La palingénésie philosophique/PARTIE VIII. Conciliation de l’hipothèse de l’auteur sur l’état futur des animaux, avec le dogme de la résurrection. Principes fondamentaux de la religion naturelle et de la religion révélée

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La palingénésie philosophique : ou Idées sur l'état passé et sur l'état futur des êtres vivans : ouvrage destiné à servir de supplément aux derniers écrits de l'auteur et qui contient principalement le précis de ses recherches sur le christianisme
Geneve : C. Philibert (1p. 308-319).

HUITIEME PARTIE

concilliation

de

l’hipothèse de l’auteur

sur

l’état futur des animaux,

avec le

dogme de la résurrection.

Principes fondamentaux

de la religion naturelle

Et de la religion révélée


Dois-je craindre d’avoir allarmé les ames pieuses, en cherchant à établir le nouveau dogme philosophique de la restitution & du perfectionnement futurs de tous les êtres organisés & animés ? Aurois-je donné ainsi la plus légère atteinte à un des dogmes les plus importans de la foi, à celui de notre propre résurrection ? Il me tardoit d’en venir à une discussion qui intéresse également la religion & la philosophie. Il ne me sera pas difficile de montrer en peu de mots, combien les allarmes qu’on pourroit concevoir sur ce sujet, seroient destituées de fondement.

Le dogme sacré de notre résurrection repose principalement sur l’imputabilité de nos actions ; celle-ci sur leur moralité. Il est dans l’ordre de la souveraine sagesse, que l’observation des loix naturelles conduise tôt ou tard au bonheur, & que leur inobservation conduise tôt ou tard au malheur. C’est que les loix naturelles sont les résultats de la nature de l’homme & de ses rélations diverses.[1]

L’homme est un être-mixte :[2] l’amour du bonheur est le principe universel de ses actions. Il a été créé pour le bonheur, & pour un bonheur rélatif à sa qualité d’être-mixte.

Il seroit donc contre les loix établies, que l’homme pût être heureux en choquant ses rélations, puisqu’elles sont fondées sur sa propre nature, combinée avec celle des autres êtres.

La vie présente est le premier anneau d’une chaîne qui se perd dans l’éternité. L’homme est immortel par son ame, substance indivisible ; il l’est encore par ce germe impérissable auquel elle est unie.[3]

En annonçant au genre-humain le dogme de la résurrection, celui qui est la résurrection & la vie, lui a enseigné, non simplement l’immortalité de l’ame, mais encore l’immortalité de l’homme.

L’homme sera donc éternellement un être-mixte ; & comme tout est lié dans l’univers,[4] l’état présent de l’homme détermine son état futur.

La mémoire, qui a son siège dans le cerveau,[5] est le fondement de la personnalité. Les nœuds secrets qui lient le germe impérissable avec le cerveau périssable, conservent à l’homme le souvenir de ses états passés.[6] Il pourra donc être recompensé ou puni dans le rapport à ses états passés. Il pourra comparer le jugement qui sera porté de ses actions, avec le souvenir qu’il aura conservé de ces actions.

Cet être qui fait le bien ou le mal, & qui en conséquence du bien ou du mal qu’il aura fait, sera recompensé ou puni ; cet être, dis-je, n’est pas une certaine ame ; il est une certaine ame unie dès le commencement à un certain corps, & c’est ce composé qui porte le nom d’homme.

Ce sera donc l’homme tout entier, & non une certaine ame ou une partie de l’homme, qui sera recompensé ou puni. Aussi la révélation déclare-t-elle expressément, que chacun recevra selon le bien ou le mal qu’il aura fait étant dans son corps.[7]

Le dogme de la résurrection suppose nécessairement la permanence de l’homme ; celle-ci, une liaison secrette entre l’état futur de l’homme & son état passé.

Cette liaison n’est point arbitraire ; elle est naturelle. L’homme fait partie de l’univers. La partie a des rapports au tout. L’univers est un systême immense de rapports :[8] ces rapports sont déterminés réciproquement les uns par les autres. Dans un tel systême, il ne peut rien y avoir d’arbitraire. Chaque état d’un être quelconque est déterminé naturellement par l’état antécédent ; autrement l’état subséquent n’auroit point de raison de son éxistence.

