A.
  10. Ainsi s’intitulaient en effet les Évêques de Léon, mais non sans avoir à subir les protestations des ducs de Rohan, princes de Léon. A.-M. T.