Les recompenses & les peines à venir ne seront donc pas arbitraires ; puisqu’elles seront le résultat naturel de l’enchaînement de l’état futur de l’homme avec son état passé.

L’auteur de l’essai de psychologie, qui n’a peut-être pas été médité autant qu’il demandoit à l’être, a sçu remonter ici au principe le plus philosophique. « La métaphysique, dit-il,[9] voit la religion comme une maîtresse rouë dans une machine. Les Effets de cette Rouë sont déterminés par ses Rapports aux Piéces dans lesquelles elle s’engraîne. La RELIGION parle d'une Alliance, d'un MÉDIATEUR, de recompenses & de peines à venir. Ces Termes puisés dans le langage des Hommes, & pour des Hommes, expriment figurément l'Ordre établi. Les Rapports de l'état actuel de l’Humanité à un état futur sont des Rapports certains. Ceux de la Vertu au Bonheur, du Vice au Malheur, ne sont pas moins certains ; & ils se manifestent déja ici-bas.

.....DIEU ne recompense donc point ; IL ne punit point, à parler métaphysiquement : mais IL a établi un Ordre en conséquence duquel la Vertu est source du Bien, le Vice source du Mal. »

L’homme peut être dirigé au bonheur par des loix, parce qu’il peut les connoître & les suivre. Il peut les connoître, parce qu’il est doué d’entendement : il peut les suivre, parce qu’il est doué de volonté. Il est donc un être-moral, précisément parce qu’il peut être soumis à des loix ; la moralité de ses actions est ainsi leur subordination à ces loix.

L’entendement n’est pas la simple faculté d’avoir des perceptions & des sensations. Il est la faculté d’opérer sur ces perceptions & sur ces sensations, à l’aide des signes ou des termes dont il les revêt. Il forme des abstractions de tout genre, & généralise toutes ses idées.

L’entendement dirige la volonté ou la faculté de choisir, & la volonté dirigée par l’entendement est une volonté réfléchie.

La volonté va au bien réel ou apparent. L’homme n’agit qu’en vuë de son bonheur ; mais, il se méprend souvent sur le bonheur. La faculté par laquelle il éxécute ses volontés particuliéres est la liberté.

Les actions de l’homme, qui dépendent de sa volonté réfléchie peuvent lui être imputées, parce que cette volonté est à lui, & qu’il agit avec connoissance.

Cette imputation consiste essentiellement dans les suites naturelles de l’observation ou de l’inobservation des loix ou de la perfection & de l’imperfection morales, en conséquence de l’ordre que Dieu a établi dans l’univers.

Cet ordre n’a pas toujours son effet sur la terre ; la vertu n’y conduit pas toujours au bonheur, le vice, au malheur. Mais ; l’immortalité de l’homme prolongeant à l’infini son éxistence, ce qu’il ne reçoit pas dans un tems, il le recevra dans un autre, & l’ordre reprendra ses droits.

L’homme, le plus perfectible de tous les êtres terrestres, étoit encore appellé à un état futur par la supériorité-même de sa perfectibilité. Sa constitution organique & intellectuelle a répondu dès son origine, à cette dernière & grande fin de son être.

Il n’y a point de moralité chés les animaux, parce qu’ils n’ont point l’entendement. Ils ont une volonté, & ils l’éxécutent ; mais, cette volonté n’est dirigée que par la faculté de sentir. Ils ont des idées ; mais, ces idées sont purement sensibles. Ils les comparent & jugent ; mais, ils ne s’élévent point jusqu’aux notions abstraites.

Précisément parce que les actions volontaires des animaux ne sont point morales, elles ne sont point susceptibles d’imputation. Comme ils ne peuvent observer ni violer des loix qu’ils ignorent, ils ne peuvent être recompensés ni punis dans le rapport à ces loix.

Si donc les animaux étoient appellés à un état futur, ce ne seroit point du tout sur les mêmes fondemens que l’homme ; puisque leur nature & leurs rélations différent essentiellement de celles de l’homme.

Mais ; parce que les animaux ne sont point des êtres moraux, s’ensuit-il nécessairement qu’ils ne soient point susceptibles d’un accroîssement de perfection ou de bonheur ? Parce que les animaux ne nous paroîssent point aujourd’hui doués d’entendement, s’ensuit-il nécessairement que leur ame soit absolument privée de cette belle faculté ? Parce que les animaux n’ont à présent que des idées purement sensibles, s’ensuit-il nécessairement qu’ils ne pourront pas s’élever un jour à des notions abstraites, à l’aide de nouveaux organes & de circonstances plus favorables ?

L’enfant devient un être pensant par le développement de tous ses organes, par l’éducation & par les diverses circonstances qui contribuent à développer & à perfectionner toutes ses facultés corporelles & intellectuelles. Soupçonneriés-vous que cet enfant, qui est encore si au-dessous de l’animal, percera un jour dans les abîmes de la métaphysique ou calculera le retour d’une cométe ? Les instrumens dont son ame se servira pour éxécuter de si grandes choses, éxistent déja dans son cerveau ; mais, ils n’y sont pas encore développés, affermis, perfectionnés. [10]Les animaux sont aujourd’hui dans l’état d’enfance ; ils parviendront peut-être un jour à l’état d’êtres pensans, par des moyens analogues à ceux qui ennoblissent ici-bas toutes les facultés de notre être.

Ne cherchons point à intéresser la foi dans des recherches purement philosophiques, qui ne sçauroient lui porter la plus légère atteinte. La vraye piété est éclairée & n’est jamais superstitieuse. Tâchons de nous former les plus hautes idées de la bonté divine, de la grandeur & de l’universalité de ses vuës ; combien nos conceptions les plus sublimes seront-elles encore au dessous de la réalité ! Celui, sans la permission du quel un passereau ne tombe point en terre, n’a pas oublié les passereaux dans la distribution présente & future de ses bienfaits. Le plan de sagesse & de bonté que son intelligence a conçu pour la plus grande perfection des êtres terrestres, enveloppe depuis le moucheron,[11] & peut-être encore depuis le champignon, jusqu’à l’homme.

L’opinion commune, qui condamne à une mort éternelle tous les êtres organisés, à l’exception de l’homme, appauvrit l’univers. Elle précipite pour toujours dans l’abîme du néant, une multitude innombrable d’êtres sentans, capables d’un accroîssement considérable de bonheur, & qui en repeuplant & en embellissant une nouvelle terre, éxalteroient les perfections adorables du créateur.

L’opinion plus philosophique, que je propose, répond mieux aux grandes idées que la raison se forme de l’univers & de son divin auteur. Elle conserve tous ces êtres, & leur donne une permanence qui les soustrait aux révolutions des siècles, au choc des élémens & les fera survivre à cette catastrophe générale qui changera un jour la face de notre monde.

  1. Essai Analytique, §. 40, 272.
  2. Analyse Abrégée, IV, XVIII.
  3. Essai Analyt. §. 726, 727, 728, &c. Comtemp. Part. IV, Chap. XIII. Anal. Abrég. XVIII.
  4. Voyés ci-dessus Part. VI, ce que j'ai exposé sur l’Harmonie de l’Univers : Voyés encore le Chap. VII de la Part. I. de la Contemplation.
  5. Essai Analyt. §. 57. Analyse Abrégée, XV, XVI.
  6. Essai Analyt. §. 113, 114, 703, 704 &c. 736 &c. 742 &c.
  7. II. Cor, V, 9. Essai Analyt. §. 729, &c.
  8. Voyés ci-dessus Part. VI, l’Harmonie de l’Univers, & Part. I, Chap. VII, de la Contemplation.
  9. Essai de Psychologie, ou Considérations sur les Opérations de l’Ame, &c. Discours Préliminaire sur l’Utilité de la Metaphysique & sur son Accord avec les Vérités essentielles de la RELIGION ; pag. 274. Londres 1755.
  10. Voyés ci-dessus, Partie VII.
  11. Voyés la Part. IV. de cette Palingénésie.